[Bâtiment] L'Antichambre du Conseil

[Mornagest]

Ravagé par les flammes de l'incendie perpétré par les rebelles, l'Antichambre n'était pas resté longtemps à l'état de décombres ; il comptait parmi les premiers bâtiments reconstruits après la fin de la révolte. Entouré d'une enceinte renforcée, sa seule issue possible était le corps de garde lourdement fortifié. Une immense herse barrait la route à tous ceux qui ne bénéficiaient pas d'une convocation de l'un des membres du Conseil, ou une autorisation délivrée par l'un de ces derniers. Les remparts étaient surveillés par de nombreuses patrouilles d'hommes d'armes et d'archers rompus au combat.

A l'intérieur des murs, une cour immense, couverte de gazon et parsemée d'arbres encore jeunes donnait une agréable sensation de liberté, d'ouverture. Les pavés réguliers qui menaient à l'Antichambre proprement dit étaient fréquemment remplacés, signe d'un entretien impeccable.

Le bâtiment était clos par deux lourdes portes en bois renforcé d'acier. Elles mesuraient environ cinq mètres de hauteur, et étaient flanquées de deux tourettes parsemées de meurtières.

En entrant dans la place forte, le visiteur était immédiatement envahi par un sentiment oppressant de domination. Tout, dans le hall, était démesuré, reflétait la mégalomanie du Conseil de Melandis. Un formidable escalier double prenait naissance de part et d'autre du couloir principal, menant au premier étage occupé par les bureaux des hauts fonctionnaires mélandiens. Au rez-de-chaussée, plus avant vers le coeur du bâtiment, des portes sur les côtés donnaient sur des petites salles de réception destinées à accueillir mandataires et autres diplomates. Le tout était pavé de marbre, lui-même recouvert d'épais tapis en provenance d'Eauprofonde.

Si la partie visible de l'Antichambre était conçue pour accentuer le caractère despotique du Conseil, les sous-sols, à l'accès strictement réservé aux membres du Conseil et à quelques personnages hauts placés, étaient nettement plus fonctionnels, bien que confortables. Les appartements de chacun des hommes de pouvoir étaient décorés comme bon leur semblait, ainsi, le Chancelier, peu enclin à l'étalage inutile de richesse, ne disposait que d'un lit simple et robuste, dans sa chambre, et de quelques meubles destinés au rangement de ses effets personnels. Son bureau, jouxtant sa chambre, était parsemé de bibliothèques murales, regorgeant d'ouvrages et de papiers recensant les lois et mesures prises par le Conseil. Quelques sièges droits pour recevoir ses visiteurs, c'était là l'ensemble de l'univers de travail de Mornagest.

[Led Shark]

Led Shark entra dans l'immense hall d'entrée du bâtiment administratif, et pris plusieurs minutes pour admirer le lieu. Tout y était parfaitement calculé pour démonter la domination du maître des lieux sur ses visiteurs, la décoration, l'agencement des pièces, l'entretien impeccable du bâtiment, tout était calculé...
L'herboriste doutait même du bien fondé de sa présence en ces lieux, il tenait à faire les choses discrètement, et il se retrouvait à parader au beau milieux du hall d'accueil du plus imposant bâtiment public de la ville...
Lui qui aimait les choses simples et naturelles il était servi !
Au prix d'un bel effort de volonté, il s'empêcha un reniflement de dégoût, et chercha des yeux un préposé quelconques susceptible de l'aider...
Au bout de quelques instant il vit ce qui ressemblait à un fonctionnaire derrière un pupitre, et se dirigea vers ce dernier.
Une fois en face du fonctionnaire, celui ci ne leva même pas la tête, il semblait ignorer superbement le citoyen, fort peu banal au demeurant, qui se trouvait juste devant lui...
Led Shark pris le parti de parler le premier, ignorant tout des subtilités du protocole en ces lieux..

Ssssalutassssions, milles exssscussses pour le dézzzagrément, messsssire. Mon nom est Led Shark, je viens d'obtenir la nassssionalité Mélandorriène et je ssssouhaite ouvrir un commersssse. Les gardes des remparts m'ont envoyé issssi pour accomplir les formalités.
Je ssssuis herborisssste, et je projette donc d'ouvrir une herborissssterie, je prézzume qu'il y a des formalités sssspéssssifiques à ssse type de commersssse, je voudrais également acquérir un local commersssssial digne de ce nom.

Une fois sa triade maladroite terminée, le vieil homme-lézard fixa le visage du fonctionnaire, qui avait à peine daigné levé le tête pour l'écouter...

[Mornagest]

Le fonctionnaire avait levé la tête, essentiellement à cause de l'accent détestable que son interlocuteur possédait. Cette façon de siffler entre les dents... il découvrit alors l'homme-lézard et faillit crier de surprise, sinon de dégoût. Lui qui était tellement habitué aux humains et aux elfes...

"Euh...", balbutia-t-il d'abord. "Je vois. Un commerce d'alchimie, en quelque sorte ?" Il réfléchit un instant puis alla chercher un épais ouvrage, dans une bibliothèque croulant de livres et autres parchemins froissés par leur utilisation intensive.

Tout en le compulsant, il réfléchissait à voix haute : "Si je me souviens bien... mmh... pour les produits dangereux, il faut une déclaration... ". Il referma le livre et hocha la tête, puis résuma ce qu'il venait de lire à Led Shark.

"C'est assez simple. Vous devrez verser une taxe annuelle à l'administration, tant que votre commerce sera ouvert. Bien entendu, il vous faut aussi trouver un emplacement... l'acheter ou le louer, à vous de voir. Ensuite, pour vos simples, vous n'aurez que les impôts sur le revenu à payer. Pour les articles plus dangereux, si vous en avez bien sûr, vous devrez les déclarer à la garde. Le trafic de drogues et de produits d'alchimiste est très répandu en ville et nous essayons de l'enrayer par cette méthode. Là aussi, un impôt sur le revenu vous sera réclamé. Ces impôts sont perçus chaque année... et des contrôles sont effectués."

Le ton qu'il avait employé indiquait clairement qu'il ne couperait pas à ces contrôles.

[Led Shark]

L'herboriste reptilien, savoura tout particulièrement la déconvenue du fonctionnaire, il savait bien que son apparence ou sa race pouvait surprendre et effrayer ses interlocuteurs, et à chaque fois il prenait un malin plaisir à les déstabiliser...

Shsss Je vois, une déclarassssion des produits dangereux, et des impots ssssur le revenu, rien que de très classssssique en sssssomme....
Dans sssse cas je sssssouhaite faire une première déclarassssion, relative à mon ssssstock inisssssial : je posssssssssssède des plantes toxsssssiques en quantités raizzzzzonnables, des possssssssions qui prizzzes à tord et à travers peuvent provoquer une accoutumanssssse, ou des blessssssures, voire des ssssséquelles irréversssssibles, mais ni poizzzzons ni drogues en tant que tels, uniquement des posssssions communes dont un uzzzzage irréfléchi peut entraîner des conssssssssséquences dézzzzzzagréables et leurzzz-ingrédients...
Pouvez vous émettre un ssssssssssertificat pour sssssses denrées dont voissssi une lisssssssste détaillée ?

L'herboriste tendis alors au fonctionnaire un long inventaire des es plantes et de ses potions, et fit un grand sourire à son interlocuteur, le genre de sourire qui confirme bien le caractère carnivore et particulièrement cruel des hommes-lézards. Ce même sourire qui dans sa jeunesse en faisait reculer plus d'un...

[Mornagest]

Un peu mal à l'aise, le fonctionnaire se rassura en se disant qu'il y avait toujours les gardes pour écarter l'inopportun en cas de grabuge. D'autant que, malgré son apparence repoussante, il ne semblait pour l'instant guère enclin à la violence. Pour l'instant...

Il parcourut des yeux la liste que lui tendit Led Shark. Des alcaloïdes, des essences de plantes grasses, des graines diverses.. dont certaines lui étaient inconnues. Il compulsa un autre registre de denrées exotiques afin de calculer les taxes que percevrait Melandis suite à la détention de pareilles substances. Cela lui prit un temps relativement long, mais, efficace, le fonctionnaire put enfin présenter ses résultats à l'homme-lézard.

"Cela fera trois cents douze pièces d'or et quatre pièces d'argent. Vous aurez à renouveler votre paiement à la fin de l'année, majorée à douze mois, bien entendu".

hrp : comme je te le disais, ces sommes sont purement descriptives.

[Led Shark]

Le reptile se retourna, et pris garde que personne ne voie ce qu'il faisait...

Une fois son manège terminé, il fit à nouveau face au fonctionnaire et posa sur le bureau trois perles noires de belle taille, avec une pensée agréable au souvenir de leur ancien propriétaire...

Shsssssssss Je crois que sssssela couvrira les frais adminissssstratifs et le dérangement...

Une fois son attestation et son reçu en main, l'herboriste quitta le l'antichambre du conseil....

direction l'esplanade impériale

[Ben-jXX]

Quête: reconstruction du monastère.

En provenance du monastère.

Ben-j pénétra dans le palais du conseil. Il demanda au garde de faction de parler au fonctionnaire qui était son interlocuteur dans la construction du monastère.

Au bout d'une dizaine de minutes, ledit fonctionnaire vint à la rencontre du moine qui lui exposa les faits:

"Je vais être franc bien que ce que je vais vous dire risque de vous déplaire. Il y a eu un attentat au monastère. Une charge d'explosif placée au milieu de la cour a éventré le sol emportant matériel et esclaves. Je tiens à tirer cette affaire au clair mais je ne sais absolument pas dans quelle direction chercher et vraisemblabement les esclaves ne sont pas dans le coup".

[Mornagest]

Le fonctionnaire faillit s'étrangler en écoutant Ben-j.

"Quoi ? Comment ? Mais qu'avez-vous fait ? Vous êtes incapables de surveiller le bon déroulement d'un chantier ? Vous n'avez pas pu surveiller l'avancement des travaux ? Protéger ce qui devait l'être ?"

Il fulminait. L'argent de Melandis était gaspillé dans un projet qu'il trouvait inutile, et voilà que ce fichu bâtiment partait déjà en fumée...

"Qu'est-ce qui vous fait penser que les esclaves ne sont pas en cause ? Qu'avez-vous découvert ?"

[Ben-jXX]

Ben-j n'apprécia pas le ton avec lequel ce petit fonctionnaire, qui ne tirait son autorité que de ses entrées au conseil, lui parla. Il chercha toutefois à garder son calme et à expliquer la situation clairement.

"Je ne peux pas être partout à la fois. Si de mauvaises volontés bien organisées cherchent à s'opposer à la construction du monastère, elles peuvent y parvenir facilement... A moins de mobiliser toute la garde mélandienne à la surveillance du chantier.

A vrai dire, je suis un peu dans le flou concernant cet attentat. Il se pourrait que ce soient les esclaves mais j'ai beau les torturer, les langues ne se délient pas. Ils m'ont signalé à bon escient qu'une explosion de cette ampleur ne peut se faire qu'avec des moyens conséquents hors de leur portée financière. Je pensais chercher dans cette direction mais il se pourrait qu'ils cherchent à m'envoyer vers une fausse piste."

[Mornagest]

L'homme hocha pensivement la tête. Peut-être disaient-ils vrai, au fond... mais qui pouvait désirer empêcher le monastère d'être reconstruit ? La nouvelle avait été accueillie avec enthousiamse parmi la bourgeoisie mélandienne, et de simples gueux n'auraient pu organiser pareil complot.

"Ma foi... quelqu'un disposant de suffisamment de ressources pour fomenter l'attentat, et qui pourrait avoir intérêt à ce que ce monastère ne voie pas le jour... je pencherais pour un clergé. Le monastère pourrait voler certains fidèles qui préfèrent méditer sans devoir prier une divinité en particulier..."

[Ben-jXX]

Oula, j'ai un peu trainé sorry.

L'intuition du fonctionnaire n'était pas mauvaise. Elle était même très bonne. Seul un clergé pouvait bénéficier d'une logistique suffisante pour organiser un attentat de cette ampleur et possèder un mobile valable.

Le moine s'adressa au fonctionnaire:

"Vous avez sans doute raison. Un clergé peut être à l'origine de l'explosion. Je vais aller mener ma petite enquête auprès des différents temples de Melandis, en commençant par le plus influent d'entre eux: le temple de Talos. J'espère que vous n'y voyez pas d'inconvénients, à moins que vous ne pensiez qu'un autre temple paraîtrait plus suspect."

[Mornagest]

Talos ! Le fonctionnaire parut s'étouffer lorsque Ben-j évoqua une quelconque implication du dieu des Tempêtes dans cette sordide affaire ; comme s'il n'avait rien de mieux à faire... néanmoins, l'hypothèse n'était pas plus farfelue qu'une autre, et l'homme n'était pas fidèle de Talos... aussi chuchota-t-il :

"C'est une bonne idée. Méfiez-vous, jeune homme. Vous connaissez son influence."

[Sylveneïssa]

Sylveneïssa clignait des yeux en avançant à pas comptés dans le grand hall de ce bâtiment si démesuré qu’elle avait d’abord cru qu’il ne pouvait qu’être un hommage aux dieux de la cité. Mais, en lieu et place d’un autel et de dévotions, elle ne voyait que des passants de toutes races qui s’affairaient visiblement à leurs petits destins particuliers. Le « bâtiment des chefs », c’est pourtant ainsi qu’elle s’était fait indiquer son chemin. Où étaient-ils ?

Un individu surveillait depuis quelques temps déjà ses allées et venues curieuses sous la grande voûte, aussi ne fut-elle pas réellement surprise de le voir s’approcher. On venait renifler l’intruse, pour savoir s’il convenait de la traiter en ennemie. Elle connaissait cela.

« Puis-je vous aider, mademoiselle ? »

Bien sûr. Tant de questions, par milliers. Bousculade. Et le rôle de ce bâtiment, tout un village sous un seul toit ? Mais vous n’aurez pas le temps, non, plus que les autres. Je dois choisir mes questions.

« Vous pouvez. Je suis étrangère ici. Je veux savoir qui sont vos dieux… un début. Ah, et aussi, il me faut… travail ? »

Sous le regard du fonctionnaire médusé, elle entrouvrit le sac de cuir qu’elle portait en bandoulière, montrant une série de peaux de bête travaillées avec soin. L’homme avait beau ne pas connaître grand chose en tannerie, il ne put manquer de remarquer la qualité du travail. Une fourrure, surtout, était très belle ; elle portait le poil argenté d’un grand loup, et l’elfe la maniait avec une sorte de déférence mélancolique. Nul doute que les dames de la haute apprécieraient de mettre ça sur leurs épaules.

« Je sais faire… ça. Peut-être utile pour quelqu’un ? »

[Mornagest]

Le fonctionnaire n'était certes pas un connaisseur, mais les ouvrages de la jeune elfe semblaient de très bonne facture, et du moins, étaient esthétiquement très intéressants. Néanmoins, il doutait que beaucoup de monde ait envie d'acheter ce genre de choses... sinon de riches bourgeois extravagants désireux d'arborer les tenues les plus délirantes possibles, histoire de faire mourir de jalousie leurs congénères aussi excentriques qu'eux. C'est pourquoi il se décida :

"Ma foi, utile, je ne sais pas. Mais je pense que la demande pourrait vous suffire. Cependant, il n'existe plus de commerce de fourrures depuis un certain temps, il vous faudra en ouvrir un nouveau... trouver une maison adéquate, la restaurer... vous en sentez-vous le courage ?"

[Sylveneïssa]

Sans courage, je ne serais pas là. Si loin de la meute, de ma vie. Dans la curée… Mais j’ai une mission. Et le bois et la pierre cognent moins que les hommes.

« Oui. Vous avez toit à vendre ? »

Elle avait certes de l’argent, mais toutes les économies du clan, accumulées au cours d’échanges de hasard avec des voyageurs, ne représentaient guère une très forte somme. Et elle se défiait de tout.

[Mornagest]

Il sourit. Elle était bien sympathique, cette elfe, mais étrange. Enfin... si elle s'en sentait la force, elle pourrait sans doute gagner sa vie à Melandis. Si l'on lui en laissait le temps.

"Ma foi, oui... dans le quartier des commerces, vous verrez qu'il existe de toutes les tailles de bâtisses libres. Les enseignes tournent régulièrement, voyez-vous. Je pense que vous devriez y aller vous-même et voir ce qui vous conviendrait le mieux. Les maisons disponibles sont facilement reconnaissables, évidemment."

[Sylveneïssa]

Elle remercia le fonctionnaire, renonçant cette fois à lui poser davantage de questions. Il valait mieux ne pas trop attirer l’attention, apparemment. Ils avaient l’air de se trouver tellement… naturels, tous . Absurde.

Suivant le conseil qu’on venait de lui donner, elle se dirigea au gré des indications des passants en direction du « quartier des commerces » (guillemets de rigueur.)

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[Galathée]

Les gardes en faction devant l’antichambre s’apprêtaient à refouler une énième mendiante lorsque la souillon qui se présentait devant eux, une manchote à peine pubère, leur tendit un pli, portant le sceau de la famille Lentemort, bison cabrant frappé de lances. Les deux hommes se dévisagèrent, en avisèrent un troisième, et ce dernier escorta la petite esclave tremblante à l’intérieur. Tétanisée, l’adolescente se fondit dans l’ombre du soldat, craignant à tout moment d’être interpellée, battue ou jetée en prison. Il faut dire que sa mise était des plus modestes, et qu’elle marchait pieds nus sur le dallage glacé des couloirs et des salles. Mais comment expliquer à tous ces hommes au regard froid, inquisiteur, que le héraut officiel du Seigneur Hulven était mort la veille ? Qu’elle était considérée comme l’une des dernières créatures « saines » du cheptel Lentemort ? Elle ne le pouvait pas, et se contentait de glisser, les yeux rivés au sol, derrière le garde.
Ce dernier s’arrêta finalement devant une porte imposante et frappa deux coups légers. Le battant s’ouvrit pour révéler un petit homme maigre, les yeux cerclés d’acier, qui dévisagea le garde, puis la jeune fille, avec une mine pour le moins déconcertée.
« Quoi encore ? » fit-il finalement d’un ton presque sifflant.
« Cette... demoiselle apporte un pli de Sire Hulven Lentemort pour le Chancelier. »
« Le Chancelier a autre chose à faire que de s’encombrer des doléances de n’importe quel nobliau. » répartit le premier.
« Il s’agit de Sire Hulven. » répéta le soldat, presque scandalisé.
« Je sais, je sais, bon sang... Donnez-moi ce papier. » grommela-t-il en tendant le bras vers le parchemin.
« En mains propres ! Il m’a dit en mains propres ! » glapit la gamine en serrant le pli contre sa poitrine comme s'il avait été l'objet le plus précieux au monde.
Les deux hommes se dévisagèrent.
« N’importe quoi. » fit le premier.
Et abandonnant le garde et l’esclave, il referma la porte et rentra dans les appartements du Conseil, à la recherche de son seigneur, pour lui faire part de cette visite pour le moins inoportune.

[Mornagest]

Comme à son habitude, le Chancelier ruminait derrière son bureau couvert de parchemins de tous genres. Il abhorrait cette partie de sa tâche de meneur du Conseil, préférant largement prendre des décisions en commun accord avec ses "collègues" - qui étaient davantage ses ennemis que des collaborateurs, du reste - que de parcourir des kilomètres de rapports et autres lois à contresigner. Il s'arrangeait d'ailleurs pour déléguer le maximum de ces corvées qu'il estimait non pas inutile, mais inadéquate en regard de ses compétences davantage guerrières et stratégiques, que politiques et religieuses.

Aussi, lorsque le petit homme vint trouver Mornagest pour lui annoncer qu'une fillette insistait pour lui remettre un message en mains propres, provenant de Hulven Lentemort, le guerrier ne rechigna pas à s'éloigner, ne serait-ce que quelques instants, de sa tâche ingrate et abrutissante. Il se leva vivement, sans poser de questions. Pourtant, il en avait. Que lui voulait donc ce prétentieux de Lentemort ? Il n'avait guère apprécié son comportement, la seule et unique fois qu'il l'avait croisé, voici des mois, lors de la "cérémonie" au cours de laquelle Mornagest avait annoncé qu'il serait le nouveau Chancelier de Melandis. Ce condescendant l'avait pris de haut, arguant du fait qu'il avait aidé l'ancien Conseil à se hisser, et à s'enrichir. Et alors ? Encore un fichu noble qui méritait rien moins qu'un égorgement en bonne et due forme. Peut-être en aurait-il l'occasion... Mornagest sourit pour lui-même à cette pensée, tout en marchant vers l'endroit où l'attendait la fille.

"Alors ?" lui dit-il en la voyant, presque de bonne humeur. "Il paraît que tu as besoin de moi... ?" Il lui jeta un coup d'œil inquisiteur, notant son aspect crasseux d'esclave, mais surtout ses tremblements incessants. Ce crétin de Lentemort ne pouvait-il donc pas entretenir sa valetaille ? Celle-ci paraîssait sur le point de mourir de faim...

[Galathée]

La jeune fille garda les yeux au sol et tendit le pli portant le sceau des Lentemort au Conseiller, de son unique main. Puis elle esquissa une révérence maladroite et se figea.

Le pli avait été fermé à la hâte, en témoignaient des taches de cire sur le parchemin de qualité. La calligraphie d’Hulven trahissait une éducation raffinée et un goût pour les mots, mais son message suintait de rage. Il parlait d’une agression commise à l’encontre de son domaine, au coeur même du Havre Bourgeois, et exigeait que le Conseiller prenne immédiatement des mesures pour que les allers et venues soient mieux contrôlées dans le quartier, qu’on lui envoie des hommes pour assainir les lieux et que quelqu’un soit désigné pour enquêter sur l’affaire. Hulven était manifestement outré qu’on ose s’en prendre à lui, et semblait sous entendre que le Conseil était responsable de ses malheurs, ou en tout cas, de leur trouver une solution.
Sa missive se concluait par un « préparez-vous à me recevoir dans les heures qui viennent » des plus péremptoires.

Bien que ne sachant probablement pas lire, la petite esclave semblait deviner le ton qu’employait son maître, car lorsque Mornagest eut fini sa lecture, elle se racrapota encore davantage, comme si son seul désir eut été de disparaître entre deux dalles du sol.

[Mornagest]

Ses doigts se refermèrent sur le parchemin, le froissant sans ménagement. Mornagest serra les mâchoires un instant, réfléchissant rapidement à ce qu'il pourrait asséner à cette mauviette de Lentemort. Le recevoir ? Non... il ferait mieux que ça. Il irait lui-même chez lui, afin de lui dire sa façon de penser quant à la gestion de son personnel. Et ce devant ses esclaves... une petite leçon d'humilité ne lui ferait pas de mal.

"Bien. Il semblerait que ton maître ait quelques griefs contre moi... je vais venir avec toi et j'aurai une petite discussion avec lui. Attends-moi un instant."

Il héla l'un des gardes.

"Demande-moi une petite escorte." Puis il retourna dans son bureau, le temps d'attraper son épée, d'enfiler ses gantelets et de refermer la porte avec cet agaçant petit code secret dissimulé dans la cimenterie du mur.

"Allons-y." Ils étaient trois gardes, un grand guerrier à l'air furieux, et une fillette avec la peau sur les os, à marcher dans les rues du Havre Bourgeois. Curieux cortège...

[Mornagest]

Le ciel était dégagé, cette nuit, et il faisait agréablement doux, aux alentours de l'antichambre du conseil. Une réception était donnée dans la cour intérieure, rassemblant divers notables mélandiens, marchands, hauts prêtres, mais aussi une partie des membres du conseil lui-même. Il y avait une centaine de personnes environ, sans compter les gardes impériaux, les seuls autorisés à entrer dans l'enceinte du bâtiment ; les escortes des invités devaient patienter au dehors, probablement en train de jouer aux dés tout en lampant quelque bière dans une taverne plus loin.

Les conversations allaient bon train, et, si l'on parlait politique et commerce, certains sujets étaient plus légers. Bref, l'ambiance était détendue, malgré les rivalités qui pouvaient opposer certains invités entre eux.

Le chancelier discutait depuis un bon moment avec une jeune marchande qui venait de gagner une fortune considérable grâce aux échanges commerciaux établis entre Manost et Melandis. Fille d'un guerrier haut placé dans la garde impériale, elle avait bâti sa richesse à la sueur de son front, et ne manquait pas de le rappeler. Néanmoins, elle savait à qui elle devait son succès, et cette soirée était l'occasion de l'en remercier.

Plus loin, le haut prêtre de Talos en personne devisait avec le compte Gravich. Jouissant d'une réputation de puritain, ce dernier conservait un visage qu'il voulait impassible face aux blagues salaces que lui décochait de temps à autre le haut prêtre, avant de descendre une gorgée de vin - sinon deux - et de reprendre de plus belle sur ses conquêtes féminines.

La soirée était bien avancée, et elle s'apprêtait doucement à s'achever, lorsqu'un garde entra rapidement dans la cour, et, après avoir vivement salué le chancelier, lui souffla :

"Messire, j'ai de graves nouvelles à vous annoncer."

Quelque peu alarmé, Mornagest s'excusa auprès de son interlocutrice, puis s'écarta du groupe, accompagné du garde.

"Qu'en est-il ?
- Le temple de Talos vient d'être incendié, messire. Il s'agit d'un attentat. Les gardes ont été neutralisés, de même que les prêtres. Le bâtiment ne pourra pas être sauvé."

Éberlué, le chancelier tenta d'évaluer la situation. Il se trouvait en présence d'une bonne partie des responsables du culte talosien, et ceux-ci devraient être mis au courant aussitôt les ordres donnés. Mais comment réagiraient-ils ? Ils accuseraient immédiatement les cyrinishades, comme à leur habitude... ce qui n'était certes pas impossible, mais il faudrait s'en assurer. Le guerrier prit ses décisions.

"Empêchez l'incendie de se propager. Veillez à ce que la garde soit bien présente en ville ; des émeutes risquent d'éclater, en particulier près des autres lieux de culte. Protégez les prêtres autant que possible. Déployez les réserves s'il le faut... je vais annoncer la nouvelle à mes invités dans quelques instants. Hâtez-vous."

Le garde s'en fut aussitôt. S'éclaircissant la voix, Mornagest appela ses invités au silence.

"Je viens de recevoir une nouvelle des plus déplorables. Il me semble nécessaire que vous en soyez avisés dès maintenant. Le temple du dieu des Foudres vient d'être ravagé par un incendie. Pour l'heure, les gardes s'affairent à maîtriser le feu. Une enquête sera lancée dès que possible afin de découvrir les causes de cet incendie. Soyez assurés que tout sera mis en œuvre pour la reconstruction du lieu de culte."

Les réactions ne tardèrent pas. S'ensuivit un brouhaha indescriptible, entrecoupés d'exclamations incrédules ou indignées, parmi lesquelles fusèrent les paroles du haut prêtre talosien :

"Point n'est besoin d'enquête ! Chacun sait combien Cyric déteste notre dieu. Il est évident que l'incendie est criminel, et a été commis par ses sbires !"

Des approbations fusèrent, mais également des dénégations. Talos était majoritairement représenté à Melandis, mais d'aucuns osaient braver le courroux du dieu des Tempêtes et adorer une autre divinité... à l'instar du chancelier lui-même.

"Qui que ce soit, le coupable sera démasqué, Votre Sainteté."

Cette dernière ne paraissait guère convaincue, et s'en fut de l'assemblée sans demander son reste, fulminant.

"J'aurais sans doute dû empêcher quiconque de sortir d'ici... mais ils auraient désapprouvés. Qui sait ce qu'il est capable de déclencher comme cataclysme, dans sa fureur ?" pensa Mornagest, espérant avoir agi correctement. Des incidents, il y en auraient... restait à savoir où, et pendant combien de temps...

[Lothringen]

Rp : Aux quatre vents

Venant de la Taverne de la Gorgée d’Orge.
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Il se présenta à l’Antichambre alors que le jour baissait à peine. Hésita encore. Trop tard pour reculer… Avisant un garde, il l’interpella d’un ton qui se voulait aimable :

« Le Chancelier est-il à l’Antichambre ? Si c’est le cas, veuillez lui dire que Lothringen Quen Suo’can de Manost désire le rencontrer. »

Lothringen Quen Suo’can de Manost, vraiment ? Ces mots familiers sonnaient étrangement à ses oreilles. Un nom d’emprunt, de la première à la dernière syllabe… Une période de sa vie. Tymora avait dit qu’il en aurait bien d’autres… Pourquoi ces doutes, pourquoi maintenant ? Etait-il à l'un de ces tournants ?

Il avait certes trouvé le chemin de l’Antichambre mais était loin de savoir où il en était lui-même, ni même ce qu'il venait chercher. Tandis que la sentinelle s’éclipsait en lui demandant de patienter, il s'adossa puis laissa sa tête s’appuyer au mur, cherchant à rassembler ses certitudes en ce moment de débâcle. Mais par où commencer...

Ce que je sais. Je suis un semi-drow du Téthyr, je m’appelle Lothringen, conseiller de Manost, un guerrier-mage, j’ai conclu récemment des accords commerciaux avec Melandis, et j’adore Tymora.
J’ai une vie… compliquée… un caractère… difficile… mais je sais où je vais, ce que je veux, ce que je suis. C’est pour cela que l’on m’admire, quand on oublie de me mépriser : pour ma ténacité. Non ?

Mais tous les échos se confondent …Il y a une autre vérité.

Je ne suis ni humain, ni drow. Je ne m’appelle pas Lothringen. Pas plus qu’Almaeron… Si même ma déesse n’a voulu me nommer, qui me dira mon nom ? Je ne suis pas un guerrier-mage, je suis un devin et j’ai désespérément cherché à le nier en apprenant les armes. Je sers Tymora - ou bien Helm ? Je sers Manost - ou bien moi-même ? Qui me dit que je ne la trahis pas en pactisant avec l’ennemi ? Qui me dit que ces accords ne se retourneront pas contre nous, que cet attentat contre le temple ne se retournera pas contre nous ? Qui me dit que je n’ai pas laissé les sentiments m’aveugler ? Et mes sentiments même… un homme, une femme… l’ennemi, la femme de l’autre… et lui surtout, lui qui s’éloigne, et que je perds à chaque instant… depuis tant de mois maintenant… il adore Baine, je l'ai perdu... Pourquoi cela m’est-il insupportable ? Tout cela n’a-t-il aucun sens… Je ne sais pas, je ne sais plus.
J’ai chaviré depuis longtemps : voyons où le courant nous porte…

Il reporta tristement son regard vers le porche d’entrée, que le soleil couchant incendiait d'ocre rouge.

Ce que je sais ? Il me ramènera vers toi.

[Mornagest]

Le chancelier relisait pour la quatrième fois un rapport peu ou prou complet quant à la situation cléricale, que l'on ne pouvait qualifier autrement que catastrophique. Les combats entre cultes s'étaient généralisés, malgré les tentatives de certains d'entre eux de calmer le jeu ; des dizaines de morts dans chaque camp, qu'il soit majeur, mineur, neutre ou engagé... la folie avait gagné tout le monde. La liste des temples touchés comprenait à peu près tous les cultes officiellement reconnus en ville.

Il se frotta les yeux. La fatigue s'accumulait sur ses épaules, depuis cette maudite réception de l'autre soir, depuis laquelle il n'avait plus dormi, depuis laquelle il maudissait trois fois chacun des dieux représenté à Melandis. La situation semblait cependant vouloir s'améliorer, peut-être parce que la lassitude et le manque de combattants se faisaient sentir, pouvait-on penser de façon cynique, ce dont Mornagest ne se priva pas.

Outre ces batailles rangées pour lesquelles le conseil n'avait guère suffisamment d'influence pour maîtriser les belligérants et ramener l'ordre, la question très délicate de la succession au titre de divinité tutélaire de la cité du Chaos se posait depuis la minute même de la destruction du temple de Talos... Cyric faisait évidemment partie des favoris, mais son clergé avait été grandement affaibli, étant donné que la plupart des cultes mineurs s'étaient ligués contre lui. Il fallait dire que le dieu fou ne s'était pas fait que des amis, pendant le Temps des Troubles...

Il était encore en train de se triturer les paupières afin de se reconcentrer sur le rapport lorsqu'on frappa discrètement à la porte. Un peu de distraction, peut-être ? Ou l'annonce d'une nouvelle catastrophe majeure ? Le garde entra suite à l'ordre du guerrier.

"Messire, un manostien désire vous voir. Je pense qu'il s'agit du conseiller en dipl..." il fut aussitôt interrompu par Mornagest.
"Lothringen ? Ici ? Où se trouve-t-il ?
- Dans le hall, messire, il vous attend". Le garde n'avait pas terminé sa phrase que le mélandien sortait de son bureau, parcourait les couloirs à toute vitesse et remontait les quelques volées d'escaliers qui le séparaient du rez-de-chaussée.

Il n'eut guère à chercher longtemps des yeux son compagnon ; il ne se cachait pas, au contraire. Son visage était soucieux, fatigué... il eut l'impression que Lothringen avait vieilli de dix ans depuis leur dernière séparation, quelques mois auparavant. Tant d'eau avait coulé sous les ponts ! C'était peut-être effectivement il y a dix ans, dans une autre époque, sur un autre univers...

Mornagest sentit son cœur s'emballer, malgré l'harassement qui l'habitait, et il s'approcha vivement du semi-drow. Obligé de s'en tenir à un salut protocolaire, il était malgré tout tenté de le serrer dans ses bras, mais il l'accueillit avec une froide politesse.

"Messire Lothringen, j'espère ne pas vous avoir trop fait attendre ? Comment allez-vous ?"

Les yeux du mélandien trahissaient toutefois son émotion.

[Lothringen]

"Ma foi, préoccupé par les derniers événements, comme tout un chacun dans cette ville..."

Il y avait les mots. Le message pour les autres, qu'ils débitaient sans seulement l'entendre, avec une aisance dénonçant une longue habitude des tapis et des phrases creuses.

Qu'ils s'étripent donc entre servants de leurs dieux maléfiques, si cela m'empêche de dormir, tu penses bien.

Et il y avait le reste, l'important : l'empressement de Mornagest à venir le rejoindre dans le hall d'accueil, si peu protocolaire, pour le coup ; la façon dont il le regardait. Comme Lothringen le fixait de même, au risque de laisser le silence s'intaller, il n'avait pu manquer de le remarquer, comme il avait pu relever ses cernes et ses traits tirés par le manque de sommeil chronique.

Le cœur du semi-drow se serrait. Le revoir, enfin... Il n'avait pas forcément espéré un tel accueil. Se pouvait-il que son compagnon n'ait pas seulement idée de ce qu'il avait enduré à cause de lui ? Et pour un peu, il lui en aurait voulu de lui redonner des espoirs, alors que tout serait plus simple, sinon moins douloureux, s'il avait pu les étouffer une fois pour toutes, les noyer dans les larmes, et les lester au plomb...

"Il faudrait que je puisse vous parler seul à seul."

Débarrasse-nous du reste du monde. Vite, ajoutaient ses yeux.

[Mornagest]

Vieilli, pas tout à fait. Aigri, plutôt. Quelque chose préoccupait Lothringen, et ceci, gravement... pour qu'il vienne à l'improviste, alors qu'il devait être au courant des évènements religieux qui frappaient la cité... était-ce cela qui lui donnait tant de soucis ? Mornagest en doutait ; le semi-drow n'avait que faire des querelles entre cultes. Manost n'en autorisait aucune. Pour l'instant. Le chancelier essaya fugitivement d'imaginer les réactions là-bas si le temple de Helm venait à être anéanti comme celui de Talos...

Indiquant le fond du hall de la main, il enjoignit son compagnon de le suivre.

"Certainement, messire. Allons dans un endroit tranquille."

Ils marchèrent quelque peu, sans échanger un mot. Trop dangereux. Une intonation, un regard, un geste, et c'en était fait d'eux. Les appartements de Mornagest étaient suffisamment sûrs pour qu'ils puissent parler sans craindre une oreille indiscrète ; aussi, au bout de quelques instants, ils se trouvaient dans le bureau qu'il venait de quitter. Verrouillant la porte, il se tourna vers son compagnon, lui soufflant :

"Je ne m'attendais vraiment pas à ta venue. Je suis plus qu'agréablement surpris. Cela fait longtemps..."

Il invita d'un geste Lothringen à s'asseoir dans un fauteuil confortable. La pièce était assez vaste, mais était envahie d'étagères croulant sous le poids des livres et autres tas de paperasses que le mélandien avait toujours abhorré. Outre l'immense bureau, il y avait également trois fauteuils et même une sorte de petit buffet qu'ouvrit le chancelier. Quelques bonnes bouteilles encombraient l'espace à l'intérieur, de même qu'un service complet.

"Pas d'alcool... sauf si tu le désires ? J'ai besoin d'avoir l'esprit clair. J'ai l'impression que nous sommes voués à nous revoir aux pires moments qui soient."

Il esquissa un triste sourire.

[Lothringen]

Lothringen s'était assis de travers, sur le coude de l'un des fauteuils, répugnant à s'y enfoncer. Non qu'il entendait s'éclipser rapidement, cela dit... Mais il ne savait comment engager cette discussion qu'il prévoyait difficile. Certainement pas les jambes croisées dans un fauteuil... Son regard flottait d'une étagère à l'autre, sans les voir. Voilà que le bureau de Mornagest croulait encore plus sous les paperasses que le sien. Dire qu'il l'avait aidé à se cramponner au pouvoir... Pour en arriver là.

Il sourit distraitement aux propos de son compagnon. Ils lui rappelaient cette phrase qu'ils se renvoyaient à l'envi, avec Althea : "A notre prochaine rencontre calamiteuse... " Mais en fait de calamités, ils s'en étaient toujours plutôt bien tirés, somme toute. Et le fait d'avoir été ensemble en ces heures-là n'y était pas tout à fait étranger.

"J'avoue que je n'ai pas très bien choisi mon moment... A ma décharge, je ne l'ai pas choisi. J'étais à Melandis pour affaires quand ce raid sur le temple de Talos m'a fait rester en ville un peu plus longtemps que je n'avais prévu. Alors j'ai décidé de demeurer quelques jours de plus pour observer la façon dont évoluait la situation... Puis je n'ai pas voulu partir sans t'avoir revu."

Il s'interrompit là, pour reporter son regard sur son compagnon. Qui voulait honorer son invité. Qui l'accueillait comme si tout allait bien... Il se sentit soudain honteux de la discorde dont il était porteur, de son propre mal-être. Que ne venait-il avec des rires et les bras ouverts, c'était de cela que Mornagest avait besoin, pas de ses humeurs sombres. Que n'était-il un autre... s'il avait pu le rendre heureux.

"Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire... L'éloignement ne nous vaut rien, Mornagest. J'en étais à douter si tu accepterais de me revoir."

[Mornagest]

En ville, pour affaires, sans l'avoir averti de sa présence ? Plus que la perspective de révélations douloureuses, cet aspect-là des choses donnèrent un coup sourd dans le ventre du guerrier, blessé dans son amour-propre. Il choisit cependant de ne pas réagir, certain que Lothringen n'avait pas désiré lui asséner volontairement ce coup ; d'autant qu'il réagissait peut-être de façon trop épidermique. Le temps, la distance jouaient en leur défaveur. En ce point, le semi-drow avait parfaitement raison... mais le guerrier appréhendait la teneur de la discussion qu'ils allaient avoir. S'il avait voulu simplement... eh bien, se voir, son compagnon n'aurait sans doute pas engagé les choses sous cet angle. Il le connaissait suffisamment pour réaliser cela.

"A..." il bafouilla, plus ému qu'il ne voulait le laisser paraître. "Accepter de te revoir ? Bon sang... ai-je donc passé tellement de temps à Melandis pour passer pour..." Il s'arrêta. Pour quoi passait-il, au fond ? Une brute cruelle qui n'avait d'autres loisirs que tyranniser la population ? Réprimer la révolte des esclaves qui avait eu lieu, quelques mois plus tôt ? Un fanatique adorateur de Baine, sombrant petit à petit dans la folie ?

"Pensais-tu réellement que... que cela ne me ferait pas un immense plaisir ? Tu me fais peur, Lothringen."

Il avait soudain un doute affreux : et si le semi-drow voulait se ménager une porte de sortie, arguer que lui-même ne souhaitait plus le voir, pour enterrer définitivement leur difficile relation en lui déballant ce qu'il avait sur le cœur ? Et s'il cherchait simplement à lui signifier qu'il allait partir, après avoir porté tous ses coups ?

Les anciens démons resurgirent rapidement en lui. Il se souvenait...

[Lothringen]

Lothringen soupira. Il ne voulait pas blesser Mornagest autant que ce dernier l'avait blessé... enfin, non, pas vraiment... pas autant... Mais il voulait au moins qu'il prenne conscience de ce qu'il devenait. De ce qu'ils devenaient. Le semi-drow sentait qu'il faisait mal. Une part de lui-même était désolée pour son compagnon tandis que l'autre susurrait : bien fait si cela lui ouvre les yeux ! Et ce n'est pas le quart de ce que j'endure, pas le quart, hélas.

Se pouvait-il vraiment que Mornagest soit surpris... Oh, ce dernier était sincère, il n'en doutait pas: le guerrier n'avait jamais su mentir. Mais ce n'en était que plus effrayant, en un sens. Qu'il ait pu faire tout ce qu'il avait fait sans se douter un seul instant des conséquences. Il lui labourait le cœur depuis des mois et il ne savait pas. Il vouait son âme à l'un des dieux les plus cruels du panthéon et il ne savait pas. Il se présenterait un jour devant le trône de Kelemvor et il dirait: je ne savais pas. Mais ça ne fonctionne pas comme cela...

"Est-ce que je te connais encore? Je... Nous ne sommes plus que deux au Conseil et j'ai si peu de temps pour moi. Cela fait des mois que je n'ai pu venir, balbutia-t-il. Je l'aurais voulu pourtant, quand j'ai appris ce qu'il s'était passé avec les esclaves... J'étais occupé, je n'ai pu le faire. Je le regrette. J'aurais voulu t'entendre, toi, et pas ces nuées de mouchards qui me répétaient avec force détails que le chancelier était sorti en personne laver sa lame dans le sang des insurgés, et qu'il avait pris grand plaisir au carnage..."

Sa voix s'était altérée. Ces images-là le hantaient depuis des mois. Que Mornagest ait pu prendre plaisir à massacrer des pauvres hères décharnés qui ne savaient pas se battre, et qui luttaient pour leur survie, leur dignité, et surtout, leur liberté, la seule cause qui vaille vraiment qu'on meure pour elle ? Il en était malade.

"Mais pas d'explication, de lettres, rien ! C'est toi que j'aurais voulu entendre, pas des chansons sur l'action du conseil, pas leurs cris dans mes rêves. Tu... tu sais d'où je viens..."

Sa voix s'étranglait. Il avait été esclave lui-même... Et c'était parce qu'il n'avait pu l'oublier qu'il s'était toujours senti frère des parias, des bâtards, des hybrides, des chiens galeux et des boucs émissaires, des chats perdus et des lépreux : parce qu'il partageait leur souffrance. Comme il avait accepté de prendre sur soi celle de Mornagest, au temps de leur rencontre...

Il se mordait les lèvres et détournait le regard, où des larmes gonflaient ses paupières sans daigner couler.

"Comment... comment as-tu pu faire cela... ce n'était même pas nécessaire... Y as-tu pris plaisir? ... Sais-tu que je ne serais pas demeuré neutre, si j'avais été présent ce jour-là ? Sais-tu que j'étais chacun d'entre eux ?"

Il tenta de reprendre son souffle.

"Et ça, ce n'était que le premier coup... Tous les récits qui me sont venus ensuite... Tu dois savoir lesquels... Je ne te reconnaissais plus."

Dis-moi que c'est un autre, qu'on t'a forcé, que tu n'y étais pas. N'importe quoi pour que je ne sois pas obligé de te regarder comme un monstre...

[Mornagest]

Le guerrier faisait grise mine. Sans doute Lothringen avait-il raison ; à quoi avait rimé son intervention en rue, alors qu'il pouvait tout aussi bien envoyer ses troupes ? Le bât blessait justement là...

"Je ne suis pas homme à laisser combattre les autres, tandis que je me terre tranquillement dans mon antre, attendant les rapports... je ne le fais que trop, déjà, en temps de paix. Je... tu dois comprendre qu'une partie importante de ces insurgés étaient loin d'être les malheureux esclaves que tu crois. Des criminels, des prisonniers politiques, enfermés pour de bonnes raisons, crois-moi. Tu... tu n'as pas oublié Terenas, et les autres ? Leurs complices ont été arrêtés, tu le sais. C'étaient des hommes comme eux qui croupissaient en prison, que ce maudit barde a libéré, croyant effectuer une bonne action ! Tu as bien pu mesurer les conséquences de cet acte démentiel, après ce qui s'est passé à Lumenis, non ? Toute la cité dévastée par une dictature encore plus sanglante qu'ici du temps de Venuma elle-même !"

Il avait monté le ton alors qu'il parlait, et était presque à bout de souffle, envahi par la colère. Il respira profondément, puis murmura :

"Excuse-moi. Je suis complètement harassé, envahi par les affaires toutes plus compliquées les unes que les autres. Et maintenant, cette succession des cultes..."

Il reprit, d'un ton plus calme, mais ferme :

"Je ne prends pas plaisir à tuer. Plus, enfin. Je le faisais, plus jeune. J'étais entièrement animé par la haine. Je détestais le monde entier... je détestais Melandis, avant de la quitter pour Lumenis, puis Manost. Je t'ai détesté, au premier regard, parce que tu étais, tout simplement. Puis... j'ai découvert d'autres choses. Inconnues de moi, avant... la compassion, la... tendresse, l'attention. Tant de choses si étrangères, et pourtant si rassurantes ! La soif de vengeance qui ne s'était jamais éteinte en moi... a dès lors disparu. J'ai combattu parce que c'était nécessaire, Lothringen. Parce qu'un meneur de troupes qui n'est pas au champ de bataille avec ses hommes a déjà perdu la guerre."

"Et aussi parce que je voulais retrouver moi-même Taliesin", ajouta-t-il pour lui-même. Une petite fraction de vengeance était malgré tout restée ancrée en lui, implacable. S'être fait roulé par le barde lui avait porté un énorme coup au moral, et l'échec qu'avait constitué sa fuite était un rappel presque permanent de son erreur.