[Lieu] Belles-Vagues

[Taliesin]

Belles-Vagues est un petit village de pêcheurs situé à une demi-journée de chevauchée au sud de Luménis. Rien ne le différencie de la myriade de bourgades qui jalonnent la Côte de la Lumière, si ce n'est sa plage, longue et rectiligne, exempte de tout banc de rocher. De ce fait, la mer, paisible, vient lécher le sable blond sans qu'aucun obstacle ne vienne briser la ligne harmonieuse de ses vagues. C'est évidemment de celles-ci que l'endroit tire son nom, et elles constituent sa principale attraction. De fait, au fil des ans, l'endroit est devenu le lieu de villégiature privilégié des Luméniens aisés. Les plus riches y ont acheté des villas, les autres louent des chambres - rares et fort chères à la belle saison - dans la vaste hostellerie qui y a été construite. Le village bourdonne alors d'activité, de nombreux marchands itinérants y installent leur échoppe pour fournir tout le nécessaire aux visiteurs, lesquels espèrent bien ne rien perdre du confort dont il jouissent en ville.
Il en va autrement en plein hiver : déserté des commerçants et des Luméniens, Belles-Vagues ne compte plus que quelques dizaines d'habitants, pêcheurs pour la plupart, qui écoulent leurs marchandises auprès des négociants en poisson chargés de transporter au plus vite le produit de la marée jusqu'à la capitale. En dehors de cette activité, ce n'est plus guère que rues désertes et maisons endormies jusqu'au retour des beaux jours. Tout juste, parfois, peut-on y croiser quelque promeneur en quête de solitude.

[Galathée]

Quête : Brumes

Venant d'ici

Ils avaient cheminé en silence sous une neige fragile. Le vent était doux, chargé de cristaux de neige qui se prenaient dans les fibres de leurs manteaux et leur rougissaient les joues. La route était relativement dégagée, signe qu’une activité commerciale continuait d’avoir lieu entre les différents villages de la côte. Belles-Vagues n’était pas le plus perdu d’entre eux, même s’il sombrait dans la léthargie pendant l’hiver. Il ne serait jamais venu l’idée à Albérich de le fréquenter à la belle saison, lorsque sa plage était colonisée par les bourgeois luméniens. Le gel n’attirerait que quelques mouettes, il n’en demandait pas davantage.

Curieusement, heureusement, plutôt, ses souvenirs l’avaient laissé tranquille pendant le trajet. Il avait pu voyager sans heurts, hypnotisé par la campagne grise, les arbres nus, sans penser à rien. A presque rien. Le froid l’engourdissait, le rythme monotone du pas des chevaux, comme une mélopée d’oubli, sinistre et sereine, parfois brisé par un vol de corneilles croisant sur le ciel blanc. Les champs étaient figés, aux prises avec Aurile, le monde était endormi.
Hiberner. Cela n’aurait servi à rien. Repousser sans cesse l’inexorable, plus loin, demain, j’y penserai, je gèrerai, je me relèverai.
A quoi bon, en réalité.
Ils entendaient le roulement de la mer, distant, à l’abri des collines. L’emprise du gel n’allait pas jusqu’à la faire taire. Albérich essaya de se remémorer une année où la mer aurait été gelée, sans succès. Pourtant, cela arrivait, mais plus au Sud, encore, du côté d’Antelucas. Il aurait aimé marcher sur l’océan, franchir les vagues, vers l’horizon…
La nuit tomba tôt, rapidement, alors qu’ils apercevaient les lueurs de Belles-Vagues, premiers feux dans les ténèbres. Ses gardes du corps connaissaient le chemin et ils se glissèrent entre les maisons silencieuses, abandonnées pour la plupart, jusqu’à l’Auberge de la Houle, où ils entendaient poser leurs bagages pour quelques jours.

[Taliesin]

Il s'agissait d'une grande maison à la mine altière, dotée de façades à colombages et de dépendances plutôt étendues. Une écurie assez grande pour abriter les attelages de bon nombre de voyageurs occupait l'un des côtés de la cour pavée, à l'opposé d'une aile de construction apparemment plus récente que le reste des bâtiments. Quant au logis-lui même, sa double porte et ses multiples fenêtres faisaient face à la mer, en contrebas.
L'endroit paraissait aussi désert que le village alentour. De la lumière filtrait seulement des fenêtres du rez-de chaussée, et encore était-elle plutôt ténues. Quant à la cour, on n'y voyait pas âme qui vive. Nul palefrenier n'était venu à leur rencontre, soit qu'il n'y en ait plus durant la morte saison, soit que leur approche, pour le moins inattendue, n'ait tout simplement pas été remarquée.

[Galathée]

Albérich n’était pas réellement surpris. Rares étaient les amateurs de baignade sous la neige et ils seraient peut-être les seuls résidents de l’auberge. Pour autant qu’elle soit ouverte. Il n’avait pas songe qu’il eut pu en être autrement. Il eut un sourire ironique en démontant de son hongre. Coincés pour la nuit dans un village fantôme, au dehors, en plein hiver. S’ils avaient joué de malchance, Marcus allait apprécier.
Il ne servait à rien d’attendre que l’un des deux clercs aillent s’enquérir du tenancier : ils ne parlaient pas. Albérich confia donc les rênes de sa monture à Alaric, puis fit quelques pas hésitants vers la porte. Il avait les fesses en compote et la colonne vertébrale raide comme un manche de lance. S’il avait espéré que les mauvais traitements subis aux mains des Sharites avaient endurci sa carcasse, il lui fallait déchanter. En réalité, il n’avait jamais espéré qu’il en sorte quoi que ce soit de positif.
Juste la ruine.
Il hésita à frapper à l’huis, mais se ravisa. On entrait dans une auberge. Ce qu’il fit, soulagé d’entendre l’imposante porte grincer, discrètement, sur ses gonds.

[Taliesin]

Comme il s'y attendait, la salle commune était complètement vide. Il n'y avait pas le moindre client dans les alcôves du fond aux rideaux grands ouverts, ni sur les confortables banquettes longeant les autres murs, les siège entourant les tables rondes au bois lustré, les hauts tabourets alignés près du comptoir... Dans l'âtre de la cheminée, une bûche achevait de se consumer paisiblement. C'était la principale source de lumière, en dehors de deux grands chandeliers posés sur le bar.
C'est de derrière celui-ci que provint la première occupante des lieux qu'il fut donné à Albérich de voir. Il s'agissait d'une femme d'âge mûr, grande et svelte, ses longs cheveux noirs striés de blanc noués en une longue natte qui lui battait le dos. Elle jeta au visiteur un regard étonné puis se para du sourire que se devait d'aborder tout bon aubergiste.
-Je me disais bien que le vent n'était pas assez fort pour pousser la porte...dit-elle d'une voix étonnamment grave. Bienvenue à l'Auberge de la Houle, messire. Que puis-je pour votre service ?

[Galathée]

Albérich demeura un instant muet, comme pétrifié par cette apparition. Il réalisa qu’il n’avait plus adressé la parole à un inconnu depuis bien longtemps. Il sentit poindre en lui une étrange angoisse. Autrefois, il serait parti du principe que l’aubergiste était bienveillante, qu’elle avait sans doute ses défauts, comme tout un chacun, mais que dans le fond du fond, elle était bonne, accueillante, qu’ils seraient bien reçus, bien servis, qu’ils cohabiteraient sans difficultés. D’où venait cette subite suspicion ? Cette méfiance fondamentale, qui lui nouait les entrailles ? Etait-ce de l’agacement qu’il devinait dans ses yeux où dansait la flamme de l’âtre ? Un léger mépris au coin des lèvres ? Que signifiait la tension dans ses avant-bras, dans ses mains posées sur le bois poli du comptoir ?
Elle est surprise, c’est tout. Personne ne vient en plein hiver.
« Bonsoir à vous. »
Il avait toujours cette voix cassée, de quelqu’un qui a trop crié, qui ne dort pas assez, qui n’a pas pris soin de lui au moment opportun.
« Nous sommes trois voyageurs de Luménis. »
Des clercs lathandrites, dis-le.
« Nous aurions… voulu passer quelques nuits dans votre établissement. S’il est ouvert, bien entendu. »

[Taliesin]

La femme haussa les épaules.
-Ouvert, il l'est, sinon, vous auriez trouvé porte close... Les clients se font rares, mais il arrive parfois qu'un marchand de poisson soit immobilisé à cause du temps et qu'il cherche un toit... Ou qu'un voyageur comme vous vienne à passer dans les parages. Enfin bref, nous sommes ouverts, et nous avons autant de chambres que vous le voulez. On peut vous servir le petit déjeuner, le déjeuner et le souper : la cuisinière habituelle est rentré à Luménis, comme chaque hiver, mais on n'est pas tout à fait dépourvus pour autant... Et on peut aussi s'occuper de vos montures, si vous en avez... Enfin, j'imagine que vous en avez, sauf si vous êtes des amateurs de randonnées sauvages.

[Galathée]

Albérich acquiesça. Il ne pensait pas être en état de marcher plus de deux cent mètres sans avoir besoin de s’asseoir.
« Dans ce cas, je pense que nous prendrons trois chambres simples. Il ne nous faut pas grand chose, du moment qu’elles sont au calme. Quant aux repas… Je ne peux pas m’avancer pour mes compagnons, mais nous dînerons ce soir, si c’est encore possible. Pour le reste, j’imagine que ce sera un peu au jour le jour… Et nous avons trois chevaux, oui. Si vous m’indiquez l’écurie, nous pourrons les y installer. »

[Taliesin]

La femme acquiesça.
-Va pour trois chambres. Et pour un repas ce soir. Ce sera prêt d'ici... Une heure, dirais-je. Quant à l'écurie, elle est sur votre gauche, en sortant. Vous pouvez y amener vos montures, mais ne vous embêtez pas à les desseller. Le vieux Karl est dans les parages, il s'en occupera bientôt.
Elle fouilla dans un tiroir et en sortit trois clefs.
-Bon, pour le tout, ça vous fera une pièce d'or par tête. Comme vous ne savez pas combien de temps vous allez rester, ni combien de repas vous prendrez, c'est sans doute mieux que vous payiez au fur et à mesure.

[Galathée]

L’Aubemestre paya la tenancière, puis regagna la cour et ses compagnons de voyage. Il s’exprima brièvement, leur remit à chacun une clef puis ils allèrent installer les animaux à l’écurie. Ils avaient emporté peu de choses et regagnèrent la chaleur feutrée de la salle de l’auberge rapidement. Albérich s’esquiva presque immédiatement. Il était moulu de la nuque au bas des reins et espérait que la position allongée le soulagerait quelque peu. Il n’alluma pas de chandelle dans sa chambre, tâtonna jusqu’au lit qu’il devinait dans la pénombre, et s’y affala tout habillé. Après quelques secondes d’immobilité, il se tortilla pour se dégager de son manteau, tira ses bottes et se glissa sous les couvertures froides. Chaque muscle de son anatomie semblait perclus, il poussa plusieurs longs soupirs, comme s’ils pouvaient l’aider à se défaire de ses courbatures, puis accueillit l’épuisement avec félicité, la brume avalant douleurs et doutes.

Lorsqu’il ouvrit l’œil, il faisait bien plus sombre. Le vent soufflait au dehors, sifflant timidement dans les ardoises du toit. Il avait manqué le repas, certainement, mais n’avait pas faim. Au loin, le roulement de la mer était apaisant, rythmique, et il se contenta de l’écouter de longues minutes, avant de se rendormir.

Il descendit dans la salle de l’auberge plus tard, alors que le jour était levé depuis longtemps. Autant pour le salut à l’aube, mais ses deux gardes du corps savaient bien qu’il ne participait plus aux rites depuis longtemps. Il était vaseux, courbaturé, fébrile, mais il n’était pas venu jusqu’à Belles-Vagues pour rester cloîtré.

[Taliesin]

A peine avait-il atteint le pied de l'escalier que la tenancière, comme un diable jaillissant hors de sa boîte, faisait son apparition derrière le comptoir.
-Et bien, on est du genre marmotte, semble-t-il... commenta-t-elle sur un ton de pure constat, sans qu'on puisse y déceler amusement ou raillerie. Hum, vous avez largement dépassé l'heure du déjeuner, mais je vous ai quand même gardé quelque chose, au cas où. Je vous avais aussi préparé quelque chose, hier, mais vous n'êtes pas venu, et ça me serait resté sur les bras si votre compère, le grand, n'avait tout avalé... Bref, si vous décidez à nouveau de faire la grève de la faim, ça serait gentil de me prévenir, histoire que je m'organise...
Elle dévisagea le clerc puis afficha un demi sourire.
-Ah, et bonjour, au fait. J'espère que vous avez bien dormi, évidemment.

[Galathée]

« Bonjour à vous, j’ai bien dormi, merci. » fit-il en prenant place à une table, dans la salle déserte.
Il sourit à la tenancière, un peu embarrassé.
« Je crains d’être un piètre client. Sans doute vaut-il mieux, par défaut, ne rien préparer pour moi. Je me contenterai de peu, de vos fonds de casseroles ou d’un quignon de pain, si la faim me vient… Et je vous dédommagerai pour les repas manqués, bien sûr. Je ne suis pas certain de pouvoir prévoir… Je suis… »
Il hésita une seconde, puis sourit à nouveau.
« Je suis en convalescence, je ne suis pas encore maître de tout. »

[Taliesin]

-Oh... Il fallait le dire tout de suite... grimaça la tenancière.
Elle disparut dans son arrière cuisine et revint quelques instants plus tard, chargé d'un plateau. Le petit déjeuner qui y trônait paraissait bien copieux, au regard des propos du clerc : un bol de gruau de céréales agrémenté de miel, un pichet de lait, du pain frais, du beurre, de la confiture...
Elle déposa le tout devant lui et s'empressa d'ajouter.
-Prenez ce que vous voulez, ne vous forcez pas pour me faire plaisir. Et il n'est certainement pas question de vous contenter de fonds de casseroles ou de quignons de pains. Je tiens à la réputation de ma maison ! Je vous préparerai des parts raisonnables, et si vous n'y touchez pas, votre copain s'en chargera, il a l'air d'avoir un appétit assez insatiable, celui-là.
Elle dévisagea un instant Albérich puis se détourna. Elle connaissait bien son métier, savait ne pas se montrer indiscrète ou trop ouvertement observatrice.
-Mais vous avez choisi le bon endroit pour vous remettre, reprit-elle. L'air marin, il n'y a pas mieux. Et la tranquillité, aussi. Pas trop envie de voir du monde quand on est encore patraque. Et du monde, ici, vous n'en trouverez pas, je vous le garantis.

[Galathée]

Albérich ne mangea pas grand chose. Malgré l’objective qualité de ce qu’on lui avait proposé, la nourriture lui donnait toujours la nausée. Il se souvenait du brouet infâme que ses geôliers lui servaient dans la tour des Sharites, de ses mains liées, du choix difficile entre s’humilier et mourir, de la délivrance qu’avait apportée le désespoir lorsqu’il lui avait indiqué la voie à suivre, le refus, la faiblesse, une promesse de trépas douloureux mais assuré…
Il finit par se lever, un peu chancelant, repoussant son assiette, et sortit au dehors. L’air marin, froid et salé, lui donna un coup de fouet qui l’arracha à sa mémoire, le projeta dans l’instant présent, et il réfréna quelque chose, un cri de rage, de douleur ou de terreur, un sanglot, qu’il refusa de nommer, même pour lui seul.
Il quitta la cour en refermant son manteau autour de lui. Il n’avait aucune idée d’où se trouvaient les deux Lathandrites qui l’avaient accompagné, mais c’était le dernier de ses soucis. Il voulait gagner la plage, se replacer face à une immensité, matérielle à défaut d’être divine, quelque chose pour prendre la mesure, un instant, de ce qui tourbillonnait en son sein.
Il traversa le village désert sans le voir, attiré comme un insecte aveugle par le murmure des vagues et du temps. Dernières maisons, quelques dunes, le passage emprunté par mille vacanciers qui veulent profiter du soleil et du sable.

La mer grise, révélée, sous un ciel translucide.

Il fit quelques pas, retira ses bottes et ses chaussettes, les abandonna derrière lui, vestiges, marcha vers l’eau puis se ravisa et alla s’asseoir sur une pierre.
Pour attendre.
Le vent soufflait autour de lui, virevoltant, en volutes sauvages. Il ne faisait pas réellement froid. Devant, la mer roulait, petits moutons cavalant sur les vagues, qui venaient s’écraser sur le sable avec une étrange tendresse. Albérich releva ses chausses jusqu’aux genoux. Des années qu’il n’était plus venu jusqu’ici. Enfant, sans doute, il avait dû arpenter ce rivage, la main dans celle de sa mère, son regard bienveillant posé sur sa tête brune, sa confiance en elle entière, parfaite, son amour infini. Il ne se souvenait pas vraiment. Tout ça lui semblait si loin, désormais. Pourtant la plage était familière. Sa sérénité froide sous les rayons d’un soleil hivernal timide. A ses pieds, le sable était encore humide, mais peu à peu, la mer s’enfuyait. Des coquillages abandonnés, des algues meurtries, dessinaient des bandes plus sombres sur le blanc cristallin de la plage. Il se leva pour rattraper l’eau.
Elle était glacée, il le savait, mais n’importe quelle sensation lui suffirait pour reprendre corps. Il se pressa sans courir, plus rapide que la lente glissade de l’onde vers l’horizon. L’océan s’immisça entre ses orteils, sur son pied, dévora ses chevilles, il tressaillit sans reculer. Un cri lui fit lever les yeux, des mouettes planaient, traçaient des enchevêtrements de silhouettes sur le ciel bleu gris.

Une tache sombre sur les flots, s’approchait, doucement, alors que la mer se retirait. C’était un morceau de bois flotté, voyageur, qui s’échoua quelques mètres sur sa gauche.
Il resta immobile, attiré sans savoir pourquoi, à l’observer. Autrefois, il avait dû faire partie d’un navire gigantesque, peut-être proue, peut-être poupe, peut-être mât. Autrefois, il avait été élément d’un ensemble. Aujourd’hui, il flottait et s’échouait sur une plage déserte, arpentée par une âme perdue qui s’était détachée, elle aussi, d’un tout.
Il sourit, réalisant qu’il voyait ce simple événement comme un signe, Il n’avait jamais été superstitieux, mais l’existence avait pris un tour tellement imprévu, tellement difficile, que ses perceptions étaient intimement modifiées. Ce n’était qu’un morceau de bois. Un simple morceau de bois. Et il avait l’impression d’un message, d’un échange, comme s’ils étaient le reflet l’un de l’autre.
Il aurait pu le prendre, lui offrir un nouvel asile, une nouvelle fonction, mais il s’en sentit incapable. Le geste avait une portée plus vaste, en cet instant.
Il se détourna et se mit à marcher, simplement, pieds nus, vers le sud.

[Taliesin]

La plage était déserte, immobile en dehors de l'inlassable flux et reflux des vagues en train de se replier. Les seules traces de vie provenaient des quelques mouettes qui tournoyaient dans le ciel, impassibles, silencieuses sauf lorsqu'elles poussaient un appel soudain et plongeaient en piquer vers l'onde, puis reprenaient aussitôt leur envol, quelque malheureux poisson aux écailles rutilantes coincé dans leur bec implacable.
Des mouettes. Des poissons. Mais d'hommes, point. Une fois, une seule, Albérich crut voir un mouvement vers l'intérieur des terres, la tâche noire d'un manteau, peut-être. Celui d'Alaric, de Tallad ? Il ne pouvait en être sûr. Sans doute n'étaient-ils pas loin, cependant, à le surveiller, à le protéger de quelque improbable ennemi. A le protéger de lui-même, qui sait.

[Galathée]

Le vent soulevait parfois des embruns, une bouffée d’air piquetée de glace, il sentait sa barbe et ses cheveux devenir humides, mais il n’avait pas vraiment froid. La sensation avait pris une toute autre signification, en haut de la tour, peut-être n’aurait-il plus jamais vraiment froid. Maigre consolation.
Il s’arrêta à nouveau, fixant l’horizon désert, replia les bras autour de lui et affronta la bourrasque, les yeux clos. S’il avait été aussi vide en réalité que dans sa perception de lui-même, il se serait envolé. La brise l’aurait emporté, dispersé, rejeté au large, en petits morceaux, espoirs brisés, souvenirs éparpillés, être intime en miettes. Peut-être les mouettes le mangeraient-elles. Peut-être le trouveraient-elles indigeste. Il frissonna.
L’eau finit par le fuir, refluant vers l’ouest. Le soleil était haut dans le ciel, masqué par un fin rideau de nuages mouvants, comme un espion indiscret qui aurait voulu qu’on le remarque. Albérich ne leva pas les yeux. Enfouissant les mains dans les poches de son manteau, il reprit sa marche sans but, sinon celui de voir jusqu’où ses jambes le porteraient. Sans doute plus très loin, il sentait des élancements dans ses muscles, le début d’une migraine, une raideur dans le bas du dos. Mais jusqu'à ce que le corps flanche...

[Taliesin]

Enfin, Albérich aperçut quelqu'un, sur la plage. Ce ne fut d'abord qu'une silhouette lointaine, sombre et voutée, suivant rapidement la lisière humides des vagues. Mais, bientôt, il put mieux la distinguer : il s'agissait d'une vieille femme, toute vêtue de noir, ses longs cheveux blancs flottant librement dans le vent. L'une de ses mains enserrait un bâton noueux dont la teinte claire disait assez qu'il était fait de bois flotté. L'autre tenait la hanse d'un pannier rempli de coquillages et de galets aux formes étranges...
D'ailleurs, le clerc la vit soudain se pencher, vive, semblable à l'une des mouettess qu'il avait observées, un peu plus tôt, fondant sur d'infortunés poissons. Ce n'était pas un poisson que la femme avait ramassé, toutefois. Mais un crabe qu'elle tint un instant entre ses doigts, semblant lui murmurer des mots inaudibles.
Elle reprit bientôt sa marche, le regard rivé sur le sable mouillé. Ce n'est que parvenue à la hauteur du Luménien qu'elle sembla enfin prendre conscience de sa présence. Relevant la tête, elle le dévisagea un instant de ses yeux étrangement clairs, comme délavés par les embruns salés de l'océan.
-Tu vas attraper la mort en te promenant comme ça, mon gars... dit-elle d'une voix aigrelette. Tu n'es pourtant pas un crabe pour marcher pieds nus dans le sable par un temps pareil... Ou peut-être que si ?
Elle sourit, découvrant une dentition étonnament bien conservée.
-Alors ? Es-tu un crabe, mon gars ? Dois-je te mettre dans mon panier ?

[Galathée]

Albérich sourit affablement à la vieille, mais son cœur s’était à nouveau emballé, comme s’il prévoyait une attaque ou une fuite nécessaire dans les minutes à venir. Pourtant ils étaient seuls, elle était vieille et voûtée, elle aurait pu avoir peur de lui. Il était manifeste qu’il n’en était rien, sorcière ou néréide arpentant son domaine, elle était en confiance. A moins qu’il ne soit simplement comme un livre ouvert, sa faiblesse révélée, manifeste. Je suis inoffensif, foulez-moi du pied si vous le voulez.
« Crabe, je ne pense pas. » répondit-il honnêtement. « Il ne fait pas si froid… »
Il jeta un coup d’œil derrière lui, sur la piste qu’il avait tracée, la découvrit déjà effacée, avalée par le sable humide.
« Et je ne sais pas où sont mes bottes, d’ailleurs. » ajouta-t-il d’un ton qu’il espérait léger.

[Taliesin]

-C'est la fouine qui les a, répondit la vieille femme avec aplomb. Devait se douter que tu ne les retrouverai pas. Et pour l'instant, il se terre derrière le talus, se demandant s'il doit intervenir avant que je te mette dans mon panier. Quant à l'ours, il s'en fait moins, il s'amuse à faire des ricochets comme un gamin. L'a d'ailleurs jeté un galet que je voulais. Mais la marée me le ramènera, un jour ou l'autre. La marée rend toujours tout. Il suffit de savoir attendre.
Elle observa à nouveau le clerc, une étrange lueur dans le regard.
-C'est en tout cas la première fois que je vois une fouine et un ours s'unir pour couver un crabe ! Enfin, non, pas un crabe. Un coquillage. Avec une forme étrange, mais un coquillage tout de même. Reste à savoir si quelque chose se terre encore sous cette coquille, ou si elle n'est pleine que de vide.

[Galathée]

L’aplomb de la vieille femme le laissa sans voix, tandis qu’il réalisait qu’elle en savait plus qu’une simple promeneuse. Elle devait avoir l’œil acéré pour avoir repéré ses deux gardes du corps, qu’il s’était contenté de supposer sans les apercevoir. Il se retourna à nouveau, mais la plage était toujours déserte. La fouine et l’ours. Il espéra qu’aucun des deux n’en avait le sale caractère.
« Je n’en sais rien moi-même. » répondit-il finalement.
Il lui semblait inutile de tourner autour du pot. La vieille semblait voir plus que ce qu’il n’avait eu conscience de refléter. Quelque part, savoir les deux clercs non loin le rasséréna. C’était illusoire, bien sûr. Ils avaient été deux clercs expérimentés, cette nuit-là, face à des adversaires coriaces, certes, mais si seulement ils avaient été sobres… et prêts… Il frissonna et croisa à nouveau le regard de son étrange interlocutrice.
« Je ne veux pas vous retarder davantage. » lâcha-t-il, soudain embarrassé par ces yeux incisifs qui le vrillaient.

[Taliesin]

-Et c'est ainsi que le jeune Megrall congédia la vieille Mouette, répartit-elle, mutine. Tu étiez plus liant, enfant. Quoi que timide et jamais bien loin de ta mère. Plus liant, n'empêche. Et plus plein, surtout.
Elle fit quelques pas, puis jeta un regard par dessus son épaule.
-Prends tout de même garde, mon gars. La nature a horreur du vide, et si tu ne prends soin de te remplir selon ton choix, elle le fera pour toi, comme elle inonde les trous creusés dans le sable avant de les faire disparaître sous ses vagues... Hum, mais je ne t'importunerai pas plus longtemps. L'ours a réussi dix-sept ricochets. Si je n'y prends pas garde, il deviendra bientôt meilleur que moi.
Et de s'éloigner de son pas vif, appuyée sur son bâton, le panier se balançant doucement au bout de son bras maigre.

[Galathée]

Albérich resta pétrifié sur le sable, regardant la vieille s’éloigner alors qu’il tentait de rassembler des souvenirs épars, souvenirs dont il ne disposait pas. Comment retrouver des bribes remontant à près de trente ans, ensevelies sous les aléas de la vie, les troubles et les révélations. Un enfant timide, sans doute. Mais peut-être le confondait-elle avec l’un de ses frères, même s’il était le seul à avoir le cheveu sombre dans une famille plutôt solaire. Son père s’était posé des questions, un temps. C’était ridicule, bien sûr, mais Siegfried Megrall aimait s’offusquer, soupçonner et accuser. Passe-temps sinistre mais peut-être salvateur : le vieux fauve était toujours vivant.
Se tournant à nouveau vers la mer, alors que la promeneuse s’éloignait, à la poursuite d’un clerc adepte du ricochet, Albérich abandonna ses fouilles. Il ne retrouverait pas le visage qu’il cherchait. Elle pouvait être femme de pêcheur, druidesse côtière ou marchande de légumes, s’il voulait le découvrir il devrait lui poser la question. Des deux mains, il se frotta longuement les joues hirsutes, puis les yeux. Il espérait trouver, un jour, un endroit où, anonyme, il ne serait plus forcé de se mesurer à ce qui avait été, à ce qui aurait pu être. Mais il n’était pas encore prêt. Belles-Vagues, demain Eredhùn. Le parcours lui semblait tout tracé : remonter à la source pour mieux s’en extraire et l’abandonner. Faire ses adieux.
Le vent le saisit et il frissonna. Les poils s’étaient hérissés sur ses jambes, il faisait froid, il ne s’en rendait pas vraiment compte. Son corps semblait engourdi, muet, réduit à suivre les divagations de son esprit, tant bien que mal. Il regarda ses pieds blancs, un long moment, sans les voir. Puis il reprit sa marche vers nulle part. Peut-être y avait-il un autre village, plus au sud. Certainement. Sa mémoire était vide.
Les dernières paroles de la vieille lui revinrent à l’esprit. La nature déteste le vide, elle l’emplit, l’avale, lui rend sa plénitude. Peut-être était-ce finalement le mieux qu’il puisse arriver. Il avait échoué à se remplir. Quelqu’un, quelque chose, avait instillé le néant dans sa carcasse, sans qu’il puisse retenir ce sur quoi il avait tout bâti. Sans doute avait-il mal choisi le site, sables mouvants, sans doute avait-il mal choisi l’édifice, un temple, quelle idée ridicule… Peut-être la nature trouverait-elle autre chose, de plus vrai, d'immuable… Peut-être le guiderait-elle mieux que les humains qui avaient présidé à sa voie…

[Taliesin]

Bientôt, la côte infléchit sa rectitude, se courbant doucement vers l'intérieur des terres, en une petite hanse sablonneuse piquetée, de-ci, de-là, de quelques rochers noirs. Il fallait croire qu'Albérich avait marché bien longtemps, sans doute plus qu'il ne l'aurait cru, pour enfin atteindre les limites incertaines de la plage de Belles-Vagues.
Au fond de la crique, derrière une jetée de bois vermoulu, une dizaine de cabanes se pressaient les unes contre les autres, comme pour se réchauffer, se protéger des embruns et des assauts du vent. Un petit bateau de pêche était au mouillage. Plus loin, tanguant à peine sur une houle presque inexistante, une autre embarcation paraissait sur le point de rentrer au bercail. La journée était déjà bien avancée mais, dans les ruelles étroites de l'infime bourgade, des gens s'agitaient encore, silhouettes sombres se détachant sur les planches plus sombres encore de leurs habitations.
Une poignée de maisons. Une poignée d'habitants. Il n'empêche : au premier regard, le lieu semblait autrement plus vivant que ne l'était l'ensommeillé site de villégiature qu'avait quitté le clerc quelques heures plus tôt.

[Galathée]

Il battit en retraite. Le village de pêcheurs existait dans son autarcie discrète et il avait à cœur, lui aussi, d’être invisible et d’éviter les confrontations. Arpenter les rues de terre battue, pieds nus, dans son manteau sombre, ferait de lui un intrus qui attirerait immanquablement les regards, c’était la dernière chose qu’il désirait.
Je vais finir ermite, songea-t-il, tout en sachant que c’était quelque chose qu’il ne pourrait jamais affronter.
Refermant sa pelisse autour de sa carcasse amaigrie, il tourna donc les talons et reprit son périple vers Belles-Vagues. La rencontre avec la vieille l’avait un instant détourné de ses sensations corporelles, mais elles revinrent en force, douloureuses, et il se demanda s’il aurait l'énergie de retourner jusqu’au village. Chaque pas lui semblait plus pénible que le précédent, la tête lui tournait, et plusieurs fois la bile lui monta aux lèvres.
J’ai présumé, réalisa-t-il en s’immobilisant une seconde.
Puis il s’assit sur la plage, se prit le visage dans les mains et tenta de retrouver un semblant de souffle. Ses jambes étaient lourdes, ses articulations presque bloquées, il avait surtout mal aux épaules, alors qu’elles n’avaient rien porté. Le froid était devenu plus insidieux, plus pénétrant, il se recroquevilla, front sur les genoux, n’écoutant plus que le ressac de la mer, le sang qui battait à ses tempes, écho pulsatile d’une souffrance tenace, le cri des mouettes, parfois. Le vent, glacial, qui avait généreusement rabattu son capuchon.
Il ne se sentait pas en réel danger mais il n’était pas non plus capable de bouger, plus maintenant, pas tout de suite. Peut-être pas aujourd’hui.
Mobilise-toi, lui murmura une part de lui-même.
Mais ces paroles restèrent sans effet tandis que le reste de son être se crispait autour de son malaise, comme prisonnier.

[Taliesin]

On lui tapait sur l'épaule.
Le contact fut léger. Et des plus brefs : à peine assez long pour qu'Albérich s'en rende compte. Il n'avait pas rêvé, cependant. Lorsqu'il releva les yeux, Alaric se tenait juste devant lui. Dans son trouble, il n'avait pas entendu le bruit de son pas pourtant lourd sur le sable...
Le colosse esquissa un sourire, puis, doucement, tendit une flasque au clerc, lui faisant signe de boire une gorgée. Le parfum qui se dégageait du goulot était fort. Il devait s'agir de quelque cordial.
Un peu plus loin sur la plage, Tallad marchait de long en large tout en surveillant les environs. Il paraissait nerveux,

[Galathée]

Albérich accepta l’alcool avec reconnaissance, même si son odeur accentua sa nausée. Il n’était pas certain que son estomac le supporterait, mais la chaleur suffocante du breuvage dans sa gorge remplit son office. Il toussa dans sa manche, les larmes aux yeux, et ses épaules tremblèrent. Un élancement soudain lui vrilla l’omoplate droite, lui rappelant la présence honnie de la marque sombre, rayonnant jusqu’à la paume de sa main. Par réflexe, il crispa les doigts sur la manche du clerc qui lui faisait face, le temps de reprendre sa respiration, de laisser la souffrance s’atténuer et disparaître.
« Je suis désolé. » souffla-t-il à voix basse, sans doute trop basse pour que son interlocuteur puisse l’entendre, puis il prit appui sur l’avant-bras inébranlable d’Alaric pour se relever.
Ses genoux protestèrent, mais il reprit son équilibre, sans pour autant lâcher son garde du corps. Il n’avait aucune chance de parvenir à regagner Belles-Vagues seul, mais il n’y songeait même pas vraiment. Convalescence, avait-il dit à la tenancière de l’auberge. Il n’avait pas menti et personne n’avait à être détrompé. Il était prêt à cheminer comme un vieillard fragile, appuyé à l’Ours, jusqu’au refuge factice du village côtier.

[Taliesin]

Allaric ne paraissait cependant pas prêt à partir sur le champ. Il secoua la tête puis, du doigt, désigna une paire de bottes déposées juste à côté de la marque qu'avait laissée le clerc en se laissant choir sur le sable. C'était les siennes, évidemment. Le colosse sourit, paisible. Il ne repartirait pas tant qu'Albérich ne serait pas chaussé, cela paraissait évident.
De son côté, Tallad s'était mis à faire les cent pas sur la page, le regard fouillant l'horizon. Difficile de dire s'il était nerveux à cause de quelque chose, ou si c'était simplement l'attitude de l'aubemestre qui commençait à l'exaspérer.

[Galathée]

Albérich était trop centré sur son propre malaise pour percevoir l’agitation de Tallad, et c’était sans doute mieux dans les circonstances. Il l’aurait immanquablement mal interprétée, cherchant la menace ou le jugement dans ce comportement d’agacement. D’autant que cela ressemblait peu à un homme d’ordinaire stoïque. Il se frotta les orteils d’une main distraite, en ôtant le sable désormais sec, puis remit ses bottes et se redressa. Le nettoyage n’était pas parfait, mais il avait d’autres soucis que l’éventuelle poussière de coquillage qui maculait encore ses pieds. Il gratifia son homologue d’un léger sourire, avant d’être à nouveau hypnotisé, une seconde, par le gris de la mer immense.

[Taliesin]

Alaric, d'autorité quoi que sans violence, lui prit alors le bras pour l'entraîner en direction du village. Tallad, pour sa part, s'éloigna pour finalement disparaître derrière le talus qui bordait la plage.
Le chemin du retour parut interminable au clerc épuisé. Pourtant, il y avait là quelque chose de rassurant, si du moins un tel sentiment lui était encore familier : il se remettait peu à peu. Physiquement, en tout cas. Sans quoi, il n'aurait jamais pu effectuer un tel périple...
Ils parvinrent aux abords de Belles-Vagues alors que les premières ombres de la nuit s'étendaient sur la côte silencieuse. Le bourg était désert, tout comme la salle commune de l'hostellerie dans laquelle ils s'engouffrèrent pour échapper au froid qui s'accentuait à une vitesse impressionnante.
Il y avait cependant une différence notoire entre les deux lieux. Dans le second, un feu ronflant répandait une chaleur bienvenue. Et une tenancière portant un plateau venait d'apparaître à la porte de sa cuisine
-Ha, l'air marin, ça fatigue autant que ça requinque ! dit-elle, souriante, en déposant trois grogs aux fragrances épicées sur une table voisine. Buvez ça, ça vous fera du bien tout en vous faisant patienter jusqu'à l'heure du repas. Qui ne tardera guère. Pour un peu, j'ai failli penser que vous alliez encore me faire faux bond. Mais tous, cette fois. Et si ça avait été le cas, je vous assure que vous m'auriez entendue...

[Galathée]

Albérich s’assit sur un banc, non loin de l’âtre, et sentit toutes les fibres de son corps grincer d’un soulagement néanmoins douloureux. Il n’aspirait qu’à une chose : retrouver son lit. L’air marin était revigorant sur le moment et épuisant peu après, ses joues étaient gercées sous le poil noir et dru de sa barbe, ses yeux larmoyaient, il lui semblait que sa respiration était devenue caverneuse. L’odeur épicée du grog, qui masquait à peine celle plus capiteuse du rhum, le convainquit qu’il ne tiendrait pas jusqu’au souper : l’alcool l’achèverait à coup sûr.
« Je ne pense pas souper. Mais je vous promets de petit-déjeuner copieusement demain. » murmura-t-il d’une voix plus rauque qu’il ne l’avait prévu.