[Commerce] Au Loyal Paladin

[Althéa]

Titoeil avait souri à son tour, avant de se rendre compte que la jeune femme en face de lui ne le voyait pas. Mais Eli sentant sa gêne tendit la main dans sa direction.

"Enchantée Titoeil. Ravie de vous rencontrer. Chandara m'a beaucoup parlé de vous"

Le tavernier avait souri en serrant la main de son habituel air bonhomme.

"Hé bien, enchanté. Si vous voulez bien vous asseoir. Je vais prendre votre commande. Vous étiez à Linceul, dites-vous ?"

[Dhast]

- Non et oui!

Brus regarda un bref instant dans la direction des nouveaux venus avant de se retourner vers les deux femmes de la table voisine, et plus spécialement vers celle qui l'avait interrogé, flatté qu'on s'intéresse à lui. Il passa ses doigts dans sa tignasse en bataille avant de répondre.

- C't-à-dire qu'non j'la connais pas d'puis longtemps, et oui j'l'ai croisée récemment. D'ailleurs une fois qu'j'ai fini le p'tit déj' j'retourne la voir, si z'avez un message pour elle j'peux lui dire, 'pouvez m'faire confiance.

Le jeune humain mordit dans sa tartine en attendant sa réponse. "J'adooore la confiture!"

[Althéa]

Althéa avait laissé un soupir de soulagement. En une phrase, le gamin dissipait les doutes et les inquiétudes de la nuit. Mais plusieurs choses l'intriguait. Quel lien avait il avec Elissa. Et vraisemblablement, il savait où la trouver. Lui avait elle parlé de la guilde, de l'herboristerie tout du moins ? Peu de moyens de le savoir. Peut être qu'en demandant directement ...

Elle s'était approchée du bout du banc histoire de se rapprocher du gosse.

"Bon appetit. Au fait, je me nomme Althéa et voici Oriane. Nous travaillons toutes les deux avec Elissa. Tu es qui toi ?"

Elle avait souri. Après tout, elle avait eu la confirmation qu'Elissa était bien vivante.

[Dhast]

Brus afficha un sourire masquant une once de suspicion. Les deux femmes avaient l'air honnêtes mais après tout "travailler avec Elissa" restait assez vague. La moinesse semblait cacher quelques secrets et lui même en détenait quelques uns. "C'pas le moment d'gaffer". Il engouffra un nouveau morceau de pain avant de répondre.

- Moi c'est Brus! 'Travaillez 'vec m'dame Elissa? C'quelqu'un d'vraiment sympa. M'a engagé savez? Le gamin avait l'air particulièrement fier, et c'est avec une distinction particulière qu'il ajouta: J'suis herboriste! ... 'fin c'est tout comme, j'donne un coup d'main quoi... 'Tout cas m'a jamais parlé d'vous, mais z'êtes sûrement les autres dont a parlé l'autre elfe qu'on d'vait être présentés puis qu'étaient pas là finalement a dit m'dame Elissa, faites quoi vous au juste?

[Althéa]

Sous le flot nourri de paroles, Althéa apprit non seulement que le gosse s'appelait Brus, qu'Elissa l'avait engagé et qu'il était herboriste. Enfin, c'est ce qu'il prétendait. Elle ne connaissait qu'une véritable herboriste dans la ville, et c'était Elissa.

Mais surtout, s'il voulait qu'elle lui dise qu'elle était mercenaire de la Vierge d'Argent, il se mettait le doigt de l'oeil jusqu'au coude.

"Hé bien. Il se trouve que je suis un peu herboriste moi aussi. Nous sommes tous un peu herboriste. "

Nouveau sourire. Le gamin était intelligent, il comprendrait sûrement l'allusion.

"Au fait, tu nous a parlé d'une elfe. Pas très grande, yeux verts"

ça, c'était sûrement Eliaëdel. Et l'idée lui plaisait tout de suite beaucoup moins.

[Oriane]

Oriane avait écouté l’échange avec plus ou moins d’attention. Le fait d’apprendre qu’Elissa allait bien lui avait libéré l’esprit. Elle avait toujours un peu mal à la tête mais elle se sentait...mieux. Plus légère. Jusqu’à ce qu’Althéa mentionne clairement Eliaëdel. L’épisode de la veille lui revint brusquement en mémoire. Il faudrait sans doute qu’elles en parlent à la moinesse. Elle réprima une grimace. Ça ne lui plaisait guère. A choisir, elle aurait préféré garder ses distances avec tout ce qui pouvait concerner l’elfe. Eviter d’avoir à se souvenir de ce moment de plus désagréables.

"Eliaëdel j’imagine..."

Elle avait prononcé ces mots dans un souffle, songeuse, en réponse à la dernière phrase de la bretteuse. Dans l’espoir que ça couperait court à toute discussion sur le sujet. Puis elle se tourna vers le garçon -Brus lui semblait-il- et sourit.

"Ainsi donc...tu travailles à l’herboristerie toi aussi. Bienvenu dans l’équipe alors. Tu verras, le travail ne manque pas...Entre les étiquetages de flacons, les préparations d’onguents et de potions..."

Elle avait ajouté cette dernière phrase après un instant d’hésitation, sur un ton parfaitement neutre. Par curiosité peut-être. Pour voir ce que le garçon répondrait. Elle était pratiquement certaine qu’il n’était pas plus herboriste qu’elle. A moins que ce ne soit juste pour donner un peu plus de crédit à son propre rôle d'herboriste...

[Dhast]

- Oh 'savez, je prépare rien moi, j'suis là pour aider m'dame Delcia on m'a dit. Puis m'dame Elissa m'a dit qu'elle m'en dirait plus quand j'rentrerai, là elle est restée avec m'dame Eliaëdel, qu'avait un souci, v'siblement.

Brus tout en parlant et en préparant une énième tartine de confiture tentait de déchiffrer le visage de ses interlocutrices. Il comprit rapidement l'allusion de la première qui infirma les propos anodins de la seconde. Il était à présent presque certain que les deux femmes étaient plus ou moins au courant des activités d'arrière salle de l'herboristerie, mais quelles étaient leurs réelles intentions? Le fait que le tavernier semblait avoir confiance en elles le rassura. Il n'avait pas manqué de remarquer un changement d'expression, plus ou moins visible sur leurs visages, à chaque fois que le nom de l'elfe aux yeux verts avait été mentionné. La première avait même témoigné un intérêt ouvert pour celle-ci. Voyant qu'elles ne disaient rien, il reprit:

- 'Fin si ça peut vous rassurer l'est rien arrivé d'grave à m'dame Elissa, t'façon j'étais là presqu' tout l'temps. D'ailleurs, il avala le dernier morceau de sa dernière tartine, 'doit être à l'herboristerie, s'vous voulez on y va. Moi j'ai fini.

[Althéa]

Althéa secoua la tête.

"Non, pas pour le moment. Allez-y si vous voulez ..."

L'inquiétude avait repris ses droits. Ainsi, Elissa se trouvait avec Eliaëdel. Et Eliaëdel avait un soucis. S'il avait s'agit d'une crise de démence, le gamin ne serait pas ici à manger des tartines. Il ne serait même plus là pour en parler. Un coup de dague bien envoyé et ... Elle préféra ne pas y penser.

Mais pour l'instant, elle n'avait qu'une envie en tête. Sa fille lui manquait. Et la nuit sans elle avait été de trop.

"Je reviens"

Leodacya l'attendait, toujours dans la même chambre. Sur le dos, tenant un chiffon roulé en boule dans ses petits poings, elle souriait. Mais ne dormait pas. Depuis qu'elle était née, Althéa admirait la faculté qu'elle avait à rester sans bouger tant qu'elle n'avait besoin de rien. A neuf mois, Leodacya était un bébé bien tranquille. Son sourire s'élargit quand elle la prit dans ses bras.

"Mais où est le bébé ?"

La question était habituelle et donnait place au jeu. Comme à son habitude, Leodacya s'était cachée derrière son chiffon et avait laissé échapper un petit rire.

"Ah non, je ne le vois pas"

Là, Leodacya se montrait, s'exposant à une avalanche de chatouille. Althéa ne put s'empêcher de rire. L'enfant était son océan de calme, son garde fou. Un seul de ses sourires chassait les peurs de la nuit. Et dans ses grands yeux verts, elle se sentait elle-même. Et aimée.

Oui, la nuit sans elle avait été trop longue.

[Dhast]

- Bah...

Brus regarda d'un œil perplexe la dénommée Althéa se lever sans explication, lâchant un vague "je reviens". Lui ne bougea pas de son siège. Il enfonça ses mains dans ses poches et se laissa aller sur le dossier de sa chaise. "Bon qu'est-ce que j'fais maint'nant?" Il regarda distraitement autour de lui. Un silence semblait s'être installé entre l'autre femme et lui. Mais enfin, n'y tenant plus, il se leva et remit son siège contre la table.

- Bon, j'suppose qu'vous attendez vot' amie, non? Si oui, moi j'vais bouger, m'dame Elissa m'attend sûr'ment d'jà, j'vais pas traîner plus, puis on s'reverra p'tet vu qu'z'êtes autant herborist' qu'moi, m'dame... Oriane? c'bien vot' nom?

[Oriane]

"Hmm...oui."

Elle leva la tête vers Brus, l'air absent. Il avait parlé d’un souci, impliquant l’elfe. Il avait dit qu’Elissa était restée avec elle, seule. Et les images qui l’avaient réveillée plus d’une fois cette nuit là lui étaient revenues à l’esprit. C’était probablement idiot, ce n’était certainement pas la première fois que ça arrivait. Et puis, il leur avait assuré qu’Elissa allait bien quand il était parti. Mais ça ne la rassurait qu’à moitié. Elle secoua la tête, s'efforçant de chasser ses pensées, se redressa sur sa chaise et sourit.

"Excuse moi, j’étais en train de réfléchir. On se verra à l’herboristerie oui, je vais attendre Althéa ici."

A peine s’était-elle tue, que l’idée revenait déjà. Que s’était-il passé...Elle hésitait. Peut-être ferait-elle mieux de se rendre à l’herboristerie. Mais s’il ne s’était rien passé...c’était idiot. Finalement, comme le garçon commençait à s’en aller, elle lui lança :

"Attends ! Tu...tu sais ce qu’il s’est passé ? Ce qui est arrivé à...Eliaëdel."

[Dhast]

- C'qui est arrivé à m'dame Eliaëdel?

Brus avait fait quelques pas vers la porte mais se rassit finalement en poussant un soupir. Il se demandait par où commencer, ce qu'il y avait à dire, ce qu'il n'était pas supposé savoir. Tout cela lui prit quelques instants. Après avoir suffisamment fait attendre son auditoire, il reprit d'une voix qu'il se donna pensive et profonde.

- Savez, c'est un peu compliqué... M'dame Eliaëdel et m'dame Elissa ont l'air vachement proche, c'pas du tout par le caractère, non, mais y a qu'qu'chose, pour sûr, j'saurais pas dire quoi. La fois où j'l'ai vue pour la première fois c'tait au marché, nous a dit que... Han mais j'y suis! Le visage du jeune humain s'éclaira. M'disais bien qu'Oriane j'avais d'jà 'tendu, hmmm... Bah nous a dit qu'z'étiez rentrée. 'Fin elle avait l'air pas contente. 'Sais pas pourquoi.

Brus fit une pause, l'accroc de sa chemise de toile avec lequel il jouait inconsciemment depuis qu'il avait commencé à parler venait soudain d'attirer son attention. Il essaya de l'aplatir sans succès puis se reporta sur Oriane.

- 'Suite s'est vu ici. Là entre nous, c'tait pas très net. Z'ont un peu parlé entre elles puis n'est rentré à la boutique. C'est lend'main que m'dame Elissa l'a r'trouvée dans sa chambre. L'avait avalé du poison, pour sûr. M'dame Elissa lui a donné d'la bouillie, puis 'suite m'a dit d'partir, qu's'en occupait. Et... voilà c'tout.

[Elissa Keens]

"Bravo, alors, là, je dis bravo."

Les autres avaient sursauté et s'étaient tournés vers elle. Elissa avait souri, les bras croisés. Seuls ses yeux ne souriaient pas. Bien au contraire. Mais, comme à son habitude, elle avait retrouvé son masque d'impassibilité en quelques secondes. Elle s'était tournée vers le gamin.

"Observateur, intelligent, perspicace. Franchement, je ne regrette pas de t'avoir engagé"

Elle se tourna vers Oriane.

"Contente de te voir. Bon, je suppose qu'Althéa a filé chercher sa fille. On va l'attendre un peu. Ensuite, je t'écouterai pour ton rapport. Mais d'après ce que j'ai entendu, tu t'es pas mal débrouillée ..."

Elle se tut, et le silence tomba avec ses derniers mots. Elle se sentait las, trop las à cause des événements de la matinée. Et personne ici ne pouvait rien pour elle. Althéa, descendant avec Leodacya dans ses bras mis un terme au marasme. Les deux jeunes femmes échangèrent un sourire. Pas un mot, mais elles s'étaient comprises.

"Oui, je sais, j'aurais dû vous prévenir. Et je sais pour la dague. En attendant, voyons un peu Leodacya."

Le bébé s'était redressé en entendant son nom.

"Hé oui, c'est toi. Mais tu sais très bien que je n'aime pas les enfants, ma grande."

Leodacya avait secoué la tête avec un petit rire. Elissa avait croisé les bras.

"Petit nez, petite tête. Tout de petit. Mais non, je ne me laisserai pas attendrir"

L'enfant avait tendu les bras. Elle s'était avancée sans attendre puis l'avait prise dans ses bras le temps de déposer un baiser sur le fin duvert blanc. Elle l'avait rendue à sa mère.

"Vivement que tu grandisses un peu que je t'apprenne à faire des bêtises qui feront hurler ta mère."

Voyant Althéa se rembrunir, elle s'était empressée d'ajouter.

"Mais je plaisante !"

Le temps d'un bâtement de cil et elle avait retrouvé son sérieux.

"Bon, dernière nouvelle : Eliaëdel est partie tout à l'heure. Je ne crois pas qu'elle reviendra avant un moment. Et ... oh, et je sais pour la dague"

[Dhast]

- L'est partie? Va mieux alors? Bon...

Il avait le sentiment que le reste de la conversation ne le concernerait pas directement, de plus ses doutes s'étaient envolés quant à l'identité des deux femmes, elles connaissaient visiblement bien Elissa et étaient probablement des mercenaires étant donné qu'Elissa avait mentionné un "rapport". Brus reporta son attention sur le bébé, il en avait très rarement vu. Et il le trouvait bien bruyant pour une si petite chose. Ses petits poings serrés s'agitaient au dessus des langes. Il sourit à Althéa. Posant son menton sur le dessus de ses mains il resta à regarder le bébé gesticuler, écoutant d'une oreille distraite la conversation, le sourire n'avait pas quitté ses lèvres.

[Oriane]

La jeune femme avait hoché lentement la tête devant les dernières paroles d’Elissa. Alors elle savait pour la dague. Et l’elfe était...partie. Elle avait la nette impression que le soulagement se lisait sur son visage, mais elle s’efforça de conserver une expression neutre pour répondre :

"Alors il n’y a pas grand-chose à rajouter..."

Sauf peut-être...le fameux rapport sur Linceul. Les évènements de la veille l’avaient presque effacé de sa mémoire. Probablement leur seul avantage. Devoir expliquer en détail à la moinesse ce qui s’était passé...où elle avait échoué...ne l’enchantait guère. Heureusement, ce ne serait apparemment pas pour tout de suite. L’attention d’Elissa semblait s’être fixée sur la fille d’Althéa. Celle de Brus aussi d’ailleurs. A son tour, elle se tourna vers le bébé et ne pu s’empêcher de sourire elle aussi à la voir regarder autour d’elle avec ses grands yeux curieux, de rire devant ses mimiques et ses gazouillis. Adorable. Elle leva les yeux vers sa mère.

"Elle est vraiment adorable. Comment s’appelle-t-elle ?"

[Althéa]

Althéa avait hoché la tête sans répondre. Elle réfléchissait. Quelque chose ne collait pas. Elissa plaisantait, riait avec sa fille comme à son habitude. Mais ses yeux mentaient. Il y avait une ombre et un petit quelque chose qu'elle avait remarqué et dont elle s'abstiendrait de parler.

Elle s'apperçut soudain du silence. Les autres la regardaient, ou plutôt regardaient sa fille. Leodacya aussi avait les yeux levés vers elle comme guettant sa réponse.

"Oh, pardon oui. Elle s'appelle Leodacya. On ne dirait pas comme ça mais elle est coquine"

Elle s'abstint d'évoquer les phénomènes magiques qu'elle déclenchait accidentellement. Des phénomènes mineurs mais qui commençaient à l'inquiéter. La petite, comme si elle avait compris secoua la tête. Elle sourit malgré tout.

"Bon, je crois qu'on peut rentrer à la guilde. Elissa, si tu n'y vois pas d'inconvénient, je l'emmène avec moi."

Elissa avait hoché la tête sans répondre, évitant de penser qu'elle n'emmenait plus Leodacya depuis qu'Eliaëdel était dans les parages.

"Alors en route, mauvaise troupe", dit elle simplement.

Direction ici

[Lothringen]

La nuit s'avançait, fraîchissait, et les clients commençaient de se faire moins nombreux - aussi le jeune homme qui fit soudain irruption dans la salle ne passa-t-il pas inaperçu. C'était un gringalet de seize ans, tout au plus, les cheveux de paille, le visage recouvert de taches de son, de vagues relents d'avoine et de crottin sur ses vêtements de cuir bouilli. A son côté pendait le fourreau mal ajusté d'une épée courte. Un écuyer, sans doute... Il balaya d'un regard un peu perdu l'intérieur de la salle, avant de se diriger vers le comptoir, où il interrogea Titoeil d'un air de chien battu.


"Excusez-moi, m'sieur, de vous déranger... Je cherche dame Chandara. J'ai un message pour elle. Mais, euh... Je ne sais pas à quoi elle ressemble. Aux portes, on m'a dit qu'elle serait ici. Si vous pouviez m'aider ?..."

[Chandara]

La paladine, assise à une table toute proche, se figea, détournant la tête de son repas à peine entamé. La panique la gagna alors qu’elle se demandait qui pouvait bien la chercher et surtout pourquoi. Le message ne pouvait que signifier que l’ordre du Cœur Radieux avait déjà été informé du résultat de sa mission et de son retour. Elle fut prise d’une angoisse soudaine, regrettant de n’être pas allée faire directement son rapport. Allait-on le lui reprocher ? Du reste, elle n’avait même pas pris le temps de se rendre présentable. Elle devrait pourtant se présenter devant ses juges au plus tôt, elle en était convaincue.

Avant que son ami ait pu répondre, elle se leva, sur des jambes mal assurées :

- Je suis Chandara. Quel est le message que vous devez me remettre ?

[Lothringen]

Le jeune homme se lécha maladroitement la lèvre inférieure, tout en redressant inconsciemment en une parodie de garde à vous.


"Hé bien, je m'appelle Ibnan, et... en fait, vous vous en fichez. Le message est oral, ils n'avaient pas vraiment le temps de tout noter par écrit, avec le conclave, tout ça... Bref, je suis chargé de vous dire que le Haut Prélat vous attend demain matin à son bureau. Il, hem... n'a rien dit de plus. Ah si. De ne pas trop dépaqueter vos bagages. Et, euh... c'est tout."

Il demeura néanmoins sur place, immobile ou presque, se dandinant d'un pied sur l'autre dans l'attente d'une éventuelle question, d'une éventuelle réponse, ou d'un vortex où s'engloutir fissa.

[Chandara]

La jeune femme détailla l’attitude du messager autant qu’elle écouta les paroles qu’il était chargé de lui rapporter. Le jeune homme semblait inexplicablement des plus nerveux alors qu’il était porteur d’une simple convocation. Mais s’agissait-il d’une simple convocation ? Chandara se félicita de rester calme, en apparence du moins. Car intérieurement, elle était en proie à un déluge d’émotions conflictuelles. Etre invitée par le Haut Prélat était un honneur rare pour une jeune aspirante tout juste arrivée dans la cité. Et pourtant, elle ne pouvait que s’interroger sur la raison de cette convocation. Visiblement, on s’attendait à ce qu’elle reparte. Cela signifiait-il qu’on lui accorderait une seconde chance ou qu’on la chassait définitivement ? Après tout, elle avait été impuissante à protéger la famille qu’elle était chargée de défendre…

En proie au doute, elle planta son regard dans celui, fuyant, du messager :

- Bonsoir Ibnan, si vos devoirs ne vous appellent pas ailleurs, venez partager mon repas. Vous me raconterez ainsi tout ce que vous savez sur cette histoire de conclave.

La voix de la jeune femme était calme mais ferme, affirmant un sens de l’autorité naissant.

[Lothringen]

Le garçon accepta en rougissant, et Chandara put constater que sa nervosité tenait beaucoup plus sûrement à sa jeunesse et à son inexpérience qu'au contenu de son message. Il ne connaissait pas la paladine ni sa situation au sein de l'Ordre, n'avait qu'une très vague idée des enjeux, et pour l'heure songeait surtout qu'une belle jeune femme l'invitait à dîner, et qu'il empestait le cheval. Il choisit d'ailleurs sa place de manière à se trouver couvert par les effluves des cuisines.

"Ah oui, le conclave... Si vous venez de rentrer en ville, vous ne devez pas être au courant..."

Il s'installa sur le bord de sa chaise.

"Mais, sûrement, la nouvelle de la disparition du grand prêtre Alréac Poingvaillant devait déjà vous être connue quand vous êtes partie ? Il a été enlevé puis tué par des cyriciens de Melandis."

Il fronça le nez.

"Les circonstances de sa mort ne sont pas très claires, et l'enquête n'a pas révélé grand chose de plus. Difficile du reste d'enquêter là-bas."

[Chandara]

La jeune femme rougit à son tour, mesurant l’étendue de son ignorance sur Manost et les évènements récents qui l’avaient animée. Elle se faisait l’effet d’une étrangère tout juste arrivée de sa campagne natale. Ce qu’elle était d’ailleurs n’étant jamais resté plus d’une veille en ville depuis son départ de Cojum. Une lacune qu’il lui faudrait combler d’urgence si on ne la renvoyait pas immédiatement. La mention de Mélandis la ramena un peu en terrain connu mais elle ne souhaitait pas faire l’étalage de ses « prouesses ». Essayant de ne pas paraître ridicule devant l’écuyer, elle chercha à le pousser un peu plus avant dans ses explications :

- En fait, j’ai longtemps été absente. Et je dois dire que je ne suis arrivé que récemment dans la Cité Bénie. Vous pardonnerez mon ignorance. Ainsi donc on cherche à désigner un nouveau grand prêtre ?

La jeune femme adressa un sourire désarmant à son interlocuteur pour l’inciter à se livrer davantage tout en passant sur ses lacunes.

[Lothringen]

... Le sourire réussit d'autant mieux son petit effet qu'il n'y avait pas grand chose à désarmer chez Ibnan, qui parut au contraire ravi de voir qu'il n'était pas tout à fait en toutes choses un ignorant bon à rien.

"Oh, ça a fait toute une histoire, les prêtres commençaient à former des partis et à défendre leurs candidats... La situation s'est un peu enlisée, d'autant que le Grand Emissaire refusait d'intervenir. Finalement, c'est le Haut Prélat qui s'est chargé de tout.

Et enfin le conclave s'est tenu, pas plus tard qu'aujourd'hui, en début de soirée. Je le sais parce que presque tous les paladins avaient été mis à contribution pour assurer l'ordre, mon maître comme les autres. Vous en auriez sûrement fait partie si vous aviez été là... On craignait un peu qu'aucune majorité ne se dégage, mais finalement il n'y a pas eu besoin de voter. Sire Guiguemar a choisi d'en appeler à Helm, et... il a été entendu."

Le gamin avala difficilement sa salive.

"Moi j'étais sur le parvis, je n'ai rien vu. J'aurais voulu être là..."

[Chandara]

La jeune femme écarquilla les yeux, se laissant absorber par le récit un peu décousu d’Ibnan, essayant d’en retirer le maximum d’informations. Chandara paraissait au comble de l’excitation lorsque le jeune écuyer évoqua la manifestation divine. Un phénomène des plus rares et des plus sacrés. Elle aussi aurait tant voulu y assister, cela aurait probablement constitué le point culminant de son existence. Mais les voies d’Helm étaient impénétrables, on l’avait envoyé pour accomplir son devoir et cela devait lui suffire. Elle reprit d’une voix qui ne dissimulait plus son intérêt :

- Helm nous a rendu un honneur incommensurable. Comment… Comment s’est-il manifesté ? Quel a été son message ? Le sais-tu ?

[Lothringen]

Le discours d'Ibnan se fit plus hésitant, car à partir de là, il ne savait que par ouï-dire ce qu'il s'était passé. Dans ce genre de situation, personne ne prenait jamais la peine d'expliquer les choses à un simple écuyer...


"Hé bien, j'ai entendu les prêtres en parler entre eux ici ou là quand ils sont sortis... L'avatar du Gardien est apparu, mais son discours a été très bref ; il était en colère de toutes ces dissensions, mais il a quand même accepté de désigner lui-même son serviteur - un certain Eroeh, je crois. Ce n'était pas un des candidats. D'ailleurs, personne ne sait où il se trouve..."


En somme, la crise de succession était résolue, mais de manière très imparfaite ; certes, l'intervention de Helm avait coupé l'herbe sous le pied des intrigants, mais tant qu'Eroeh n'aurait pas pris officiellement ses fonctions, le culte helmite demeurait décapité.

[Chandara]

Chandara demeura elle-même perplexe. La politique et les histoires de succession l’a dépassaient d’autant plus qu’elle n’avait qu’une vague idée de l’organisation réelle du clergé Manostien. Bien sûr, elle avait pu accéder aux riches archives de la bibliothèque Cojumite mais rien ne remplaçait l’expérience. Une expérience de la vie à Manost dont elle était presque totalement dépourvue. Cependant l’avatar divin était apparu, en colère. Cela revêtait bien plus de signification que toutes les manœuvres pour prendre le pouvoir. Helm était mécontent mais offrait une chance à ses fidèles de le satisfaire. A condition de montrer vigilance et sagacité. Dans ces conditions, la jeune femme ne s’étonnait pas qu’on rappelle tous les paladins, même ceux qui n’avaient pas encore fait leurs preuves. La résolution se peignit sur ses traits : elle se rendrait à la première heure à la convocation et tâcherait de se montrer utile si on voulait bien d’elle.

- Merci pour votre message et votre récit, Ibnan.

La jeune femme reporta son attention sur son assiette et lui fit honneur. Titœil s’était une nouvelle fois surpassé pour proposer un plat succulent et la paladine le finit jusqu’à la dernière miette. Il ne lui faudrait pas tarder car il lui restait à prendre un bain fort mérité et à trouver quelques heures de repos avant l’aube. Le récite détaillé de son voyage à son ami devrait attendre. Son assiette vide, elle reporta son attention sur l’écuyer et sa compagne demeurée silencieuse pendant leur échange.

- Vous m’excuserez. Le voyage a été plus difficile que prévu. Je vais me retirer si Titœil veut bien mettre ses bains et une chambre à ma disposition. Veux-tu que nous partagions une même chambre Eliëssan ?

[Lothringen]

Ibnan se leva en rougissant, comprenant qu'il était temps pour lui de se retirer à son tour. En espérant que son maître ne lui reprocherait pas de s'être un peu attardé...

"Hé bien, si vous n'avez plus besoin de moi, je vais rentrer au Cœur Radieux. Bonne nuit mesdames."

Il s'inclina en une assez mauvaise imitation de salut et s'éclipsa au plus vite, se demandant si on n'allait pas trop le gronder au retour. C'est qu'il se faisait vraiment tard.

Eliëssan, épuisée comme sa compagne de route, se contenta d'acquiescer à sa proposition. Elle n'avait écouté que d'une oreille assez distraite les explications d'Ibnan ; à vrai dire, une bonne nuit de repos lui paraissait ce que le monde avait de plus souhaitable.

Titoeil accueillit la commande de la chambre et du bain avec une mine non moins harassée. Un peu embarrassée, aussi.

"Bien sûr, bien sûr, voici la clef... chambre V... Pour l'eau chaude, Dryade va vous monter ça. Et, je suis désolé de n'avoir pas pu vous parler davantage ce soir : le coup de feu a été un peu dur... Le dîner était bon, au moins ?"

[Chandara]

Chandara remercia chaleureusement l’écuyer pour ses services et lui souhaita la bonne nuit avant de reporter son attention sur l’aubergiste :

- Voyons mon ami, vous êtes tout pardonné. Je ne peux pas m’attendre à vous avoir tout à moi à chaque fois que je débarque à l’improviste. J’aurais aimé rester à bavarder un peu mais aussi agréable soit votre compagnie, il me faut me lever tôt demain. Et le dîner était excellent, comme de coutume en votre maison.

La jeune femme s’empara de la clé avant de se diriger rapidement vers la chambre indiquée. Elle déposa ses affaires dans un coin de la pièce et se débarrassa de son manteau. En voyant les lits qui lui tendaient les bras, elle ne put résister à l’envie de s’y allonger mais elle lutta pour ne pas immédiatement sombrer. Heureusement, Dryade ne se fit pas attendre trop longtemps. Après un décrassage en règle, Chandara enfila une nuisette et s’installa confortablement pour la nuit, sombrant rapidement dans l’inconscience.

Elle dormit d’une traite, récupérant ainsi une partie de la fatigue liée au voyage et à ses récents combats. En songeant à la convocation à venir, elle put se rendre compte que la nuit avait aussi été salutaire pour son moral. Elle était maintenant impatiente de se rendre au siège du Cœur Radieux pour entendre ce que le Haut Prélat attendait d’elle. Elle n’eut pas le cœur à réveiller sa compagne qui dormait elle aussi profondément et lui laissa un mot avant de quitter la chambre. Elle se promettait de revenir très vite pour l’aviser de la situation. Un rapide petit déjeuner plus tard, elle reprenait déjà la route du quartier du temple.

[Amaryllis]

Amaryllis avait passé l'après-midi à se promener de rue en rue, le nez en l’air, subjuguée par la beauté et l’immensité de la ville où le bateau en provenance de la Porte de Baldur avait accosté en fin de matinée. L’attitude lui avait valu quelques collisions inopinées. Un gros monsieur, aussi peu attentif qu'elle, avait notamment manqué la faire tomber, mais rien qui ne puisse être réparé par un sourire et un mot d'excuse. Elle le savait bien, et elle en jouait. On pouvait difficilement lui en vouloir quand elle vous lançait ce grand sourire, assorti de ce regard si innocent.
L’heure du dîner approchait, lorsqu’elle finit par arriver dans une ruelle. Son regard fut irrésistiblement attiré par une enseigne portant le nom de Loyal Paladin. Une question à un passant lui apprit qu'il s'agissait d’une auberge, qui plus était réputée dans la ville entière. Il ne lui en fallut pas davantage pour se décider. Il lui restait quelques pièces d’argent à dépenser, au moins de quoi s’offrir un bon repas. Elle entra dans la pièce principale, se faufila rapidement entre les interminables paires de jambes de ces grandes gens, jusqu’à une table libre. Là, elle grimpa tant bien que mal sur la chaise la plus proche, puis balaya la salle du regard, soupirant d’aise. Faire ce que l’on voulait quand on le voulait, voyager...ça avait un petit parfum de liberté dont elle ne se lassait pas. L'odeur, des plus agréables, qui s'échappait de la cuisine et des plats de ses voisins ne gâchait rien à cette sensation de bien être. Il ne lui restait plus qu’à attendre qu’un serveur s’approche pour l’interpeller...

[Althéa]

Depuis quelque temps, Titoeil observait Eliessan. Chandara, partie en mission, elle avait pris ses quartiers au Loyal. Étrange jeune femme au regard bleu qui ne voyait pas. Très vite, elle lui avait proposé de payer sa pension en racontant des contes, une fois par semaine. Elle était barde. Et Titoeil, charmé par ce joli brin de femme avait accepté.

Au moment de l'arrivée de la jeune gnome, Eli, assise sur une chaise racontait une histoire, expliquant pourquoi la mer était salée. Une femme, trompée par Cyric, avait accepté un moulin qui produisait du sel. Et le moulin, à la fin de l'histoire échouait dans la mer, où il ne s'était, bien sûr, pas arrêté.

La salle l'écoutait, presque religieusement, en retenant son souffle à chaque péripétie. Titoeil, au bout d'un moment remarqua la petite personne. Discrètement, il se pencha vers elle, avec son habituel air débonnaire.

"Que puis-je pour vous ?"

[Amaryllis]

Attendant que l’on vienne s’occuper d’elle, Amaryllis avait commencé à écouter la femme raconter son histoire. Et comme chaque fois qu’une histoire lui était contée, la jeune halfeline n’eut rapidement plus d’oreilles que pour elle, laissant son imagination vagabonder au son de sa voix, tant et si bien que lorsque l’homme lui demanda ce qu’elle voulait, elle ne l’entendit tout d’abord pas. Il lui reposa la question, un ton plus fort, la faisant sursauter. Elle regarda autour d’elle, inquiète de troubler l’écoute des autres spectateurs, puis chuchota dans un souffle :

"Je voudrai bien de la tarte aux pommes, si vous en avez."

Son regard passa ensuite de l'homme, dont elle attendait la réponse, à la conteuse, qui continuait à raconter son histoire dont elle ne voulait pas perdre davantage de miettes...