[Bâtiment] Ambassade de Manost

[Lothringen]

Lothringen haussa un sourcil perplexe. C'était à se demander si Mornagest se souvenait d'avoir déjà passé la nuit précédente à l'ambassade. L'empoisonnement lui avait-il perturbé l'esprit à ce point ?

"Hé bien, c'est comme hier : nous avons deux chambres contiguës."

Il y avait certaines apparences à sauver, même vis-à-vis de ses subordonnés... Et comme il s'attendait un peu à ce que le guerrier s'effondre comme une masse sur le matelas sitôt pénétré dans la chambre, ils seraient plus à l'aise ainsi, non ?

Une fois sa toilette terminée, Lothringen s'extirpa le premier de sa cuve, pour enfiler une chemise propre qui avait le mérite de sentir les herbes ou le parfum de la lavandière, mais rien qui puisse rappeler de trop près leur expédition de l'après-midi. Il s'adossa alors au rebord pour regarder son compagnon.

"Comment te sens-tu ? Je veux dire... à part la fatigue. Le poison n'a pas laissé d'autres séquelles ?"

[Mornagest]

Le guerrier rougit. Sa distraction était phénoménale, par moments... il s'empressa de changer de sujet en répondant à Lothringen.

"Je ne sais pas vraiment. Difficile à dire si la fatigue est uniquement due à la journée qu'on vient de passer. Je me sens faible, mais partant pour dormir sans trop d'agitation. On verra avec le temps..."

Il réprima un baîllement de justesse. Les poches qu'il avait sous les yeux auraient pu contenir des livres tellement elles étaient grandes.

"Tu as d'autres choses à régler ? Sinon, je pense qu'il serait sage de filer se coucher, tant qu'on le peut."

Hrp : oui, moi aussi je suis distrait

[Lothringen]

Il avait vaguement l'impression qu'on lui signifiait son congé. Ravalant une susceptibilité qu'il avait toujours eue un rien chatouilleuse, il répliqua :

"J'ai fait renouveler les mesures de sécurité mises en place la nuit dernière, Tagarys s'occupera de ce bouge, et je n'ai, à part ça, rien de plus à régler. Si Tymora le permet, tu pourras dormir tout ton saoul. Bonne nuit."

Sur ces mots, il ramassa ses affaires et se retira dans sa chambre.

HRP: jamais remarqué. D'ailleurs, il ne me semble pas que quelqu'un est en train de rouiller à la Main de Gloire, mais impossible de toute façon de me rappeler qui.

[Mornagest]

Il ne se fit d'ailleurs pas prier pour s'effondrer et se mettre à ronfler rapidement, non sans avoir tant bien que mal passé les évènements de la journée en revue. Son esprit divaguait d'une scène à l'autre, sans connexion logique. Il revoyait cette stupide créature convoquée pour un prix qui dépassait l'entendement, voleter autour de lui tandis qu'ils combattaient les sbires de Dargor, qui se mua peu après en monsieur T, sans raison...

Peu après, il sombra dans le pays des rêves sans histoires, sans souvenir, reposants et détendants.

Il ne se réveilla qu'à l'aube, referma les yeux, mais ne put se rendormir. Il décida de se lever, malgré les courbatures qui lui torturaient les muscles. Son épaule était encore ankylosée, mais il pouvait s'en servir. Restait à espérer qu'ils n'auraient pas à combattre aujourd'hui. En revanche, il se sentait un peu faible, comme s'il n'avait pas dormi assez. Toujours ce poison ? Il espérait bien que non...

Il sortit dans le couloir, à la recherche de son compagnon.

[Lothringen]

Lequel n'y était pas et dormait encore, selon toute vraisemblance.

Lothringen s'était couché aussitôt après avoir révisé ses sortilèges, mais, en dépit de la fatigue, le sommeil l'avait fui. Il n'avait cessé de ressasser la journée passée, tout ce gâchis, cette violence inutile, ces décisions prises à l'aveugle, la catastrophe et la mort qui guettaient au moindre détour : heureusement que toutes ses journées ne ressemblaient pas à celle-là...

En considérant le rôle qu'il venait de jouer dans cette affaire, il ne pouvait se prévenir de ressentir un certain malaise; il avait l'impression de courir après des chimères et de perdre de vue l'essentiel en chemin. Pourquoi faisaient-ils tout cela ? Pour la vengeance, ou plutôt, pour permettre à Mornagest de se maintenir à l'une des dernières places au monde où le semi-drow aurait souhaité le voir ?

Il ne parvenait pas non plus à s'ôter de l'esprit les paroles de Mornagest, au cimetière :

"J'ai besoin de savoir si nous sommes toujours nous-mêmes..."

Qu'est-ce que cela voulait dire ? Allait-il voir venir le jour où Mornagest lui reprocherait ce qu'il faisait pour lui, l'accuserait de se trahir, en tirerait prétexte pour le rejeter ? Une fois qu'il aurait pris de l'assurance, qu'il n'aurait plus besoin de lui... Après tout, ils avaient passé si peu de temps ensemble, le manostien n'accordait-il pas sa confiance un peu vite ?

Il gémit, les yeux clos. Ses soupçons n'étaient pas fondés, une part de lui le savait, mais son esprit inquiet ressassait et ressassait toujours. Il prenait des risques énormes dans cette histoire, et pas seulement politiques. Dorson l'avait trahi. Seina l'avait trahi. Que cela se reproduise, et...

On n'obtient jamais rien pour rien, jeune impatient, murmura une voix moqueuse, quelque part au fond de son esprit. Avant qu'il n'ait eu le temps de réagir, il sombrait dans un profond sommeil réparateur, dont le lever du jour ne parvint pas à le tirer.

[Mornagest]

Les couloirs étaient pour ainsi dire déserts. Les occupants de l'ambassade devaient probablement prendre leur déjeuner, vu l'heure, ou s'affairer, dans leur bureau, à leurs nombreuses tâches administratives. Aussi le guerrier n'hésita pas à se promener tranquillement dans le bâtiment, en attendant que son compagnon se lève. Il serait bien capable de jeûner un peu...

Ses pensées virevoltaient à nouveau, comme souvent lorsqu'il était seul et qu'il avait un peu de temps devant lui. Les remises en question avaient été multiples, ces derniers mois. Il se souvenait presque parfaitement de son parcours... un sinistre assassinat qui l'avait envoyé tout droit en prison, puis vers Lumenis, où il avait survécu par miracle à une tentative d'assassinat et une inculpation de complot contre le pouvoir en place, puis à Manost... le moment charnière. Sa rencontre avec le semi-drow... depuis, ce qu'il poursuivait avant lui paraissait bien étranger, désormais. Et maintenant, que faisait-il ? Pour mieux fuir le collier mélandien, il prenait la place la plus élevée de sa hiérarchie. Un délire complet qui risquait de lui coûter la vie, ainsi qu'à Lothringen. Se le pardonnerait-il si cela devait arriver ? Certainement pas.

Pour la première fois, également, vint se poser cette curieuse interrogation face à sa relation intime avec le semi-drow. Il avait accepté cela si facilement... rien ne l'en prédisposait cependant, sinon un cruel manque d'affection qu'il tentait maladroitement de combler. Il n'avait, il fallait aussi le dire, connu que très peu de femmes, et la plupart n'avaient guère les atouts pour tenter le guerrier, bien au contraire. Le visage d'Helena lui apparaissait, flou, ténu. Les détails manquaient, s'estompaient avec le temps. La blessure s'était refermée, la vie avait repris le dessus ; pour combien de temps ? Son espérance de vie avait très probablement chuté depuis sa nomination.

Secouant la tête pour tenter de chasser ces fichues pensées qui revenaient le harceler avec la régularité agaçante des attaques nocturnes d'un moustique, il prit conscience qu'il avait plus ou moins fait le tour de l'ambassade, et qu'il se trouvait maintenant devant la chambre de Lothringen. Aucun son n'en parvenait ; mieux valait le laisser dormir. Il alla chercher un petit fauteuil, dans un salon non loin, et s'installa devant la porte, fermant les yeux et essayant tant bien que mal de penser à autre chose.

[Lothringen]

Le soleil était déjà bien haut quand Lothringen ouvrit enfin les yeux. Il avait dormi comme une masse, ou plutôt, comme s'il venait de recevoir un coup de massue. A peu près l'effet que lui avait fait les pouvoirs du moine, dans les souterrains... Il se massa douloureusement le crâne, grimaçant à cause de la lumière du jour qui agressait ses yeux ; il avait dû oublier de fermer les volets, la veille. Enfin, il était reposé, au moins... Et si on ne l'avait pas réveillé en dépit de ses recommandations, c'était que la fin du monde attendrait encore quelques heures.

Il se lava, puis se vêtit sans hâte. Certaines courbatures le tiraillaient encore vivement, et il avait toujours l'impression que des entraves lui sciaient les articulations. Il lui suffirait néanmoins d'avoir autre chose à l'esprit pour ne plus le sentir, sans doute.

De la chambre de Mornagest n'émanait aucun bruit. Soit il dormait, soit il devait être parti déjeuner... Aussi le semi-drow fut-il un peu surpris de trouver le guerrier devant sa porte, affalé dans un fauteuil.


"Oh. Dommage, le salua-t-il avec une compassion sincère. Pour une fois que tu pouvais dormir tranquille..."

[Mornagest]

Il l'accueillit avec un sourire. Le savoir reposé lui faisait plaisir. Quelque part, cela signifiait en partie qu'il avait pu trouver le sommeil, et le garder. Être hanté par les cauchemars qui l'affligeaient avant ne devait pas être évident. Le guerrier s'aperçut d'ailleurs avec honte qu'il n'avait posé aucune question à ce sujet depuis qu'ils s'étaient revus ; une carence qu'il allait combler au plus vite.

"Je n'ai pas tellement l'habitude de dormir beaucoup, même en étant exténué comme hier. Et toi ? Tu as encore ces problèmes de cauchemars ? Tu ne m'as pas raconté la suite de nos péripéties avec les pixies..."

Il se souvenait avec amusement, maintenant que c'était passé, leur rencontre avec ces petites pestes. Un vrai fléau ! Mais ils s'en étaient finalement sortis. Comme ils le feraient dans la situation actuelle, d'ailleurs.

[Lothringen]

"Hé bien, après ton départ, j'ai ramené le mage à Ysté, où je l'ai fait loger à l'auberge et soigner par le prêtre helmite qui nous avait vendu ces infâmes potions de régénération, tu te souviens ? Eloern était en un sale état, mais le prêtre a fini par le stabiliser, et c'est à ce moment-là que je suis rentré à Manost. L'archimage, lui, s'y est téléporté quelques semaines plus tard, une fois remis.

J'ai attendu deux jours puis je suis venu me rappeler à son bon souvenir. C'était une rencontre... intéressante. Je sais enfin d'où Ravestha tient son caractère des grands jours. Bref, pour prix de l'avoir sauvé, je lui ai demandé de m'aider à lutter contre ces cauchemars, dresser des barrières mentales, ce genre de choses. Il a accepté et nous avons commencé l'entraînement. C'était... pénible. Mais j'ai fait des progrès. Non que les cauchemars surviennent moins souvent... ça a toujours été très aléatoire: rien pendant deux mois, puis plusieurs nuits de suite, par exemple... Mais grâce à ces exercices je peux désormais interrompre leur déroulement et les empêcher d'arriver à leur terme. Evidemment... au finale, ça me coûte autant d'énergie que si je demeurais passif. Mais ça ne fait pas tout à fait le même effet, tu comprends ? "

Il fronça les sourcils ; rejeter les tentatives de prise de contact de son maître lui était aussi douloureux que de se renier soi-même, mais à la fin il avait néanmoins la satisfaction de savoir qu'il reprenait le pouvoir sur sa vie. Et pour preuve: ne venait-il pas d'évoquer ce sujet délicat entre tous sans que l'émotion ne le submerge ?

[Mornagest]

Le guerrier essayait de s'imaginer la chose. Des cauchemars, il en avait eu toute sa vie, ou presque. Naturellement, mais cela n'enlevait rien à leur cruauté...

"Je pense. Tu n'as pas à subir les conclusions de ces cauchemars, c'est ça ? J'imagine que c'est sûrement moins pénible ainsi."

En général, ses propres songes terminaient de façon assez violente. Il se souvenait notamment de cette nuit où il avait rêvé de Lothringen se métamorphosant en démon abominable et enflammé, qui lui brûlait la peau, le corps, l'esprit... il frissonna en se remémorant ce douloureux rêve.

"Est-ce que tu penses pouvoir encore améliorer la situation ? Avec des contre-sorts, ou de l'entraînement ?"

[Lothringen]

Il baissa les yeux sur sa main, très occupée à jouer avec la garde de sa hache...

"Bien sûr. Ma marge de progression est importante, il me l'a toujours dit... Et Eloern ne me dit pas autre chose. Le problème est qu'en magie tout se tient ; il va venir un temps où pour progresser davantage il me faudra progresser dans tous les domaines, et pas seulement celui de la résistance aux sorts mentaux. Recourir à des illusions pour voiler mon esprit, mieux comprendre comment fonctionne ce sortilège de cauchemar pour en exploiter les faiblesses, par exemple... Or, je ne passe plus assez de temps dans les salles d'étude pour renforcer mes pouvoirs magiques de manière vraiment conséquente. Avec Eloern, je n'ai fait que combler une lacune, un défaut dans l'armure... Je résiste mieux à présent, presque aussi bien que si j'étais étranger à mon tourmenteur - mais je reste un apprenti face à un archimage."

Interrompre ses études de magie, au risque de ne jamais réaliser pleinement le potentiel qui était le sien, c'était un choix qu'il avait fait il y avait bien longtemps de cela, quand il s'était enfui d'Outreterre. En règle générale, il ne le regrettait pas, parce que le niveau de magie qu'il avait atteint auprès de Dorson lui permettait déjà de se faire respecter parmi les surfacins. Mais la frustration intellectuelle qui en avait résulté était bien réelle, sans compter sa grande vulnérabilité face à son maître. Pour l'instant, ce dernier ne semblait pas pressé d'exploiter la faille, se contentant de ces cauchemars déstabilisants sans aller plus loin... Espérait-il ainsi pousser Lothringen à la faute, lui faire révéler dans quelle partie du monde il se cachait ? N'était-ce que pour le plaisir de le harceler ? Ou encore... Ah, il s'était suffisamment torturé l'esprit avec ces questions insolubles; il faudrait vivre avec.

[Mornagest]

Le guerrier grimaçait à mesure que Lothringen lui expliquait l'état des choses. À ses yeux, s'améliorer dans d'autres domaines que le combat ou la politique relevait de l'impossible, n'en ayant jamais pratiqué. Alors, en magie...

"Je vois... il faudra que tu reprennes ta progression, alors. T'extraire de ce résidu d'esclavage qui te lie encore à lui. Mais j'imagine que ça demande beaucoup de temps... plus que tu ne puisses en disposer ?"

À ses yeux, se débarrasser de ses cauchemars était le plus important, finalement. Le passé resterait à jamais gravé dans la mémoire du semi-drow, mais s'il revenait le hanter de la sorte jusqu'à la fin de sa vie, le supporterait-il ? Combien de temps ?

[Lothringen]

"Ma charge me laisse peu de temps libre, c'est certain. Rien que pour me libérer et venir te voir, ce n'a guère été facile. Quant à l'idée de me replonger dans les études magiques... Il m'a fallu cinq ans pour envisager seulement de remettre les pieds dans une guilde de mages. J'ai le sentiment que c'est lié à lui de trop près, tu comprends ? J'incante comme il m'a appris à le faire, je raisonne comme il m'a appris à raisonner... Tout se fait souvenir et pas du meilleur cru : je n'ai plus de goût pour la chose. Mais tu as raison, au demeurant : la meilleure parade contre la magie, c'est une autre magie."

Il retint un soupir. Peut-être pourrait-il s'y remettre sérieusement, le jour où il ne siègerait plus au conseil ; mais ce jour-là, Eloern ne serait probablement plus là pour l'aider : il lui faudrait apprendre seul, partir à la chasse aux ouvrages rares... L'apprentissage de la magie est chose fort prenante, et les autodidactes ont toujours besoin de beaucoup plus de temps que les autres.

[Mornagest]

"Tu es donc face à un dilemme... combattre le lien par la magie qu'il t'a enseigné, au risque de te rappeler à son bon souvenir, ou rester sans cesse sous l'influence de ces cauchemars. Lequel est le plus risqué, selon toi ?"

Il s'était levé, étirant distraitement ses muscles engourdis par le manque de mouvement. Oui, décidément, son épaule lui jouerait des tours s'ils devaient combattre. Autant attendre patiemment le rapport de l'espion envoyé dans les bas-fonds, en espérant que cela se calme un peu.

[Lothringen]

Lothringen détournait le regard, embarrassé. Il ne s'était jamais posé la question dans ces termes, à vrai dire. A chaque fois qu'il était frappé par un cauchemar, il se disait que ce n'était plus possible, qu'il fallait y trouver une solution définitive, mais il en restait aux velléités et ne tardait pas à faire semblant d'oublier, à passer autre chose, à se dire que ce n'était pas si terrible, qu'il pouvait vivre avec, et cela durait.

"Je... je ne sais pas. Si seulement je savais ce qu'il veut... "

Après un silence, il reconnut :

"Il a toujours envisagé les choses à long terme et je crois que d'une manière ou d'une autre le temps joue pour lui. Le plus dangereux est sans doute de ne rien faire..."

Mais que pouvait-il faire ? En réalité, il connaissait la réponse : Eloern la lui avait donnée. Ce qu'il pouvait faire, c'était aller l'affronter jusque dans le rêve, accepter de l'affronter 'face à face', par la magie interposée... Ne pas se contenter de perturber le déroulement du rêve, aller chercher la volonté qui se cachait derrière lui, qui en était à l'origine... et qui, peut-être, n'attendait que cela.

Il frissonna.

"Pour l'instant, je ne suis pas assez fort, à plus d'un titre, pour combattre directement ce lien. Voilà ma seule certitude..."

[Mornagest]

D'après ce qu'en avait conté Lothringen, le guerrier n'en doutait pas : Dorson était réellement puissant. Un archimage... lui-même n'en avait jamais rencontré. Des individus capables de beaucoup, en bien comme en mal. Et quand il voyait son compagnon agir avec tant d'aisance, connaissant tant de sortilèges, puis qui déclarait humblement n'être qu'un vulgaire apprenti en la matière, cela le laissait rêveur - ou plutôt, inquiet face à la menace latente.

"Tu peux sans doute progresser davantage que lui, non ? Je veux dire... quand on en connaît moins, on apprend plus vite, souvent. Dans des branches classiques, du moins. Enfin, comment pourrais-tu progresser ? Uniquement par l'étude ? Progresser ailleurs, mais comment ?"

Plus il en apprenait, plus il s'embrouillait dans tous ces concepts. Mais il voulait essayer de comprendre, de savoir. Non qu'il pensait pouvoir aider son compagnon, sauf peut-être de manière indirecte, en l'encourageant à poursuivre ses efforts et en le soutenant moralement. Au-delà de ces actes simples, il se sentait terriblement impuissant et étranger face à cette magie, toujours un inquiétant synonyme d'inconnue, de maléfique, de trompeuse...

[Lothringen]

Lothringen sourit à demi. Mornagest ne connaissait décidément pas grand chose à la magie, et le semi-drow se demanda s'il retrouverait ce genre de naïveté sur toutes les lèvres des profanes. Probablement... Il n'avait pas vraiment eu l'histoire de tout le monde.

"Progresser plus vite que lui ? Sans doute. A son niveau, on n'apprend plus. On expérimente. On découvre. On invente. Il lui a tout de même fallu de sept à huit cents ans pour en arriver là, et je n'ai pas une telle espérance de vie devant moi.

Sur le principe, tu as raison, cela dit : plus le niveau est faible, plus on apprend vite. Mais le temps est loin où je pouvais apprendre un nouveau sortilège en quelques jours... Seuls les mages-nés peuvent progresser d'instinct ; pour nous autres, entraînement et étude sont les seules solutions."

Il se tut un moment. Il avait l'impression de se trouver une multitude de bonnes excuses pour demeurer passif et ne rien faire, et il sentait qu'il ne devait pas donner une image très valorisante de lui-même, en cet instant.

"Je sais... Je sais que ma prudence ressemble beaucoup à de la lâcheté, et de fait, pendant des années, je n'ai rien su faire d'autre que fuir et serrer les dents. Mais les choses ont commencé à changer, lentement mais sûrement, depuis que je suis sur Dorrandin. L'an dernier, avec Seina, nous avons tué ceux qui me suivaient... J'ai brisé leur sphère de communication... Et, grâce à Eloern, je combats les rêves... Je sais que ce n'est pas assez, que je ne dois pas m'en contenter. Ecoute... Jamais je n'ai autant souhaité tourner le dos à tout cela... Son emprise... m'est de plus en plus insupportable... "

D'autant que tant qu'une partie même infime de moi restera sienne, je ne pourrai pas tout à fait être à toi. Nous en avons eu la preuve, au Bosquet. Que le passé pèse autant sur l'avenir, voilà ce qui m'est vraiment intolérable...

Lothringen releva les yeux sur son compagnon. Mornagest était le seul à savoir, pour les rêves... Le seul avec qui il ait eu envie de se montrer réellement tel qu'il était, et non tel qu'il se donnait à voir.

"Avant, il me manquait une raison de me battre. Ce n'est plus le cas. Je veux faire cet effort... Pour toi, pour nous. Je vais continuer les exercices avec Eloern, et selon ce qu'il me dira, j'essaierai de bloquer deux jours par semaine pour reprendre les études, en les ciblant sur ce qui pourra m'être le plus utile. Le sort de cauchemar dépasse mon niveau actuel, mais pas de beaucoup. Eloern prétend que si j'apprends à le lancer, j'en maîtriserai les pièges..."

[Mornagest]

Tant de similitudes avec l'apprentissage du combat, et pourtant, si éloignée, la magie révélait encore à Mornagest bien des surprises, comme à chaque fois qu'il en parlait avec Lothringen. Des implications bien plus profondes qu'il ne l'imaginait de prime abord ; un apprentissage des plus ardus, il s'en doutait, mais à quel prix ! Même un guerrier de son niveau n'avait pas besoin de consacrer tant de temps à l'amélioration de ses aptitudes. Bien sûr, il avait toujours à apprendre, comme en témoignaient ses nombreuses cicatrices lui bardant la peau, mais tout de même...

Il songeait, ému, aux propos de son compagnon. Pour eux... n'était-ce finalement pas leur moteur commun ? Quoi d'autre les poussait à agir comme ils le faisaient, depuis tout ce temps ? Résister, se moquer des autres, avancer... tant de choses qu'il fallait apprendre à faire quotidiennement. Et au bout du compte, ils ne s'en sortaient pas si mal que ça. Bien sûr, l'avenir prédisait une nouvelle séparation, une longue période sans se voir, des risques probablement mortels. Mais là aussi, le prix à payer était infime par rapport à ce qu'ils pouvaient gagner. Encore un parallèle avec la magie ? Décidément...

"Tu n'es pas lâche. Reculer, réfléchir et connaître son adversaire relève de la sagesse. À quoi sert de foncer aveuglément, si c'est pour mourir en brave, mais en idiot ? C'est certain, tu gagnes du temps ainsi, mais tu dois le mettre à profit pour arriver un jour à repousser ses attaques mentales."

Si facile à dire... il ne pouvait évidemment se figurer ce que cela représentait concrètement.

[Lothringen]

[LEFT]C'était ce qu'il avait besoin d'entendre. Exactement cela. Les mots prennent une autre saveur dans la bouche d'un autre... Au fond, il n'avait jamais vraiment perdu le nord, dans cette affaire; il savait ce qu'il avait à faire, et ce qu'il devait éviter. Il savait aussi qu'il n'avait pas de temps à perdre, et que, quelles que soient les intentions de son maître, il était évident que le statu quo ne pourrait durer toujours... Ce dernier charriait trop de souffrance ; il ne pourrait reconstruire sa vie sur des cendres. Il fallait qu'il puisse passer à autre chose. Repousser des attaques mentales, ce n'était pas la même chose que d'affronter directement : c'était à sa portée. C'était à sa portée et il le voulait. [/LEFT]
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[LEFT]"J'ai longtemps repoussé le problème, mais je te promets que ce ne sera plus le cas."

Le temps d'un battement de paupières, il se remémora son dernier cauchemar. Les détails en demeuraient toujours gravés avec une telle netteté...
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[LEFT]
[/LEFT]
[LEFT]"La forêt du Téthyr, je présume ? Tu as réussi à altérer ce rêve. Et, pour ne rien me révéler, tu l'entraînes dans un passé que je connais déjà. Ingénieux et sage. Tu progresses. Mais il faudra quelque jour que tu m'expliques pourquoi tu te défies ainsi de moi. Que crains-tu ? C'est toi qui peuples tes rêves de ce que je t'inspire. Souffrance et culpabilité, pour ce que j'en retiens... Moi... Je t'ai laissé partir. Ne fais pas l'étonné ! Tu l'as toujours su. Je t'ai laissé partir. Et, la dernière fois que nous nous sommes vus, n'est-ce pas toi qui as levé la main sur moi... "[/LEFT]
[LEFT]Ces paroles qu'il me susurre dans le sommeil, tromperie sans mensonges, comme avant, comme toujours. Je n'en veux plus. Je chasserai sa voix...[/LEFT]
[LEFT]
Lothringen s'avisa de ce que Mornagest avait reprit ses étirements, avec une grimace quand il devait se masser l'épaule. Il revint alors à la réalité présente.

[/LEFT]
[LEFT]"Tu es venu aussitôt te planter devant ma porte, ce matin ? Tu n'as croisé personne, ni déjeuné ?"[/LEFT]

[Mornagest]

Voilà qui plaisait à Mornagest : une décision importante, qui ne pourrait s'avérer, au final, que bénéfique. Lothringen devait s'attaquer à la racine du problème, même si cela impliquait des heures, des jours de lutte et d'efforts ; c'était très certainement préférable au sort qui l'attendait s'il se laissait emporter par les courants de son désespoir...

"Bien. Bonne décision", répondit-il laconiquement, tout en souriant. "Je n'ai pas mangé, je préférais t'attendre. J'en ai profité pour faire un petit tour du propriétaire. J'ai dû croiser quelques personnes, mais je ne faisais pas attention. Tu as faim ?"

La question revenait souvent lors de leurs conversations. Amateur de bonne et abondante chère, le guerrier ne refusait que très rarement un repas, et encore moins en compagnie du demi-drow.

[Lothringen]

"Une faim d'ogre", plaisanta Lothringen, qui savait déjà qu'il n'avalerait pas le tiers de ce que prendrait son compagnon. Ils se déplacèrent alors, sans hâte, vers la salle à manger. C'était un moment de la journée que Lothringen n'appréciait guère, lorsqu'il était seul, et qu'il abrégeait autant que possible, quitte à mécontenter son estomac. Mais, s'il était accompagné, c'était bien différent, et il pouvait alors profiter de ce moment privilégié où l'on pouvait être ensemble, sans songer à rien d'autre que d'assouvir sa faim, persister dans son être, partager sa présence au monde. Y avait-il rien de plus essentiel, après tout ?

Du reste, la conversation qu'ils venaient d'avoir l'avaient un peu bousculé, et il avait besoin de ce répit pour se remettre les idées en place.

Les plats attendaient sur la table, et un serviteur vint prendre les commandes de boisson. Lothringen prit du lait chaud et commença de tartiner du pain de seigle avec du miel coulant, collant, et délicieux. Il ne tarda pas à s'en mettre un peu partout sur le menton et les manches et le coup d'œil amusé de Mornagest le fit partir d'un éclat de rire incontrôlable.

Rire. Cela lui avait manqué...

[Mornagest]

Rire, c'était contagieux, et le guerrier, jadis sinistre et au cœur empli de rancœur mélancolique se joignit rapidement aux éclats sans fin de son compagnon. Se retenant vainement de pouffer, Mornagest faillit recracher son lait, avant de l'avaler difficilement, pour éclater lui aussi de rire. Il fallait dire que l'austère demi-drow, responsable de la diplomatie à Manost, cité Helmite, rigoureuse et droite comme un I, ainsi tartiné de miel et l'air aussi dégoûtant qu'un petit garçon venant de commettre une grosse bêtise avait de quoi marquer les esprits...

"Ça te va bien", finit-il par réussir à prononcer, une larme au coin de l'œil. "Tu fais tout de suite moins terrifiant, comme personnage..." il gloussa, puis repartit à nouveau. Cela faisait tant de bien ! Que n'avaient-ils l'occasion de rire plus souvent, plus librement, sans penser au lendemain !

"Je crois qu'il va falloir que je t'apprenne les bonnes manières", lança-t-il sur un ton faussement sévère, fronçant les sourcils avec un aspect des plus grotesques.

[Lothringen]

Terrifiant, rigoriste ? Telle était sans doute l'image qu'il construisait de lui, lorsqu'il devait endosser son rôle de conseiller manostien, et il en était du reste parfaitement conscient. Pourtant, si on lui en avait fait la description sans le nommer, il ne se serait probablement pas reconnu... Il n'était pas un homme d'expérience, endurci dans la politique – mais un jeune semi-drow à peine adulte, propulsé au conseil un an plus tôt sans l'avoir seulement brigué, qui n'avait certainement pas été élevé pour commander, et qui avait toujours préféré la marge au premier rang...

D'ailleurs, il n'avait pas vraiment eu d'enfance, et de temps à autres, la faille se rouvrait.

"D'accord, d'accord, dis, dis !!" répondit Lothringen sur un ton de petit garçon à qui l'on vient de promettre un nouveau jouet. Les bras relevés au dessus de la corbeille de pain, il tentait vainement d'empêcher les dégoulinades de miel liquide de ruisseler jusque sous ses poignets."Si tu as un truc pour arrêter ça, je veux bien t'appeler papa."

Que faire ? Il y avait bien une serviette à proximité, mais tout ce miel serait perdu. Or, tout poisseux qu'il soit, ce dernier était délicieux. N'y tenant plus, Lothringen se mit à se lécher les doigts l'un après l'autre, en s'efforçant de ne pas trop pouffer à chaque fois qu'il surprenait les mimiques expressives de son compagnon.

[Mornagest]

Tout prêtait à rire. Le ton, les paroles, l'attitude résolument enfantine... parfois, souvent même, Mornagest oubliait que selon les standards drows, Lothringen était plus jeune que lui...

"Je crois qu'une bonne fessée te fera le plus grand bien !" poursuivit-il sur la même note pseudo-sévère qu'il ne savait du reste pas bien prendre, rajoutant à la comédie.

"Tu es répugnant... laisse-moi te montrer comment faire", dit-il en s'emparant du pot de miel, en y trempant carrément le doigt, puis le léchant allègrement en affichant un sourire béat - et niais - de satisfaction vis-à-vis de la sucrerie, tout en s'adossant mollement sur sa chaise.

"Voilààà. C'est mieux comme ça. Mais ne crois pas échapper à ta correction !" Il se leva, faisant mine de se jeter sur son compagnon.

[Lothringen]

Lothringen se ramassa exagérément sur sa chaise et croisa les bras au-dessus de lui en guise de défense vaguement dérisoire.

"Naaannn... pas la fessée, pitié... et sinon, je te barbouille les joues !"

Il s'étouffait à demi de rire, les larmes aux yeux. La scène était tellement improbable, tellement cocasse aussi, en de telles circonstances ; à aucun moment il n'avait oublié quelles menaces ils venaient d'affronter, lesquelles planaient encore sur eux, et il prenait ce moment pour ce qu'il était : un répit, une grâce, suspendu entre deux abîmes.

[Mornagest]

Le guerrier arbora un sourire narquois, en soufflant :

"Chiche ?" et avant d'esquisser le mouvement tant redouté. S'ils s'étaient fait surprendre à ce moment, de quoi auraient-ils eu l'air ? De deux comiques en train de passer un bon moment ensemble, sans doute... cela dit, dans un ambassade officiel, entre un haut responsable manostien et son homologue mélandien, cela prêtait à réflexion quant aux discordes passées entre les deux cités.

Mornagest observait, tandis qu'il poursuivait le jeu, son compagnon. Les souvenirs s'entrechoquaient encore dans son esprit. Cette fameuse nuit, dans le bosquet... empli de nostalgie soudaine, il fit un gros effort pour n'en rien laisser paraître et continuer à faire l'andouille. Mais au fond de lui, il ressentait une vive, immédiate envie de faire l'amour avec Lothringen, et cela réveilla en lui une mélancolie latente depuis leur dernière rencontre...

Tout cela ne dura qu'une fraction de seconde, un battement de coeur, pendant lequel Lothringen ne vit heureusement rien. Le sujet était tellement délicat...

[Lothringen]

Le semi-drow se releva brusquement pour arrêter le guerrier dans son geste ; il lui saisit les poignets et fit semblant de lutter pour le repousser. Cependant, il s'efforçait de reprendre son souffle, car l'accès de fou rire le suffoquait presque.

"Je... ah ! "

Il dut reprendre son inspiration, avant de pouvoir regarder Mornagest en face. Deux nuits plus tôt, l'attentat... Sa pâleur alors. Le carreau dans l'épaule. Son corps étendu sur le dallage. La cohue dans la salle de réception de l'Antichambre. Ce combat insensé contre un colosse, alors qu'il luttait encore contre le poison. Le sacrifice ignoble dans les cryptes. Toute cette angoisse et cette rumeur de mort autour d'eux... Lothringen oublia soudain ce qu'il voulait dire, et prononça simplement.

"Ce devrait être ainsi plus souvent."

Sur un sourire, il lâcha à regret les mains de Mornagest, et recula pour se rasseoir, sans cesser de le regarder. Que ne peut-on mettre le bonheur en conserve...

[Mornagest]

Un sourire pour un autre. Le guerrier contemplait celui de Lothringen, empli de sérénité, né sur un sentiment de paix, de bonheur. Un moment qu'ils venaient de partager, comme bien peu ils en auraient dans les heures à venir. Si fugace, et pourtant, il savait qu'il en conserverait à jamais le souvenir. Le reste ? Aucune importance. Bon sang ! Pourquoi se démenaient-ils autant, alors que l'existence recelait des plaisirs si simples, si bien cachés, mais pourtant si évidents à trouver ?

Il se redressa, puis souffla simplement :

"Autant que tu le voudras... du moment qu'on ne risque pas de nous surprendre. Imagine les jaseries sinon !"

Au fond de lui-même, il y attachait une importance proche du zéro absolu. Mais il n'ignorait pas que cela pourrait éventuellement avoir des conséquences plus fâcheuses pour leur avenir.

"Hum... tu as assez mangé ? Comme la moitié de ton repas s'est retrouvé sur tes mains..." en esquissant un nouveau sourire taquin.

[Lothringen]

Lothringen n'accorda qu'un bref regard dédaigneux à ses paumes poisseuses au doux parfum de salive et de miel.

"J'ai pu sauver l'essentiel. Moins ce que je comptais essuyer sur ton visage, évidemment", conclut-il sur un clin d'œil.

Le semi-drow se décida enfin à se rincer les mains dans la bassine prévue à cet effet, avant de se les frotter longuement sur une serviette originellement blanche. Au terme de l'opération, il avait récupéré ses extrémités, mais force lui était de faire le deuil de ses manches. Peu importe.

"A vrai dire, j'ai encore faim. J'ai veillé tard, cette nuit... A croire que le sommeil ne voulait pas de moi. Je n'ai pas toujours besoin d'un sortilège maléfique pour mal dormir. Restons encore un peu, si tu veux bien ?... Quitte à ce que cela nous tienne aussi lieu de déjeuner."

Se rasseyant, Lothringen entreprit de se couper des tranches dans un quatre-quarts qui avait l'absolu mérite d'être bien cuit, et donc parfaitement SEC.

[Mornagest]

Il reprit place à table, également.

"Tu sais que tu n'as pas beaucoup besoin de me pousser à manger. Et même sans manger, du moment qu'on peut se détendre un peu... mais, tu as assez dormi ? L'estomac bien rempli, c'est une chose, mais l'esprit clair... je pense que c'est irremplaçable, même par un bon repas."

Il était un peu inquiet à ce sujet. S'il parvenait, pour sa part, à sombrer dans un sommeil profond en quelques minutes, Lothringen éprouvait régulièrement des difficultés à s'endormir. Et visiblement, ce n'était pas du fait de Dorson. La situation actuelle paraissait l'affecter davantage encore que lui-même, ce qui était un comble. Se faisait-il tant de soucis pour lui ? Pour eux deux ? Il n'osait imaginer ce que cela pouvait alors représenter, lui qui passait déjà le plus clair de son temps libre à virevolter entre pensées sinistres envers l'avenir, et souvenirs mélancoliques d'un passé à jamais éteint...