[Quête] Rédemption

[Kasumi]

Quête : rédemption

La tête du demi-elfe lui tourna affreusement alors qu’il tentait de se mettre debout. Il retomba sur ses genoux sans même sans rendre compte. Sa main droite se porta par réflexe à sa tunique poisseuse et déchirée sur son flanc gauche. L’horrible blessure avait cessé de saigner mais sans doute par manque de sang à déverser.

- Si faible… Hihi, délicieuse petite créature.

La voix semblait ne sortir de nulle part, comme si elle venait de son propre esprit embrumé par les étranges circonstances de sa venue en ce lieu. Aucun indice d’une présence d’où elle aurait pu émaner en cette lande déprimante. Aucun vent ne semblait souffler ici pourtant il frissonnait, transi jusqu’à la moelle. Le sol craqua sous ses pas lorsqu’il parvint enfin à se redresser et se risqua à avancer les bras enserrant sa poitrine. La terre sablonneuse et rougeâtre semblait desséchée, prête à engloutir la moindre trace du sang restant à Kasumi. Il avait le sentiment de bouger pourtant le paysage ne semblait pas changer d’un iota.

- Tu ne sais même pas où tu es, n’est-ce pas ? Inutile d’aller par là, il n’y a pas d’issue pour toi.

La volonté de l’ancien rôdeur fut raffermie par cette tentative pour le dissuader d'agir, où était-ce simplement un écho de son bon sens inconscient qui lui dictait la vacuité d’explorer un endroit qu’il découvrirait vide de tout espoir ?

Une vive douleur lui déchira soudain la poitrine, le précipitant à nouveau au sol, haletant.

- Tu apprendras à obéir, tu apprendras… puis je te laisserais peut être disparaître, noble âme.

Le sarcasme mis dans ces derniers mots était évident.

[Mornagest]

Le démon choisit ce moment pour apparaître face au rôdeur. Il masquait évidemment son apparence, car il n'était pour l'heure représenté que par un voile rouge sang, surmonté par une tête immonde, brune et couverte d'écailles aussi repoussantes que ses yeux jaunes qui paraissaient en flammes perpétuelles. Ses crocs aiguisés dépassaient de ce qui pouvait au mieux passer pour un orifice buccal déformé, au pire par une entrée vers les Neufs Enfers eux-mêmes.

"Tu as peur ? Déjà ? Pauvre mortel, tu risques fort bien d'apprendre réellement ce qu'est la peur, ici... si tu arrives à survivre jusque là. Survivre..." il partit d'un éclat de rire qui résonna tout autour de Kasumi, comme si une multitude de démons riaient en même temps, par saccades désagréables et manquant rendre le rôdeur fou. Cesserait-il de rire ?

Brusquement, le bruit ignoble cessa, et le silence le plus opaque revint, aussi pesant que ce qui précédait.

"Lève-toi, misérable. Tu ne voudrais pas échouer parce que tu manques de courage, si ? Ta fierté ne le supporterait pas, même dans le Royaume des Morts..."

Lentement, Kasumi se força à s'exécuter. Il n'avait de toute manière guère le choix, pour l'heure ; cette créature pouvait disposer de lui comme bon lui semblait... et cela n'était pas pour le rassurer.

"Bien. Tu as affronté des ennemis plus forts que toi, aujourd'hui, et tu en es mort. Mort, oui, physiquement. Mais spirituellement, pas encore. J'en ai décidé autrement... car je compte bien te faire revenir à la vie. Si tu t'en montres digne, bien sûr... ce dont je doute. Pourras-tu affronter TES démons ?"

En un clin d'œil, tout autour de Kasumi disparut : le décor désolé, le démon... et toute l'atmosphère pesante qui allait avec, et le rôdeur se trouva sur une plage déserte. Le doux ressac de la mer se faisait entendre avec une sensation agréable, tandis que le vent salé lui fouettait doucement les joues. Il était seul.

[Kasumi]

Quête : rédemption

La sensation de froid avait été remplacée par la douceur de l’atmosphère de ce lieu enchanteur. Etait-ce une sorte de récompense offerte par cet être si noir pour son obéissance ? Ou était-ce simplement un nouveau signe de la folie qui menaçait de faire basculer la raison du défunt demi-elfe ? La voix de l’être immonde qui s’était présenté à lui résonnait encore dans sa tête, couvrant le son apaisant du ressac. dans une veine tentative pour l'étouffer, l'ancien rôdeur s'époumona :

- Vivre ? Où est le piège, démon ? Crois-tu que je le désire par-dessus tout ? Quel serait le prix que tu réclamerais en échange ?

De rage, Kasumi serra les poings et chercha frénétiquement un objet qui pourrait lui servir d’arme aussi futile l’idée soit-elle face à un démon semblant pouvoir disparaître à volonté et le molester sans effort. Mais le rôdeur n’était pas un pleutre, n’en déplaise aux maître des lieux.

[Mornagest]

Soudain, l'écume de la mer se mit à bouillonner, d'abord légèrement, sur les bords de la plage, puis plus violemment, se propageant vers le large. L'eau paraissait maintenant animée de vie, et formait des vagues sans cesse croissantes, mais qui ne s'abattaient plus sur le rivage ; l'eau montait simplement, vers le ciel, à une vitesse qui devenait affolante.

Petit à petit, les masses d'eau convergèrent pour former une sorte de portrait, à en juger par l'apparente ressemblance à un visage : mousse pour la peau, eau bleutée pour les deux yeux, le nez, la bouche... et une chevelure composées d'algues multicolores. Le visage stylisé mesurait une vingtaine de mètres de haut, masquant le soleil face à Kasumi, et, tout en levant les yeux, son visage se déforma en une grimace de douleur et de chagrin mélancolique. Il ne pouvait se tromper quant à l'identité de la personne représentée... sa propre mère, tuée des années auparavant lors d'un raid contre des monstres... celle-ci semblait vouloir lui parler, mais sa bouche formait des mots inaudibles, et, tandis qu'il contemplait tristement son visage, il sombrait dans l'inconscience, et de sa mémoire s'effaçait les derniers souvenirs qu'il avait eu de sa mère avant de mourir... il resta longtemps dans un sommeil profond, sur le sable tiède.

[Kasumi]

Quête : rédemption

Son sommeil dura des heures à en juger par le soleil désormais très bas sur l’horizon lorsqu’il rouvrit une paupière. Sa tête était lourde et une migraine menaçait de le rendre fou alors qu’il tentait de se lever. Il s’était visiblement assoupi sur une branche de bois flotté ou une pierre affleurante à en juger par les élancements dans son flanc, presqu’aussi douloureux que les myriades d’aiguilles se frayant un chemin dans son cerveau. Il avait un goût pâteux dans la bouche et sa gorge très sèche était comme irritée. Il ne se souvenait pas de ce qu’il faisait sur cette plage, de même qu’il tentait d’amener sa mémoire à saisir un évènement important qui fuyait sans cesse à la limite de sa compréhension.

Kasumi tituba doucement sur des jambes chancelantes tandis qu’il partait en quête d’un peu d’eau fraîche pour soulager sa gorge enflammée et tenter de reprendre ses esprits…

[Mornagest]

Une voix résonna de nouveau dans sa tête. Un instant, il ne savait guère plus à qui elle appartenait, puis, se remémorant les cruels moments passés dans cette steppe aride, il revoyait dans son esprit le visage torturé du démon qui le traquait à son arrivée.

"Penses-tu avoir appris ? Je doute même que tu t'en sois aperçu... Dis-moi, qui penses-tu être ? Pourquoi es-tu arrivé ici ? Pour quoi es-tu mort ?"

Seul le visage du démon apparut cette fois, quelques mètres plus loin, flottant au-dessus du sable fin. Un tableau contrasté, immonde par là même.

[Kasumi]

Quête : rédemption

Décidemment, Kasumi se sentait de plus en plus nauséeux, bien en peine d’enchaîner deux pensées cohérentes.

- Mort ? Je suis mort ? Mais pourquoi suis-je ici alors ? Je n’ai jamais été particulièrement bigot, c’est vrai mais je te servais à ma façon Déesse… Qui es-tu démon ? Que devrais-je avoir appris ? Aaaah

Parler à voix haute provoqua une douleur insurmontable à la base de son crâne, comme si ses os se transformaient en sable sous la pression du sang pulsant dans les veines de son cerveau. Pourtant il réunit ses dernières forces pour vociférer, au bord de l'évanouissement :

- Sors de ma tête ! Sors de ma tête ! Sors de ma têêêtte !

[Mornagest]

Le démon sourit à nouveau horriblement, laissant apercevoir au rôdeur, sur le point de sombrer dans l'inconscience, une double rangée de dents jaunes et rouges, parsemées d'orifices dont il valait mieux ignorer l'origine...

"Je vois que ta vertu t'a aveuglé... n'as-tu donc donné ta vie que pour une misérable amoureuse de fourmis et de fougères ? Est-ce donc là-dessus que ta pathétique existence était bâtie ?" Sa voix tonnait à présent, et se répercutait dans tous les sens ; à l'insu de Kasumi, le décor avait encore changé, et il se trouvait à présent dans une salle aux dimensions grotesques ; il pouvait à peine voir les murs, et le plafond, mais l'écho qui s'y propageait rendait le moindre son inaudible tant il était amplifié, déformé.

Le démon cracha encore : "Réfléchis vraiment, cette fois !" tandis que le rôdeur tombait à nouveau, face contre terre.

[Kasumi]

Quête : rédemption

Livré à lui-même dans l’étrange salle rempli d’échos, Kasumi les entendit alors. Une centaine ? Des milliers de voix ? Il ne se souvenait plus combien… Toujours était-il que tous leurs visages ravagés semblaient à présent observer sa déchéance avec délectation ou tristesse ou les deux à la fois en un curieux assortiment. Leurs rires sans joie se mêlant les uns aux autres, leurs âmes accusatrices se lamentant dans une cacophonie insupportable. Pour leur mort violente dont il était la cause. Pour leurs vies abrégées, pour leur envie de vivre. Celle que le demi-elfe stupide s’était vu offrir. Certains visages se détachèrent, certaines voix reconnaissables par-dessus le tumulte de la multitude. Les rôdeurs renégats qu’il avait traqués pour s’être adonné au culte de Malar. Les êtres reptiliens qu’il avait poursuivi jusqu’en Anauroch pour assouvir une vengeance personnelle. Et plus nets encore, les Luméniens qu’il avait tué de sa propre main et ceux morts par sa faute. Le sergent Desmoulins, le capitaine Altar de Manost… Tant de valeureux morts. Pour quoi avait susurré le démon : cette question le harcelait avec chaque visage dont il se remémorait, chaque voix lui soufflait la lui criait à l’oreille.

Kasumi éclata en sanglots irrépressibles :

- J’ai mal agi, je n’ai pas toujours agi en ton nom. Je ne mérite pas le repos de tes serviteurs.

Et les centaines de voix de s’esclaffer, moqueuses et accusatrices.

[Mornagest]

La voix du démon ressurgit à nouveau :

"Mal agi ? Pourquoi ? Ne comprends-tu pas, niais ? Rejette tes idéaux de bonté et de vertu ! Ils ne t'ont mené qu'à la mort, inéluctable pour ceux de ton espèce ! Veux-tu à ce point persister ? À ce point t'embourber dans cet étalage écœurant de gestes envers les faibles, qui n'ont que ce qu'ils méritent ?"

Tout autour de Kasumi, les visages s'effaçaient, eux aussi, pour n'être plus que des souvenirs... qui eux-mêmes s'altéraient de seconde en seconde.

"Pourquoi continuer à te morigéner ? Ils sont morts parce qu'ils le devaient. Tu es fort, ils étaient faibles ; ta victoire était donc justifiée. Si tu as failli, aujourd'hui, dans ce combat, c'est par ta faute... mais je peux défaire ce qui a été fait. Si tu l'acceptes."

Le démon fit silence. La salle continua cependant de résonner, sourdement, régulièrement. Pou-poum, pou-poum... les battements d'un cœur ; le sien ? Ils étaient assourdissants... et s'accéléraient, devenaient des pulsations presque impossibles à différencier, maintenant... un bourdonnement continu, enfin. Puis tout cessa, tout s'effaça, la salle, le bourdonnement...

Kasumi se retrouvait maintenant dans le palais de Lumenis... il avait déjà vu la scène qui se déroulait devant lui... et cette silhouette lui disait quelque chose. Il se vit recevoir cette lame, dans son dos, traîtreusement...

"C'est toi, évidemment. Regarde, la vanité de tes actes. Acceptes-tu de disparaître aussi pitoyablement ? Alors que tu pourrais sans peine annihiler n'importe lequel des combattants de cette pièce ?"

[Kasumi]

Quête : rédemption

Kasumi observa la scène vivante de ses derniers instants dans le monde des mortels. Il n’avait pas eu conscience, alors, d’avoir été traitreusement atteint par un garde rouge. Il était mort avant de réaliser le risque qu’il avait pris, tout à son combat contre l’immonde Capitaine Alyssia. Puis il réalisa : s’il s’était montré plus prudent, peut être serait-il vivant à l’heure actuelle, sans doute n’aurait-il pas pris part au combat au palais ou même à Luménis. S’il n’avait pas pris part à la lutte de la résistance, tué les suivants de Nwalk, combien d’autres auraient péri à sa place ? Des faibles disait le démon ? Et pourtant, il s’était placé du côté des partisans de la justice et avait contribué à leur victoire. Il était convaincu que le combat tournait à l’avantage de ses compagnons malgré sa chute.

Un léger sourire ourlant ses lèvres, il défia le démon :

- Je suis mort parce que mon heure était venue, Sans Nom. Peut être aurais-je pu vivre davantage, mais en vain. C’est par mes actes que j’ai vécu et même si tous ceux qui vivent aujourd’hui grâce à ma main m’oublient, je vis encore en chacun d’eux comme je suis un peu mort pour chaque vie que je n’ai pu épargner. Il était temps de laisser la place aux vivants. Je regrette simplement de n'avoir pas pu en sauver plus. Es-tu capable de comprendre la compassion, démon ou même cela fait défaut à ton âme damnée ?

[Mornagest]

La voix du démon se faisait narquoise.

"Compassion n'est que mère de traîtrise. La nature humaine n'est faite que de corruption... explique-moi pourquoi, sinon, tu as dû combattre tes semblables, ceux avec qui tu aurais pu jouer, étant petit ? Crois-tu qu'ils t'aient accordé la moindre compassion, lorsque ce vil assassin t'a planté sa lame dans l'échine ? Quand ces gardes rouges ont massacré des enfants, violé des femmes ? Trouves-tu cela juste ? Crois-tu devoir ployer l'échine devant le fait accompli ? Tu es mort, et tu l'acceptes, simplement ? Es-tu si faible que ceux qui se sont fait tué durant toute cette révolte, à Lumenis ?"

[Kasumi]

Quête : rédemption

Kasumi écouta avec attention la voix du démon, la tête penchée de côté. Puis, quand celui-ci en eut enfin fini, il resta un moment silencieux, à tel point que Sans Nom pourrait estimer avoir pris l’avantage. Puis, le rôdeur se mit à rire, un rire sans raison, un rire de dément. Commençait-il déjà à sombrer dans la folie ? Sans doute du fait de se voir refuser le repos alors qu’il y aspirait, qu’il n’avait aucun moyen de lutter, être empêché de faire valoir ses droits sur le Royaume des Morts, placé à la merci d’un esprit sadique ayant arraché son âme aux Bosquets de Mielikki.

Il reprit finalement suffisamment de contenance pour répondre à son vis-à-vis, l’œil brillant :

- Crois-tu que tes stratagèmes fonctionneront avec moi, Démon ? Tu te sers de mes souvenirs, de mes doutes, de mes peurs et tu espèrerais que je ne les reconnaisse pas comme les miens ? Que je les considère comme vérité parce qu’elles émanent de moi ? Je n’ai pas cette arrogance, Démon. Si tu veux me convaincre, utilises donc des arguments qui viennent de toi et non de mes propres expériences. Tu es dans ma tête depuis longtemps, n’est-ce pas ? Tu fus presque toujours là, à la limite de ma conscience, refoulé et masqué à l’ombre de mon esprit. La réalité est faite d’illusions. Et tu te sers de celles qui ont obscurci mon esprit pour m’attirer à voir la vérité telle que tu la vois. Pourtant, je ne suis pas dupe : privé de mes émotions mortelles, je perçois mieux les choses désormais. Le bien et le mal, tels que nous les nommons sont parfois des notions trompeuses et incomplètes pour des êtres vivants. Ces hommes contre lesquels je me suis battu avaient une certaine vision du bien, différente de la mienne mais pas pour autant fausse. Elles étaient simplement incomplètes, nos priorités différentes, nos références dissemblables. Ma compassion va à leurs âmes : dans d’autres circonstances, je serais mort à leur place sans que plus de mal ou moins de bien n’en découle. Les choses sont ainsi faites. Quand à ces assassins, ces violeurs et ces traîtres, ils sont trois fois maudits. Ils ont éveillé en moi une rage qui m’a aveuglé. Ne pouvant toujours les atteindre, j’ai combattu avec ardeur des ennemis qui auraient pu être circonvenus. Leurs méfaits ne méritaient aucune compassion, ne souffraient nulle excuse et pourtant ils étaient de ma race, pas un des tiens, Démon, fait pour semer le chaos et le désastre. Le bien et le mal s’affrontent vois-tu, ils en sont la preuve vivante et aucun ne pourra jamais gagner définitivement ce combat. Ils sont maudits à mon sens car sans eux, le bien ne saurait exister. C’est là tout le paradoxe, Démon. Que je sois mort n’y change plus rien. Ce qu’il reste en moi de mon esprit terrestre voudrait continuer la lutte mais je comprends qu’elle est vaine. Elle le serait encore bien davantage si j’acceptais de renaître pour combattre selon ta doctrine, pour semer le mal. J’aurais alors accepté la lutte pour elle-même et non parce qu’elle reste la meilleure façon de défendre mes valeurs, d’empêcher que de tels crimes deviennent normaux. Car c’est cela aussi qui a guidé ma main, Démon : l’indifférence des hommes face aux maux qu’ils ont l’habitude d’endurer, ou de voir infligé. L’abandon des leurs au profit d’une sécurité relative et temporaire. Je suis mort parce que je ne pouvais pas accepter ce que certains Luméniens avaient commencé à accepter. Je suis mort pour redonner son sens à la lutte. Je ne suis pas mort en faible, Démon et je me moque de ton idée de la force. Elle ne sert qu’à combattre et non toujours à remporter la victoire.

[Mornagest]

S'il était furieux, le démon n'en montra rien, ni ne le fit percevoir dans la suite de ses propos.

"Que penses-tu, alors ? Crois-tu que je vais te laisser aller tranquillement vers le royaume de Kelemvor ? Que j'ai passé mon temps à me tapir derrière ta pensée, pendant toutes ces années, pour ça ?"

Le démon apparut entièrement pour la première fois. Son corps reptilien était rouge sombre, ses pattes postérieures semblaient plus larges que le corps du rôdeur, tandis que les antérieures étaient dotées de griffes acérées comme des rasoirs.

Il s'approcha de Kasumi, dégageant une chaleur suffocante.

"Je peux te forcer à accepter ton échec, sais-tu ? Mais je n'en ai pas besoin. Ce dont j'ai besoin, c'est de ton âme. Et je te la prendrai, que tu le veuilles ou non..."

Aussitôt sa phrase achevée, le rôdeur ressentit une vive douleur lui percer le crâne, comme si l'on lui avait enfoncé une épée au travers de la tête... sauf qu'il "vivait" encore pour la sentir. Elle s'amplifiait de seconde en seconde...

[Kasumi]

Quête : rédemption

La douleur était trop insoutenable pour qu’aucune pensée cohérente ne vienne à Kasumi à l’apparition du démon dans toute son immondice. Au lieu de lutter, il s’effondra à genoux tandis que tous ses muscles et ses tendons se crispaient, au bord de la rupture. Il ne pouvait contenir un tremblement irrépressible, tout juste s’empêcher de se mordre la langue. Au bout d’un moment, il parvint cependant à bafouiller :

- Je… je n’ai pas… échoué. La torture… est ton… dernier recours, monstre.

[Mornagest]

"Ce que je cherche à te faire comprendre, c'est qu'ici, je suis le maître..."

La douleur cessa. Kasumi transpirait à grosses gouttes, et se massait les tempes, le front... tout son corps semblait pris de soubresauts nerveux dûs aux sensations très désagréables de la douleur...

"... et que si tu ne veux pas passer l'éternité ici à souffrir mille douleurs, tu ferais mieux de m'écouter, sot impudent. Peut-être n'as-tu pas échoué... pourtant, tu es mort. Si tu avais réellement réussi, tu serais sans nul doute autant mort que maintenant. Mais je ne serais pas là à te tourmenter. Ne comprends-tu pas que je représente ton échec, celui de toute ta vie ? Que si tu l'avais mieux menée, tu reposerais en paix, à l'heure actuelle ?"

[Kasumi]

Quête : rédemption

Encore hébété par la douleur qui sourdait dans certaines de ses articulations, c’est les oreilles sifflantes que le rôdeur se laissa aller à écouter Sans Nom. Puis, tant conscient que le démon attendait une réponse que pour retarder une nouvelle salve destructrice, le demi-elfe reprit la parole :

- Si j’ai échoué en quelque chose, Démon, c’est d’avoir fui devant toi plutôt que de t’affronter et de t’exorciser. Parle donc tout ton saoul, nous avons tout notre temps, n’est-ce pas ? J’espère que tu n’as pas d’autres obligations, renchérit Kasumi, mi amusé, mi résigné quant à son sort.

[Mornagest]

Le démon s'approcha encore de Kasumi, lui frôlant presque le front de sa patte énorme. D'un coup, il pourrait lui arracher la tête, puis la dévorer aussitôt... mais ce n'était ce qu'il désirait.

"Ne serais-tu pas tenté de revenir à la vie, et pouvoir achever ce que tu n'as pu faire à Lumenis et ailleurs ? J'en ai le pouvoir... mais tu dois en avoir la volonté. Malheureusement, pour l'instant, tu ne m'as voué qu'hostilité et mépris... Imbécile. Je te suis autant nécessaire, que partie intégrante de ton esprit. Comment serais-je ici, avec toi, sinon ?"

[Kasumi]

Quête : rédemption

Le rôdeur ne bougea même pas lorsqu’il sentit l’haleine infecte du démon sur son visage. Alors que celui-ci pouvait le déchiqueter en un instant, il ne songea même pas à opposer de résistance : si le démon décidait d’en finir, ce serait pour le mieux. Kasumi se contenta de répondre calmement :

- J’ignore presque tout de toi démon, jusqu’à ton nom et tes motivations. Oui, je souhaiterais poursuivre le combat mais pas si cela signifie que tu pourras agir sur le monde à travers moi. Peut être crois-tu que j’ai besoin de toi pour revivre, mais je suis certain que toi aussi tu as besoin de moi. Lequel de nous deux le souhaite le plus ardemment, Démon ?

[Mornagest]

Tonnant, le démon étala sa fureur.

"Toujours, tu persistes à ne pas comprendre ? Je suis toi. En toi. En ton esprit. Et voilà ce qu'il s'imagine, ton esprit. Je peux le contrôler, en partie. Tu peux te contrôler... un peu. Le reste, c'est moi. Tout ce qu'il t'es arrivé depuis ta mort. Je suis ton seul lien avec le monde des vivants. Et tu es mon seul lien avec le monde des morts. Chacun de nous deux désire ce que l'autre possède, non ? Un marché que l'on pourrait conclure, ne crois-tu pas ?"

Il avait quelque peu baissé le ton tout en discourant... ce qui n'indiquait pas qu'il s'était calmé pour autant. Ce genre de créatures avaient une conception très particulière de la patience, entre autres.

[Kasumi]

Quête : rédemption

Kasumi se mordit les lèvres. Les marchés conclus avec des démons comportaient toujours des clauses que l’on n’imaginait pas avoir souscrites. Et pourtant, la situation semblait inextricable. Il n’y aurait point de repos sauf à pousser le démon à bout ou à tenter de négocier au mieux cet obscur marché. Le demi-elfe se raccrochait de toutes ses forces à ses convictions, refusant de céder à l’odieux chantage. Pourtant, il releva les paroles du démon :

- Ton lien avec la mort, Démon ? Souhaiterais-tu que je te l’apporte ? Cela ne semble pas un trop lourd tribut pour renoncer à ta compagnie…

[Mornagest]

Le démon sourit, cette fois.

"Tu commences à comprendre. Reste à accepter... cette opération ne peut se faire sans quelques concessions. De ma part comme de la tienne, cependant. Vivant en toi, enfin... autant que faire se peut, évidemment, je suis obligé de subir ce que tu subiras, d'accepter ce que tu accepteras... et au bout, nous serons tous deux libres l'un de l'autre, et nous pourrons poursuivre notre chemin."

Il s'était métamorphosé en un être humanoïde à l'apparence plus sympathique, n'était-ce que ses yeux toujours flamboyants. Il recula un peu, pour se laisser observer par le rôdeur. Et, alors qu'il le regardait plus attentivement, Kasumi se rendit compte qu'il avait en face de lui son double parfait...

"Je suis autant toi que tu es moi. Comprends-tu, à présent ?"

[Kasumi]

Quête : rédemption

Avec horreur, Kasumi ne put s’empêcher de voir la peau écailleuse recouvrant ses avant-bras. S’efforçant d’échapper à la vision cauchemardesque qui lui avait fait emprunter les traits de son pire ennemi, il regarda droit dans les yeux son « reflet » :

- Quelles concessions devrais-je consentir, Démon ? Au bout de *quoi* nous séparerons-nous ? Penses-tu que j’accepterai que tu sèmes haine et chaos en mon nom ? Je suis ton prisonnier mais tu es aussi le mien. Retourneras-tu dans ton sinistre Plan ou hanteras-tu le mien si je te laisse partir ?

[Mornagest]

Avec mépris, le démon répondit :

"Bah ! Comme si j'avais cure de rester en toi ! Je n'ai pas eu le choix, figure-toi... Ma parole t'importe certainement très peu, mais je te la donne... tu auras oublié tout de ma présence en ton esprit, une fois tout ceci terminé. Quant à ce qui nous attend, ma foi... c'est indescriptible. Eh... je te vois méfiant. Évidemment... un être démoniaque ne peut que mentir, trahir, masquer, tricher ! Penses-tu que les humains soient forcément meilleurs ? Je te laisse le choix. Soit tu acceptes de tenter le coup, et tu pourras revenir à la vie, soit... autant te faire à l'idée que tu passeras l'éternité à mes côtés, aux côtés d'une créature si démoniaque, mais qui pouvait te sauver..."

[Kasumi]

Quête : rédemption

Kasumi se contenta de hausser les épaules face au mépris affiché par son alter ego à son égard. Les deux êtres étaient si opposés et par la même occasion si liés l’un à l’autre que le récit aurait pu inspirer quelque récit tragi-comique de la part d’un barde peu inspiré. Le rôdeur se moquait comme d’une guigne de l’approbation du démon et ne fit aucun effort pour paraître conciliant :

- Tu voudrais que je verse une larme pour le mauvais sort qui s’est acharné contre toi ? Me laisses-tu davantage le choix ? Une éternité de tourmentes par ta seule présence nauséabonde ou un oubli total ? Non, si nous devons passer un accord, Démon, je veux garder le souvenir de toi, me rappeler qui je dois traquer. En dehors de cela, je suis prêt à accepter tes épreuves : aussi ignobles soient-elles, elles ne seront que douces caresses en comparaison de la compagnie d'une vipère à mes côtés.

[Mornagest]

"Je te l'ai dit, tu oublieras... parce que tu m'auras enfin chassé de toi. Grand bien nous fasse ! Mais, assez parlé... que le spectacle commence."

Le décor changea une énième fois, oscilla, se troubla... Les couleurs prirent d'autres tons, passèrent sur du vert intense, mêlé de marron, d'orange, de jaunes divers... l'air était frais, presque piquant après cet espace qui semblait confiné au rôdeur. Une forêt, déduisit-il rapidement, selon ce que ses sens percevaient.

Les troncs immenses et séculaires le dominaient de leur splendeur. Une fine rosée couvrait les feuilles des rares buissons qui ornaient le sol couvert de feuilles mortes, et le souffle de Kasumi, prenait une vague allure fantomatique en se condensant brièvement devant son visage.

Soudain, un fracas vint troubler la quiétude qui régnait en ces lieux paisibles. Un combat avait lieu, non loin de là.

[Kasumi]

Quête : rédemption

Les sensations l’assaillirent comme s’il s’éveillait d’un long sommeil. Il eut pleinement conscience de la brise caressant les frondaisons, de la douce senteur des feuilles se décomposant avec une infinie lenteur, du rude toucher des troncs millénaires. Tout inondait la sérénité et la normalité d’un foyer retrouvé, d’une aube ensoleillée après un cauchemar.

Cependant, la sensation ne dura pas. Ses réflexes de soldat balayèrent la bienheureuse quiétude, son instinct de chasseur balaya ses pensées apaisantes. Un bruit parvint à ses oreilles aux aguets. Son premier réflexe fut de chercher une branche solide puis il se dirigea vers l’origine du trouble, aussi silencieux qu’un souffle, prêt à surprendre les intrus.

[Mornagest]

Il arriva sur les lieux mêmes d'où provenaient les bruits de combat. Il avait une vague impression de déjà-vu, impression qui se muait petit à petit en certitude, tandis qu'il écartait la branche qui lui masquait quelque peu la vue : des yuan-tis, entre autres, qui combattaient des humains vêtus de mailles, équipés également d'épées...

La bataille faisait rage, et Kasumi reconnaissait chacun des visages qu'il voyait maintenant ; des compagnons rôdeurs, ceux qu'il avait aidé à occire ces créatures malfaisantes. Il se cherchait des yeux, mais ne se trouva pas. Il était en dehors de tout cela... et les reptiles paraissaient prendre le dessus.

hrp : pas mal de boulot cette semaine, désolé pour le retard, je vais accélérer un rien le rythme.

[Kasumi]

Quête : rédemption

Il ne fallut pas longtemps à Kasumi pour se rappeler les circonstances de ce combat qui avait vu la mort de plusieurs rôdeurs de la Haute Forêt. Cependant, il était présent alors. Cette fois, la sensation était différente. Il se sentait comme étranger aux évènements jusqu’à ce qu’un grand yuan-ti ne décapite le vieux Maeric. L’homme grisonnant avait captivé le jeune Kasumi de ces histoires rocambolesques lors des veillées tardives de son enfance. Il avait pris la place d’un père trop peu présent lorsque les rôdeurs se réunissaient autour du feu après le dur labeur et les rondes de la journée. Et maintenant il était mort sans que le demi-elfe puisse intervenir…

Le rôdeur oublia le démon, oublia les énigmes, oublia la forêt : un instant il était simple observateur, celui d’après il bondissait dans le dos du lézard meurtrier, épées sorties du néant pointées vers la nuque de l’être honni.

[Mornagest]

Il s'était avancé sans bruit, et pouvait désormais frapper l'adversaire dans le dos sans aucune peine ; le lézard ne s'était pas retourné. Kasumi voulut porter un coup qui aurait dû être mortel, mais ses épées ne fendirent que l'air... alors que la créature n'avait pas bougé.

Il tenta à nouveau de porter un coup, sans plus de succès : ses lames ne rencontrèrent rien. Il n'avait pas de substance physique... La voix du démon retentit dans sa tête, sans parler aussi fort qu'auparavant, cependant.

"Amer constat, que de rester impuissant alors que l'on assiste à un massacre, non ? Voici ce qui se serait déroulé si tu n'étais pas venu au secours de tes amis..."

Il achevait à peine ses paroles que les rôdeurs gisaient tous au sol, qui la gorge tranchée, qui le cœur transpercé...

"De nombreuses autres victimes potentielles attendent que tu viennes les sauver d'une mort atroce. Souhaiterais-tu que je te montre également ce qui arrivera à tes amis luméniens, si tu n'oses pas revenir à la vie... ?" Il prenait un ton presque sadique.

"Songe aussi... qu'avaient donc ces créatures ? Quel était leur crime, sinon se trouver sur votre passage ? Est-ce que ta justice est aussi impartiale que tu le penses ? La mort était-elle justifiée ?"

Petit à petit, les corps des rôdeurs se redressaient, leurs plaies disparaissaient, et c'étaient maintenant les lézards qui étaient allongés au sol, le corps mutilé par le combat qui avait réellement eu lieu, des années auparavant.