Course d'orientation : le faux-jeton, le faux dieu et la rôdeuse (les verts !!)

[Voyageuse]

Astrée avait lu attentivement les explications de l'esprit. Elle acquiesça à la suggestion de Taliesin.
- Oui, il faut qu'on aille voir ces fermiers pour en savoir plus. Il faut aussi qu'on trouve la tête de ce malheureux, qu'on brûle son corps... Qu'on aille voir sa mère... Qu'on détruise l'épouvantail pour faire plaisir à notre aimable escorte ailée. Et qu'on ramène l'oeuf....
Elle soupira. Etait-ce un effet de son imagination ou leur quête s'allongeait-elle à chaque post?

Elle se sentait fourbue, courbattue, même si l'alcool avait cessé de faire de l'effet... Il faut dire que sa belle robe de bal n'était certainement pas adaptée à une si longue marche, et ses chaussures encore moins. Elle mourrait d'envie de renoncer à son rôle de princesse et de redevenir une simple rôdeuse... Mais par fierté, elle refusa de continuer à s'apitoyer ainsi sur son sort. Que penserait Taliesin de son attitude ? Sans doute la renierait-il...

Et donc, laissant là l'épouvantail décapité, ils prirent lentement la direction de la ferme. Victor suivait à quelques distance... Peut-être avait-il conscience, sans savoir comment, des sombres desseins que son tuteur nourrissait à son égard? Quoi qu'il en soit, il s'arrangeait pour qu'Astrée se trouve constamment entre lui et Taliesin.

Tout en avançant, Astrée réfléchissait à la stratégie à adopter, et partagea avec son compagnon ses quelques idées. Peut-être en aurait-il d'autres?
- Avec les habits qu'on a, on pourrait peut-être se faire passer pour des voyageurs, et même de riches voyageurs, complètement perdus. On verrait alors ce qu'ils nous disent... A moins que vous ne préfèriez qu'on se change et qu'on les accuse directement de meurtre... Dans tous les cas, ils tenteront sans doute de nous tuer à notre tour... Qu'en pensez-vous?

[Taliesin]

Taliesin tirailla un instant sa barbe puis acquiesça vigoureusement.
-Votre idée est excellente, Astrée. Nos atours, pour modestes qu'ils soient, donneront l'impression à nos interlocuteurs que nous sommes d'une condition bien plus élevée que la leur. S'ils sont fourbes, s'ils ont, comme je le pense, quelque chose à voir dans la mort de Nils, ils nous diront qu'il n'y a rien à craindre dans les environs, nous indiqueront un sentier, nous tendront un piège. Et alors, nous pourrons venger le malheureux...
Bien sûr, tout ça ne les aiderait pas à gagner la course d'orientation. Mais ils avaient l'objet : peu importait s'ils arrivaient tard auprès de la morveuse en rose. Et aider Nils lui paraissait bien plus important que ce jeu... Surtout s'il pouvait, ce faisant, éliminer Victor. Ou du moins lui faire souffrir mille morts. Ah ça, on ne le défiait pas impunément ! Le mioche l'apprendrait à ses dépens...

[Voyageuse]

Et c'est ainsi que nos trois aventuriers prirent le chemin de la ferme, Taliesin brillamment transformé en un noble seigneur, Victor jouant à la perfection le rôle du jeune prince, et Astrée... Astrée faisant de son mieux pour paraître élégante et raffinée dans sa belle robe de bal élégamment tâchée de boue, qu'elle avait de plus en plus hâte de quitter.
Heureusement, elle avait arraché ses talons hauts, mais elle sentait, sous les semelles ultra-fines, tous les cailloux du chemin, et devina qu'un certain nombre d'ampoules l'attendraient lorsqu'elle pourrait enfin poser ces fichues chaussures...

Arrivés devant la ferme, ils marquèrent un temps d'arrêt. Elle leur avait semblé déserte, silencieuse et morte tout à l'heure, et elle ne semblait guère plus peuplée à présent. Astrée chercha du regard les volatiles, lapins, chats, chiens et autres habitants habituels d'une ferme.... Sans doute étaient-ils dans une cour derrière...

Devant la porte, Astrée hésita soudain. Les habitants de cette ferme avaient déjà probablement tué au moins une personne. Ce n'étaient pas des enfants de chœur.. Ils allaient probablement s'en prendre à eux. Victor ne saurait pas se battre. Elle-même n'avait vraiment pas la tenue adéquate. Ce serait la catastrophe...
Soudain paniquée, elle fut tentée de faire demi-tour et serra un instant le bras de son compagnon. Mais celui-ci, résolu, se dirigeait déjà vers la porte à laquelle il frappa vigoureusement.

[Lothringen]

La porte manifesta quelques temps des velléités bien marquées de leur opposer toute la bête évidence de son chêne massif, inébranlé. Puis on entendit quelques pas lointains, dans le couloir - des piaillements de volaille, et même de chiens, dans une arrière cour invisible : cette ferme n'était pas déserte, elle en donnait seulement l'impression.

La porte grinça vers l'intérieur. Une petite fille, toute petite, blonde, avec une poupée de chiffons aux cheveux de paille, se tenait dans l'entrebâillement. Quatre ans, peut-être.

"Wwwaaaaahhh... M'man, viens voir ! Y'a des gens rigolos attifés comme le prince Poum et la princesse Pam !!"

La mère arriva quelques instants plus tard. Tenue simple de paysanne, tablier sanglant, nette tendance à refouler la petite dans l'abri du couloir.

"Il ne faut pas parler aux étrangers, Mara, on te l'a déjà dit ! Tu es trop petite !"

La femme se tint à son tour dans l'entrebâillement. Cheveux de paille, regard stupéfait sur leurs tenues respectives.

"Eh bien, bonjour... Ils font un bal masqué, aux olympiades ?"

[Taliesin]

Taliesin adressa un sourire lumineux à la paysanne. Et lorsqu'il parla, ce fut avec un accent des plus étranges... mais fort distingué.
-Une bal masqué ? Je n'en ai pas entendu parler, mais ce serait a very good idea ! Mais pardonnez-moi, je manque à le plus élémentaire des politesses. Je suis lord Edward William Blackmore, duc de Winstonchurchillshire, et voici mon amie, Lady Lucy Intheksywithdiamonds, comtesse de Yellowsubmarine. Nous voyagions vers Manost pour participer aux Olympiades lorsque notre carrosse a eu une très grosse accidente... Il est irrécupérable, le carrosse; Ainsi que notre cocher et nos autres serviteurs qui sont même morts, I thinki. A part Scarabée que vous voyez là - il désigna Victor d'un geste dédaigneux - qui a eu le mauvaise idée de survivre. Enfin voilà, nous sommes obligés de marcher jusqu'à le lieu des Olympiades, avec tous nos bagages et toute notre argent, ce qui n'est pas très prudente. Alors, nous aurions voulu savoir s'il y avait une itinéraire sûr pour que nous puissions y arriver sains et saufs et nous nous sommes dits que, comme vous habitez la région, vous sauriez peut-être nous l'indiquer... Bien sûr, nous vous en remercierions généreusement...

[Lothringen]

La femme écouta poliment son visiteur, paraissant accepter sa version des événements et apprécier à leur juste mérite ses promesses pécuniaires. Mais les riches anglais avaient juste oublié un "détail" qui se rappela très vite à l'attention générale: la nuée de volatiles affectueux qui les survolait en permanence. Au premier piaillement, la femme leva les yeux, et sursauta. Au deuxième, ses lèvres se mirent à trembler. Il faut dire que les oiseaux ne lui témoignaient aucune sympathie, s'amusant même à la frôler en rase-motte ou à jeter des cris stridents jusque dans ses oreilles.

"Le vieux de l'Esplumoir... Vous êtes avec lui, il vous a jeté un sort ? Je... Partez d'ici ! Suivez la route, là-bas..." Retirant provisoirement une des deux mains qu'elle avait plaquées en guise de protection sur ses oreilles, elle désigna d'un geste vague la route qu'ils avaient du reste prise à l'aller. "Et emmenez vos maudites bêtes avec vous ! N'y revenez pas !"

Sur ce, elle leur claqua résolument la porte au nez. Dire que d'aucuns n'hésitent pas à vanter le chaleureux accueil de la campagne...

[Voyageuse]

Bon, visiblement celle-là n'avait jamais entendu parler des lois de l'hospitalité, et n'envisageait certainement pas de transformer sa demeure en ferme-auberge, camping à la ferme, gîte rural ou autres chambres d'hôte, sous peine de faillite. Ou alors, tout simplement, elle n'aimait pas les oiseaux. Ce qui était une grave faute de gout. Encore une qui ne voyait en la gente ailée que des parasites dévoreurs de récoltes.

Astrée, elle, commençait à les apprécier ces fichus piafs : d'abord, ils étaient beaux, superbes, magnifiques, et les enveloppaient d'une espèce d'aura emplumée multicolore qui prenait tour à tour différentes formes, de l'aile géante au cœur percé d'une flèche en passant par le nuage et la théière. Ensuite, ils faisaient peur aux habitants de la ferme, ce qui leur assurerait une relative sécurité dans leur mission. Enfin... Ils étaient beaux, c'est tout!

Astrée se tourna vers Taliesin :
- Je crois que notre hôte n'apprécie guère nos amis à plumes, ni l'ermite qui nous les a donnés comme escorte... Et ils ont tellement peur d'eux qu'ils ne nous attaqueront sans doute pas comme nous le pensions. Voulez-vous qu'on profite de leur peur pour essayer de leur arracher des aveux? Mais avant, je peux demander aux oiseaux de fouiller chaque recoin de la ferme, chaque mètre carré du champ où se trouve l'épouvantail, à la recherche de la tête de ce malheureux Nils. Avec autant d'espions à notre disposition, nous devrions trouver rapidement ce que nous cherchons... Et si elle se trouve dans cette ferme, ce sera une preuve irréfutable de la culpabilité des fermiers !

Elle se prépara à entrer en contact avec les oiseaux...
Mais une pensée parasite l'en empêchait : son déguisement... Elle n'en pouvait plus de le porter. Et puisqu'elle retrouvait son rôle de rôdeuse, autant retrouver également sa tenue naturelle.... Enfin elle allait se débarasser de cette robe à froufrous, de ces ridicules pantoufles de vair, du nombre impressionnant de jupons qu'elle avait dû enfiler, de ce corset qui l'étouffait. Enfin!!!!
Elle fut soudain envahie d'une joie enfantine à l'idée d'être libéré de ce carcan qu'on lui avait imposé, de cette image à laquelle elle devait se conformer, de ces règles stupides des gens de la haute société, vous savez, ceux qui p..... plus haut que leur c.. . Elle allait enfin redevenir elle-même!

Bref.... Elle poussa soudain un grand "youpiiiii". Devant le regard interloqué de l'elfe-bûcheron-noble anglais, elle lança :
- A partir de maintenant je redeviens une rôdeuse. Donc j'ai plus besoin de ce fichu déguisement!
Et, avant qu'il n'ait eu le temps de réagir, elle enleva sa robe, qu'elle lança gaiement à la tête de son compagnon, bientôt suivie du premier jupon, du deuxième jupon, du troisième jupon, du corset, des pantoufles de vair, des bas, des porte-jarretelle, puis encore un jupon, un collier, un chapeau... qui tous atterrirent l'un après l'autre sur la tête du beau duc de Winstonchurchillshire.
Tout cela sous le regard ébahi du jeune Victor, qui en oublia de faire semblant de regarder ailleurs, et qui semblait soudain fortement tenté lui aussi de retrouver l'état de bonheur naturel et sauvage auquel son tuteur l'avait arraché de force...
Mais déjà, Astrée fouillait dans son sac et enfilait sa tenue habituelle, avec un plaisir manifeste.

-Bon, maintenant, je m'occupe des oiseaux!

Elle se tourna vers leur splendide escorte, se concentra... Impressionnant de parler à autant d'oiseaux à la fois! Elle se faisait l'effet d'être un grand orateur faisant un discours à des milliers d'auditeurs, sans doute un discours passionné rempli d'idéaux... Heu, non, son discours à elle était tout simple : Trouvez la tête du jeune Nils! Cherchez-là dans la ferme, dans le champ près de l'épouvantail, introduisez-vous dans les bâtiments, cherchez partout aux alentours, mais trouvez-là !
En récompense, elle promettait de brûler l'épouvantail - et tout autre épouvantail qui croiserait leur chemin, d'ailleurs.

[Taliesin]

Taliesin restat immobile, pantois, suffoqué tant par la masse de vêtements accumulée sur son crâne que par la scène qui venait de se dérouler devant lui. La retour à la nature d'Astrée avait été subit, inattendu, soudain, sauvage, comme un tourbillon, un ouragan, un maelström de dentelles furieuses... Mais, bien évidemment, l'un des jupons lui avait masqué le clou du spectacle, et il enrageait intérieurement.
Qu'avait-il fait aux dieux pour qu'ils se montrent aussi mesquins avec lui ? Qu'ils se montrent mesquins, il n'en avait rien à faire ! Ce qu'il voulait qu'ils lui montrent, c'était...
Mais la voix de Victor le tira de ses sombres récriminations.
-Ah, tu vois ? Elle aussi elle en a marre de jouer à la noble et de porter tous ces machins affreux ! Et elle a raison ! En plus,c'est une rôdeuse, comme m'man ! Alors j'vais faire pareil qu'elle ! Pis rien à fiche si ça te plait pas, d'abord.
Soudain bouillonnant de rage meurtrière, Taliesin se libéra de son carcan de jupons et, vif comme un félin, bondit pour se poster face à l'insolent marmot.
-Victor... souffla-t-il. Tu es sous ma responsabilité. JE suis ton tuteur. Pas Astrée. Et tu vas te comporter en petit garçon civilisé, tu m'as bien compris ? Alors, enlève quoi que ce soit... Défais ne serait-ce qu'un bouton de ton col de chemise, et il va t'en cuire, je te le promets.
L'elfe et l'enfant s'observèrent un long moment. On aurait pu entendre leur deux regards lourds de colère s'entrechoquer, grésiller. Un peu comme si des sabres d'énergie lumineuse ferraillaient l'un contre l'autre, vous voyez ? Bien sûr, cette métaphore n'a absolument pas sa place dans un univers d'héroïc fantasy, mais la nécessité de bien faire comprendre la violence de l'affrontement entre ces deux regards était telle que je n'ai pu m'en dispenser, et je vous prie de pardonner l'incongruité de l'image.
Notez que recourir à des références comme les western spaghettis ou les colibris du Nebraska auraient pu tout aussi bien fonctionner... Sans forcément être mieux approprié. Ou peut-être que si. Tout dépend de l'alignement des astres.
Mais bref ! L'elfe et l'enfant s'observèrent un long moment. Ce fut Victor qui rompit ce duel à distance pour passer à des hostilités autrement plus sérieuse. De sa main gauche, il saisit le saphir fermant le col de sa chemise et... l'arracha. Avant de le balancer dans l'herbe.
-Victor...
Puis, avec une lenteur calculée, il se débarrassa de son justaucorps de velours brodé d'or (une pièce taillée sur mesure pour laquelle son tuteur s'était saigné à blanc), le laissa tomber au sol, le piétina avec application...
-Victor !
Sans s'émouvoir le moins du monde, l'enfant retira sa chemise de soie à jabot de dentelle et se mit à la déchirer avec un soin méticuleux, en petites bandes de tissu... Entre ses doigts, la soie protestait, outrée...
Taliesin, saisit d'effroi, en était réduit au silence.
Mais il ne pu bientôt en supporter davantage. Le môme le défiait. Devant une tierce personne. Chacun de ses mouvements était une insulte à son autorité....
Alors, sans crier gare, il tira son épée de cérémonie et la leva bien haut.
-Tu as été méchant, Victor... Très méchant... souffla-t-il. Mais je vais te montrer la lumière...
Il brandit encore un peu plus son épée. Puis un rayon de soleil fit étinceler le tranchant de la lame tandis qu'elle décrivait un arc de cercle parfait. Lorsqu'elle achèverait sa course, Victor n'aurait plus de tête sur les épaules..
Le gamin, paralysé, regardait la mort qui s'approchait à une vitesse fulgurante... Il attendait le choc fatal...
Mais le choc ne vint pas.
L'épée tomba au sol. Taliesin demeura un moment debout, tremblant. Puis un sanglot déchirant ébranla sa carcasse toute entière et, se détournant, il partit en courant.
-J'te cause plus ! sanglota-t-il tout en disparaissant au coin de la ferme. J'te cause plus et je te renie !
Victor haussa les épaules puis se tourna vers Astrée.
-Tu veux bien être ma nouvelle maman le temps qu'on rentre à Luménis et que je retrouve la vrai mienne, de m'man ? J'suis sûr que tu t'en tireras mieux que ce monstre snobinard.

[Voyageuse]

Astrée, concentrée sur le message qu'elle envoyait aux oiseaux, avait manqué le début de l'épisode. C'est un éclat de lumière éblouissant qui la tira de sa transe, alors qu'elle venait juste de transmettre ses ordres. L'éclat du soleil qui se reflétait sur une épée parfaitement entretenue, en train de décrire un arc de cercle pour s'abattre sur la tête de... Victor!
Elle n'eut pas le temps de hurler le prénom. Déjà, Taliesin lâchait son épée et s'enfuyait en courant. Et le garçonnet demandait à Astrée d'être sa maman temporaire en remplacement du... monstre snobinard?

Ahurie, elle mit quelques temps à réaliser que non, elle n'était pas en train de rêver, qu'elle n'était plus sous l'effet du cidre ingurgité une éternité plus tôt; mais alors.... peut-être était-ce le soleil qui tapait un peu fort?
Ce n'est que lorsque Victor prit sa main pour l'entrainer sans le moindre remord sur le chemin du retour qu'elle comprit le drame qui venait de se jouer. Une famille venait de se disloquer. L'amour unissant un presque-père et son presque-fils semblait irrémédiablement brisé. Deux générations s'étaient défiées. Affrontées. Heurtées.
C'était un drame. Et elle ne pouvait en deviner la cause.... Juste avant qu'elle lance son appel aux oiseaux tout semblait normal, bien sûr Victor boudait un peu, mais rien de bien surprenant. Et là... La rupture.
Elle devait faire quelque chose, elle ne pouvait pas les laisser ainsi. elle savait à quel point Taliesin tenait à Victor, elle avait vu sa réaction lorsqu'il l'avait cru mort...

Elle posa ses mains sur les épaules de Victor et le regarda droit dans les yeux.
- Ecoute, Victor. Je sais que je ne suis pas ta mère, ni ta tutrice, qu'on se connait à peine, mais il faut que tu m'écoutes.
Elle prit une grande inspiration.
- Taliesin.... n'est pas un monstre snobinard. C'est peut-être un monstre, ou c'en fut peut-être un par le passé. Mais il n'est pas snobinard. C'est juste un rôle qu'il joue. Comme lorsqu'il joue le rôle du bûcheron, ou celui d'un Monstre assoiffé de sang, ou celui de père. Il joue un rôle... C'est un barde, tu sais bien... Il y a une seule chose de vraie dans toute sa comédie : c'est qu'il t'aime....
- C'est un monstre snobinard!
- Non, écoute....
- Je veux plus le voir! Je veux plus porter ces habits pourris! Et d'abord, toi non plus t'en voudrait pas!

Bon, on est mal barrés. Non mais quelle idée il a eu d'imposer au môme des vêtements pareils! Il veut en faire un marquis, un duc, un chancelier de Mélandis? Quelle horreur!
Oui mais c'est son père quand même, il fait ce qu'il veut!
Enfin... non, il fait pas ce qu'il veut. Elle se souvenait de son propre père qui avait tenté de la transformer, dans un lointain passé, en gente dame de la haute société mélandienne... Non, finalement, le môme avait bien raison de se révolter!
- Bon, d'accord... Tu as raison. Il faut savoir rester soi-même, et ces habits ne te correspondent pas. On va trouver autre chose!

Elle fouilla dans le sac que Taliesin avait abandonné au sol, et en retira un bric-à-brac impressionnant, allant de la harpe à la dague en passant par un petit journal intime rose, une collection de déguisements et de perruques, une fausse moustache, une pipe, des herbes euphorisantes.... et deux tenues à la taille de Victor : une aube blanche immaculée, et une tenue de parfait petit écolier, blouse noire tâchée d'encre et sabots de bois compris.
- Alors? Lesquels tu préfères?
- Ca va pas, non? Je suis pas un enfant de choeur! Et je ne vais pas à l'école! J'irai jamais!
- Bon, et bien alors... Reste comme tu es!
- Pas question! Je préfère encore être tout nu. comme tout à l'heure! C'était vraiment génial!
Et il commença à joindre le geste à la parole.

Astrée sentait la moutarde lui monter au nez. Maudit gosse mal élevé. Manque d'autorité, c'est évident. Mais que font donc ses parents? M'en vais leur envoyer les services sociaux....
Cependant, elle disposait d'armes que le gosse ignorait. Elle eut un sourire narquois, et se concentra pour appeler à son secours une nuée de moustiques, abeilles, guêpes, bourdons, frelons et autres insectes piqueurs qui se mirent aussitôt à voler en cercle tout autour de jeune garçon.
- Tu sais quoi Victor? A ta place, j'éviterai de me déshabiller maintenant. Parce que j'ai bien peur que tu te fasses piquer par l'un de nos gentils amis vrombissant. Sincèrement... Tu devrais rester habillé.
Le môme cessa aussitôt tout mouvement. C'est à peine s'il osait respirer. Il contempla d'un air terrorisé une mouche qui s'approchait un peu trop de son nez... Et s'enfuit à son tour en hurlant.
- Taliesin!!!! Au secours!!! Elle est complètement folle! Reste avec moi, ne me laisse pas seul avec elle! Je ferai tout ce que tu veux!

Satisfaite de l'effet produit, Astrée décida de retourner à ses moutons, ou plutôt à ses oiseaux.
Elle se concentra à nouveau : les volatiles s'étaient répartis en équipes spécialisées, certains fouillaient les greniers, d'autres les caves, les chambres, les étables. D'autres escadrons arpentaient en rase-motte tous les champs aux alentours de la ferme et de l'épouvantail.
Elle en était sûre, ils ne tarderaient pas à trouver la tête de Nils.

[Lothringen]

Les habitants de la ferme, terrifiés par cette invasion à plumes, avaient bien tenté de se barricader, mais rien n'y faisait ; les volatiles s'immisçaient partout, passant par les cheminées, les greniers, les carreaux cassés. La vue et l'ouïe, leurs sens les plus développés, exploraient sans relâche, mais rien. La tête n'était pas posée en évidence quelque part, et, décidément peu coopérative, n'émettait aucun son ! Nombreux étaient les labours où elle aurait pu être enfouie, et ils ne trouvèrent pas non plus de nouveau lieu de culte douteux. Si cette tête était cachée, c'était donc hors de leur atteinte : aussi revinrent-ils bredouille, l'aile pendante, l'œil humide et le bec agité, signifier leur échec complet à la rôdeuse.


"Rien – rien – pas vu" pépièrent tour à tour mille voix stridentes, à s'en écorcher les oreilles. "Peut-être chiens - poulets - lapins - sangliers ?"


La liste des témoins interviewables ne s'arrêtait évidemment pas là, mais il ne faut pas en demander à mille cervelles d'oiseaux plus qu'à une seule.

[Taliesin]

C'est au moment ou les oiseaux terminaient de faire leur rapport que Taliesin réapparut. Astrée ne le reconnut tout d'abord pas : il était à la fois toujours lui-même... et radicalement différent. Plus de barbe fleurie, de large carrure, de musculature impressionnante. Plus de chemise à carreaux de bûcheron, de hache de bucheron ou d'habits ostentatoires de dandy bûcheron. Il n'y avait plus là, devant elle, souriant d'un air penaud, qu'un elfe tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, revêtu de vêtements simples, discrets, totalement imberbe et mince comme l'étaient la plupart de ses congénères. Sinon plus.
Il n'y avait pas de doutes à avoir, cependant : c'était bien Taliesin qui s'approchait à petit pas, tentant désormais de se donner un air dégagé, comme si de rien n'était. D'ailleurs, lorsqu'il rejoignit la rôdeuse, il éluda consciencieusement la question muette qu'il pouvait pourtant parfaitement lire dans les yeux de la jeune femme. Non, il préféra aborder le sujet bien moins gênant de leur quête en cours...
-Alors, qu'ont découvert nos amis à plumes ? s'enquit-il d'un ton faussement gêné.
De Victor, il n'y avait nulle trace. C'était comme si le môme avait purement et simplement disparu.

[Voyageuse]

Astrée ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes en apercevant Taliesin. Était-ce bien lui qui approchait? Oui, sans doute. Mais alors... Qui était le vrai Taliesin? Le bûcheron ? Ou l'elfe qui lui faisait face? Et puis, quelle importance après tout? Les apparences ne sont pas toujours le reflet de la réalité...

La question du barde la tira de ses interrogations.
- Oh... Ils n'ont rien trouvé. Mais je pense que les habitants de cette ferme ont tellement peur des oiseaux que si on les menace de les lâcher, ils nous diront tout ce qu'ils savent sur ce mort déguisé en épouvantail. Et puis, après tout, ils n'ont peut-être rien à voir là-dedans...

Elle s'interrompit. Elle avait cru que Victor, tête basse, suivrait Taliesin à distance. Mais il n'arrivait pas. Soudain inquiète, elle fixa l'elfe droit dans les yeux et demanda brusquement :
- Où est Victor?
Elle s'interdisait de faire la moindre hypothèse à ce sujet. Les yeux vrillés sur ceux du barde, elle attendait la réponse, bien décidée à ne pas lui laisser éluder la question.

[Taliesin]

Taliesin ne cilla pas et, lorsqu'il parla, ce fut d'un ton courtois mais sans chaleur.
-Victor a reçu la punition qu'il méritait pour son insubordination. Et si vous voulez savoir les détails, sachez que le l'ai tué, dépecé, salé, et que nous lui dirons au-revoir en le mangeant pour le souper. Mais, pour l'heure, nous avons une tête à retrouver et une course d'orientation à gagner.
Son visage s'illumina d'un sourire mutin et, se détournant, il gagna l'entrée de la maison et frappa à la porte.
-Madame, je sais que vous êtes là-dedans ! clama-t-il d'une voix forte. Et je sais que vous n'aimez pas les oiseaux. Malheureusement pour vous, ils semblent apprécier votre ferme... Je ne vois qu'un moyen pour les convaincre de lever le camp : nous remettre la tête du malheureux qui vous sert d'épouventail et qui a absolument besoin de son chef pour trouver le repos éternel...

[Voyageuse]

Astrée blêmit. Ce ne pouvait pas être vrai, le Taliesin qu'elle connaissait ne pouvait avoir fait une chose pareille.
Parce que tu t'imagines qu'on connait quelqu'un en quelques heures?
Oui mais.. Quand même... Ce n'était pas possible... Soit il se payait sa tête, soit c'était un... un monstre.
Et il continuait tranquillement l'enquête comme si de rien n'était?
Non, ce n'était pas possible...

Soudain mue par une peur subite, elle saisit l'elfe par le col et se mit à le secouer comme un prunier, en hurlant :
- OU EST VICTOR? Je veux le voir, tout de suite! On ne fera rien tant que je ne l'aurai pas vu de mes yeux!
Ou ce qu'il en reste.
- Où est-il ? Emmène-moi jusqu'à lui!
Ses yeux lançaient des éclairs, indiquant qu'il valait mieux obéir sans trop discuter. Parce qu'une rôdeuse en colère... Ça peut faire mal!

Elle tentait intérieurement de se rassurer : il plaisantait sûrement. Jamais il ne tuerait son fils.
Elle ragea en se disant que cette plaisanterie stupide les retardait encore dans leur quête, que la Emji ne serait pas contente, que les habitants de la ferme allaient en profiter pour fuir...
Oui mais... Si c'était vrai?

[Lothringen]

Une petite voix - celle de la femme de tantôt, apparemment - leur parvint de derrière la porte.

"Euh... Je ne connais pas de Victor, mademoiselle, je vous jure que nous sommes parfaitement innocents de ce crime abominable !"

S'ensuivit un bref silence embarrassé. La voix reprit, encore plus fluette.

"En revanche, si d'aventure je pouvais vous aider à retrouver la citr... enfin, la tête de ce pauvre manche à ba... enfin, de ce pauvre épouvantail, et que vous nous promettiez de déguerpir tout de suite et définitivement avec vos marchands de guano... ça peut peut-être se faire..."


Nb: je suis si tyrannique que ça ? Prenez votre temps, tant que vous vous amusez c'est tout ce qui compte...

[Taliesin]

Les choses s'étaient succédées à une allure folle. D'abord, Astrée avait bondi sur lui, le secouant comme un prunier, furieuse, si fort qu'il ne pouvait même pas parler et était au bord de l'évanouissement. Ensuite, la fermière avait répondu, se méprenant sur la colère de la rôdeuse, et sans doute impressionnée par les manifestations violentes de son inquiétude pour Victor.
Enfin, ledit Victor avait fait son apparition sur ces entrefaites, un parchemin à la min, les doigts tâchés d'encrier.
-Bon, ça y est, j'ai fait mes cent lignes...marmonna-t-il d'un air morose, avant se s'immobiliser et de s'exclamer, scandalisé : Hey, mais qu'est-ce que vous faites à Taliesin ? Vous avez pas l'droit ! Y a que moi qui ait le droit de l'embêter !
-Ahem... Vous vouliez le voir ? croassa le barde. Ben... il est là... Alors, est-ce que vous pourriez me lâcher, maintenant ? Histoire qu'on récupère la tête de Nils, qu'on l'enterre et qu'on rejoigne les autres... ils doivent déjà tous nous attendre...

[Voyageuse]

HRP Mais non Lothy! Je te jure que tu n'es pas tyrannique... C'est juste que les autres groupes ont fini et que je voulais pas les fait attendre...

Astrée lâcha immédiatement Taliesin. Son teint vira du blanc au rouge cramoisi, tandis qu'elle était partagée entre colère et embarras. Elle détourna les yeux, et lança d'un ton qu'elle ne parvint pas à rendre vraiment léger :
- Je savais bien que c'était faux ! Mais ça t'apprendra à faire des blagues idiotes!
Elle lui tourna le dos, en une attitude évoquant davantage la bouderie ou la vexation que l'amusement.
Elle savait bien, pourtant, qu'il n'aurait pas fait ça... Elle s'en voulait d'en avoir presque douté.

Puis, décidée à ne plus prêter la moindre attention au barde et à ses plaisanteries stupides, elle lança à travers la porte :
- C'est d'accord. On vous débarrasse de ces oiseaux si vous nous aidez à retrouver la tête de ce jeune homme qui vous sert d'épouvantail. Et si vous nous expliquez ce qui lui est arrivé. Et dépêchez-vous, avant que nos amis à plumes n'aient mis votre ferme complètement à sac. Je vous laisse imaginer ce qu'ils pourraient vous faire si vous ne coopérez pas!

[Lothringen]

La porte parut trembler un peu sous la menace. Un bref silence s'ensuivit, tandis que les oiseaux avaient le bon goût de chercher abri sur les tuiles, ce qui diminuait un peu le volume des froissements d'ailes intempestifs. Une petite voix cria :

"M'man, regarde ! Y z'ont ouvert le coq ! L'a les peluches toutes rouges..."

On entendit courir dans le couloir, derrière. Puis quelqu'un revint vers la porte, et la voix avait mué en quelque chose de caverneux, de grave, de lourd, bref, de vachement viril.

"La tête du gars et vous vous cassez avec vos piafs, hein ? juré craché croix de bois main de fer si je mens je te peins en vert ? Bon... ça marche. La tête est enterrée juste au pied de l'épouvantail. Depuis, hum... des mois. Beuh... Faut vraiment être tordu pour vouloir toucher à ça."

Petit conciliabule en sourdine avec la voix de la fermière.

"Quant à ce qui lui est arrivé... Le mercenaire est passé par la ferme et malheureusement pour lui c'était aux alentours de la septième nouvelle lune : le genius loci réclamait son sacrifice. Touchez au sacrifice et vous comprendrez pourquoi on veut pas le contrarier. Et maintenant, du vent !"

[Voyageuse]

Astrée avait écouté la réponse sans être sûre de tout comprendre. Le genius loci... Qu'est-ce que ça pouvait bien être? Oh, et puis, quelle importance au fond? L'essentiel était qu'ils savaient enfin où était cachée la tête du jeune homme, qu'ils pourraient lui expliquer ce qui lui était arrivé, brûler son corps, et l'épouvantail au passage, promettre de prévenir sa mère, et enfin revenir vers la morveuse en rose alias le flamand rose - après tout c'était pas forcément absurde comme idée - pour lui donner l'oeuf qu'elle était sensée féconder et couver. Et ensuite... Ensuite ils auraient fini la course! Bien sûr, ils seraient certainement les derniers vu le temps qu'ils avaient perdu à diverses activités - fabrication d'une piscine de cidre, aide à épouvantail en détresse...- mais ils auraient fini.
- Merci pour toutes ces informations! lança-t-elle à travers la porte. Et... Excusez-nous encore pour le dérangement!

Il ne leur restait plus qu'à retourner vers l'épouvantail, ce qu'ils firent aussitôt, Victor sur les talons. Lequel Victor ne comprenait pas grand-chose à ce qui se passait. Estimant qu'il avait le droit de savoir - après tout il avait fait ses cent lignes, purgé sa peine -, il commença à les harceler de questions.
- C'est quoi le Genius loci? Et c'est quoi cette histoire de tête qu'on doit déterrer? C'est une vraie tête? Beuark... C'est dégueulasse! Moi j'y touche pas en tout cas.
Il préféra se taire devant les regards noirs qu'Astrée et Taliesin lui lancèrent simultanément. Mais garda les yeux grand ouverts, bien décidé à comprendre de quoi il retournait. Et tant pis si les grandes personnes le jugeaient trop petit pour ça. Il n'était plus un gamin !

Arrivés devant l'épouvantail, Astrée hésita, regardant d'un air peu convaincu la bêche qu'elle avait subtilisée au passage dans une des granges. Creuser pour trouver une tête enfouie depuis des mois... Le gosse avait raison, c'était répugnant... Elle se tourna vers Taliesin.
- Heu... Voulez-vous vous charger de creuser? Moi je vais commencer à amasser du bois pour le bûcher...

[Taliesin]

L'elfe haussa les épaules et prit la bêche qu'on lui tendait. Ils avaient déjà beaucoup tardé, et il était plus que temps de régler cette affaire.
Il jeta un regard à Astrée, à Victor, puis s'approcha du macabre épouvantail et brandit l'outil.
Alors, sa ferme détermination sembla vaciller. Il songea au mystérieux genius loci. A ce qu'il pourrait déclencher en déterrant l'offrande. Peut-être que le ciel pourtant bleu résonnerait soudain du grondement d'un violent tonnerre d'orage. Peut-être que le soleil disparaîtrait, et que ce serait la nuit. Peut-être que le charmant paysage champêtre qui les entourerait se métamorphoserait en celui, bien moins bucolique, d'un vieux cimetière délabré aux allées sinueuses et aux pierres tombales couvertes de mousse. Peut-être, enfin, que la terre s'ouvrirait avant qu'il puisse y creuser, qu'une main cadavérique en sortirait, qu'une voix d'outre-monde grommellerait "Cerveau" comme si ce simple mot avait un sens particulier, paradigmatique, transcendantal.
Et ses craintes disparurent d'un seul coup. En fait, ça pourrait être rigolo. De quoi amuser Victor qui adorait les histoires d'horreur. De quoi terrifier la rôdeuse et lui fournir l'occasion de la réconforter...
Alors, il abattit la bêche.

[Lothringen]

Taliesin s'interrompit dans le geste auguste du creuseur, tandis que deux bandes blanches verticales et néanmoins parallèles apparaissaient à l'écran. La voix off se mit à commenter.

"Le genius loci (ou génie du lieu, en latin) est un esprit de la nature associé à un emplacement précis, généralement une source, un arbre millénaire, un gros rocher. Sa mission est de protéger l'endroit contre toute agression et destruction. Sa nature primitive le rend indifférent à toute notion de bien et de mal. Avant que n'apparaissent des divinités spécifiques comme Mailikki ou Chauntea, nombreux étaient les humains qui leur vouaient des cultes, sur le principe du donnant-donnant : une vie pour une autre. Le genius loci peut en effet garantir la fertilité des sols, éloigner les orages, etc. Comme il peut se retourner contre qui l'agresse.

En règle générale, druides et rôdeurs sont au courant de ce genre de chose. Mais Astrée doit être une rôdeuse nouvelle génération : celle qui porte les robes de la princesse Pam. Bon, reprenons..."

Les deux petites barres se transformèrent en triangle blanc, et Taliesin continua de creuser dans la terre heureusement meuble. Après un bon bras de dégâts, sa bêche heurta quelque chose de dur, et il faillit s'exclamer eurêka en apercevant une prometteuse touffe de cheveux bruns dévitalisés au milieu des mottes de terre.

"Bingo !!!"

Effectivement, ils avaient décroché le gros lot. La terre commença de s'amasser, de se couvrir de mousse, de se dresser, de se mouvoir, et ils eurent bientôt sous les yeux ce que l'on appelle communément un tertre errant. Du genre pas causant, agressif et impatient de broyer du mauvais curieux. Il se précipita sur le barde qui n'avait trop de sa bêche pour essayer de l'écarter.

Astrée remarqua une lueur étrange, dans le tronc d'un vieux chêne tout proche. On aurait dit un dégagement d'énergie magique...

[Taliesin]

Taliesin, lui, n'avait rien remarqué de la luminescence. Il faut dire, à sa décharge, qu'il était fort occupé et se démenait ferme pour ne pas être happé, étreint, broyé par le tertre colérique qui semblait décidé à lui faire payer ses malheureux coups de bêche.
Bref, il n'avait rien remarqué concernant l'arbre, n'avait donc rien pu en déduire...
Le barde aux abois ne voyait guère de moyen de s'en sortir sinon se carapater à perdre haleine vers l'horizon, ce qui manquait tout de même d'un je-ne-sais-quoi de chevaleresque. Or, passer pour un lâche aux yeux d'Astrée et, dans une moindre mesure, de Victor, cela ne le tentait pas vraiment. Il était cependant en train de se dire que vivre était le plus important, que peu importait la honte, le fait d'avoir abandonné ses compagnons à leur sinistre destin, lorsque, soudain, la lumière se fit. Donnant-donnant, avait dit la voix off... Cela ne pouvait que marcher !
Alors, ce fut avec un sourire jusqu'aux oreilles qu'il fit part aux autres de sa merveilleuse trouvaille.
-J'ai trouvé ! J'ai trouvé ! On va pouvoir tout arranger ! Astrée, il suffit que vous vous coupiez la tête et la placiez dans la trou ! Comme ça, le genius loci sera apaisé ! Et nous pourront apporter le repos Nils, prévenir sa mère, rentrer auprès de Fifi et gagner la course ! Oui, c'est LA solution ! Astrée, ma mie, coupez-vous la tête et mettez-la dans le trou !

[Voyageuse]

Se couper la tête? A croire que le barde avait complètement perdu la sienne !
Elle ne daigna même pas répondre à la suggestion stupide de Taliesin. Elle observa un instant, fascinée, l'espèce de gros tas de terre et de feuilles morte qui se mouvait, et dont les deux tentacules menaçaient à tout instant de broyer son compagnon. Un tertre errant... Elle en avait entendu parler, mais, fort heureusement pour elle, n'en avait encore jamais rencontré. Et regrettait vivement de se trouver ici, en ce lieu et à cette heure maudits où celui-ci avait décidé d'apparaître. Heureusement pour elle, il concentrait tous ses efforts sur le barde, plus proche de lui. Victor s'était mis en retrait, caché derrière un buisson, dès qu'il avait vu la terre se mettre à bouger.

Sans doute aurait-elle dû se précipiter à la rescousse de son compagnon qui semblait en bien mauvaise posture. Ou alors, fuir à toutes jambes, conduite lâche, indigne d'une héroïne. Mais la curiosité fut la plus forte : quelle était donc cette lueur qui émanait du vieux chêne? Était-ce le fameux genius loci? Ça ne coûtait rien d'aller vérifier.. Et puis, si elle ne trouvait rien, il serait encore temps d'aller au secours de l'elfe.

Saisissant son bâton, et sans accorder davantage d'attention à Taliesin qui, après tout, était assez grand pour se défendre seul, elle s'approcha silencieusement du chêne, le contournant par l'arrière. Vaguement inquiète de ce qu'elle allait y découvrir, et prête à frapper de toute ses forces... Mais frapper quoi ? L'arbre ? Et puis, un genius loci, qui dit que ce n'est pas indestructible ? Immortel ? Quoi qu'il en soit, elle voulait le voir de plus près, avant de décider quoi faire... Et puis, peut-être pouvait-on... négocier ? Discuter ? S'expliquer ? S'excuser pour l'avoir dérangé ?

[Taliesin]

Taliesin constata avec défi la non réaction d'Astrée. Ah, les filles, on ne pouvait jamais compter sur elle, il le savait pourtant bien ! Il devait donc se débarrasser du tertre errant lui-même... Restait à savoir comment.
En combat singulier ? Ses chances avoisinaient le zéro absolu. Mais alors, que faire ?
Il eut alors une idée saugrenue. Peut-être que ce tas de terre moussue pouvait se dissoudre ? Auquel cas, s'il parvenait à l'entraîner jusqu'à la piscine de cidre et à l'y faire tomber...
C'était risqué. Il risquait fort de se faire démolir avant d'avoir atteint sa destination. Toutefois, comme il ne voyait rien de mieux pour l'instant, et qu'Astrée ne semblait toujours pas décidée à prendre des mesures appropriées pour lui venir en aide, il entreprit donc sa manœuvre, tentant de se maintenir à distance des appendices vengeurs de la créature tout en l'invitant discrètement à le suivre.

[Lothringen]

Carole autour d'un chêne...

Tous les sens en alerte, Astrée s'était approchée du tronc d'arbre, le bâton levé, prête à mordre. Après l'avoir soigneusement contourné, elle constata à son plus grand déplaisir qu'elle avait réussi à en faire le tour sans rencontrer quoi que ce soit d'autre que quelques fougères et quelques ronces manifestement inertes. Il fallait croire que la lumière qu'elle avait surprise provenait bien du tronc, et pour mieux dire, de la souche de l'arbre. Le dégagement d'énergie avait été intense pendant tout le temps que la créature avait mise à s'amasser, puis s'était éteint. A y bien regarder, la souche n'avait cependant pas l'air plus bavarde que son invocation. Plus vulnérable, peut-être ?

Farandole alcoolisée...

Le tertre paraissait faire une fixation obsessionnelle sur le petit elfe creuseur. Le monstre n'était pas si lent que cela, pour sa taille : avant que l'elfe ne puisse s'éloigner, il réussit donc à lui décocher un violent coup de tentacule, enfonçant la défense adverse sur le flanc gauche avec un hourra implicite. Mais, en faisant cela, il projetait Taliesin dix pas plus loin, ce qui laissait à ce dernier un peu de distance de sécurité avant la prochaine charge. Si toutefois il réussissait à ramasser à temps une ou deux côtes désormais flottantes dans sa cage thoracique.

... Ou freezing militant ?

Le petit Victor, pas vieux, pas beau, et ne servant à rien, attend son papa et sa maman à la loge des pnjs perdus. Son pantalon commence à dégager des fragrances urinaires. Par pitié, on n'en peut plus : donnez-lui un rôle...

[Voyageuse]

Victor vit avec horreur Taliesin se faire heurter par l'un des tentacules. Non... Ce n'était pas possible.. Son presque-père, ce héros... il ne pouvait pas mourir ainsi ! Oubliant soudain sa terreur, il se précipita vers le sac que le barde avait abandonné et y trouva sa hache de bûcheron. Il jeta un regard furieux vers Astrée qui semblait s'être désintéressée de leur sort, se disant que les femmes, décidément, n'étaient vraiment pas des êtres fiables. Et bien tant pis, lui était un homme, un vrai, et il comptait bien le prouver! Espérant qu'ensuite, Taliesin cesserait enfin de le traiter comme un gamin...
Poussant un hurlement à glacer le sang de l'adversaire le plus coriace, - oubliant sans doute qu'un tertre errant n'a pas de sang dans ses veines - il se précipita vers le monstre. Soudain, il n'était plus un enfant mais un véritable athlète. Saisissant une perche parmi les morceaux de bois qu'Astrée avait commencé à amasser pour le bûcher, il poursuivi sa course à grandes enjambées, et, arrivé à la distance règlementaire du monstre, planta sa perche dans le sol. Emporté par son élan, il s'éleva dans les airs. Lâchant la perche, il atterrit sur le "dos" du monstre et, avec un nouveau cri de guerre encore plus effroyable que le précédent, lui enfonça la hache dans le corps.. enfin, dans la mousse qui le recouvrait.
Ça y est... Il était un héros! Bientôt il pourrait demander - et obtenir - le statut de PJ, et enfin s'émanciper de la tutelle du barde.

Astrée quand à elle, contemplait avec perplexité le tronc d'arbre, semblable à tous les autres troncs, et la souche d'où avait émané l'énergie magique, désespérément inerte comme toute souche qui se respecte. Elle hésita un instant sur la conduite à tenir. Puis prise d'une inspiration subite, probablement suicidaire, elle prit dans sa poche un petit couteau et le planta dans la souche. Le retira. L'enfonça à nouveau. Espérant obtenir une réaction quelconque.
Elle ne frappait pas au hasard, ses coups étaient calculés : les entailles successives formeraient des lettres, qui s'assembleraient ensuite pour former la phrase "QUI ÊTES VOUS ?". Enfin... Sauf si l'arbre réagissait avant qu'elle n'ait le temps de finir, ce qui était plus que probable. Elle se dit que les chances qu'elle avait de parvenir au bout de sa phrase, et, pire, les chances que l'arbre soit capable de lire son message, étaient certainement plus qu'infimes. A-t-on jamais vu un arbre sachant lire ? Elle s'attendait à tout instant à ce qu'une décharge d'énergie magique surgisse de la souche et la frappe de plein fouet. Et pourtant... Elle continuait.

[Lothringen]

Une énergie se dégageait en effet de l'arbre à chacun des coups qui lui étaient portés, mais avec une intensité très faible, comme si la chose (le genius loci, pour être exact) avait mis toute sa puissance dans l'invocation d'un adversaire aussi conséquent que le tertre errant, et qu'épuisée, elle ne parvenait plus à lâcher qu'une protestation de principe. C'étaient de petites décharges électriques, plus de l'ordre du couinement de petite sœur ou des chatouilles qu'autre chose. Très décevant. En prime, l'esprit ne semblait disposé ni à lire, ni à écrire, ni à jouer au oui-ja. Encore plus inculte que Nils.

Du côté des héros virils, Muad'Dib chevauchait son tertre en s'agrippant à sa hache vaillamment plantée dans l'amas terreux. Si cette vaillance n'était plus à démontrer, il n'était en revanche pas certain que le tertre eut pris conscience de sa présence importune. Il ne restait plus qu'à espérer que Victor ne le prenne pas pour un pétaure, et s'abstienne de lui chanter des chansons paillardes pour le faire avancer. Gageons que l'idée le traversa.

Quant à l'elfe, il voyait arriver sur lui, à grande vitesse, son presque-fils dressé sur le monstre.

[Taliesin]

Affalé au sol, comptant ses côtes cassées et songeant qu'il était grand temps pour lui de démarrer une prometteuse carrière de joueur d'osselet - il aurait d'ailleurs donné beaucoup pour être téléporté dans l'instant dans un championnat, quelque part loin du monstre qui se ruait vers lui - Taliesin ne manqua pas d'être ému par le courage, les prouesses, la témérité et le quasi suicide de Victor. Cela l'émut tellement qu'il ne remarqua même pas que le gamin s'était mis à brailler des chansons dont le thème et les termes auraient déjà parus des plus déplacés dans la bouche d'un groupe de scouts travaillés par les hormones. Mais, comme nous l'écrivions à l'instant, l'elfe ne le remarqua pas, ne put donc s'interroger sur l'identité de la personne lui ayant appris ces horreurs, ni sur celle de la personne lui ayant passé l'idée de les chanter en la circonstance. Non. Tout ce à quoi songea Taliesin, en dehors du courage, des prouesses, de la témérité... - enfin bref, vous connaissez le refrain - de l'enfant, ce fut que ledit enfant était peut-être en train de diriger sciemment le tertre sauvage pile sur lui. Pour se venger, pour l'éliminer, le ratatiner, le détruire. Définitivement et irréversiblement.
L'idée lui parut saugrenue; Inimaginable. Impensable. Victor ne pourrait jamais lui faire une chose pareille ! Il allait conduire le monstre ailleurs...
Oui, c'était certain, il allait faire ça. Cependant, comme on était jamais assez prudent, et que son cher presque-fils avait pu songer à mille destinations, l'ancien barde rassembla ses forces, essaya d'ignorer sa douleur, et cria aussi fort que possible :
-La piscine ! Conduis-le à la piscine et fais-le tomber dedans !

[Voyageuse]

Bon. Le genius Loci ne semblait plus guère présenter de danger, en tout cas il ne l'avait pas détruite d'une décharge d'énergie magique. Un bon point. Il ne paraissait en revanche guère réceptif à ses tentatives de communications. Un mauvais point.
Astrée hésita un instant, regarda de nouveau son adversaire, pitoyable souche. Peut-être devrait-elle le détruire, après tout un meurtre, au moins, avait été commis en son nom. Oui, mais... cela ne signifiait pas qu'il en était responsable. Il ne semblait pas parler, comment aurait-il pu commanditer un assassinat ? Elle secoua la tête. Non, elle ne devait pas forcément le détruire. Peut-être pas. Il faudrait qu'elle en parle avec Taliesin. Et de toute façon, elle n'avait pas de hache. C'était Victor qui l'avait...

Victor ! Elle réalisa soudain que, tandis qu'elle tentait de communiquer avec l'esprit et se posait des questions existentielle sur le bien, le mal, le bien-fondé de la destruction de l'esprit et autres sujets d'une importance sans doute capîtale, le môme s'était pris pour un héros et attaquait seul le monstre. Et qu'il fonçait droit sur Taliesin. Lequel ne semblait pas décidé à bouger et criait quelque chose d'incompréhensible. Comme elle tendait l'oreille, elle entendit soudain les paroles chantées, ou plutôt braillées par Victor. Un instant, elle fut choquée, puis se ressaisit. Il n'y avait qu'une seule explication possible : le gosse était devenu fou... Ou alors un esprit s'était emparé de son corps et le faisait agir... Peu importe ! Toujours est-il que le tertre fonçait sur Taliesin avec Victor sur son dos, et qu'il fallait l'arrêter. Elle était trop loin pour agir...

Elle se secoua mentalement. Elle était une rôdeuse, non ? Elle pouvait commander la nature à son gré, ou presque ? Alors, qu'elle se bouge. Oubliant la souche qui de toute façon ne semblait guère dangereuse à présent, serrant les dents, elle se concentra, et de toute sa force, appela à la rescousse les arbres, les buissons et leurs racines...

Astrée ---> enchevêtrement ---> autour du tertre errant.

Elle se demanda soudain ce que le tertre, végétal lui-même, pouvait bien ressentir de l'influx qui se dégageait d'elle alors qu'elle lançait le sort. Bah, elle verrait bien. C'était leur seule chance, de toute façon. La seule chance de Taliesin, en tout cas. Elle ne pouvait tout de même pas l'abandonner ainsi, pas après tout ce qu'ils avaient traversé, pas alors qu'ils étaient presque au terme de leur mission...

[Lothringen]

Mais Victor ne conduisait rien du tout. A bord du tertre errant, il ne chauffait pas les machines, ne maniait pas le gouvernail, mais jouait plutôt le rôle du passager clandestin, coincé à fond de cale, ce qu'avait fort bien constaté la rôdeuse.

"Ma-ri-on la gueuse ne porte jamais de culot-te !!"

Bon, enfin, peut-être accoudé au bastingage, tout compte fait. Un passager certes bruyant, mais qui ne semblait pas beaucoup gêner les mouvements de son véhicule, voilà pour la métaphore.

"Cheva-lier sors ton dard et décalot-te ! "

Le tertre errant était passé à la vitesse supérieure. Ses grosses jambes de monstre espaçaient leur foulée, en bref... il courait. Au hasard, comme frappé de cécité depuis que les merveilleuses comptines avaient commencé de frapper ses oreilles.

"Jeanneton prend sa faucille, la rirette, la rire-e-tte !
Jeanneton prend sa faucille, et s'en va couper le jonc !"

Le monstre souffrait affreusement. Jamais orage d'été n'avait été plus cruel, et d'ailleurs, le ciel se couvrait rapidement.

"En chemin elle rencontre, larirette, larire-e-tte
En chemin elle rencontre quatre jeunes et beaux garçons !
Le premier, un peu timide..."

C'est alors qu'entra en action le sort d'enchevêtrement. Mais il fut... sans aucun effet. Sur le territoire du genius loci, c'était le genius loci qui commandait à la nature, et cette dernière ne répondit pas à l'injonction d'Astrée.

Il ne restait plus qu'à prier pour que cette dramatique situation se dénoue avant le quatrième couplet. ce qui fut heureusement le cas. Tandis qu'il faisait des huit en cherchant à se débarrasser du vacarme parasite, le tertre tomba dans la piscine...

Et plouf. Et bloub, et bloub. Le gosse revint à la surface. Le tertre commença de se dissoudre dans le cidre, en une multitude de mottes de glaise, terre, racines, résidus animaux.


"Viens me chercher au fond de la piscine, notre petite bulle marine..." haleta un Victor à bout de souffle, battant des bras avec la frénésie des mauvais nageurs.