[Quête] Ethéréalité

[Ombre]

Quête : Ethéréalité

...une porte. Légèrement intriguée, la femme se releva sans le moindre effort et s'en approcha pour exécuter le même geste que quelques dizaines de minutes auparavant... à la différence près que celle-là n'avait ni rugosités, ni matière.

Anoushivaran se rappela soudainement de ces jeux d'enfants qui avaient lieu dans le camp nomade où elle avait grandi. Elle et les deux garçons, de part et d'autre d'une planche, toquant et toquant toute la journée...

Toc, toc, toc
Princesse, est-tu là ?
Toc, toc, toc
Princesse, répond-moi
Toque une fois pour un bas mis
Toque deux fois pour deux bas mis...
Princesse, m'entends-tu ? Ton père le roi est à nos trousses...
Puisque c'est ainsi, je reviendrai la prochaine nuit !

- Tu penses que je reverrai un jour ma maman ?
- Certainement pas ! Tu es trop laid !
- Méchante !

De lointains échos dans la brume, qui tintèrent avant de s'éteindre...
Anoush leva la main - hésita un instant... et frappa. Toc, toc, toc...

[Mornagest]

[Quête : étheréalité]

A l'instant où son doigt allait heurter le bois - ou du moins, ce qui en avait l'apparence - la porte s'ouvrit sans bruit. Anoush s'apprêtait à entrer par l'entrebaîllement, quand soudain, une forme se matérialisa devant elle. Une vieille femme, aux cheveux gris, longs et raides. Son visage était imprécis, mais la barde ne pouvait y apercevoir aucune ride.

"Je t'attendais."

Sa voix était douce, mais son ton laissait passer une pointe d'impatience, comme si Anoush avait trop tardé, déjà.

"Tu vas devoir apprendre, ma fille... cela viendra. Pour l'heure, marche un peu."

Elle disparut aussi brusquement qu'elle était venue, et le décor changea instantanément. La forêt entourait maintenant Anoush. Hêtres, chênes, frênes, mais également d'épais taillis. La lumière perçait à peine le plafond feuillu qui surplombait la jeune femme, et elle dut froncer les yeux pour distinguer un vague sentier qui s'enfonçait dans les profondeurs obscures de la végétation...

[Ombre]

Quête : Ethéréalité

Hmm... Guère d'autre choix que de suivre ce qui semblait être la seule piste à travers la dense forêt. Qui était cette vieille femme ? Encore une fois une comptine d'enfance resurgit de manière incongrue... La pythie aux cheveux gris habitait-elle un palais de dattes et de loukoums ? Ou bien dans sa maison hébergeait-elle la forêt ? Quoi qu'il en soit... Anoush posa un pied dans le sentier moussu, et le sol lui apparut spongieux sous ses pieds. S'agrippant aux branches qui entravaient sa progression, elle avança en se balançant d'un côté et de l'autre, dans ce qui lui semblait être une aire dépourvue de vie autre que végétale... Mais où la vie végétale était peut-être trop vivante...

[Mornagest]

[Quête : étheréalité]

La forêt devenait un peu plus claire, maintenant, et Anoush marchait sans trop d'encombres. La mousse sous ses pieds rendait la foulée agréable, et elle aurait presque pu trouver cela reposant, n'était-ce que cette vieille femme et ses énigmatiques paroles... mais existait-elle vraiment ? La barde retournait la question dans sa tête, prêtant une attention toute relative au chemin tracé dans la végétation.

Elle marchait depuis un bon quart d'heure seulement, lorsqu'une voix puissante se fit entendre, provenant de nulle part. En l'entendant, la jeune femme sursauta.

"Te trouveras-tu ? J'en doute ! Mais je vais essayer de t'aider..."

Faisant un pas de côté, à cause de la surprise, Anoush trébucha sur une racine sortie du sol, et tomba dans ce qu'elle imagina être le vide. Une chute sans fin, le noir absolu... puis elle se retrouva debout, entourée d'une végétation, non plus accueillante comme tout à l'heure, mais inquiétante, en état de décomposition avancée. Les troncs des rares arbres encore en vie étaient couverts de mousse brunâtre et de champignons à l'aspect répugnant, quand le bois n'était pas totalement échancré.

La lumière était très diffuse, et les ombres projetées au sol ressemblaient à des monstres à l'apparence démoniaque. Un vent faible, soulevant des exhalaisons putrides des alentours, flottait autour de la jeune femme, qui prenait seulement conscience d'être immergée dans de l'eau croupie jusqu'à mi-cuisse. Et elle s'enfonçait presque à vue d'oeil dans le liquide verdâtre...

[Ombre]

Quête : Ethéréalité

Etrangement insensible à la gravité des événements, comme on peut seulement l'être dans un rêve, Anoushivaran tenta de prendre appui sur une jambe en soulevant l'autre prise dans la mélasse putréfiée, ce qui ne fait que les enfoncer toutes les deux. Avisant une branche souple pendant au-dessus d'elle, elle s'en empara, réaffirmant sa prise à chaque seconde... Les moisissures brunâtres qui en couvraient l'écorce la faisaient perpétuellement glisser entre ses paumes... Le sol mouvant ne semblait pas avoir de fond...

Un froid étrange la saisit lorsque la vase atteint ses membres supérieurs. Enfoncée jusqu'à la poitrine dans cette boue que la fermentation aurait dû rendre tiède, la femme continua de sombrer avec une inexorable lenteur. Un frisson parcourut la peau encore émergée lorsqu'elle sentir sa chevelure être submergée, alourdie, tirant sa tête en arrière, l'attirant vers les profondeurs... Respirant par à-coups saccadés et superficiels, elle ferma les yeux, dans l'expectative de l'instant où le liquide envahirait sa bouche et sa gorge, remplirait ses poumons cherchant avidement l'air, dans un spasme de douleur insoutenable...

[Mornagest]

[Quête : étheréalité]

Proche de l'ensevelissement complet, Anoushivaran était sur le point d'adresser une prière à Shaundakul. Elle fermait les yeux, essayait de s'extraire de la sensation immonde de froid qui s'emparait d'elle. Son corps entier était enduit de ce bouillon de culture infâme et putride, et bientôt, il en serait également empli...

Alors que la gadoue atteignant son menton malgré sa tête relevée, Anoush aperçut, au-dessus d'elle, une silhouette sombre, assise sur une branche d'arbre mort, à quelques mètres d'elle.

"Trop confiante. Trop individualiste. Devrais-je te laisser périr ? Je le crois. Mais... pas tout de suite."

Alors qu'elle achevait à peine sa phrase, le marais répugnant disparu entièrement, ainsi que les arbres morts, l'odeur immonde de pourriture... et la jeune femme se retrouva dans une clairière aérée, enchanteresse, sur laquelle poussait un gazon frais et coupé à ras par les quelques moutons qui paissaient non loi d'elle.

Tout autour d'elle, cependant, nulle issue n'était visible. Les arbres entourant la clairière étaient littéralement collés l'un à l'autre, et leurs premières branches étaient situées à plusieurs mètres du sol. Il faudrait trouver la sortie.

[Ombre]

Quête : Ethéréalité

Les pieds nus fermement posés dans l'herbe rase, Anoush tordit le cou pour apercevoir le jour entre les branches hautes des arbres. Etait-ce le jour ? La clarté irréelle semblait émaner de partout, comme d'une peinture naïve où les couleurs semblent porter en elles leur propre lumière.

- Et alors ? fit-elle tout haut, non sans quelque exaspération, en direction des cimes. Qui penses-tu être pour t'octroyer le droit de vie et de mort sur moi ? Kelemvor ? Chauntea ? Ao ?

Bizarrement orgueilleuse, la barde laissa tomber son regard goguenard sur un des ruminants qui gambadaient non loin d'elle, prête à l'entendre parler de la voix du Père des pères, tant l'incongruité de la situation semblait pouvoir tout permettre.

[Mornagest]

[Quête : étheréalité]

Une voix résonna lugubrement dans la clairière. A moins que ce ne fut dans sa propre tête ? Anoush ne pouvait le déterminer avec certitude. Mais elle trembla en entendant les notes désagréablement menaçantes que la voix prenait, en prononçant ces quelques mots :

"Je suis Toi. Je te regarde, je me regarde. Et ce que je vois me désole. Devrai-je mourir par ta faute ?"

L'issue se forma alors. Non pas entre les arbres, comme aurait pu s'y attendre la jeune femme, mais dans l'herbe. Là où les moutons broutaient tranquillement leur herbe, une tache circulaire un peu plus sombre apparut, sur un diamètre d'environ quatre mètres. La tache devint rapidement noire, avant de s'avérer être un trou béant, par lequel les moutons situés par-dessus chutèrent en bêlant bruyamment, et pour un temps qui parut infini à la barde.

Attirée par le néant formé, elle s'approcha à petits pas, et aperçut, sur le bord de l'orifice, un escalier qui semblait avoir pris naissance dans la terre creusée de frais. Le puits était d'une profondeur insondable, et il en sortait un petit courant d'air froid mais oppressant.

[Ombre]

Quête : Ethéréalité

Le vortex de la clairière rognait peu à peu toute l'herbe jadis verdoyante sur laquelle reposaient les pieds d'Anoushivaran, à tel point que celle-ci dut se réfugier sur les racines épaisses d'un des arbres pour ne pas choir. Les troncs glissant sous ses doigts crispés la forcèrent néanmoins à poser le pied sur la pierre froide de l'escalier qui se formait dans le puits sans fond.

La barde tentait d'occulter tant de faire se peut le véritable sens des paroles prononcées tout à l'heure ; à vrai dire, elle n'en avait cure. Pourtant une sensation de malaise subsistait, comme un point à l'intérieur du crâne qui démange de plus en plus et que l'on cherche à ignorer... Quelque chose de très inhabituel... Sa conscience ne se manifestait jamais de cette façon en temps normal...

Posant la main gauche sur la substance sombre de l'orifice (pierre ? moisissure ?) - car elle gardait à l'esprit que pour sortir d'un labyrinthe, il suffit de toujours garder sa main sur le mur - elle s'engagea sur les marches irrégulières, s'enfonçant dans l'obscurité, descendit vers un fond qui n'existait peut-être pas, dans un temps distendu qui pouvait être aussi bien des minutes que des jours...

[Mornagest]

[Quête : étheréalité]

Brusquement, sans s'y attendre, Anoush toucha le fond. Elle n'y voyait goutte, et pensait devoir encore descendre des heures durant. Après tout, quoi de plus normal, dans un songe pareil, que de faire des choses totalement aberrantes ? Mais cette fois, elle était presque déçue ; elle ne marchait vers les profondeurs que depuis quelques instants à peine.

Jetant un coup d'oeil au-dessus de sa tête, la jeune femme s'aperçut que le trou s'était refermé. Il faisait désormais entièrement noir, et ses yeux peinaient à s'habituer à l'obscurité opaque règnant en maîtresse.

Elle regardait autour d'elle, à la recherche d'un repère visuel, quand son regard tomba sur une silhouette à peine dessinée dans le noir. Un humanoïde, plus grand qu'elle. Elle hésita à s'approcher, mais elle fit malgré elle un pas en avant, espérant pouvoir sortir de ce trou grâce à cette créature...

Et elle s'aperçut alors qu'il s'agissait de Saiko, son compagnon d'infortune dans ces maudites caves du Loyal Paladin... l'homme-panthère.

"Tiens, tiens..." murmura-t-il à son attention.

[Ombre]

Quête : Ethéréalité

Anoushivaran recula en laissant échapper un hoquet. Que venait faire l'homme-chat dans les tréfonds les plus intimes de sa conscience ? La matérialité de l'apparition contredisait son caractère d'hallucination ; elle sentait presque l'humidité de sa fourrure, comme imprégnée de brume matinale, son odeur mêlée d'animal et de poussière, et était persuadée qu'en tendant la main elle pourrait lui saisir les moustaches. Plus réel que tout ce dont elle pouvait se rappeler de la réalité.

L'incarnation de Saiko s'était tue et restait immobile dans l'ombre de la grotte. Anoush, remise de sa frayeur mais le coeur battant encore trop fort, s'en approcha peu à peu, revint quelques pas précipités en arrière lorsque celui-ci décroisa les bras pour poser les pattes sur ses hanches, et se rapprocha encore. La sourde et latente inquiétude de ne pas deviner les motifs du belluaire - restes calcinés et froids de sa mauvaise conscience ? - fut brutalement submergée par un élan d'affection et de joie de retrouver un visage familier dans un rêve étrange et étranger - Anoush tendit la main pour toucher le plexus de Saiko mais celle-ci s'arrêta à mi-chemin, suspendue, hésitante, presque confuse...

[Mornagest]

[Quête : étheréalité]

La main d'Anoush s'approchait doucement de Saiko, puis cessa son chemin. Le belluaire éclata d'un rire mauvais, sarcastique.

"Cela m'étonnait également de ta part. De la tendresse ? De l'affection ? Ton coeur est pierre, Anoush !"

Vif comme l'éclair, il dégaina une épée qui parut démesurée à la jeune femme ; elle devait être plus grande qu'elle-même... Saiko la leva et murmura entre ses dents, cinglant :

"Je vais te faire payer, crevarde !"

Ses traits étaient abominablement déformés par un rictus sadique. Ses yeux injectés de sang brillaient dans le noir, et ils étaient braqués sur Anoush, comme obsédés par sa présence. Saiko s'avança d'un pas... Et la lame fendit l'air glacé, visant la tête de la barde.