[Habitation] La Maison Desmoulins

[Galathée]

La rôdeuse l’attendait dans la pénombre de leur chambre. Elle avait laissé deux bougies allumées et compulsait un parchemin. Bien qu’elle ait la couverture remontée jusqu’aux épaules, il n’était pas difficile de deviner qu’elle ne portait rien en dessous. Elle décocha d’ailleurs un regard malicieux à l’elfe lorsqu’il fit son apparition.
« Ton sort de sommeil est toujours efficace, je vois. » lui dit-elle sans le quitter des yeux, alors qu’il se déshabillait à son tour, en pleine lumière.

[Taliesin]

L'elfe se glissa sous les couvertures.
-Oui, je suis décidément une personne assommante... fit-il en se lovant contre sa compagne. Je désespère de pouvoir jamais avoir avec Victor les grandes discussions méta-philosophiques que j'aime tant et que seuls les hommes peuvent comprendre... Foutu môme !
Il jeta un regard au parchemin que tenait encore la jeune femme.
-Que lis-tu de beau ? J'espère que ce n'est pas passionnant, parce qu'il est tard et que je voudrais dormir immédiatement. En plus, la lumière me donne mal à la tête.
Il eut du mal à contenir un sourire des plus éclatants.

[Galathée]

« Oh, mais j’espérais que pour une fois, tu serais tenté de voir ce que tu es en train de faire… Cela dit, je sais que pour toi, ça ne change pas grand chose. »
Elle souffla les bougies.
« Quant à mes lectures, ne t’en inquiète pas. Ce n’est pas une lettre enflammée d’un beau militaire au regard sombre, mais bien le résumé du cheptel équin du fort. Je dois décider des saillies. Sans vouloir te mettre de mauvaises idées en tête. »
Puis elle se lova contre lui, trouvant immédiatement sa chaleur sèche, et l’embrassa sur les lèvres.
« Cela dit, tu as raison : tu devrais dormir, et je veillerai sur toi. »

[Taliesin]

-En fait, bizarrement, étrangement, je n'ai plus tellement sommeil, là, d'un coup, tout de suite...
Il se redressa, saisit le briquet qui trainait sur la table de nuit, et s'empressa de rallumer les bougies.
-En fait... souffla-t-il en revenant se serrer étroitement contre sa compagnie. Je me suis dit que, peut-être, on pourrait...
Il n'achevait pas sa phrase, préférant ponctuer ses mots d'un long baiser. Ses mains se firent hardies, ses lèvres aussi, et commencèrent une lente mais exhaustive exploration du corps de sa partenaire.

[Galathée]

Galathée répondit à ses caresses et petit à petit, le désir, puis le plaisir, s’imposèrent en maîtres dans leur esprit et leur corps, les guidant dans chacun de leurs gestes. Toute notion de pudeur, de gêne ou de honte les abandonna, livrant leurs sens aux impératifs de l’acte, des actes, qu’ils s’apprêtaient à réaliser. La jeune femme commençait à bien connaître son partenaire, à deviner ses envies à un tressaillement, un soupir, et elle fit en sorte que la nuit soit mémorable, porteuse de souvenirs, de soupçons de sensations pour les veilles à venir.

[Taliesin]

Taliesin finit par retomber sur le dos, le souffle court, le corps en nage malgré l'hiver qui mugissait à la fenêtre, l'esprit agréablement troublé, béat, malgré l'expédition qui l'attendait le lendemain.
-Je... Je crois que je devrais partir en voyage plus souvent... haleta-t-il. Oui, en fait, tous les soirs devraient être des au revoir...
Il se tourna vers la rôdeuse et se blottit contre elle. A cet instant, les ténèbres semblaient avoir totalement disparu de son cœur, et l'avenir semblait dépourvu de tout nuage.
-Vivement mon retour... lui souffla-t-il à l'oreille. Dans une veille, peut-être deux, nous serons libres. Et il y aura de belles choses, alors. Je te le promets.

[Galathée]

La rôdeuse se redressa sur un coude et lui sourit, une lueur intéressée au fond du regard.
« Je sais que tu n’es pas l’être le plus endurant du monde, mais j’espère sincèrement pour toi que tu n’espérais pas t’en sortir comme ça, aussi facilement et aussi rapidement. Reprends ton souffle, tu vas en avoir besoin. »
Puis, sans lui laisser réellement le temps de réaliser, elle relança les hostilités avec une énergie qui rappela au barde que Galathée était dotée d’une bien meilleure constitution que lui.
Ils finirent par s’endormir alors que le ciel prenait une teinte grisaille qui augurait un réveil douloureux pour l’elfe. A moins que les vertus énergisantes de leurs activités nocturnes ne soient pas seulement une légende…

[Taliesin]

Si elles était véridiques, toutefois, Taliesin n'en bénéficia pas. Il se réveilla presqu'aussi fatigué qu'il s'était endormi, avec en plus le cœur lourd et le moral en berne. Il s'efforça cependant de ne pas penser, de ne pas réfléchir, sous peine de rendre le départ trop insupportable. Il se vétit, gagna le rez-de-chaussée, avala un rapide petit-déjeuner, prit son paquetage et quitta la maison sans un regard pour les siens, sans un temps de pose, mécanique, axé sur les gestes, pas sur ce qu'ils signifiaient. Lorsqu'il gagna la rue, le froid l'attaqua avec virulence, mais il n'y prit presque pas garde. Marcher. Gagner l'auberge. Les portes. Le vallon enténébré.
Revenir. Revenir. C'était la seule chose qui comptait.

[Galathée]

Quête : Les squelettes du placard.

Chapitre 1. Respiration

Quand Taliesin pénétra dans la petite maison de la rue de l’Orme Creux, il fut frappé par le silence. Sur son épaule, Plume était très calme, et cela contribua à le rassurer, même si ce n’était assurément pas ce à quoi il s’était attendu. Il était trop tôt pour que Galathée et Victor soient endormis, mais ils étaient peut-être simplement sortis. La maison était sombre, l’âtre éteint, il faisait cru comme s’il n’avait pas été allumé depuis plusieurs jours. Dans l’obscurité que perçait son regard d’elfe, il remarqua que la pièce était impeccablement rangée. La chouette s'envola pour aller se percher, tranquille, sur le dossier d'une chaise. Sur la table familiale trônait un plat de bois rempli de noix et de noisettes sous lequel était glissé un pli.

[Taliesin]

Passée la prime déception, la crainte sourde qui s'en était suivie, malgré le calme de la chouette, Taliesin retira ses bottes, déposa son sac près de l'âtre éteint, mais garda son manteau : il faisait presque aussi froid qu'au dehors... Il chercha son briquet, repéra une bougie, l'alluma puis, les mains légèrement tremblantes, poussa le plat et retira le mot. Peut-être Galathée avait-elle prit quelques jours de congés pour emmener Victor chez les Merlus. Après tout, ils avaient prévu de s'y rendre, avant que les choses ne soient bouleversées par l'enlèvement d'Albérich...
Mais foin des tergiversations. La réponse était écrite là, sur el papier, et l'elfe s'empressa donc de d'ouvrir le pli et de lire ce qu'il contenait.

[Galathée]

Il put se féliciter d’avoir vu juste, reconnaissant rapidement la patte un peu maladroite de Galathée.

Cher Taliesin,

Je suis désolée pour la maison vide que tu trouves en rentrant. Je sais que tu espérais certainement que nous serions là à t’attendre, une bonne flambée dans l’âtre et un repas mitonnant dans la marmite, et c’est avec déchirement que je t’écris ces quelques lignes. Mais l’angoisse me ronge, insidieusement, et même si je n’ai rien perçu de funeste via le lien que j’ai avec Plume, j’ai besoin de me changer les idées, d’urgence, sous peine de ne plus broyer que du noir. Victor est inquiet lui aussi, mais tu le connais, il a des ressources insoupçonnées, la richesse de l’enfance, et il m’aide à tenir le coup. De nombreuses rumeurs circulent dans les rues, des rumeurs sinistres, qui parlent de déstabilisation du gouvernement. J’essaie de ne pas prêter attention aux racontars, lesquels tournent surtout autour de la disparition du conseiller Megrall. J’imagine que tu me raconteras ce que je dois savoir.
Tout ça pour dire que j’ai eu besoin d’air, et Matthieu Merlu est passé nous voir et il m’a convaincue d’aller passer quelques jours avec eux, à la ferme. Elle est toute proche, tu en connais bien le chemin et… j’espère que tu ne m’en veux pas. Je sais que j’aurais dû rester, je m’en veux alors que je boucle mon sac, mais… je sais aussi que tu comprendras.
Taliesin, l’instant de nos retrouvailles est tout proche, alors que tu lis ces lignes, que tu es vivant. Je me languis de toi, je t’espère et je t’attends.
A bientôt,

Galathée

Un petit PS était griffonné quelques lignes plus bas :

Tinkiette pa, je mocupe de Galaté. Jé survaillé kelle se lave.

Victor

Laquelle signature était agrémentée de charmantes étoiles et d’un oiseau.

[Taliesin]

Taliesin relut la lettre à deux reprises puis, troublé, il la plia avec soin et la glissa dans sa poche.
Bien sûr, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver un peu de déception. il aurait effectivement aimé retrouver les siens, pouvoir les serrer contre lui... Mais il comprenait parfaitement l'angoisse qui, peu à peu, avait gagné Galathée. Il avait éprouvé la même chose tandis qu'il l'attendait, avec Victor, dans leur petite chaumière au milieu des bois. Elle avait eu raison de suivre Mathieu jusqu'à la ferme, de profiter de la chaleur et de la bienveillance de leurs amis.
Se serait-il écouté qu'il aurait aussitôt repris son sac et mis le cap sur la campagne. Mais les portes devaient être fermées, à présent. Et le trajet était long de plusieurs heures, à pied. Aurait-il pu quitter la ville qu'il serait arrivé bien après minuit... Et il ne se sentait pas la force d'effectuer d'emblée un tel périple. Non, décidément, mieux valait museler son impatience, prendre une bonne nuit de repos et, dès l'aurore, partir fringant sur les chemins. Les retrouvailles étaient à peine repoussées. Ce n'était qu'un contre-temps, un bref recul pour sauter le pas et avancer vers cet avenir paisible auquel il aspirait tant. Et qui semblait à portée de main.
Avec un soupir, le barde se mit en devoir d'allumer un feu dans la cheminée et de quérir dans la cuisine quelques provisions pour se préparer un semblant de souper. Il travailla et mangea vite, tant parce qu'il était épuisé que pour ne pas trop penser. Puis, après avoir verrouillé la porte, il monta dans sa chambre et se glissa dans le grand lit glacé.
Ce n'était qu'un contre-temps, se répétait-il. Il partirait à l'aube et, à midi, il serait avec eux.
Alors, il n'y aurait plus de souci. Juste le bonheur.

[Galathée]

HRP : Pour ne pas vous spoiler, je conseille aux participants à la quête « Un sombre désir de crépuscule » de ne pas lire plus avant pour l’heure…

Au petit matin froid et gris, l’elfe fut tiré de son sommeil par les clameurs bien ordinaires d’une grande cité qui sort de sa torpeur, grincements, claquements, éclats de voix, qu’il avait presque oubliés, le temps d’une escapade. La maison était toujours aussi vide et Plume était endormie à sa place, sur le dossier de la chaise qu’aurait occupée Galathée si elle avait été là. L’oiseau semblait cependant plus rondouillard que la veille, et Taliesin devina qu’elle avait dû faire bombance au détriment des souris de leur demeure, lesquelles avaient sans nul doute profité de son absence pour festoyer dans le garde-manger. C’était de bonne guerre.
Après des ablutions glaciales, le barde entreprit de défaire son sac et ses lourdes fontes, qu’il avaient abandonnés près de l’âtre la veille au soir, trop fatigué pour les vider. Il retrouva les vêtements de rechange qu’il avait emportés, le petit matériel de survie, quelques vieilles pommes, un couteau de chasse, le livre qu’il avait acheté pour Victor, rien de bien spectaculaire. C’est tout au fond de sa fonte droite qu’il fit une découverte imprévue : un paquet de toile blanche, immaculée, qu’il était persuadé de ne pas connaître, reposait dans l’ombre. Il en déplia les pans, presque certain d’y découvrir les potions de soins que leur avait données Aidan de Respelm et qu’ils avaient oubliées, malencontreusement, au moment d’attaquer le vallon, mais il n’en était rien. Le paquet contenait un vêtement sombre, replié, un pipeau de bois clair et une petite bourse, ainsi qu’une lettre.
Laquelle disait ceci :

Très cher Taliesin,

A l’heure où vous lisez ces mots, je ne suis plus de votre monde, comme je l’avais prévu avant même d’arriver parmi vous. Je m’étais promis de ne laisser aucune trace, d’aucune sorte, derrière moi, mais comme souvent, je suis faillible, terriblement faillible, et plus on est investi de pouvoir, et plus ces manquements sont dangereux. Qu’importe, faire confiance à l’avenir est mon credo, mon essence, et je ne résiste donc pas davantage à l’envie de vous adresser ces quelques mots.

Si j’avais prévu de partir, je n’ai jamais envisagé de m’attacher à vous, et vos compagnons, comme je l’ai fait. Vous, d’entre tous, avez été mon ami au cours de ces quelques journées, ces quelques nuits, et je tiens à vous en remercier. J’ai beaucoup appris à votre contact, et votre présence m’a rempli d’une énergie improbable. Je n’ai pas beaucoup d’expérience en matière elfique, je devrais sans doute m’intéresser davantage à votre race, même si certains de mes collègues pourraient en prendre ombrage. Soit, je voulais vous dire que j’espère, je ne puis faire plus, que les lendemains qui vous attendent seront plus roses que les jours passés. Je voudrais vous promettre que je vais rester derrière votre épaule, à surveiller le monde, intervenant pour en infléchir le cours lorsqu’il menace de vous engloutir. Mais je ne peux pas. Je vais vous oublier, je vais vous trahir. Je dois regarder en mille endroits à la fois, agir en mille endroits, garder un œil sur le ciel et la terre, me soucier des grands équilibres, des entités avant leurs manifestations. Je ne peux pas me soucier des individus. Pas souvent, pas assez souvent. Je ne peux rien vous promettre, Taliesin. Je peux juste espérer. La bonne nouvelle, c’est que les autres, ceux qui errent dans les ténèbres et complotent à la perte de toute chose belle et pure, sont aussi occupés que moi. Je vous souhaite le meilleur, à défaut de pouvoir le provoquer.

Egoïstement, alors que je vous promets de ne plus me souvenir de vous d’ici quelques jours terrestres, je ne peux pas m’empêcher de m’immiscer dans votre vie. Je suis ce que je suis, aussi vain que vous le pensiez.

Le pipeau que vous trouverez dans ce paquet est imbu de quelques pouvoirs. Hormis le son charmant qu’il produit au naturel, il réagit à cinq mélodies traditionnelles que connaît tout bon barde. Les trois premières sont des hymnes lathandrites éculés, la quatrième une chanson romantique, la dernière, oui, j’en suis navré, une chanson paillarde. Comme je sais que vous aimez les surprises, je vous laisse découvrir par vous-même ce qu’elles produisent. Sachez juste que les morceaux sont « Premiers rayons », « Semeur d’aube, Semeur d’espoir », « Vaincre la nuit », « La Princesse et le Troubadour » et « Les Damoiselles d’Eauprofonde ».

Corellon me foudroierait sur place s’il me lisait, mais vous m’avez fait part d’un souhait, peut-être réel, peut-être factice, quant à votre elfitude, votre humanité. Dans la petite bourse, vous trouverez une petite graine. C’est une graine d’humanité. Si vous décidez de la manger, elle vous transformera progressivement en être humain. Vous ne changerez pas radicalement d’apparence, en un instant, mais petit à petit, l’humanité poussera en vous, modifiera vos caractéristiques elfiques, et permettra à cette barbe dont vous me parliez de surgir sur votre menton imberbe. Je devine que, comme bien des mortels, vous auriez préféré vous voir remettre le philtre qui aurait transformé les vôtres. Mais je suis un chantre de l’humain, Taliesin, je ne vais pas chanter les louanges d’une race qui m’échappe. De plus, croyez-moi, on surestime grandement les joies de l’immortalité.
Réfléchissez bien. Sacrifier sa nature profonde à l’amour est noble mais dangereux. Et n’attendez pas trop tard, si vous décidez de franchir l’obstacle. Vous êtes seul avec cette décision.

Quant au manteau, j’aurais voulu que vous le fassiez parvenir à Albérich Megrall, d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas parce qu’on perd quelqu’un qu’on cesse de l’aimer. Je vous remercie d’avance de ce service.

Il ne me reste rien à ajouter. Comme je l’avais prévu, vous avez triomphé. Et je n’y suis pour rien, et cela me remplit d’aise. L’esprit des gens est ce qui me nourrit, ce qui me conforte. Leur bon esprit. Une fois encore, pensez à vous pardonner. Personne n’est parfait, ni les Dieux, ni les hommes, ni les elfes. Mais tous, nous avons le potentiel du meilleur.

Très amicalement, et au regret de ne pas avoir pu partager un dernier verre avec vous,
Que la lumière de Lathandre, ce vieux fou, puisse vous illuminer quelques temps, à défaut de faire plus,

Belenn

PS Je vous enjoins de ne pas essayer de vendre cette lettre comme relique d’une sorte ou d’une autre. Après tout, qui s’intéresse aux divagations d’un fou qui ne se nomme même pas.

[Taliesin]

Taliesin en demeura bouche bée.
Tu dois avoir ma lu... songea-t-il. Ou alors tu rêves. Oui, voilà, tu dois rêver. Tu as tellement hâte de revoir Galathée et Victor que tu rêves de ton départ...
Pourtant, il n'avait pas l'impression d'évoluer en plein songe, malgré l'irréalité des mots tracés sur le papier, malgré l'improbabilité de ce qu'ils disaient. C'était inimaginable... A moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse là d'une farce, d'une ultime facétie de Belenn, d'un adieu à sa manière, espiègle, décalé... Il devait avoir glissé le mot, les objets dans ses fontes juste avant de gagner le vallon, l'artefact, son sinistre destin...
C'était le plus plausible, oui. Mais même cela, le barde n'arrivait pas à y croire. Des pans entiers de ses conversations avec le clerc lui revinrent à l'esprit, éclairés d'un jour nouveaux, prenant un sens plus profond qu'ils ne l'avaient eu alors...
Avez-vous déjà trahi quelqu’un, Taliesin ?
Pris de tournis, l'elfe s'assit sur le sol, les yeux rivés sur la lettre, les objets qu'il avait sortis du paquet de toile immaculée.
Et pourquoi cela serait-il impossible ? Après tout, il avait déjà vu un tel être, jadis...
-Et il m'a demandé ce que j'avais pensé de Helm...
Doucement, il se massa le front, se frotta les yeux, tentant d'éclaircir son esprit, de mettre de l'ordre dans ses idées bourdonnantes. En vain.
Alors, après un moment d'incertitude, il se leva, rangea le manteau, la bourse, la lettre et le pipeau dans son sac puis, avec minutie, entreprit d'y ranger les autres affaires qu'il comptait emmener avec lui. Pour le vêtement, il avait un instant songé à le déposer au Fort, en passant. Mais la démarche lui aurait paru par trop discourtoise, susceptible d'être mal interprétée. Et puis, il voulait revoir Albérich. Lui dire juste quelques mots. sans doute maladroits, sans doute inutiles, mais il en ressentait le besoin... Il demanderait à le rencontré sitôt revenu à Luménis.
Quant à l'identité de Belenn, il s'efforça de ne pas y penser. C'était quelque chose qu'on ne pouvait pas facilement assimiler, dont les implications étaient trop profondes, trop destabilisantes. Il y penserait à tête reposée... Penserait aux dons qu'il lui avait fait.
Mais, pour l'heure, il devait se mettre en route; Avaler son petit-déjeuner - malgré sa gorge nouée - puis gagner la campagne et, enfin, la ferme où s'étaient retirés les sien

[Voyageuse]

Astrée et Kasumi avaient chevauché tranquillement depuis l'orphelinat du seigneur Artwin, prenant même le temps de faire un petit crochet par le parc verdoyant. Il faisait beau, et Astrée avait profité de son passage pour se couper quelques branches de noisetier souples. Elle se fabriquerait des raquettes à la veillée : elle en aurait grand besoin pour parvenir jusque chez elle en plein cœur de l'hiver. Elle n'osait imaginer l'état des chemins de montagne...

L'après-midi touchait presque à sa fin lorsqu'ils arrivèrent dans la rue de l'orme creux. Ils repérèrent rapidement la maison où demeuraient Taliesin, Galathée et le jeune Victor, et Kasumi frappa vigoureusement à la porte.

[Taliesin]

Personne ne répondit à Kasumi. Il n'y eu pas le moindre mouvement à l'intérieur. Et le demi-elfe n'obtint pas davantage de résultat lorsqu'il toqua à nouveau. La porte demeura obstinément close, la maison, paisible et silencieuse. En l'observant avec un peu plus d'attention, les visiteurs notèrent que les volets en étaient clos. Comme il était beaucoup trop tard, et un peu trop tôt, pour que tout le monde soit au lit, il fallait donc croire que la petite famille n'était pas chez elle et ce, pour au moins plusieurs jours, sans quoi on aurait laissé les volets ouverts. Peut-être avaient-ils décidé de quitter provisoirement les murs de la cité pour une petite excursion en pleine nature... Après tout, Galathée était une rôdeuse, et Taliesin un barde itinérant. Ils devaient avoir du mal à tenir en place...

[Voyageuse]

Astrée fut quelque peu déçue. Elle avait promis à Taliesin de passer le voir lors de son séjour à Luménis, et elle aurait bien aimé faire la connaissance de Galathée dont elle avait tant entendu parler.
Mais après tout, ils avaient bien raison de profiter de quelques jours de vacances. Taliesin les avait bien mérités après la dure mission qu'ils avaient effectuée ensemble. Il avait dû être si heureux de retrouver les siens...

En désespoir de cause, les deux rôdeurs flanèrent dans le quartier avant de s'en retourner à la taverne de la Bienveillance pour le repas du soir et la nuit. Cette fois-ci, heureusement pour Kasumi, aucun barde n'officiait, ce qui le dispensa d'une épuisante soirée dansante. Ils restèrent simplement assis un long moment à leur table à bavarder, revivant la journée écoulée, la visite à l'orphelinat, évoquant le courage des enfants... et de ceux qui avaient accepté de s'en occuper !
Ils se couchèrent de bonne heure : ils étaient convoqués le lendemain à l'Assemblée, où Kasumi devrait sans doute présenter un compte-rendu de leur mission. Astrée aurait préféré se dispenser d'y aller, mais elle ne voulait pas laisser son compagnon affronter seul cette réunion qu'elle imaginait ennuyeuse à souhait. Et puis, après tout, Darren avait parlé de récompense, et elle avait bien besoin de quelques pièces d'or...
Par chance pour eux, Prince des Frelons semblait avoir renoncé provisoirement à ses farces, et accepta de bonne grâce qu'on lui installe une selle sur le dos. Moïse, lui, se remettait petit à petit de l'épuisement du voyage. Ombrage était en pleine forme, et apprenait à tolérer leur nouveau compagnon.
Kasumi harnacha lui aussi sa monture et ils quittèrent tous deux la taverne, se dirigeant au petit trot vers la salle du Conseil.

[Voyageuse]

Astrée avait accueilli avec enthousiasme la proposition de Kasumi d'aller rendre visite à leur ami Taliesin. Elle n'avait jamais rencontré Galathée, son épouse, que le rôdeur semblait bien connaitre.
Ils eurent tôt fait de ranger les quelques restes de leur pique-nique, mais passèrent encore un moment à se promener dans le Parc Verdoyant. Kasumi montrait à Astrée les plus beaux endroits, racontant les anecdotes qui y étaient liées. Le hasard de leurs pas les mena vers les plus profonds recoins du parc, ceux qui avaient servi de cachette à la résistance luménienne lors du coup d'état, et Astrée pressa Kasumi de questions pour mieux connaître cet épisode de l'histoire de la ville, et surtout le rôle qu'il y avait joué.
Le rôdeur répondit de bonne grâce au flot de questions, livrant la plupart de ses souvenirs. Mais, en arrivant au bassin où il avait l'habitude de se baigner à l'époque, il se garda bien de raconter qu'un jour on avait profité de ses ablutions pour faire disparaître ses vêtements, et qu'il avait dû pendant quelques heures de promener nu, puis attifé de vêtements féminins...

Ce n'est qu'en milieu d'après-midi qu'ils quittèrent finalement le parc pour se diriger vers le complexe portuaire, espérant que Taliesin ou Galathée seraient chez eux pour les accueillir. Ils ne s'attendaient certainement pas à leur visite, et ils imaginaient leur surprise. En chemin, ils s'arrangèrent pour passer devant le marchand de gaufres, et en achetèrent quelques-unes pour offrir à leurs amis. Sans doute connaissaient-ils déjà cette délicieuse trouvaille, puisqu'ils habitaient tout près. Mais l'essentiel était de ne pas arriver les mains vides. Et puis, si le barde et sa compagne étaient absents, ils pourraient toujours les leur laisser, enveloppés, sur le seuil de la porte, avec un petit message amical.

[Galathée]

La petite maison où vivaient Galathée et Taliesin était aussi déserte que la dernière fois qu’ils y étaient venus. Elle arborait désormais des signes d’abandon manifestes : des toiles d’araignée s’étaient tendues au travers du passage, des oiseaux nichaient sous le porche et dans les gouttières, des herbes folles et quelques pissenlits avaient élu domicile entre les marches qui menaient à l’entrée. Un avis officiel était cloué sur la porte, marqué des armoiries luméniennes. Quelques phrases ampoulées annonçaient que tout pillard qui pénétrerait sur la propriété serait sévèrement puni et que quiconque avait des informations sur l’endroit où se trouvaient les propriétaires de la demeure était invité à se rendre au Fort dans les plus brefs délais. Des sceaux étaient placés sur les fenêtres et l’entrée, frappés du L majuscule de Luménis, peut-être investis de magie, difficile de le savoir. En tout cas, les habitants de la petite maison n’y résidaient plus depuis longtemps.

[Kasumi]

Le visage de Kasumi se ferma dès qu’il approcha de l’allée menant à la petite maison qui avait été celle de Taliesin et Galathée. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu’elle était toujours abandonnée et il lut le reflet de l’inquiétude qu’il ressentait sur le visage de sa compagne. En poursuivant leurs investigations, ils découvrirent le message d’avertissement laissé par les autorités. Celui-ci ne fit qu’accroître les craintes du demi-elfe. Evidemment, il était possible que Taliesin et Galathée ait eu envie de quitter la ville mais cela ne ressemblait pas à la rôdeuse qu’il avait brièvement connue de s’enfuir sans laisser de nouvelles. Le fait que les autorités recherchent des informations sur eux ne pouvait que signifier qu’elle n’en avait donné aucune au moins récemment. Les hypothèses les plus folles traversèrent l’esprit de Kasumi. Les recherchait-on pour quelque affaire judiciaire ? Après tout, Taliesin n’était pas en bon terme avec certains conseillers à son départ. Mais le rôdeur écarta cette hypothèse farfelue. Il avait rendu un grand service à la cité en participant à la libération du conseiller Megral. Il se pouvait aussi qu’il leur soit arrivé malheur hors de la ville et cette perspective renfrogna le demi-elfe, toute sa joie gagnée dans l’après-midi et dans la perspective de revoir leurs amis envolée soudainement. Il parla pour lui-même sans se rendre compte qu’il avait laissé échapper ses pensées :

- Je ne comprends pas…

Il tourna son regard vers Astrée comme il avait pris l’habitude de le faire au cours des dernières veilles dès qu’il avait besoin de soutien ou d’un conseil.

[Voyageuse]

Astrée rendit au rôdeur un regard aussi inquiet et perplexe que le sien. La maison était abandonnée, et l'écriteau indiquait que les autorités luméniennes étaient sans nouvelles de ses occupants. Sans doute des voisins, inquiets de leur disparition prolongée, avaient-ils prévenu les autorités. Ou peut-être l'absence de Galathée, employée au fort, avait-elle inquiété ses employeurs ? Toujours est-il que leurs amis n'étaient sans doute pas revenus chez eux depuis l'hiver, et que personne n'avait de nouvelle d'eux à en juger par l'écriteau. Elle songea immédiatement au pire. Ils étaient certainement partis quelques jours en vacances, et quelque chose leur était arrivé.
Elle était aussi désemparée que son compagnon.
- Il a dû leur arriver quelque chose, pour qu'ils disparaissent comme ça sans donner de nouvelles. J'aimerais qu'on puisse faire quelque chose pour aider à les retrouver. J'imagine que les autorités doivent enquêter... Oh, il leur est sûrement arrivé malheur.

L'angoisse la tenaillait. Elle savait trop bien combien la vie est fragile, combien le bonheur peut être arraché d'un jour à l'autre. Bien sûr, on pouvait aussi imaginer qu'ils soient partis sans laisser d'adresse, juste tous les trois pour construire une autre vie ailleurs, après tout elle-même l'avait bien fait, mais... non, elle n'y croyait pas.
Elle se blottit contre son compagnon. Ils ne pouvaient rien faire, à part aller au fort et se renseigner sur l'enquête en cours, proposer leurs services pour battre la campagne... Ce qui avait certainement déjà été fait maintes fois.
Ses yeux tombèrent sur les gaufres qu'ils avaient achetées, pour rien... Elle baissa la tête, inquiète. Vraiment inquiète. Elle devinait que son compagnon l'était tout autant, voire davantage. Il connaissait Taliesin et Galathée depuis plus longtemps. Elle passa son bras autour de sa taille et l'enserra fort, pour lui communiquer un peu d'espoir, un espoir qu'elle était loin de ressentir.

En désespoir de cause, ils finirent par quitter la maison, croisant au passage un vieil homme qui les regarda d'un air soupçonneux. Sans doute un voisin. Il leur restait deux ou trois heures à occuper avant la nuit, et ils décidèrent d'un commun accord de se rendre au petit bosquet sur les quais.

[Galathée]

Taliesin quitta le Parc par l'ouest et marcha un moment dans le quartier toujours animé du port avant d'arriver à la maison de la rue de l'Orme Creux. La petite bâtisse n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'il y avait venu, et on la sentait habitée : des rideaux propres étaient suspendus aux fenêtres, la porte venait d'être repeinte, et les alentours immédiats étaient bien entretenus : il y avait même des jardinières de fleurs au premier étage. Cependant, lorsqu'il frappa, personne ne répondit.
" Y'a jamais personne la journée, mon bon monsieur, dit un vieux qui passait dans la ruelle. Ils travaillent dur, les jeunes qui vivent là. Sont pas du genre à traîner chez eux."

[Taliesin]

-Merci pour le reneignement, monsieur.
Il s'en était douté mais avait malgré tout voulu tenter sa chance.
Dans de telles conditions, ne lui restait plus qu'à rejoindre Baptiste et Galathée : il commencerait par le temple de Lathandre, puisque ses démarches avaient été des plus rapides, puis, s'ils étaient déjà partis, enchaînerait par les diverses boutiques prévues au programme.
Quant à la lettre pour Kerun... Bah, il l'insérerait dans un pli à destination de Mathilde. C'était encore le plus simple.