[Habitation] La Maison Desmoulins

[Taliesin]

Taliesin fit effort pour demeurer impassible.
-Promis, l'année prochaine, on fera les choses bien. On invitera les Merlus, oui. Et avec un peu de chance, je pourrai me joindre à vous.
Tout en parlant, il s'efforçait de trouver une échappatoire; Aller sur les quais ne présentait aucun danger, pour l'instant, mais ç'aurait été par trop cruel de montrer à l'enfant les préparatifs d'une fête dont il serait privé. Ce qu'il ignorait encore.
-Par contre, je doute que les employés de la ville apprécient qu'on aille traîner dans leurs pattes tandis qu'il travaillent... En plus, je risque de devoir courir la ville toute la journée, et toute la nuit... Alors si on pouvait rester ici, ça m'arrangerait d'autant... Enfin, on peut aussi aller près du Fort, vu que de toute façon je devrais t'y conduire tout à l'heure... Enfin bref : en dehors de ses considérations géographiques, je veux bien faire ce que tu voudras, du moins tant que ça n'implique pas que je te rende en mauvais état à Galathée.

[Galathée]

« Oh… mais si on doit rester ici… Hum… Peut-être que… Je sais pas. »
Victor haussa les épaules et leva les yeux au plafond.
« J’imagine qu’on peut lire ou écrire ou… tu peux me raconter ce que tu fais ! C’est quoi ton travail pour l’instant ? Galathée fait des grands mystères, elle dit que c’est condifenciel, mais que tu pourras sans doute en parler plus tard, mais tu sais bien que moi je suis comme un toit de prison, je dis rien à personne, comme si j’étais de marbre. Alors tu me racontes ? J'dirai rien à Galathée, je jure sur mon honneur de Desmoulins ! »

[Taliesin]

[LEFT]Taliesin grimaça..
[/LEFT]
-Je n'ai pas le droit, Victor. Je vous fait entièrement confiance, à toi et à Galathée, et j'aimerais bien vous en parler. Mais je n'en ai pas le droit, malheureusement. Dis-toi... Dis-toi que je suis un peu comme un agent secret. Un espion. Que je travaille secrètement pour la ville et que ça ne doit pas se savoir. Ça, tu vois, c'est déjà un secret, et si tu en parlais, j'aurais de gros ennuis. Mais, comme je l'ai dit, je te fais confiance; Pour le reste... Je voujs dirai tout, à tous les deux, lorsque mon travail sera terminé. Promis.

[Galathée]

Victor se renfrogna et croisa les bras.
« On peut pas sortir, tu peux pas me raconter ce que tu fais. Pourquoi tu choisis pas toi ce qu’on peut faire, alors ? » s’exclama-t-il avec mauvaise humeur.
La grimace qui déformait son visage aurait pu être affreuse si elle n’avait pas quelque chose de charmant. Comme une expression idéale de la bouderie. Mais il se redressa bien vite.
« Alors tu vas m’apprendre à jouer de la harpe. Histoire que je puisse faire une surprise à Galathée ! Ça lui en boucherait un coin si je pouvais lui faire une petite ritournelle ! Je suis sûr que j’peux y arriver ! »

[Taliesin]

Taliesin commençait à se dire que ç'avait été une mauvaise idée de vouloir s'occuper de Victor dans les circonstances actuelles. Heureusement, il était en mesure de satisfaire la dernière demande, et il sut gré à l'enfant de sa bonne volonté.
-Bien sûr que tu le peux ! Et c'est une excellente idée. Viens ça, mon grand.
Il se leva et, récupérant son instrument, s'installa devant la cheminée où le feu crépitait toujours, joyeux. Lorsque Victor vint s'assoir à côté de lui, il lui montra comment tenir la harpe. Puis, doucement, il guida ses mains sur les cordes, lui montrant comment les penser pour en obtenir des notes claires et cristallines. Reproduisant, sans vraiment s'en rendre compte, les gestes qu'avait eu son propre maître, plus de cent ans auparavant.
Le petit garçon se montra appliqué et étonnamment patient, malgré la difficulté de la tâche. Mais, malgré son enthousiasme, vint un moment où ses doigts commencèrent à se raidir. Taliesin conclut donc la séance en lui montrant quelques exercices simples qu'il pourrait reproduire en son absence.
-Je vais laisser la harpe ici... fit-il. Je n'en aurai pas l'usage dans l'immédiat... Tu peux t'en servir autant que tu veux, mais prends-en soin : j'y tiens beaucoup.

[Galathée]

« C’est gentil, je ferai très attention ! Je la défendrai avec ma vie ! » s’exclama-t-il. « Bon. Je crois que je vais aller rejoindre Galathée, maintenant. Je connais le chemin, tu dois pas t’en faire. J’espère que tu passeras une aussi bonne soirée que nous à la Fête de la Lune ! C’est pas parce que tu travailles que t’es obligé de pas en profiter du tout. Moi, j’comprends pas, je trouve que tout le monde devrait avoir congé quand c’est la fête, sinon c’est pas juste. Mais peut-être que de là où tu seras, tu verras le feu d’artifice quand même… C’est haut un feu d’artifice ! »
Il sourit.
« A demain, alors ? »

[Taliesin]

-A demain, oui. Si tout va bien.
Quelques instants plus tard, immobile sur le pas de la porte, il regardait Victor s'éloigner à grandes enjambées dans la rue de l'Orme Creux. Il aurait préféré l'accompagner jusqu'au Fort, pour être certain qu'il arriverait sans mal à bon port. Mais l'enfant s'en serait sans nul doute offusqué. Et puis... Il valait mieux qu'on ne les voit pas ensemble. Surtout ces temps-ci.
Maussade, l'elfe rentra dans la maison et entreprit de se préparer. Il passa son armure, s'emmitoufla dans son manteau, ceignit son épée, accrocha arc et carquois à son épaule. Autant de gestes lourds de signification, de menaces. Autant de gestes q'uil faisait à regrets.
Mais il n'était plus temps de songer à cela : l'heure avançait, il devait se mettre en route immédiatement sous peine d'être en retard au repaire.

[Taliesin]

Après son départ du temple, Taliesin avait écumé les magasins du port pour acheter les diverses choses dont il avait besoin. C'est donc les bras chargés de paquets qu'il franchit la porte de sa demeure. Une fois déposés sur le sol, et sans attarder son regard sur le décor familier qui l'entourait, sous peine de voir déborder les pénibles émotions qui le tenaillaient, il ranima le feu puis se mit en devoir de préparer son paquetage. Cela lui prit moins de temps qu'il ne l'aurait voulu et, bien trop vite à son goût, il se retrouva oisif. Sombre, lugubre, il s'installa devant la cheminée et, pour tenter de se détendre, essaya l'herbe à pipe qu'il avait achetée - en abondance - à un marchand halfling.
Au fur et à mesure que le temps s'écoulait, il vint à fermement douter qu'attendre le retour des siens était une bonne idée. Il aurait un mal terrible à s'arracher à eux, à disparaître dans les ténèbres glacées desquelles il ne se voyait plus émerger - n'en déplaise au tenancier de la Bienveillance qui, s'il lui avait sans peine accordé son congé, espérait le revoir au plus tôt.
Peut-être le mieux était-il de laisser une lettre ? Cela rendrait les choses moins difficiles... Pourtant, il n'en avait pas la force. Pas la force de partir sans avoir échangé quelques mots, une étreinte avec Galathée. Il avait besoin de chaleur, de lumière. De quoi le maintenir sur pied durant les terribles semaines à venir. C'était un choix à double tranchant, mais il n'était pas assez vaillant pour adopter l'autre solution.
Tant pis. Il lui faudrait assumer. Et tenir bon.
Puissent les dieux l'y aider.

[Galathée]

Galathée et Victor rentrèrent alors que la nuit était déjà tombée sur Luménis. Ils se glissèrent dans la maison, emportant avec eux un peu d’hiver, mais la flambée chaleureuse qui les attendait leur arracha immédiatement un sourire. Comme de coutume, Victor fut le plus prompt, et il vint embrasser Taliesin, le gratifiant d’une étreinte glacée.
« Bonsoir ! Ouah, fais chaud, ici, c’est chouette. Tu as vu le feu d’artifice hier soir ? C’était beau, hein ? Nous, finalement, on n’a pas pu y aller, parce que Galathée s’était foulé la cheville alors elle pouvait pas marcher, donc on est restés ici… »
La rôdeuse échangea une grimace embarrassée avec le barde.
« Mais c’est pas grave, parce qu’on habite tellement près qu’on voyait mieux encore, et puis on était au chaud ! Maintenant, Galathée a moins mal au pied, elle a pu aller travailler quand même. »
Il sourit.
« Je vais me changer ! »
Et en un éclair, il avait disparu.
« Ne dis rien, je ne suis pas fière. » murmura la rôdeuse. « Mais honnêtement, je ne voyais pas quoi lui raconter. »

[Taliesin]

Taliesin, aussi embarrassé que Galathée, s'arracha un sourire contrit. Après tout, ils auraient très bien pu se rendre à la fête : il ne s'y était rien produit de dangereux...
-L'important est qu'il n'ait pas été trop triste... Et que vous ayez quand même pu un peu profiter du spectacle. souffla-t-il.
Il se tut. Une boule s'était formée dans sa gorge, et, à cet instant, il comprit qu'il aurait dû laisser un mot. Ne pas chercher à les revoir avant son départ. Les adieux allaient être déchirants. Il resterait digne, bien sûr. cacherait l'essentiel. Mais il en était déjà malade à l'avance.
Pourtant, il fallait crever d'emblée l'abcès. Cela gâcherait la soirée, bien sûr. Mais moins, peut-être, que s'il gardait ça sur le cœur jusqu'au dernier moment.
-Je...commença-t-il avant de s'interrompre. De se racler la gorge. Gal. Les choses ont pris un tour nouveau. Je vais devoir quitter Luménis dès demain matin. Pour dix jours, au mieux. Quinze, plus probablement.
Voilà, c'était dit. Il se détourna brusquement et s'aveugla dans la contemplation des flammes qui dansaient dans l'âtre. Il avait réussi à ne pas rajouter "Pour toujours, peut-être". C'était déjà ça.

[Galathée]

« Je sais. » dit simplement Galathée.
Elle lui prit la main, lui déplia les doigts et caressa doucement l’intérieur de sa paume.
« Et je voudrais que tu ne vois pas ça comme un désastre. Je serai ici, avec Victor, nous t’attendrons. Et tu pars entouré de personnes de valeur, pour une cause qui, j’en suis certaine, est juste. Vous reviendrez. Il ne peut pas en être autrement. J’en suis persuadée. Je n’ai pas peur, je voudrais que tu n’aies pas peur, toi non plus. »
Elle leva la main pour l’empêcher de parler et l’embrassa sur les lèvres.
« Nous nous sommes trouvés après des années d’errance et d’expériences douloureuses. Nous ne nous perdrons pas. Si cela t’apaisait, je partirais avec toi, mais je pense… je pense que tu dois affronter ce déchirement pour réaliser que les choses ont changé. Que nous avons la vie avec nous, cette fois. Que tout ce qui nous sépare nous rassemble aussi, que nous ne sommes pas simplement, éternellement, en sursis. Tu partiras demain, comme je l’ai fait autrefois, et tu reviendras dans dix jours ou un mois, et je t’attendrai. »

[Taliesin]

Taliesin voulut parler. Mais sa gorge était sèche, et il ne put émettre le moindre son. Ainsi, d'autres avaient parlé. On lui avait imposé le poids du mensonge, du secret, tandis que d'aucuns se laissaient aller à des confidences... Il en ressentit une profonde colère, mais celle-ci disparut presque aussitôt, remplacée par un chagrin sans limites.
Il serra plus fort la main de la rôdeuse, croisa un instant son regard.
Puis, brusquement, se leva. Alla se planter devant la cheminée.
-Gal... fit-il, obstinément tourné vers l'âtre. J'aimerais partager ton espoir, ta confiance. J'aimerais vraiment. Mais... Mais j'en suis incapable... Tu sais... Je ne devrais pas dire ce que je vais dire, j'en suis conscient. C'est mélodramatique à souhait, ridicule, peut-être. Pourtant, je ne peux pas faire autrement. Et j'en serai rongé jusqu'à la f... Jusqu'à mon retour, si je ne le fais pas. Et puis, il faut que je parle tant que Victor n'est pas là. Quand il reviendra... Quand je l'aurais dit, nous ferons comme si je partais pour une promenade. Comme si tout allait bien. Nous passerons une merveilleuse soirée et, demain, nous nous dirons juste au revoir. Mais d'abord...
Il soupira, et ses épaules furent animées d'un violent tremblement.
-Gal... Il y a de fortes chances pour que je ne revienne pas. Pour que je tombe en accomplissant ce qui doit être accompli. Ce ne sont pas que des mots : nous affrontons quelque chose d'immense, et les Dieux seuls savent si nous avons le pouvoir de réussir. Alors, je veux te dire... Je t'aime, Gal. Et j'aime ton fils. Comme si c'était le mien. Je veux que vous le sachiez, que vous n'en doutiez jamais. Que vous sachiez aussi que c'est l'espoir de vous revoir, de te revoir, qui me fera tenir tout au long de ce voyage obscur et glacé. L'espoir, aussi, des jours qui s'ensuivront. Si nous réussissons... Alors les Luméniens me feront peut-être confiance, et me laisseront tranquille. Et... Et j'aurais peut-être moins peur, moins honte de moi.
Il serra les poings.
-Même si on me le proposait, je ne pourrais accepter de me défiler, de rester ici alors que d'autres risquent leur vie pour une cause juste. Je ne pourrais plus jamais me regarder en face, assumer ma lâcheté. Je dois faire cela. Parce que c'est ce qui doit être fait, pour le bien de Luménis. Pour moi, aussi : pour me montrer que je suis encore capable d'agir pour ce qui est bon. Que tout ce que j'entreprends n'est pas voué à l'échec, au sang, aux cendres. Alors j'irai. Et je ferai mon possible pour revenir.
Il baissa la tête, puis se redressa et se tourna vers la rôdeuse, esquissant un pâle sourire.
-Voilà, c'est dit... Désolé de t'avoir infligé ça.

[Galathée]

Le torrent d’émotions qui venait de se déverser sur elle laissa Galathée muette, un instant. Puis, plutôt que de dire quelque chose, elle enserra les épaules du barde, l’embrassa sur la tempe, se rapprocha de lui.
Au-dessus d’eux résonnait la sarabande des pas de Victor. Il ne tarderait pas à redescendre, avec sa bonne humeur bouillonnante, repousserait les aveux douloureux au cœur de la nuit, et la rôdeuse savait que Taliesin avait besoin de repos, s’il devait entreprendre une longue route le lendemain.
« Je sais que tu reviendras. » dit-elle simplement. « Et si tu ne reviens pas, j’irai te chercher. Je suis déjà allée loin pour te récupérer. Je ne laisserai aucun destin nous faire du mal. »
Elle sourit doucement, lui caressa les cheveux, nichant son nez contre son cou.
« Tu as déjà affronté des choses immenses, et tu es toujours là. Je suis fière de toi, pour ce que tu vas risquer. Et je suis fière que l’obligation ne soit pas ta seule motivation. Et je t’aime, et Victor t’aime, et nous n’imaginons pas la vie sans toi. Je ne doute pas de toi. D’aucune manière. Et je suis certaine que Luménis apprécie ce que tu fais à sa juste valeur. »
Elle lui frôla la joue.
« Pars sans crainte et reviens-nous. »

[Taliesin]

Taliesin serra Galathée contre lui.
-Je reviendrai... lui glissa-t-il à l'oreille.
Et, à cet instant, son envie d'y croire, son désir de partager l'optimisme de la jeune femme était tel que la conviction qui faisait vibrer sa voix n'était pas feinte. Oui, il reviendrait. Il en était persuadé. Et alors les jours pourraient s'écouler, heureux, sans fin.
Il l'embrassa avec fougue puis se détacha d'elle comme les pas de Victor résonnaient dans l'escalier.
-Mais en attendant ces joyeuses retrouvailles, nous avons jusqu'à l'aube pour en profiter ! lança-t-il, avec un sourire des plus sincères.

[Galathée]

Galathée lui ébouriffa les cheveux, le sourire aux lèvres, et se leva.
« Ne me mets pas au défi. » souffla-t-elle alors que Victor regagnait la salle de séjour.
Comme de coutume, la rôdeuse en profita à son tour pour monter, tandis que l’enfant prenait le relais. Il était de bonne humeur, avait passé la journée à cavaler dans la cour du fort en compagnie du fils d’une des cuisinières et des jumelles d’un des maîtres-chiens. Apparemment, on les laissait faire plus ou moins ce qu’ils voulaient, et ils avaient déniché des épées d’entraînement dans une des remises attenant aux écuries. Ils avaient ensuite passé l’après-midi à défaire les troupes morféennes dans la paille des écuries, le froid glacial les ayant chassés du dehors. Galathée redescendit à temps pour écouter le bouquet final de ces aventures, les bras croisés, un léger sourire aux lèvres, tandis que l’enfant relatait sa lutte avec emphase. Il semblait parvenir à évoquer les troubles de la dictature comme s’il s’était agi d’une fiction issue d’un lointain passé. Taliesin n’y décela en tout cas aucune tension.
Laissant au barde le soin d’annoncer son départ à l’enfant, la jeune femme s’esquiva ensuite vers la cuisine, où elle se mit en devoir de leur préparer un bon repas. Malgré elle, la rôdeuse réalisa qu’elle avait opté pour un repas consistant, alliant poularde, pommes de terre, lard et oignons, histoire de bien remplir l’estomac de son amant avant les grands froids du dehors.

[Taliesin]

Taliesin n'avait pas quitté l'enfant des yeux, gagné par une émotion qu'il s'efforçait de cacher. Victor allait mieux. Beaucoup mieux. Et les choses n'iraient qu'en s'arrangeant. Peu à peu, il laissait derrière lui les ombres, les cauchemars. Cela faisait un bon moment que ses nuits n'avaient plus été ponctuées d'accidents. Bientôt, il serait totalement rétabli. Si l'on considérait tout ce qu'il avait vécu, subi, il y avait de quoi être impressionné... Et espérer.
Du bout des doigts, l'elfe frôla une griffure sur la pommette gauche du gamin. Sans doute une balafre récoltée lors de ses affrontements contre les sinistres sbires du Tyran...
-Content que tu aies trouvé des amis et de quoi t'occuper aux écuries... dit-il d'une voix faussement enjouée. Tu ne verras donc pas d'inconvénient à accompagner encore quelques temps ta mère au travail... Pour ma part, je vais devoir quitter Luménis pour un certain nombre de jours, et il faudra donc remettre à plus tard nos leçons, excursions et jeux divers.
Voilà, il savait, à présent. Il y avait peu de risques que Victor le prenne mal, où s'en attriste visiblement. Mais le barde était content d'en avoir fini avec ces désagréables annonces.

[Galathée]

« Tu pars ? Pas trop longtemps, j’espère, parce que sinon je vais te faire signer un papier où il est mis toutes les choses que tu as dit qu’on ferait, parce que je parie que tu vas faire semblant que tu as oublié. Tu devras mettre « Moi, Taliesin, je déclare sur l’honneur que je vais aller aux Thermes avec Victor Desmoulins tous les jours jusqu’à ses 25 ans. » Je parie que tu avais déjà oublié, mais tu l’as promis. »
Devant la mine interdite de l’elfe, il embraya.
« Et aussi, de toute façon, tu dois me rapporter un cadeau. Je suis certain que tu vas voir des trucs incroyables quand tu seras parti, alors tu dois me ramener quelque chose… Tu sais, comme Galathée elle faisait quand elle partait, elle, avant… Dans ce village que je sais déjà plus comment il s’appelait, où elle devait mettre ses mains dans le ventre des vaches. Ça elle fait plus ici, tu sais, j’ai vérifié. Je te jure ! Et je la surveillerai pendant que tu n’es pas là, je préviendrai tous ces soldats qui viennent dans les écuries qu’elle est déjà prise ! »
« Victor, tu veux bien arrêter tes salades et venir me donner un coup de main ? » demanda alors Galathée, en déposant la marmite du jour sur la table.

[Taliesin]

-Va pour le cadeau ! fit l'elfe en emboîtant le pas à Victor. Pour le mot, je veux bien te le signer, mais j'ai dans l'idée que tu en auras assez que je t'accompagne aux thermes bien avant tes 25 ans...
Il entreprit d'aider l'enfant à mettre la table. Il était toujours ému et triste : mais son cœur, étrangement, était déjà moins lourd.
-Pour les soldats... Je compte sur toi, oui, reprit-t-il dans un murmure parfaitement audible par la rôdeuse.
Puis il se redressa et adressa un large sourire à celle-ci.
-Le pauvre aura du travail... Et pas qu'avec les soldats. Un certain clerc appelé Belenn m'a beaucoup parlé de vous, ma douce... Et un rôdeur répondant au nom de Kasumi en a fait de même...

[Galathée]

Galathée sourit à ces derniers mots mais Victor la devança.
« Kasumi, je le connais. S’il vient, je te promets que je lui parle, et maman pourra même pas le voir. Je le surveille pour toi. Belenn, par contre, je sais pas si je pourrais vraiment faire quelque chose, parce qu’il a un super cheval, et tu sais comme elle est avec les animaux, hein. C’est un petit étalon beige, j’en avais jamais vu des comme ça, avec des crins presque blancs, et alors il galope incroyablement vite. Il s’appelle Prince des Frelons. Tu sais, Belenn, il voulait être paladin, d’abord, mais après, il n’a pas pu parce qu’il aimait trop faire des bêtises. Il dit qu’en étant clerc, il peut en faire beaucoup plus. »
« J’espère qu’il n’est pas rentré dans les détails des bêtises en question. » fit alors Galathée.
« Il m’a dit que quand tu étais paladin, tu pouvais pas boire ce que tu voulais, que tu devais te coucher tôt, et que tu pouvais pas rendre visite à qui tu voulais, surtout si c’était des filles. Alors tu vois, moi je comprends qu’il ait pas eu envie de devenir paladin ! Moi non plus, j’voudrais pas, si c’est juste comme d’être un petit garçon qui peut rien faire. »
« Mais Taliesin sait qu’il peut me faire confiance, Victor. » intervint Galathée en les resservant de volaille. « C’est vrai que le cheval de Belenn me plaît beaucoup, mais son cavalier ne m’intéresse pas une seconde. »

[Taliesin]

-N'empêche ! fit Taliesin après avoir avalé une copieuse bouchée. Je ne savais pas que vous aviez fait si ample connaissance... J'en toucherai un mot à l'intéressé, tiens.
Son ton grondeur ne trompa personne, comme le prouva le regard amusé qu'ils échangèrent. Ils se turent ensuite un moment, savourant le repas préparé par la rôdeuse. L'elfe devait l'avouer : il n'aurait jamais pensé avoir un pareil appétit en cette veille de départ. Mais Galathée savait y faire et connaissait bien ses goûts...
-Bon, une idée pour occuper la soirée ? fit le barde comme ils entamaient le dessert. Il avait beau parvenir à contenir ses noires pensées, il ne fallait tout de même pas qu'il s'attarde trop à réfléchir

[Galathée]

« On va faire ton sac ? Moi j’voudrais bien voir ce que tu emmènes, tout ça. » dit Victor avec entrain.
« Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée, Victor. » intervint Galathée. « Mais peut-être pourrais-tu faire le plein d’histoires ? Tu sais bien que je suis loin de valoir Taliesin quand il s’agit de contes… »
« Tu peux le dire. »
« C’est un plaisir. »
« Moi j’aimerais bien une histoire avec plein de rebondissements. Puis à la fin, ils sauvent la princesse du donjon. »
La rôdeuse fit la grimace, mais ne dit rien.

[Taliesin]

-J'ai déjà fait mon sac, bonhomme... dit Taliesin. Pour qu'on ne soit pas ennuyés avec ça ce soir... Quant à une histoire, oui, pourquoi pas, hum... Je dois avoir quelque chose du genre... - il jeta un regard espiègle à Galathée - peut-être même une avec des tas de princesses enfermées dans des tours qui supplient des chevaliers de les libérer... puis qui, lasses de les attendre, se libèrent toutes seules et volent au secours desdits damoiseaux...
Il sourit.
-A quelle heure a-t-il le droit de se coucher ? demanda-t-il finalement à la rôdeuse. Le temps dont on dispose est un élément fondamental dans le choix d'une histoire.

[Galathée]

La rôdeuse hésita, puis leur laissa deux bonnes heures, après quoi, elle avait l’intention de forcer le barde à un minimum de repos. Il voulait bien évidemment profiter de la soirée, qui ne l’aurait voulu, mais elle savait que la route vers les montagnes serait difficile, et qu’il n’aurait probablement plus l’occasion de profiter d’une véritable bonne nuit avant longtemps. De plus, un peu égoïstement, elle avait envie de le sentir contre elle, peut-être en elle, pour une dernière fois avant quelques temps. Elle ne doutait pas qu’il reviendrait. Ce n’était qu’un au revoir, pas un adieu, il fallait juste qu’ils soient patients… Mais quand même… Le lit serait froid pendant des jours, peut-être des veilles entières… Il fallait que son empreinte, son odeur, son souffle, y soient omniprésents. Ils l’étaient déjà dans son cœur et son âme, mais rien de tel qu’un oreiller à serrer contre soi aux petites heures solitaires.

[Taliesin]

L'histoire dura deux heures et vingt-cinq minutes. Vers la fin, Galathée tenta bien d'adresser des signes au barde pour lui dire de conclure, mais celui-ci ne les vit pas - ou fit mine de ne pas les voir - et continua comme si de rien n'était. Toutefois, il resta raisonnable, et la rôdeuse ne lui en voulu par trop car, si le conte comprenait effectivement une malheureuse princesse enfermée dans un donjon, il mettait aussi en scène une valeureuse rôdeuse et son familier hamster qui s'en allaient tirer des griffes d'une tribu de gnolls un magicien elfe qu'elle avait juré de protéger.
Lorsque Taliesin se tut enfin, Victor, qui avait écouté tout du long avec concentration et ponctué le récit de nombreuses exclamations, étouffa un bâillement caractéristique. Il ne faudrait pas beaucoup argumenter pour qu'il accepte d'aller se coucher... Taliesin leva alors un regard interrogateur sur Galathée : d'ordinaire, c'était elle qui s'occupait de border l'enfant. Mais en la circonstance, et si elle et Victor étaient d'accord...

[Galathée]

Galathée accepta sans difficultés de laisser la place à l’elfe, ce qui ravit le petit garçon. Elle lui annonça cependant que cela ne signifiait pas que Taliesin allait lui raconter une nouvelle histoire de deux heures, mais elle leur laissait une demi-heure de rabais. Au delà de ça, elle ne pouvait pas promettre au barde qu’elle serait encore éveillée, ce qui était une menace lourde de sens… et un petit peu en l’air.
Cela dit, elle avait un peu hésité. En laissant Taliesin border Victor, elle le laissait se complaire dans cette idée que son au revoir était un adieu, qu’il faisait certaines choses parce qu’il n’aurait peut-être plus jamais l’occasion de les faire, et cela semblait une très mauvaise idée. A force de se mettre des idées noires dans la tête, il allait finir par provoquer des catastrophes.
Victor, lui, n’y vit heureusement rien de tragique, et il monta gentiment dans sa chambre, commentant les dernières aventures que lui avait contées le barde avec un esprit critique d’historien en herbe.

[Taliesin]

Sitôt la porte refermée derrière eux, l'elfe jeta un regard circulaire sur la chambre, et prit soudain conscience que cela faisait des semaines qu'il n'y était plus entré. L'endroit avait bien changé, depuis leur arrivée dans la maison désertée. Les quelques possessions du gamin trônaient sur sa table de chevet et ses étagères. Pas des possessions de son ancienne vie - il avait tout perdu - mais celles qu'il avait acquises au cours de sa nouvelle existence. La statuette d'ours offerte par Kasumi. Les livres rapportés par Galathée. La pelisse en poil de rat musqué récoltée alors qu'ils se dirigeaient vers leur providentielle clairière...
Si tout cela était rangé avec soin, il en allait autrement des affaires plus quotidiennes de l'enfant : son lit était un chaos de draps et de couvertures traînant à moitié sur le parquet. Son pyjama, roulé en boule, gisait au pied d'un mur, là où Victor, doté au réveil d'une énergie que l'elfe ne connaissait plus depuis des lustres, l'avait balancé. Et un impressionnant - et odorant ! - tas de vêtements sales étaient entassés à la va vite sur une chaise et sur le sol alentour.
Un joyeux capharnaüm, donc. Cela réjouit le barde. Le petit garçon lui avait paru bien trop soigneux, jusqu'ici. Or, comme l'avait démontré un illustre érudit dont le nom lui éhcappait, le désordre était propice à l'imagination, à la créativité...
-A mon retour, il y aura du changement ! fit Taliesin en se tournant vers l'enfant. Je vais faire des traveaux, installer une salle de bain et de lessive à l'entrée de la maison, et vous obliger à y passer une heure à chacun de vos retorus du Fort. Non, parce que là, franchement, vous me transformez la maison en véritable écurie ! Si ça continue, je ne pourais m'empêcher de vous étriller et de vous donner à manger du picotin.

[Galathée]

Victor lui tira la langue et se pelotonna sous ses couvertures.
« Toi tu sens en général la vieille bière quand tu rentres de la Bienveillance, je parie, alors tu peux franchement parler. Moi je trouve que ça pue pas tant, les chevaux. On s’habitue à l’odeur, en fait. Puis de toute façon, c’est ma chambre ! J’viens pas mettre de bordel dans la tienne, alors tu peux rien dire ! Puis Galathée, ça la dérange pas. Et c’est elle qui décide ! »
Il décocha un sourire ravi à Taliesin, puis souffla la bougie. Cela n’empêchait évidemment pas l’elfe de discerner parfaitement ses traits.
« J’suis pas certain que je serai levé quand tu t’en iras demain matin, alors je te souhaite bon voyage. Ramène-moi un truc chouette, et… j’ai dit que je surveillerais maman, mais seulement si toi tu promets de pas faire le joli cœur avec toutes les demoiselles que tu rencontres ! Parce que je te connais ! J’ai bien vu avec Valaellyn ! »

[Taliesin]

L'elfe grimaça, songea protester, puis haussa les épaules.
-D'accord, c'est un contrat. Tu surveilles ta mère - et pas seulement à cause des messieurs, mais elle a tendance à se faire mal, ces temps-ci, tu as bien vu ! Et de mon côté, je promets de ne conterai fleurette à aucune damoiselle.
Il tendit la main pour ébouriffer les cheveux de l'enfant.
-Dors bien, Victor. Et on se voit dans quelques temps. Essaie quand même de faire gaffe à toi. Tu as failli te faire crever un œil, si j'en juge d'après les plaies que tu arbores fièrement ! J'aimerais bien te retrouver entier... Histoire de pouvoir te vendre un bon prix.

[Galathée]

« Tu veux me vendre ? » s’exclama Victor à mi-voix. « Alors faut que je mange plus, sinon j’vaudrai rien. »
Il soupira, bâilla à nouveau.
« A moins que je ne me fasse paladin, ou quoi. Ça rapporte mieux, tu crois ? J'pourrais aussi continuer à m'entraîner sur ta harpe... »
Il se retourna encore et l’elfe entendit sa respiration se stabiliser, puis devenir plus profonde. Malgré ses envies de bavardage, le gamin était en train d’être terrassé par le sommeil.

[Taliesin]

-Pour la harpe, tu peux t'en servir tant que tu veux... chuchota l'elfe.
Il se redressa, borda le gamin puis, après une hésitation, il se pencha et l'embrassa sur la joue.
-Fais de beaux rêves, bonhomme.
Il semblait que cette partie des adieux soit réglée... Galathée ne pourrait pas faire semblant de s'être endormie : ils étaient montés depuis moins d'un quart d'heure.
Décidément, tu ferais fortune comme endormeur d'enfants et soigneur d'insomniaques... songea-t-il, amusé.