[Quête] En pleine mer

[Taliesin]

La zone maritime située au large de la Vallée du Nirvana et au nord est de Dorrandin est généralement calme et facile à naviguer. Mais les marins qui la sillonnent ne s'y trompent pas : si elles y sont rares, des tempêtes ne s'en déclenchent pas moins à l'improviste, aussi brutales que brèves. Mais ils craignent plus encore les pirates qui, avides de s'emparer des cargaisons des navires marchands venus des quatre coins de Toril pour faire commerce avec les cités voisines, croisent dans ces parages.

[Taliesin]

La Vie Sauvage avait mis le cap au large sitôt sortie du portde Luménis. Un vent léger mais constant gonflait les voiles du bâtiment et, de l’avis de son capitaine, le voyage ne devrait pas prendre plus de deux ou trois jours si tout se déroulait sans anicroches.
Taliesin, pour sa part, n’en avait cure. Ou plutôt n’était pas en mesure de s’en soucier. Il se ressentait cruellement des efforts fournis la veille et était constamment plongé dans une inconscience trouble dont il n’émergeait qu’à de rares occasions. Déboussolé, perdu, il ne savait pas même exactement où il se trouvait et ce qu’il faisait dans la cabine d’un bateau. Si Galathée était à son chevet lors de ces interludes de lucidité relative, la sinistre réalité s’imposait à lui avant qu’il ne sombre à nouveau. Mais s’il était seul, il passait de longues minutes à s’interroger : Rhéa, Charis, Lorghar allaient-ils bientôt surgir pour lui dire qu’on approchait de Luménis ? Ou bien serait-ce Kerdän, pour lui signifier que les côtes de Dorrandin étaient aparues à l'ouest ? Auquel cas, il devrait imputer son état lamentable à une consommation trop immodérée des liqueurs que le capitaine du P’tite Annick partageait avec libéralité…

[Galathée]

En réalité, une fois en mer, Sonkruso avait retrouvé un certain allant et Galathée passa la première soirée en sa compagnie, au gouvernail. Taliesin dormirait probablement la majeure partie de la courte traversée, aidé de sa jolie provision de valériane, et Victor s’était définitivement acoquiné avec le mousse, un chenapan de 10 ans du nom de Théodore. La rôdeuse avait déjà failli avoir trois attaques en les regardant cavaler sur le pont, mais Sonkruso l’avait rassurée sur les compétences et le sérieux de son matelot, et la jeune femme avait fini par se détendre. Elle n’était pourtant même pas certaine que le gosse savait nager ! Le capitaine offrit à la rôdeuse un petit verre de son rhum local, puis ils devisèrent tranquillement tandis que le navire voguait, tranquille. Des nuages noirs tonnaient loin vers l’Ouest, mais ils restèrent à distance tandis que le ciel se couvrait peu à peu d’étoiles. Loin de tout rivage, la voûte était superbe et ils restèrent longtemps à la contempler en silence. Puis Sonkruso lui expliqua quelles constellations lui permettaient de se repérer, quelles étoiles lui étaient précieuses. Un son profond fit alors vibrer la mer entière, et un murmure se répandit parmi les marins de quart. Bientôt ils se pressèrent nombreux sur le pont, et même Victor et Théodore, que Galathée pensait couchés, reparurent pour se glisser parmi les hommes. La rôdeuse interrogea leur hôte sur ce rassemblement fébrile, mais le capitaine se contenta de lui décocher un sourire énigmatique.

Une dizaine de minutes plus tard, la jeune femme obtint une réponse. Trois énormes créatures firent surface non loin du bateau, leur forme oblongue et blanchâtre reflétant les rayons de la lune. Galathée n’en avait jamais vues de semblables et ne savait pas exactement ce qu’elles étaient. Mais elles chantaient, assurément, une succession d’ondes sous-marines qui résonnaient pourtant à la surface, ébranlant coque et marins, jusqu’au plus profond de leurs tripes. Tout le monde s’était tu pour écouter la complainte de ces gigantesques êtres, et la rôdeuse devinait une émotion partagée, intime pourtant, et lumineuse. Elle espéra que Taliesin, même au plus profond de ses rêves, y goûtait lui aussi.

Puis dans une gerbe d’eau salée, une des créatures disparut, bientôt suivies de ses deux sœurs. Il y eut un énorme soupir sur le bateau, comme chaque souffle retenu était libéré, puis les marins repartirent, toujours silencieux, chacun retournant à sa nuit ou son labeur.
Galathée demeura encore sur le pont, réalisant seulement qu’elle avait pleuré. Sonkruso paraissait ravi.

« Vous avez de la chance. On peut croiser trente ans dans cet océan sans jamais les voir… » murmura-t-il.
« Qu’est-ce que c’était ? »
« Ah. Nous les appelons les Douces. Je ne leur connais pas d’autre nom. Et je ne les ai jamais vues qu’au cœur de la nuit sous une nuée d’étoiles. »
« Espérons que ce soit un bon signe, alors. »
« C’en est un, assurément. »

Galathée n’était pas superstitieuse, mais elle sourit à cette idée. Elle ne tarda pas à aller se coucher, rejoignant la cabine étroite où dormait toujours Taliesin. Victor s'y trouvait déjà et elle s'allongea près de lui, espérant ne pas le réveiller.

[Taliesin]

Cela parut l’être, en effet. Lorsque Galathée et Victor regagnèrent le pont, au matin, le vent avait forci et le navire filait sur les vagues, laissant derrière lui un long sillage d’écume. Les marins s’activaient dans la mâture, obéissant aux ordres précis de leur capitaine pour profiter à plein du temps favorable.
Il en alla ainsi jusqu’au tout début d’après midi. Puis, tout à coup, le vent tomba. Les nuages, à l’ouest, s’étaient volatilisés. Et tout autour d’eux, sous le ciel d’azur profond, dans une atmosphère moite que rafraichissaient à peine les embruns, ce n’était que mer d’huile, sans presqu’une ride à sa surface.
Les voiles pendaient, désespérément flasques et mortes. A l’exception de la vigie, les marins redescendirent tous sur le pont et tentèrent de s’occuper de leur mieux, qui pêchant à la ligne, qui jouant aux cartes. La calme plat pouvait durer des heures comme un bref instant, et ils n’allaient pas s’en faire pour si peu, même si Galathée prit le capitaine à soupirer et à grommeler quelques mots sur la fatalité qui voulait que ce soient toujours les plus courtes traversées qui prenaient le plus de temps.
Quant à Taliesin, il gisait toujours dans sa cabine, amorphe. Sortir ne le tentait pas ; veiller encore moins. Aussi essayait-il de se rendormir dès qu'il sortait des limbes. Et l'absence quasi totale de roulis l'y aida. Le manque de vent faisait au moins un heureux...

[Galathée]

En réalité, Galathée goûtait à cette douce inertie. Les derniers jours, aussi routiniers soient-ils, avaient été teintés par l’urgence d’un départ incertain. Désormais, ils étaient sur la mer, loin de la cité qu’ils avaient fuie, et elle pouvait reprendre son souffle en scrutant les moutons dodelinants de l’écume. Ils étaient seuls et la terre invisible. Curieusement, elle ne s’en inquiétait pas. Tout était mieux que les murs oppressants d’une ville.

Victor semblait trouver à s’occuper, lui aussi. Il partageait les jeux et les tâches de son compère Théodore, même si sa boiterie l’empêchait de grimper dans la mâture (ce qui arrangeait bien Galathée, à vrai dire).
De temps à autre, la rôdeuse descendait au chevet du barde, plus par acquis de conscience que par réelle nécessité, mais elle le trouvait immanquablement endormi. Elle commençait seulement à réaliser que désormais, il serait là, dans sa vie, son quotidien, qu’il ne s’agissait pas d’un songe ou d’une parenthèse de quelques jours. Parfois, cette pensée lui donnait le tournis et elle regagnait le pont pour y échapper, tant que c’était encore possible.

La nuit tomba à nouveau, sans que le vent n'ait refait son apparition.

[Taliesin]

Il ne s’était pas davantage levé au matin suivant, et Galathée constata que, même s’ils faisaient effort pour garder bonne figure, l’humeur des marins se dégradait sensiblement. Le soir, alors que le vent se faisait toujours désirer, Taliesin fit son apparition sur le pont : à force de demeurer étendu sur sa couche, ses muscles s’ankylosaient, et il avait fini par se décider à se dégourdir un peu les jambes. Il demeura cependant maussade et peu bavard, échangeant à peine quelques mots avec le capitaine et Galathée, puis regagna sa cabine après moins d’une heure.
Deux jours de plus passèrent, monotones, sinistres, et même le plus inventif des marins finit par ne plus savoir que faire pour s’occuper. En fin d’après-midi, Victor vint trouver Galathée. Elle remarqua d’emblée que quelque chose n’allait pas.
-On peut aller parler à l’écart ? lui souffla l’enfant.
La jeune femme, inquiète, acquiesça, et ils se replièrent sur la partie la plus déserte du pont.
-Voilà… reprit Victor. En jouant avec Théodore, j’ai pu écouter les marins, et… ils sont pas contents. Ils disent qu’ils ont jamais vu une si longue période sans vent. Pis qu’avec les Douces, qui sont un bon présage, on aurait dû au contraire aller très vite. Alors, il se demandent si… si quelqu’un porte pas malheur, à bord.
Il déglutit péniblement, et ses yeux s’embuèrent.
-J’ai… j’ai peur d’avoir un peu trop parlé… murmura-t-il. Avec Théodore… Il était gentil et… S'il leur a répété...
Le gamin se détourna vivement.
-Pardon... souffla-t-il.

[Galathée]

Galathée blêmit. Elle le retint par le bras, pour l’empêcher de prendre la poudre d’escampette.
« Victor. Qu’est-ce que tu as dit, exactement ? C’est important. » murmura-t-elle.
S’il était bien une caste qui se fiait aux signes, c’était celle des marins. Soudain la mer avait l’air bien moins tranquille et bien plus menaçante.

[Taliesin]

Le gamin ne chercha pas à échapper à la poigne de la rôdeuse, mais garda la tête baissée.
-Je… Je… Théodore me racontait plein d’histoire de marins et… Moi, j’avais rien à dire, alors… J’ai raconté que… Que tu savais parler aux corbeaux et qu’ils t’obéissaient… Et puis, pour Taliesin, j’ai dit que… parce que Théodore me l’avait demandé…
Sa voix se brisa et il fut parcouru d’un brusque haut le corps.
-J’ai pas dit que c’était le Monstre.. Je crois pas… je sais plus… on parlait et…

[Galathée]

Galathée s'accroupit devant lui, le tenant toujours près d'elle.
" Victor. Respire doucement. Ce qui est fait, est fait."
Ne pas céder à la panique.
" Essaie de te souvenir de ce que tu lui as dit, précisément. Essaie. Doucement."
L'enfant ravala ses larmes et fut pris d'un nouveau tremblement.
C'était trop beau, songea la rôdeuse. Trop beau.
Elle ne put s'empêcher de lâcher un juron à voix basse.

[Taliesin]

Victor s’évertua à fuir le regard de la jeune femme. Il réprimait ses sanglots et l’effort l’empêchait de parler. Pourtant, après des secondes horriblement longues aux yeux de Galathée, il cracha le morceau.
-Je… je suis désolé… Je lui ai dit, je crois… Je pensais pas qu’il me croirait… Je lui ai dit que c’était le Monstre et que tu avais dû lui tirer dessus pour le capturer, et que là tu… tu.. tu le droguais pour pas qu’il soit méchant… Mais qu’il avait quand même dit qu’il me mangerait… Mais…
Il pleurait, à présent.
-Mais… J’ai pas dit, pour les Kanter…

[Galathée]

Galathée tomba assise et poussa un profond soupir de découragement. Elle ne se sentait pas la force de réprimander l'enfant. Si les choses en étaient arrivées là, c'est parce qu'elle ne les avait pas anticipées. Or elle savait que Victor avait peur de Taliesin. Et ce n'était qu'un môme.
" Est-ce que... tu as entendu des marins répéter cette histoire ? Est-ce que tu as... l'impression que Théodore l'a racontée ?"
Elle tendit une main vers son visage, et il se raidit, mais la rôdeuse se contenta d'effacer ses larmes du bout des doigts.
" Victor. Il sera temps de pleurer plus tard. Réfléchis. Parle-moi. Nous pouvons peut-être encore rattraper les choses..."

[Taliesin]

Le gamin, blême, tremblant, ravala un nouveau sanglot.
-Ils… Ils parlent pas beaucoup quand ils me voient… Mais… Une fois, ils m’avaient pas remarqué et… Oui, je crois qu’ils parlaient de lui, que c’était bizarre qu’il sorte jamais de sa cabine… Qu’il était blessé… Qu'il parlait à personne... Et puis, depuis que j’en ai parlé… Théodore il me dit tout le temps qu’il est occupé…

[Galathée]

Galathée passa les mains sur son visage. Si vingt matelots décidaient de jeter Taliesin par-dessus bord, elle ne pourrait rien leur opposer. Non, le ver était dans le fruit, mais... mais ne disait-on pas que la meilleure défense était l'attaque ?
Elle hésita, regarda l'enfant, sourit doucement.
" Victor. Ce que tu as fait... était très mal. Et très dangereux. A cause de ce que tu as raconté, Taliesin est désormais menacé. Mais toi et moi, nous le sommes aussi. Et nous ne sommes pas arrivés jusqu'ici pour nous faire tuer en pleine mer. Ecoute-moi. Arrête de pleurer, c'est trop tard."
Il se frotta les yeux avec vigueur, sans pour autant les tarir.
" Voilà ce que nous allons faire. Tu vas retourner auprès de Théodore, ou des autres marins, peu importe. Tu vas continuer à raconter des histoires terribles et incroyables. Mais tu vas forcer le trait. Raconte leur qu'en vérité, tu es le fils de l'ancienne impératrice, que tu as été kidnappé par le Monstre, qui est en fait un rejeton infernal envoyé à Luménis par les Mélandiens. Raconte-leur que je suis un enfant de Waukyne venue les punir, que je contrôle les Douces et qu'elles vont venir les dévorer à la nuit. Raconte-leur ce que tu veux. Plus c'est dément, mieux c'est. Il faut qu'ils comprennent... il faut qu'ils comprennent que tu es un menteur, Victor. Que tu t'inventes des aventures pour les impressionner. "
Elle soupira.
" C'est le prix à payer pour ton erreur." murmura-t-elle, en lui prenant doucement l'épaule.

[Taliesin]

Le gamin la dévisagea, plus pâle que jamais.
-Mais je suis pas un menteur ! Je voulais pas parler, mais j'ai dit que la vérité ! souffla-t-il sur un ton de révolte. Et ils vont tous se moquer de moi, si je fais ça !
Il croisa le regard de la jeune femme et, n’y décelant aucune échappatoire, il baissa la tête.
-D’accord. Je le ferai… maugréa-t-il après un long silence. Puis il se détourna brusquement, s'arracha à l'étreinte de Galathée et s’en alla à grandes enjambées.
Il tint parole. Tout au long de la soirée, Galathée le vit en compagnie des marins, parlant à qui mieux mieux. Et elle vit les regards et les attitudes changer : au début inquiets, intéressés et attentifs, les marins ne tardèrent guère à hocher la tête et à se détourner de l’enfant. Bientôt, certains lui demandèrent de déguerpir sans aménité.
Le capitaine finit même par venir voir Galathée. Il la salua, se racla la gorge et commença, sur un ton gêné.
-Dites moi… Le gosse… il est pas un peu… bizarre ? Parce que si tout va bien chez lui… ahum… je vous demanderais de… lui dire d’arrêter de raconter n’importe quoi aux hommes. Ils sont superstitieux et il a même réussi à les inquiéter, au début, avec les bêtises qu’il a mises dans la tête du mousse… J’veux pas vous donner de conseils, mais… ça serait mon gamin, une bonne correction, et il filerait droit… Sauf si bien sûr, il y peut rien… Dans ce cas, faut me le dire, pour que l'équipage devienne pas trop méchant avec lui...

[Galathée]

" Ah... Je lui parlerai. Je suis désolée s'il a fait peur aux marins ou s'il les dérange... Il faut l'excuser. Il a beaucoup souffert pendant la révolte luménienne et... et je pense que ces histoires sont la manière dont il exprime son choc et son angoisse... Quand il sera remis, il cessera. Croyez bien qu'il n'y a là aucune malveillance de sa part. Juste un malaise. Je suis vraiment désolée s'il vous a causé du souci. Je vais m'en occuper."

Tandis que Sonkruso retournait à ses affaires, Galathée se sentit soudain plus légère. La ruse avait fonctionné, le Monstre était enterré parmi les autres délires d'un enfant traumatisé. La rôdeuse n'était pas vraiment fière de la manière, mais la survie dictait parfois sa musique sans que l'on puisse lui résister.

Victor accepta bien évidemment de mettre un terme à ses élans mythomanes, mais Galathée vit bien qu'il était trop tard pour que les marins retrouvent un semblant d'amabilité à son égard. Heureusement, le vent se leva peu avant l'aube, et le Vie Sauvage les emporta à nouveau vers leur destination.

[Taliesin]

L’aube les trouva bien avancés dans leur périple, et l’humeur des marins s’était aussi brusquement améliorée que le vent était apparu. Peu avant midi, Taliesin fit une nouvelle apparition sur le pont. Il s’aidait toujours de son bâton pour marcher mais paraissait sensiblement reposé : après tout, cela faisait plusieurs jours qu’il se reposait dans sa cabine, et ses blessures semblaient en bonne voie de guérison.
Mais il n’en allait pas de même avec son moral : comme les forces lui revenaient, le sommeil se faisait désirer, et les périodes d’éveil de plus en plus longue le laissaient s’assombrissant au fil des heures. Aussi, comme de coutume, ne se montra-t-il guère disert. Du moins jusqu’à ce que le quartier maître, un vieille homme au cuir tanné et à la nature joviale, ne l’interpelle.
-Contente d’vous voir sur pied, m’sire démons. Mais n’allez pas nous manger not’ mousse tout d’suite, hein ? On en a encore b’soin !
L’ancien barde se figea.
-Je vous demande pardon ?
-Oh, ‘scusez-moi, fit le marin en éclatant de rire. C’était rapport au mioche qui racontait plein d’histoires sur vous et vot’ dame, comme quoi z’étiez un démon et elle une incarnation divine…
Taliesin se détendit imperceptiblement et opina du chef.
-Ah, je vois. D’accord, je ne toucherai pas au mousse. Mais si le vent retombe, n’hésitez pas à me demander : je ferai remonter les noyés des abysses et ils nous pousseront jusqu’à la côte.
Le quartier maître rit derechef, gratifia l’elfe d’une vigoureuse claque sur l’épaule – ce qui le fit grimacer – et s’en retourna à son ouvrage. Taliesin, quant à lui, fit des yeux le tour du pont : de Victor, nulle trace. Mais Galathée se trouvait non loin, accoudée au bastingage.
-Que s’est-il passé avec le gamin ? lui demanda-t-il après un bref salut.

[Galathée]

La rôdeuse lui sourit en le voyant approcher. Il avait meilleur mine. Ses yeux restaient hantés, mais son visage reprenait des couleurs saines et sa démarche, même difficile, s’enhardissait.
« Contente de te voir debout. » murmura-t-elle en préambule.
Puis elle laissa son regard dériver vers le large.
« Victor s’est laissé aller à des confidences hasardeuses. Mais il a pris soin de noyer le poisson, pour ainsi dire. Tu ne dois plus t’en inquiéter. »

[Taliesin]

L’elfe la fixa, et une brève lueur passa dans son regard vide.
-Bien sûr que si, je dois m’en inquiéter. Ce gosse doit apprendre à tenir sa langue, et au plus vite. Si ses racontars n’avaient de conséquences potentielles que sur moi, je m’en moquerais. Mais s’il venait à tout déballer… Tu serais en danger, toi aussi. Et cela, il n’en est pas question. Si ma présence à tes côtés te fait courir le moindre risque, je m’en vais. Serment ou non.
Il se mordit les lèvres, conscient du ton froid et incisif qu’il avait employé, et reprit, d’une voix beaucoup plus douce.
-Je ne veux plus que personne souffre par ma faute. Toi encore moins que les autres.

[Galathée]

Galathée fut un peu prise au dépourvu par ces subites déclarations, qui la touchèrent malgré elle, même si elle sentait que l’elfe n’y mettait pas grand chose.
« Il a compris, je pense. Ça ne sert à rien d’en remettre une couche. C’est un gosse. Il a stupidement voulu impressionner un camarade. Maintenant, plus personne ne lui parle, et tout le monde le traite de menteur. Il a compris. Il ne recommencera pas. »
Elle se tourna vers lui.
« Ne t’inquiète pas de ma sécurité. Je sais me défendre toute seule. Et j’ai choisi de m’associer à toi. Si cela devait me porter préjudice, j’assumerai. J’assumerai sans me dérober. »

[Taliesin]

L’elfe grimaça. Il en voulait à Victor de leur avoir fait courir un risque, mais, surtout, il s’en voulait à lui. Le gamin avait sans doute commencé par dire la simple vérité, même s’il avait affabulé ensuite pour désamorcer la crise. Il avait dit la vérité et avait été puni pour ça. Plus que jamais, l’elfe regretta de s’être laissé convaincre par Galathée. Il la ferait souffrir, il ferait souffrir le gosse… Et il souffrirait lui. Pour rien. Et la rôdeuse ne paraissait pas en avoir conscience.
-Tu assumerais aussi s’ils jetaient le gosse à la flotte ? Ou si quelque ami du juge Kanter ayant suivi notre piste le torturait devant nous en manière de vengeance ? finit-il par demander sèchement.

[Galathée]

La rôdeuse sentit poindre une désagréable émotion en son sein et fit de son mieux pour la museler. Avec un succès tout relatif.
« Je gère les choses comme elles arrivent. Il n’a, à aucun moment, été question de jeter Victor à l’eau. Et il a décidé de venir en sachant que tu faisais partie du voyage. Nous n’avons pas à trancher entre lui et toi, pour autant que tous les deux, vous fassiez un effort. C’est un enfant, je ne peux pas lui demander de se comporter en adulte. Et apparemment, je ne peux pas te le demander non plus. Mais puisque tu as décidé d’être extrêmement constructif, j’apprécierais que tu ailles balader ta colère ailleurs. Je fais de mon mieux, moi. »

[Taliesin]

L’elfe ne put retenir un petit rire sec et grinçant.
-Qui de nous deux se comporte en enfant, Galathée ? Celui qui se rend compte des risques et s’inquiète pour la sécurité des gens qu’il accompagne, ou celle qui s’accroche à des chimères et veut concilier l’inconciliable, faire revivre les morts et pense que tout se fera dans la joie et la bonne humeur ? Mais soit ! Je ne discute pas : je suis à tes ordres, après tout. Je te laisse donc et vais passer ma colère sur de malheureuses fleurs séchées.
Il secoua la tête, tourna les talons et s’en fut rejoindre la quiétude relative de sa cabine.

[Galathée]

Galathée le laissa s’esquiver sans rien ajouter, les bras croisés. Elle prit quelques profondes inspirations iodées, ferma les yeux, goûta à la brise marine, écouta le cri des mouettes qui les survolaient depuis plusieurs heures, signe immanquable que la terre était toute proche.

Bien sûr, Taliesin n’avait pas tort. Elle s’était engagée dans une voie irrationnelle, qui le deviendrait sans doute de plus en plus. L’elfe ne ferait pas d’efforts, elle le sentait. Il attendait qu’elle le libère, ferait en sorte de le lui rappeler sans cesse. Plusieurs jours avaient passé, il allait physiquement mieux, mais rien ne s’était amélioré dans son attitude. Bien au contraire. Débarrassé de sa souffrance, il ruminait.
Et pour Victor, qui désormais l’évitait, furieux d’avoir eu à se ridiculiser auprès d’amis potentiels, la présence de Taliesin était bien évidemment un poids et un danger.

Qu’ai-je fait ? songea Galathée.

Un cri l’arracha à ses sinistres pensées : ils arrivaient en vue du delta de la Sereine, la rivière qui baignait Eredhùn et prenait sa source quelque part parmi les troncs centenaires de la forêt de la Lorien. Ils étaient pratiquement rendus et atteindraient la cité avant la nuit.

Les bras de la Sereine étaient larges et bien dessinés, le Vie Sauvage s’y engouffra sans ralentir. Galathée fut surprise de voir soudain des rames apparaître le long des flancs de leur navire, et les marins souquèrent à contre-courant aidés par des rafales d’un vent tiède mais puissant. Sonkruso dirigeait les manœuvres avec flegme, en habitué. De petits rafiots croisaient dans l’embouchure, déployant leurs filets dans l’onde trouble. Leurs occupants saluèrent le navire marchand avec enthousiasme, comme s’il était une promesse de bombance. Ils ne pouvaient pas savoir que le Vie Sauvage revenait le ventre vide.

Galathée s’appuya au bastingage pour découvrir la campagne environnante. Les Monts Brumeux dressaient leur silhouette acérée sur le ciel, au Sud, tandis que les pâturages verdoyants de la vallée du Nirvana couraient à perte de vue tout autour d’eux, vers l’Est et le Nord. Sur leur passage, la faune des marais s’égaillait : grands échassiers blancs et argentés, canards multicolores, quelques gros rongeurs aquatiques, parfois un reptile inquiétant. Un troupeau de bovidés sombres les contempla depuis la berge, sans réelle inquiétude, jusqu’à ce qu’un félin gigantesque surgisse d’entre les joncs pour précipiter les ruminants à l’eau. Le Vie Sauvage glissait. Galathée aurait aimé goûter pleinement au paysage, à ses richesses, mais elle se sentait tirée vers le fond, redoutait l’instant où ils poseraient le pied sur le quai, la seconde où elle se retrouverait seule entre Taliesin et Victor.

Pourtant, au détour d’une courbe de la Sereine, il lui fallut se rendre à l’évidence : Eredhùn les attendait, ses toits reflétant les rayons d’un soleil couchant, promesse de quoi…

La suite ici.

[Taliesin]

Depuis leur départ d'Haradhar, matelots et passagers du Cheval de Bois avaient bénéficié de la faveur du temps. Un vent du nord modéré mais constant gonflait les voiles, et ils filaient sud-sud-est, en direction de Luménis, sans cahots ni incidents. D'après les calculs du capitaine Isséyus, à ce rythme là, il leur faudrait moins d'une semaine pour atteindre la cité.Tout allait donc pour le mieux.
Guilhem et les deux de ses fils qui souffraient du mal de mer finirent par reprendre suffisamment de forces pour tenter quelques expéditions hors du dortoir qui leur avait été affecté. Ils purent ainsi partager la compagnie du restant des passagers qui, compte tenu du beau temps, préférait arpenter le pont que demeurer dans les entrailles du grand bâtiment.
A la nuit tombée, après avoir partagé le repas de l'équipage, le petit groupe de voyageurs se retirait dans ses quartiers. Tout le monde sombrait généralement rapidement dans le sommeil - l'air marin avait quelque chose d'épuisant - mais il arrivait que certains des gamins réclament qu'on leur conte quelque chose avant de dormir. L'ancienne profession de Taliesin n'ayant échappé à personne, il fut mis à contribution et se soumit de bonne grâce, choisissant récits optimistes et histoires heureuses plutôt que drames sanglants et épiques épopées. Peut-être ses contes manquaient-ils un peu de tension... Mais, au moins, ils ne donnaient de cauchemars à personne et semblaient entretenir l'optimisme ambiant.
Le cinquième jour de voyage, cependant, l'atmosphère changea. L'occident se voila de nuages gris qui allèrent grossissant et s'assombrissant au fil des heures. Le vent se mit à forcir et le navire à louvoyer, afin d'éviter la perturbation vers laquelle ils se dirigeaient. Peine perdue : l'horizon demeura tout aussi barré. Sinon plus.
A l'approche du soir, le capitaine fit rassembler tous les passagers près du gaillard d'avant. Derrière elle, la masse de nuages était d'un noir inquiétant, parfois troublé par la zébrure violacée d'un éclair.
-Nous filons droit sur une tempête. déclara-t-elle sans ambages. Et pas moyen d'y échapper. Je ne vous cacherai pas que c'est un grain qui m'a l'air particulièrement virulent... Il en va ainsi des premières tempêtes d'automne : vastes, déchaînées, elles annoncent leurs grandes sœurs d'hiver auxquelles elles n'ont presque rien à envier, sinon leur nombre. Quoi qu'il en soit, vous avez pour ordre de vous enfermer dans vos cabines, et de n'en sortir sous aucun prétexte, tant que je ne vous en aurais pas formellement donné l'autorisation. Celui qui serait assez idiot pour gambader sur le pont aurait toute les chances d'être emporté par une lame de fond, et il n'y aura personne pour se jeter dans la mer déchaînée afin de lui venir en aide. Donc, vous devez impérativement rester dans vos quartiers. C'est bien compris ?
Tous les passagers acquiescèrent, la gorge nouée, et s'en furent vers leurs dortoirs respectifs.
Lorsque retentit le premier coup de tonnerre, tous les Merlus, Valaellyn, Galathée, Victor et Taliesin étaient cramponnés à leur hamacs, certains plus blêmes que d'autres, mais tous inquiets de ce qui allait advenir, même s'ils tentaient de n'en rien laisser paraître.
Lorsque retentit le deuxième coup de tonnerre, il leur sembla à tous que l'enfer se déchaînait.

[Galathée]

HRP : mais je n’ai aucune idée de comment se déroule une tempête, moi ! C’est ta spécialité, ça !

Le navire était secoué en tout sens, chutant de plusieurs mètres avant d’être arrêté par une vague dans un choc violent, et renvoyé vers le haut. Il s’inclinait vers la gauche, la droite, se cabrait pour mieux retomber avec fracas. Galathée songea qu’il portait finalement bien son nom, mais c’était un cheval sauvage, indompté, une créature qui semblait ne viser qu’à désarçonner son cavalier. Alors qu’elle serrait Victor et Benoît contre elle, elle songea aux hommes et femmes d’équipage qui arpentaient le pont sous le grain, priant sans doute Valkur de défaire les humeurs meurtrières d’Umberlie.
Le bois du bateau craquait dans la tempête, renvoyant mille échos sinistres, comme si le bâtiment se déchirait sous la pression des éléments. Ce tintamarre de mauvaise augure fit d’abord hurler les enfants, avant de devenir d’une banalité trop horrible pour encore susciter la moindre réaction. Personne n’en menait large, mais les adultes tentaient de faire bonne figure pour ne pas inquiéter davantage les enfants.
Mathieu avait la mine d’un homme qui se promet de ne plus jamais, jamais, jamais quitter la terre ferme. Valaellyn priait. Les enfants Merlu étaient agglutinés en grappes terrorisées, à l’exception de Mathieu qui s’était réfugié dans le giron de son père, de Robin qui avait opté pour Mathilde, et de Benoît, qui s’était joint à Victor pour chercher réconfort auprès de Galathée.

Leurs maigres possessions volèrent en tout sens, l’odeur rance d’un premier vomi embauma l’air, ils serrèrent les doigts, les dents, et fermèrent les yeux. Même l’estomac le plus accroché souffrit de la sarabande démente que la mer leur infligeait.
Un des enfants Merlu se mit à appeler sa maman en sanglotant. Galathée croisa le regard vide de Victor, les lèvres serrées, blanc comme une neige un petit matin d’hiver.
La tempête semblait interminable. Le Cheval serait bientôt épuisé. Il y eut soudain un craquement plus sonore, suivit d’un grincement sinistre, et une grande vibration ébranla le navire entier. Il s’inclina à bâbord, d’abord légèrement, puis de plus en plus fort, toujours ébranlé par les vagues qui roulaient, tonnantes, autour de la coque, puis se redressa d’un coup sec, arrachant un nouveau cri aux enfants.
Le bateau reprit sa danse endiablée, encore quelques minutes, mais Galathée sentait qu’il y mettait moins d’énergie. Le tonnerre roula à nouveau, mais plus lointain. Le navire pirouetta lentement sur lui-même, bondit une dernière fois, puis ils entendirent des pas courir sur le pont au-dessus d’eux, enfin le silence.

Le Cheval des Mers tanguait toujours, mais paresseusement, sans cahots.
Des exclamations de joie fusèrent de l’autre côté de la paroi, dans le dortoir voisin, occupé par une demi-douzaine de touristes gnomes, autant d’elfes et un chevalier humain qui manquait d’humour. Dans leur propre chambre, la tension retomba brutalement. Les têtes se redressèrent. Galathée réalisa qu’elle avait les genoux mouillés et que les deux petits s’étaient oubliés. Elle croisa le regard de Taliesin et ils se sourirent. Le barde fut le premier debout, il se leva, vint simplement poser un baiser sur le front de la jeune femme, et elle sentit la peur qu’elle avait refoulée refluer brusquement, lui coupant le souffle. Elle saisit la main de l’elfe et la serra, toujours sans rien dire.

La porte s’ouvrit sur Joris, le second de Isséyus, un demi-orque qui avait hérité de la force de son père et du joli minois de sa mère. Un large sourire lui fendait le visage.
« C’est passé, moussaillons ! Petit déjeuner sur le pont pendant qu’on vous nettoie tout ce… »
Jehan en profita pour vomir sur le sol.
« Tout ça, quoi. » ajouta Joris, encore plus hilare.
« Qu’est-ce qui a craqué ? » demanda alors le petit Mathieu, curieux, remis de ses émotions à une vitesse foudroyante.
Ils avaient tous remarqué que le cadet de la fratrie était particulièrement intéressé par la mer, ce qui inquiétait grandement son père.
« On a perdu l’artimon, mon gars. Mais l’gros était passé. On va pouvoir louvoyer sans. »
« Et il est où, l’armon, maintenant ? »
« Il flotte quèqu’part. »
« Oh. Est-ce qu’il va pousser un autre bateau ? »
« Pousser ? »
« Comme les vers de terre, quand y s’coupent. »
« Oh, j’y connais pas grand chose en vers d’terre, moi. Par contre, si tu montes, j’t’explique tout sur les vers de mer. »
« Ah ouais ! »
Et Mathieu donna l’exemple à ses compagnons en galopant le premier sur la piste du second. Les autres s’extirpèrent plus difficilement de leur paralysie, mais finirent par retrouver le ciel bleu.

[Taliesin]

Après leur interminable nuit au sein des ténèbres et du fracas, la clarté de l'aube les éblouit tellement qu'ils demeurèrent immobiles, les yeux papillonnants, sur le seuil de leur dortoir.
Le monde qui se précisait peu à peu devant eux leur parut étrangement net, étrangement neuf, comme s'il renaissait en même temps que le soleil orangé qui s'extirpait lentement des flots, à l'est. Le pont du navire, les voiles malmenées, les vagues paresseuses qui léchaient la coque, tout semblait briller dans l'atmosphère fraîche et transparente
Les autres passagers du navire ne tardèrent pas à émerger de leurs propres quartiers et tout ce petit monde échangea regards et sourires joyeux. Gnomes, elfes et chevalier présentaient des mises et des mines aussi lamentables - sinon plus - que les Merlus et leurs compagnons, mais ils s'en fichaient comme d'une guigne, tout au bonheur d'être encore en vie, ce que plus d'un avait cru impossible au plus fort de la tempête.
Après avoir échangé quelques considérations aimables sur le beau temps enfin de retour, ils gagnèrent le lieu où le coq servait le petit déjeuner promis. Rares furent ceux à beaucoup manger, mais tous s'y efforcèrent de bon cœur, et les quelques bouchées ingurgités les aidèrent à se remettre de leurs émotions nocturnes.
Une fois les cabines nettoyées, nombre des passagers y redescendirent pour se changer ou procéder à quelques ablutions. Mais, las de pénombre et d'espaces clos, ils remontèrent bien vite sur le pont profiter de la brise vivifiante et des rayons chaleureux du soleil matinal.
La journée s'écoula ainsi, paisible, faite de siestes réparatrices, de discussions nonchalantes et de jeux beaucoup moins nonchalants de la part des petits qui, comme toujours, paraissaient se remettre beaucoup plus rapidement que leurs aînés. Mais même l'humeur de ces derniers était au beau fixe, comme si l'impression d'avoir frôlé la mort relativisait drastiquement toutes les autres craintes possibles.
En milieu d'après-midi, la ligne de côte se dessina dans le lointain et, de l'avis général, Luménis serait en vue avant la nuit. Ce fut le cas. Tandis qu'un crépuscule flamboyant empourprait le ciel et la mer, les murs et les tours de la cité de Lathandre se découpèrent, presque incandescent, sur l'horizon oriental déjà assombri. Ceux qui n'avaient encore jamais contemplé se spectacle - parmi lesquels figuraient Valaelyn et tous les Merlus - en demeurèrent bouche-bée. Les autres n'en furent pas moins séduits, eux aussi et, accoudés au bastingage, contemplèrent la ville qui grandissait à chaque instant.

[Galathée]

Quête : Au nom du père

Quittant les quais de Luménis, le Redoutable s'élança d'abord plein ouest, comme s'il cherchait à fuir le soleil levant et regagner la nuit. Depuis le salon, Taliesin contemplait la mer au sud, parsemée de chalutiers aux filets jetés, ballottés par les vagues que soulevait le voilier en filant vers le large. Ils virèrent ensuite à tribord et la nuit, encore légèrement étoilée, s'étendit devant l'elfe, tandis que la lumière devait envahir peu à peu la salle à manger, du côté opposé de la coursive. Il perçut des pas dans le couloir, légers, un murmure de conversations feutrées, mais il s'agissait sans doute davantage du personnel de bord que d'autres passagers... Il faudrait encore une heure, voire deux, avant que les premiers n'émergent, à moins qu'ils n'aient embarqué des Lathandrites, auxquel cas certains étaient peut-être déjà levés. Mais s'ils priaient leur dieu, ils le feraient immanquablement sur le pont.

[Taliesin]

Pont sur lequel il n'allait pas tarder à faire un tour, pour prendre l'air.
Les dernières heures, entre deux exercices magiques, il avait songé aux façons de s'occuper durant la veille à venir. Hormis s'assurer que Victor ferait une petite séance de lecture chaque jour, il n'aurait aucune obligation et s'était dit que l'occasion serait belle pour rédiger un petit manuel à destination de Benoit Merlu. Le gamin semblait en effet tenté par la carrière de barde et il n'était pas impossible que son père lui demande de le former : or, si cela se faisait, il valait mieux qu'il couche sur le papier la méthode pour recourir à la magie bardique tant qu'il était encore capable de s'en servir, ce qui serait de moins en moins le cas tandis qu'il progresserait sur sa nouvelle voie.

[Galathée]

Lorsqu'il monta sur le pont, les matelots terminaient leurs manoeuvres et il lui fut donc possible d'aller s'accouder au bastingage pour regarder la mer, le ballet des mouettes, des bateaux de pêche, et Luménis qui s'éloignait. Plusieurs voyageurs étaient déjà sur le pont : la jeune femme qu'il avait vue lire la veille, une paire de jeunes hommes en grande discussion, un elfe, aussi, qui paraissait méditer, peut-être en Rêverie, assis vers la proue.
Les voiles déployées, le Redoutable prit rapidement de la vitesse, s'élançant vers le nord. Ce serait leur cap pendant la majeure partie du voyage, avant qu'ils n'obliquent à nouveau vers l'est pour gagner l'embouchure de la Sereine et le village où leur bateau les débarquerait.

[Taliesin]

D'ici peu, sans doute dès le lendemain, Taliesin aurait suffisamment pris ses marques pour ne plus se sentir désœuvré, pour savoir que faire et où installer. Dans l'immédiat, toutefois, hormis attendre le petit-déjeuner en demeurant accoudé au bastingage, il ne savait trop comment s'occuper. D'un autre côté, observer la mer et le pont était une activité en soi...