[Boutique] La Vierge d'Argent

[Eliaëdel]

Elle fermé les yeux après son départ; essayé de trouver le repos. Sans comprendre ses dernières paroles. Seuls les fous pouvaient se permettre d'espérer.
Mais peut être était elle bien folle elle aussi. Même si... non. Ce n'était pas pareil. Elle savait que cela ne mènerait qu'au désastre. Ce n'était guère plus qu'essayer d'adoucir l'inéluctable. Les sentiments ne la sauveraient pas. Ne les sauveraient guère même s'ils étaient réciproques.
Et même à ce propos, l'elfe n'y croyait plus.

La moinesse ne montrait rien; hormis des petits gestes qu'elle semblait presque regretter après. Sans véritablement la repousser. Une indifférence polie. Au mieux. C'était le comportement qu'elle n'aurait jamais du quitter de son côté. Elle n'arrivait pas véritablement à lui en vouloir; mais pourquoi alors cela commençait il à la mettre en rogne, dans une colère froide? Peut être parce qu'elle avait voulu intervenir dans sa décision par simple sens -dévoyé- du devoir. Ou peut être parce qu'elle n'assumait pas la franchise de lui exprimer les choses directement.
Ou encore parce qu'elle lui avait fait tomber le masque de son côté, ce qui les condamnait presque irrévocablement.

Elle a soupiré, ce qui se faisant a déclenché une quinte de toux mauvaise. A maudit sa faiblesse. D'une main tâtonnante, elle s'est enroulée dans la couverture de laine.
Le sommeil est venu, par surprise. Malgré l'incompréhension persistante et croissante. L'espoir n'existait pas; seuls les faits restaient. Quelques heures de calme, quelques heures de repos. Trop épuisée pour persister dans l'agitation.

[Althéa]

Une ombre dans la rue. Elle était sortie si discrètement de la Vierge d'Argent que nul n'avait pû la voir. Elle avait troqué sa robe de bure contre une simple chemise et un pantalon de toile. Ses cheveux avaient été disciplinés et coiffés sagement en une queue de cheval. Personne ne reconnut la moinesse dans la jeune femme mince traversant doucement la rue. Si d'ordinaire, on détournait le regard quand elle passait, les yeux s'arrêtaient sur la jeune femme. En ce début de soirée, elle n'était qu'Elissa. Et elle ne serait rien d'autre pour le restant de la soirée. Cette nuit, le temps lui appartiendrait. Avec sa robe de bure, remisée sous son oreiller, elle avait remisé ce qu'elle était. Et elle avait le temps, celui de guetter l'appel du soir. Il se matérialisait au dessus des toits, par ses nuages iridescents, son ciel de feu qui annonçait le soir. Son indépendance durerait toute la nuit. Toute leur nuit.

Une fois n'est pas coutume, elle se rendait là bas. Au détour des rues de Manost, elle l'avait rencontré. Quelques sourires, quelques entretiens murmurés, leur avaient fait croire qu'ils se retrouvaient. Lui, demi-elfe sous le signe de la harpe vivant à Manost dans la clandestinité, elle maîtresse de guilde toujours dans la peur de perdre le contrôle. Ils s'étaient souvent parlés au début pour échanger leurs doutes et pour refaire leur monde. Puis ils s'étaient rendus compte que leur relation était toute autre. Alors, sans que personne n'en sut jamais rien, ils se retrouvaient, s'entremêlant au milieu de leurs maux.

Ils ne s'étaient rien promis. S'ils s'étaient avoués tacitement leurs sentiments, ils s'étaient donnés pour consigne de ne jamais se soumettre aux affres de la vie de couple. Ils n'étaient pas faits de cela. Ce n'était que lorsqu'ils en avaient besoin que leur histoire prenait chair. Ils s'étaient nommés pour l'une et pour l'autre, «*le consoleur*» et la «*consoleuse*».

Depuis des années, ils procédaient toujours de la même manière. Quelques phrases échangées indiquaient à l'autre l'humeur du moment. Puis, les corps se rejoignaient inexorablement. Comme deux vieux amants, ils avaient appris à connaître chacun des soupirs et des plaisirs de leurs corps impatients. C'était leur manière à eux de ne pas sombrer, de célébrer malgré tout la vie. De célébrer leur amitié dans la chaleur d'une étreinte. Et de rêver ensemble les possibles de ce qu'ils auraient pu être.

Aujourd'hui, quand elle avait frappé à la porte, une voix douce lui avait répondu.

«*Qui vient danser avec la mort par une nuit sans lune ?*».
Elle avait sourit.
"La mort elle-même*», avait elle répondu en un souffle.

La porte s'ouvrit. La pénombre l'accueillit, comme à son habitude. Elle se faufila doucement dans l'embrasure. Comme à son habitude, la silhouette lui demanda doucement.
«*Création ?*»
Elle prit son temps pour réfléchir.
«*Moyen donné aux hommes par les dieux pour leur permettre d'imaginer qu'une fois au moins, ils pourront les égaler*»
Un petit silence et l'homme répondit.
«*Un pas*».
Une bougie s'alluma. La silhouette se fit humaine et tout à coup prit corps. Toujours le même sourire, ses cheveux bruns en bataille dissimulant les yeux noisette.

«*Cynisme ?*»
Petit sourire.
«*Disons que pour certains, c'est un passe temps. Au moins, pour certains qui ont de l'humour .. et un peu de lucidité*»
Silence de nouveau. Puis …
«*Un pas*»
Nouvelle bougie. Les yeux brillaient.

«*Liberté*
- ça, répondit Elissa du tac au tac, ça n'existe pas
- Je ne suis pas convaincu, répondit l'homme joueur, recule …
- Ah non Fergus. Pas cette fois. J'ai tellement attendu.
- Un an peut être.
- Trop ...*»

Fergus fit trois pas. Elissa marcha tout droit vers lui. Comme deux noyés, leurs corps se cherchèrent, empêtrés dans leurs vêtements qui s'égaillèrent au hasard, au gré de leurs mains. Ils redécouvrirent leurs corps, la chaleur des caresses. Ils s'étreignirent sans passion mais avec tendresse comme le font les vieux amants. Seule planait autour d'eux la joie des retrouvailles. Lorsque le dernier soupir et la dernière plainte eurent résonné, ils s'enroulèrent dans leurs couvertures. Ils restèrent là, allongés l'un à coté de l'autre, retournant déjà à leurs pensées. Puis, la voix de Fergus résonna dans la pièce.

«Liberté ?
Liberté de faire le mauvais choix*» murmura Elissa en s'asseyant. Fergus se rassit à son tour.
«*Est ce que c'est en rapport avec ton épaule ?
- Oui ...*
- Raconte*»

Éclairée par la douceur des filles du feu qui dansaient dans l'âtre, projetant sur les murs leur silhouette gracile, Elissa raconta tout. Sa rencontre avec Eliaëdel, ses sentiments ambigus. Les révélations qui lui avaient été faites, et surtout, sa peur de perdre le contrôle et d'entraîner à sa perte la guilde.

Lorsque eut résonné la dernière parole, elle pleurait doucement. Peu avaient eu l'occasion de voir la moinesse se laisser perdre dans ses émotions. Et Fergus en faisait partie. Secouant la tête, il avait pris le corps nu et sanglotant de sa compagne et l'avait bercé doucement. Du temps avait passé. Il n'avait pas cherché à savoir, il n'avait pas jugé. Il était juste là, pour l'écouter. Comme elle l'avait tant de fois fait pour lui.

Puis, comme de coutume, il lui prépara à manger, sans s'offusquer du fait qu'elle picorait plutôt que de lui faire honneur. Il ne put s'empêcher de remarquer ses yeux cernés et ses traits tirés. Elle était préoccupée plus que d'habitude. Et il n'y pouvait pas grand chose.


«*Je ne peux pas faire ça, tu comprends ? Je ne veux pas lui demander de partir. D'un autre coté, elle risque de mettre en danger la guilde, de se mettre en danger. Et les autres risquent de venir. Il faut que je les prévienne. Mais je sais par avance ce qu'ils vont me dire. Qu'elle est de trop. Et pour moi, ce n'est pas ce qu'elle est*»

Fergus réfléchit quelques instants.

«*Je comprends, c'est difficile. Mais sûrement pas insurmontable. Après tout, jusqu'ici, tu ne t'es pas trop mal débrouillée. Quand l'on s'est rencontrés, tu ne savais pas si tu pourrais gérer la guilde. Tu y es arrivée.
- Peut être. Mais aujourd'hui, il s'agit de sentiments …
- Exercice plus difficile. Surtout quand ils ne sont pas les seuls à être pris en compte. Protège un maximum. Mais avant tout, protège-toi, toi. Voici mon conseil. Maintiens la guilde unie, accepte les compromis sans en avoir l'air. Voilà ...Sinon, nous pourrions fuir ensemble, loin de Manost et de nos ennuis. Je pourrais t'offrir un enlèvement plus que romantique, sais-tu ?»

Elissa eut un petit rire, il la reprit dans ses bras. Une caresse en entraînant une autre, ils refirent l'amour jusqu'au petit matin animés d'une nouvelle flamme. Venait avec la conscience qu'ils allaient de nouveau être séparés pour un temps indéterminé. Feu de leur chair, appétit de leur bouche, tendresse de leur main. Presque insatiables. Ils finirent par s'immobiliser, unis dans leur douceur. Une fois retrouvé l'abri des couvertures, ils se regardèrent sans bruit. Seul suffisait le silence. Et leur nuit déjà morte n'avait pas une ride. Ce fut finalement Fergus qui prit la parole.

«*Dans tous les cas, j'ai été heureux de te revoir. Le jour vient. Il est encore jeune mais il signe la mort de notre entrevue*»

Elle se leva, ré-enfila sans hâte ses vêtements épars.

«*Maintenant pars, et je ne veux plus te revoir. Fille que je n'aime pas*»

Elle se dirigea vers la porte, se retournant une dernière fois.

«*Fergus, pourquoi utilises tu toujours cette antiphrase ?
C'est ce que je réussis le mieux*»

Ainsi prit fin leur énième entretien ...

[Eliaëdel]

Le petit matin l'a réveillée. La bouche pâteuse. Les muscles encore gourds. Plus assez pour l'empêcher de soigner ses blessures. Un bref coup d'oeil haineux au miroir sur son dos nu. Qui a réveillé un début de sourire. Elle cicatrisait. Les ecchymoses s'estompaient bien. Les brulures mettraient plus de temps à disparaître. Mais elle reprenait une apparence qui lui convenait mieux.
Elle s'est lavée longuement. A lavé ses longs cheveux. Presque paresseusement. Mais elle avait repris en détermination. Tant qu'elle ne repensait pas à elle. Elle n'était pas sûre d'être capable de la revoir – pour le moment; il y avait des choses qu'elle préférait oublier. Mais elle en avait besoin. Il y avait des choses à mettre au clair. Définitivement. L'indécision et le doute la tuaient à petit feu.

Puisqu'on l'avait forcée à vivre et puisqu'on la surveillait, elle s'en accommoderait. Pour le moment. Elle avait des choses à accomplir avant si elle devait en crever; même si ce serait jugé par beaucoup comme du sale boulot. Elle s'en fichait; elle avait fait un serment. Elle tenterait de la protéger. Elle s'est rhabillée. Chemise de lin blanche sur pantalon bleu nuit. A rassemblé sa chevelure en cinq longues tresses nouées par un ruban de soie noire. Elle receint son épée; même avec des mouvements ralentis toujours avec la même efficacité et adresse. Elle ne s'en séparait jamais. Elle a glissé sa harpe de voyage dans son étui de cuir. Sa deuxième compagne.

Elle était jolie; elle semblait jeune -infiniment plus que les précédentes heures, fraîche, presque innocente en dépit de sa fine balafre au niveau de l'arcade. Elle affichait un masque d'insouciance. Comme toute de facade, mais qui dissuaderait des questions directes. Sans doute pas de tous le monde; mais elle doutait que la moinesse lui en fasse la remarque. Pas même de l'intuition; juste... de la simple et cruelle habitude.
Elle a quitté ses quartiers, avant de descendre dans la salle principale se préparer à manger. Et peut être avec cette journée, du travail arriverait; n'était elle pas dans une guilde après tout? Du moins cela tromperait peut être ce sentiment d'oppression qui finissait lentement et sûrement par la ronger. Mais elle devait lui parler. Cela devenait une nécessité.

[Elissa Keens]

Des étoiles éteintes dans les yeux, Elissa regagna la Vierge d'Argent en tapinois, si discrète que personne ne l'entendit rentrer. Son pantalon et son chemisier remisés dans une malle au pied de son lit, ses cheveux détachés, elle mit du temps à remettre sa robe de bure. L'air frais sur son corps nu était l'écho lointain d'un souffle de liberté. Et elle allait de nouveau s'enfermer. De nouveau la guilde, les préoccupations. Elle s'imagina, le temps d'un instant fugitif partir avec Lui, et tout abandonner. C'était, elle le savait une proposition sérieuse. Elle n'avait qu'un mot à dire …

Mais elle avait appris malgré elle à aimer les barreaux de sa prison, et la glace recouvrant son cœur en hiver. Il ne devait rien avoir d'autre que la guilde. Elle lui était loyale. C'est là qu'elle passerait son temps, sa vie. Elle se lava à grande eau et se glissa dans sa robe de bure. Le vêtement lui parut rêche et étroit. Elle s'assit sur son lit avec un soupir. Là, elle laissa ses soucis la rattraper de nouveau. Et ils portaient tous le nom d'Eliaëdel. Son suicide manqué lui avait appris à quel point elle tenait à elle, et cela l'effrayait. Elle voulait la protéger, l'aider. Mais contrairement à ce qu'elle avait dit à Fergus ne ressentait pas d'amour pour elle. Du moins, ce n'était pas ce qu'elle appelait aimer. Trop de paramètres étaient en jeu. Et c'était un luxe, qu'elle ne pouvait s'octroyer. Vérifiant que sa fenêtre et sa porte étaient bien fermées, elle se coucha et éteignit sa chandelle. Ses quelques heures de repos ne lui apportèrent qu'un piètre réconfort.

[Eliaëdel]

Eliaëdel a avait mangé. Elle avait pris du temps pour le faire. Elle ne s'alimentait souvent que par nécessité, et cette fois ci, elle n'y trouvait aucune satisfaction. Les bouchées avaient un goût amer. La guilde était encore silencieuse; comme souvent, elle était debout la première; cela l'arrangeait. Elle n'était pas prête à discuter.
L'elfe avait bu un petit verre d'eau de vie. C'était une chaleur illusoire. Mais elle en avait besoin. Pour remettre de l'ordre dans ses idées. Elle ne pourrait pas repousser éternellement ce moment. Elle n'était pas certaine de pouvoir le supporter plus longtemps. Elle devait lui parler; maintenant avant que le courage ne s'émousse. Maintenant avant que la journée ne se lève et qu'elle ne puisse prétexter des gêneurs pour repousser l'instant.

Elle s'était approché de la porte après avoir grimpé les escaliers dans un silence de mort. A posé la main dessus; immobile. Longues inspirations. Elle ne le voulait pas, quelque part. Mais fallait bien extraire la pointe de flèche; ôter cette douleur sourde dans la poitrine. En finir avec cette ignorance, cette sensation étouffante et pesante de secrets. De conspiration.

Elle a frappé à la porte, discrètement. Prié on ne sait quels dieux pour qu'Elissa lui ouvre. Et a attendu sa réponse. Le visage froid. Refermée sur elle même.

[Elissa Keens]

Quelques coups à la porte l'avaient fait se lever. Il n'y avait pas de doute, c'était Eliaëdel. Althéa aurait demandé avant de frapper si elle était là, Delcia serait entrée directement et les autres membres de la guilde n'auraient pas osé venir la trouver dans sa chambre. Donc ...

Elle prit une profonde inspiration pour faire venir le calme. Elle savait que la conversation qui allait suivre serait éprouvante .. mais nécessaire. Des zones d'ombres à faire disparaître, à éclaircir du moins. Elle ouvrit sans plus attendre.

Eliaëdel était sur le seuil. Gagné ...

[Eliaëdel]

Elle était entrée sans un bruit. Elle avait repoussé la porte derrière elle.

« Je dois te parler. C'est important. »

L'elfe ne regardait pas la moinesse. Mais elle a commencé, après une brève expiration. La voix au début hésitante. Puis se faisant plus ferme au bout de quelques mots.

« Je m'étais interdit d'aimer à nouveau, Elissa. Mes histoires ont toujours mal fini. Je ne voulais plus à avoir à revivre ça. Et j'ai... peur. »

Elle l'a regardée dans les yeux; une mixture de colère, de peine, de mélancolie; elle en tremblait presque; mais se contenait. « La première fois que je t'ai vue, je n'y avais pas non plus pensé. Tu ne me faisais pas confiance, et réciproquement. Tu as fait appel à moi en désespoir de cause uniquement parce que tu étais sur le point d'être aspirée sur le plan des miroirs. J'avais accepté parce que je pensais pouvoir y gagner quelque chose. Un semblant d'influence; peut être un peu de respect en dépit de mes méthodes. Ou peut être simplement parce que je m'ennuyais et que cela m'amusait, quelque part. Je suis une garce peu recommandable.
Tu m'as sauvé la mise. J'aurais du me faire tuer et cela nous aurait épargné bien des choses je présume par la suite. C'est... »

« … c'est à partir de là que j'ai commencé à te... respecter. J'ai plus été habituée à des gens prêts à me trahir pour quelques pièces dans le meilleur des cas qu'à des personnes qui acceptent de se prendre un coup pour que vous en surviviez. Je me suis sentie redevable. C'était étrange... Je n'aurais pas du réagir comme quand lorsque tu n'avais soignée. Cela n'avait rappelé quelque chose chose j'aurais préféré oublier et non revivre récemment. Je te t'aurais tuée si j'avais été armée. Comme ce gros porc arrogant de demi frère. »

Ses paroles ponctués de silences. Lourds de malaise.

« Je ne l'ai pas supporté. Cette idée m'a rendue malade. Je m'étais promis qu'on survivrait tous aux miroirs. Et je... je ne voulais pas que tu meures de ma main. Tu ne le mérites pas, espèce d'ordure! »

La colère avait explosé, et juste après, elle s'était assise. Des larmes s'étaient échappé de ses yeux, et elle avait détourné le regard vers la fenêtre. Sans croiser la demie elfe. Le souffle court.

« C'est là que j'ai commencé à lâcher prise. J'avais l'habitude de tout contrôler, de mener la danse. Je suis barde; c'est moi qui mène le spectacle, même s'il n'est pas du goût de tout le monde. Je n'ai pas pu. Je te protègerais à n'importe quel prix. C'était là que les sentiments ont commencé à se mêler de ce qui ne devait plus les regarder. Je n'ai rien pu faire pour l'éviter. J... je ne l'ai pas vu venir. »

« Quand nous sommes revenues ici, une fois que tout ceci serait fini, j'avais cru que cela me passerait. »

Elle s'était de nouveau tue. Assez longuement. Flottait dans la pièce une tension à fleur de peau. Des mots non dits. Des silences; de la tension, des sous entendus; l'elfe faisait voler en éclats ses propres barrières, ses limites. Avec une violence nouvelle. La folie était proche, si tangible. Mais elle la cadenassait. Comme si elle semblait se rendre compte de sa propre fragilité; que tout pouvait basculer avant qu'elle n'ait vidé ce qu'elle avait sur le coeur; comme elle semblait étouffer toutes ces voix, tout ce brouhaha incessant; mais c'était surtout un abime de désespoir qui s'ouvrait sous ses mots. Elle contemplait sa faiblesse sans fards, sans la masquer. Incapable de la juger. Elle était; c'était tout ce qu'il y avait besoin de savoir.

« Penses tu qu'on prends certaines bonnes décisions par moments? Parfois, on tourne le dos à un avenir que certains s'imaginaient tout tracé. D'autres fois, on tourne le dos à son clan. D'une manière si définitive que cela vous force à fuir encore et toujours en espérant survivre assez longtemps pour décourager toutes les ardeurs; même si au final ils finissent par devenir aussi impitoyables que vous dans leur traque. D'autres fois encore on échoue lamentablement dans ses adieux, même lorsque l'on croit avoir toutes les cartes en main. Même plusieurs fois pour la même personne. Même quand ladite personne s'abrite en permanence derrière un masque; même quand on ne sait pas elle elle ressent quoi que ce soit ou si elle le fait pour éviter je ne sais quelles réactions. Même au risque de faire naître de la colère ou de la haine. »

Elle s'était tournée vers la moinesse; trouvé enfin le courage de la regarder en face. La colère s'était totalement éteinte. Elle capitulait.

« Et même si je ne le devrais pas. Pour toutes ces raisons. Je t'aime, Elissa. Ce n'est ni très poétique, ni très original. Mais c'est vrai. Je ne vais pas me mentir. Ni te mentir. Il faut bien qu'une des deux prenne cette responsabilité. Il faut bien qu'une des deux finisse par mettre des paroles sur tout ceci. »

Elle s'était levé. Avait marché. Quelques pas pour reprendre le fil de ces idées; pour étouffer l'amertume que ses aveux faisaient naître en elle. A moins que ce ne soit de la honte. Pour avoir brisé les sceaux de ses secrets.
Elle s'était tournée vers la demie elfe. Avait fixé ses yeux bleu gris avec une intensité qui, si elle pu, aurait lu à travers ses pensées. Elle s'est retenue de la prendre dans ses bras, de la secouer comme un prunier ou de la serrer contre elle comme si elle ne devait jamais plus la revoir. La barde a fait deux pas vers elle. Elle s'est arrêtée à quelques centimètres d'elle; n'a pas détourné un seul instant les yeux. Elle n'était pas grande; mais elle avait une sorte de présence; de prestance, qui faisait qu'on se souvenait généralement d'elle. Ce n'était pas seulement de la beauté, un subtil arrangement de sa coiffure. C'était bien plus que ça. Les traces de larmes sur les joues, les yeux d'un vert délavés sous ses propres fondations qu'elle détruisait. Elle était sérieuse. Définitivement sérieuse. Et même si elle n'était diseuse de vérité, en cet instant là, elle aurait pu tout lire.

« Tu m'avais dit qu'il te fallait du temps. Je peux le comprendre. Je peux t'en donner. Mais je ne vais plus pouvoir tenir longtemps. Je vais... craquer sinon. »

Voilà. Elle y était. La voix blanche. Étreinte d'angoisse. Mais elle lâchait prise depuis bien longtemps déjà. Depuis ce soir où elle avait posé ses lèvres sur les siennes sans réaction au lieu de l'assassiner dans son sommeil. C'était ce qu'il y avait derrière sa malveillance, son indifférence de façade qu'elle montrait si souvent. C'était son cœur, dans toutes ces nappes d'ombres et points de lumières épars. Elle n'avait toujours pas bougé, les longues tresses qui courraient le long de son épaule frémissaient au rythme du tremblement de ses mâchoires. Elle pleurait en silence. Quand elle s'est repris, la vision trouble, les yeux brûlants, elle a poursuivi:

« Je te demande une réponse. Je te demande de ne pas éluder les questions, ni les sous entendus. C'était des choses que je t'avais demandées auparavant. Même si je ne savais pas véritablement comment te le faire savoir... même si je pense que tu l'avais compris; et que tu n'y as pas répondu à dessein. Je te demande d'être honnête; même si ce n'est pas avec moi, au moins avec toi même.
Même si tu ne ressens rien pour moi, je veux le savoir. Je ne te demande pas de choisir entre moi et cette guilde; pas plus que je souhaite interférer dans tes décisions. Tu le verrais trop facilement je pense. Je ne te demande pas de me tomber dans les bras, de me jurer fidélité éternelle. Je ne suis pas de ce genre là. Ce n'est pas comme si j'avais eu l'occasion d'y croire. Et je t'accepte telle que tu es. Tu peux même me demander de disparaître maintenant. Même de.... mourir pour toi. »

Elle parlait, dans un mélange de dureté, d'émotion, d'appréhension. Luttant pour souffler ce qu'elle avait à dire. Luttant pour ne pas tout noyer dans le simple et inutile aveu de ce qu'elle ressentait. Elle devait aller au bout des choses; au bout de ce que cela impliquait.

« Je suis prête à te laisser un peu de temps encore. Mais passé ce délai, je partirai si tu me laisses que des doutes à ruminer; de ta vie, de la guilde, et j'oublierai ce que as signifié pour moi. Qu'importe le prix que ça me coûte. Je ne vaux peut être pas grand chose à tes yeux; je n'arrive pas à le savoir quoi qu'il en soit. En vrai ou en faux. »

Elle a conclu, la gorge serrée, dans un murmure.

« Tu me dois ça. »

[Elissa Keens]

Elissa avait avalé péniblement sa salive. Cette fois, il n'y avait plus d'échappatoire. Eliaëdel avait abattu toutes ses cartes. C'était à son tour d'en faire de même. Elle sentait la barde à bout de mots et de larmes. Et elle se sentait dans le même état. Elle inspira profondément.

"Moi aussi, je me suis laissée surprendre. Tu es arrivée là, avec tes contradictions et ta détresse. Je me suis dit que je pouvais ... t'aider. Tu avais l'air perdue, aux abois. Et tu es partie sans crier gare. J'ai crû que tu t'étais faite tuer comme tous les autres, que tes démons t'avaient engloutie. Et puis, tu es revenue encore plus détruite que la dernière fois. Tu n'avais pas d'endroit où aller. Je me suis dit qu'ici, c'était mieux que nulle part ... Et puis est arrivé l'épisode du miroir. J'ai fait appel à toi parce que je ... j'avais peur. Parce que tu étais paradoxalement la seule encore debout. Et puis tu m'as aidée. Et tu nous es venue en aide. Je me suis dit qu'il y avait quelque chose de plus. Que la clarté dans tes yeux voulait dire quelque chose. Je ne sais pas ..."

Elle s'était tue quelques secondes avant de murmurer.

"Désolée, je ne suis pas douée pour l'expression des sentiments."

Elle se détourna, essuyant une larme qui roulait sur sa joue.

"J'ai voulu t'aider. Pas par pitié, mais pour ce quelque chose. Et je me suis attachée à toi. Et ça m'a fait peur tu sais ? Et plus ça allait, plus je t'ai sentie partir à la dérive. Et je ne voulais pas ça."

Maintenant, elle pleurait tout à fait mais n'en tenait plus compte.

"Et non, je ne t'aime pas. Pas dans le sens qu'on entend. Tu es mon opposée, tout ce qui me fait peur. Plus je m'approche, plus je pars à la dérive. Plus nous partons à la dérive. Et je ne veux pas ça. Je ne veux pas te voir partir à la dérive tout simplement parce que tu ne mérites pas ça. Si je t'aime, je devrai un jour te haïr ..."

Elle s'interrompit quelques secondes, sans détourner le regard.

"Je sais que ça fait mal. Mais tu as raison, faisons tomber les masques. Je ne veux pas que tu t'en ailles. Parce que que tu le veuilles ou non, tu es de mon clan. Et que tu le veuilles ou non, tu ne marcheras plus jamais seule"

[Eliaëdel]

« Maintenant je sais que je n'ai plus rien à espérer. »

L'elfe a essuyé ses larmes d'un revers de la main le temps que ses propres larmes ne se tarissent. La moinesse avait parlé. Son masque était tombé. Mais ses aveux lui avaient laissé le souffle court. Elle... La sensation du coup de poignard dans le dos; peut être parce qu'elle n'avait jamais envisagé que cela fut possible. Mais elle était sans colère. Trop sonnée pour réagir par la rancoeur. Elle savait désormais.

« Je ne suis pas sûre de mériter de faire partir de ton clan si je suis ton contraire à ce point. » Elle avait répondu, sans moquerie, à voix basse. Son incompréhension.

Elle l'a prise dans ses bras. Non. Elle n'arrivait pas à la détester. Comme une dernière étreinte; comme si cela devait être la dernière si malheur arrivait. La barde tremblait. Elle l'a tenue longtemps contre elle. Avant de lui lacer quelque chose autour du cou sorti de sa main par quelque tour de passe-passe. Une petite amulette d'argent, sertie d'une petite gemme bleue. Un cadeau. Qui avait le parfum de celui des adieux.

« Accepte la. Au moins pour le souvenir. Pour ton amitié... même si ce ne sera jamais rien de plus. Même si j'aurais préféré que tu finisses par avoir à me haïr un jour. »

« Mais cela viendra aussi. Même sans amour, Elissa. C'est comme ça que tout est appelé à finir. » Elle lui a essuyé les larmes du bout des doigts, sans l'observer. Avec douceur. Avec tendresse.

« Laisse moi partir quelque temps. S'il te plait. » Elle lui avait murmuré à l'oreille avant de la relâcher. Imploration. « Je ne tiendrai pas sinon. Mais je prendrai soin de moi si ça compte tellement à tes yeux. »

[Elissa Keens]

Elissa avait hoché la tête. Elle ne comprenait que trop bien Eliaëdel. Elle aurait voulu lui demander de rester mais n'en avait aucunement le droit. Elle l'avait repoussée après avoir fui un long moment ses attentes. Qu'allait il advenir d'elle ? Loin de la guilde, elle risquait de nouveau d'être traquée. Mais sa destinée ne lui appartenait pas. Elle la choisissait.

"Si tu prends soin de toi alors. Je serai toujours là si besoin ... ", finit elle par dire.

*Et dis à la mort qui marche avec toi qu'elle te laisse tranquille ... au moins pour une fois ...*

Elle n'en ajouta pas plus. Prolonger les adieux ne servait à rien, sinon à leur faire mal d'avantage.

"Prends tout ce dont tu as besoin ... Cadeau de la maison"

[Eliaëdel]

« Non. De tout ce dont j'aurai pu avoir besoin, il en est une qui ne me suivra pas. » Elle avait souri. Amèrement. « Garde ce que je vais laisser ici, au contraire. Je ne peux pas te promettre que cette joyeuse faucheuse t'écoutera. Ce n'est pas faute de le vouloir. Tout te reviendra si un accident arrive. »

Elle a ouvert la porte. S'est arrêtée avant de quitter la chambre.

« Au revoir, belle et froide Elissa. »

D'un ton énigmatique. Quelque part à mi chemin entre l'esprit mordant des bardes et certains sentiments qui n'avait pas entièrement capitulé. Puis elle disparut avant toute réponse.

Il ne lui a pas fallu longtemps pour se préparer; elle avait enfilé l'armure que la moinesse lui avait permis de prendre. Chacune restait avec un présent de l'autre, ainsi; c'était étrange. Elle avait tenu sa parole cependant; une bonne partie de ses affaires étaient restées dans ses quartiers lorsqu'elle a quitté la guilde. En apparence, comme pour une mission de routine.

Vers les portes de la ville

[Elissa Keens]

Elle avait laissé résonner les mots, les avait entendu fusionner puis se perdre dans le silence. Et devenir ce silence. Devenir absence. Ne resterait que l'écho. L'écho de l'absence.

La porte s'était fermée sur un adieu. Elle n'avait pas regardé Eliaëdel s'en aller par la fenêtre de la boutique puis disparaître au coin de la rue. Elle avait choisi, elle était loin. Même si ses pensées à présent l'accompagnaient.

Sa respiration retrouva son rythme calme. Elle essuya les traces des larmes qui avaient continué à rouler sur ses joues. Maintenant, elle ne pleurait plus. Elle ne raconterait pas aux autres ce qui s'était passé. Elle leur dirait juste qu'Eliaëdel avait pris la décision de partir. L'absente. Elle était au delà des mots. Sur la pointe des pieds, elle retourna dans son bureau. Puis, la solitude soudain devenue insupportable, elle se leva d'un bond. Ses pas la portèrent au hasard des rues. Vers le Loyal.

[Eliaëdel]

De retour d'un hameau

Elle est arrivée à l'aube devant la guilde. Elle a regardé le bâtiment. Avec un pincement au coeur qui lui a fait mal. Plus semblable à un fantôme qu'à celle qu'elle était avant ces deux jours. Elle était pâle. Le visage marqué, les joues creusées, et le ventre vide. Le sifflement constant du vent durant sa longue chevauchée lui avait laissé les pommettes roses, la longue et fine cicatrice qui mordait dans sa joue ressortait comme un discret trait pourpre, et les minutes de marche précipitée dans Manost n'avaient rien arrangé à cela.

La femme est entrée dans l'arrière boutique par l'accès de service. Sans bruit. La douce tiédeur de la pièce lui parut agréable, mais ne l'a pas encouragée à paresser. Elle a emprunté les escalier, prenant garder à ne pas le faire craquer, avant d'arriver au couloir qui menait à ses quartiers. Elle est entrée dans la chambre, avant de repousser silencieusement la porte derrière elle.

[Althéa]

Delcia avait profité d'une accalmie pour monter à l'étage. Basile avait pris le relais. D'habitude, elle serait restée fidèle à son poste mais aujourd'hui, le coeur n'y était pas. L'ambiance à la Vierge d'Argent avait brusquement changé, et tout cela à cause d'une seule personne. Eliaëdel.

Depuis son arrivée, tout allait de travers. Surtout Elissa qui d'un naturel imperturbable devenait changeante et irascible, presque sur le qui vive. Elle souffrait aussi. Comme le gosse l'avait dit, il y avait anguille sous roche. Elle sentait une menace, un danger presque palpable qui entourait la barde. Et elle ferait tout son possible pour protéger Elissa.

Doucement, elle poussa la porte de sa chambre et alla s'asseoir sur son lit. Là, elle serait mieux pour réfléchir.

[Eliaëdel]

Elle a commencé à regrouper ses affaires. Elle s'est appliquée à le faire en silence. Le coeur était lourd. Mais elle n'avait pas d'autres choix. Plus elle resterait, plus elle serait un risque. Son seul espoir serait qu'Elissa ne la retienne pas.

Trop d'implications seraient en jeu. Les périls étaient trop proches, rodaient trop près dans les ombres pour qu'ils ne soient pas sans présages funestes. Elle rêvait souvent. Mais rarement à une telle intensité. Ils avaient trop le parfum de réel. D'imminent. De danger aussi. L'elfe ne pouvait pas ignorer de tels signes. Sous peine d'avoir à le payer au prix le plus fort. Et à le faire payer à d'autres.
Alors qu'elle rangeait un rouleau de parchemin, plongée dans pensées, elle a fait tomber un petit coffret posté sur le bureau.

Ses yeux se sont fermés. Ses mains ont été prises de tremblements. Sans le courage de se maudire. Il ne lui a resté que son épuisement pour seule compagnie lorsqu'elle a entendu la porte de sa chambre s'ouvrir précipitamment. Laissant apparaître une Delcia à l'expression chagrinée pour le moins.

[Althéa]

"Ah bon, tu es rentrée, et quand est-ce que tu repars ?"

Les mots avaient été cinglants, prononcés avec froideur. Delcia n'avait pas quitté le seuil.

"Oh, je vois que tu t'en vas de nouveau. Mais bien sûr, tu vas revenir. Et après toi le déluge, pas vrai ? Tu ne crois pas que tu lui fais assez de mal comme ça ? Je suis juste en face de sa chambre et toutes les nuits, je l'entends crier. Elle n'est pas bien, et c'est de ta faute. Si tu continues, elle va craquer. Alors, si tu tiens un peu à elle, ne reviens pas"

[Eliaëdel]

La colère n'est pas venue. Juste une lassitude. Et une certaine forme de fatalisme. La femme blonde en face d'elle n'avait pas tort. Pas entièrement. Elle n'a pas souri; ne s'est pas révoltée devant la révélation. Au bout du compte, elles n'avaient réussi qu'à se faire souffrir mutuellement. L'elfe a regardé Delcia fixement. Peut être lisait on de l'incompréhension dans ses yeux. Ou une détresse habilement masquée. Mais elle n'en a guère laissé transparaître plus. Pas devant elle.

« Juste un dernier message à lui transmettre. Partirai juste après. C'est ce qui vaudra de mieux pour tous. »

La barde a répondu. Avec un calme troublé dans la voix. Combattre la seule décision raisonnable qui s'imposait aurait été que rajouter une absurdité supplémentaire à la succession de décisions désastreuses qu'elle avait prises.
Mais elle devait parler à la moinesse avant. L'ignorance des faits de la protégerait pas. Cela lui offrirait une chance de pouvoir éviter la lame qui planait au dessus de sa tête. Et de la guilde plus généralement; même si l'elfe répugnait à raisonner à cette échelle. On abandonnait pas ses réflexes individualistes et égoïstes si facilement.

« Mais si tout le monde ici veut sauver ses jolies fesses, il faudra que vous me lui laissiez lui parler une dernière fois. »

Elle n'a trouvé la force de mettre de l'ironie dans ses paroles. Sans chercher à adoucir quoi que ce soit. Si ce n'est avec un humour acide. Cela ne plairait sans doute pas à Delcia. Mais l'essentiel n'était pas là. Du moment qu'elle saissait le sérieux et l'urgence qui motivaient sa demande.

[Althéa]

Delcia secoua lentement la tête. Tout dans son attitude indiquait le dégoût, le mépris.

"Mais tu ne comprends rien. Elissa ne veut plus jamais te revoir. Et même si elle le voulait ... Un conseil, ne croise plus jamais sa route. Si tu tiens un peu à elle. Et je pense que c'est le cas. Oui, tu penses que je n'ai pas remarqué ton manège et tes regards ? Même Brus se doute de quelque chose. Et tu la compromets. Allez, file. Tu as pris la décision de partir, va t'en !"

[Eliaëdel]

« Tu prends tes libertés jusqu'au point de décider à sa place désormais? »

La résignation s'est muée en mépris. En ressentiment glacial. Elle a regardé la femme blonde. Cela aurait du l'étonner. Mais pas tellement. Elle ne s'était jamais souciée qu'on l'apprécie au sein de la guilde. Mais elle n'était pas du genre à laisser un subalterne lui imposer ses volontés au nom de pretextes douteux. L'elfe s'est levée lentement, en contrôlant ses mouvements. En maîtrisant la fureur noire. Elle a poursuivi d'une voix égale, tout aussi cinglante que les reproches qu'elle avait eu l'arrogance de lui opposer.

« Je ne pense pas qu'elle apprécierait si elle le savait. Même c'est peut être bien pour ça que tu as préféré prendre les devants. Pour ta tranquillité. Ou un sens particulier de l'amitié. »

La barde s'est approchée de Delcia. Les traits restaient tirés, pâles. Mais la fatigue et l'apathie dans son attitude s'étaient évaporées au moins temporairement; la violence était proche. Dangereusement proche. Eliaëdel restait Eliaëdel; même avec la folie muselée. C'étaient les flammes qui luisaient dans son regard vert. Et cette perspective d'une violence pleinement assumée et décidée de sang froid était peut être autrement plus dérangeante.
Elle s'est arrêtée à quelque pas d'elle. Hors de portée d'allonge d'une arme potentielle. Juste assez pour lui laisser le temps de dégainer si elle tentait quelque chose de véritablement stupide.

« Peut être je devrais te laisser crever en partant tout de suite. Étouffe toi avec ta morale. Tu n'aurais tellement le temps de profiter de mon départ ni du soulagement qu'il te procurera. »

Elle s'est tue un instant. Sarcastique.

« Le souci de cette histoire, c'est que tu ne serais pas la seule à en subir les désagréments. Tu devrais plutôt te féliciter qu'Elissa compte à mes yeux. Qu'importe ce que tu aies cru voir. Ou ce que d'autres ont cru observer. »

Nouveau silence. Lourd et malsain.

« Évite de juger, petite Delcia. Je ne le tolérerai pas. » Elle a ri. Sans compassion. Sans patience. De sa voix de jeune fille.

[Althéa]

Delcia avait soupiré avec mépris.

"Voyons ça. Il faut nous féliciter qu'Elissa compte à tes yeux maintenant. Mais bien sûr. Et tu ne veux pas qu'on te méprise. Mais tu es méprisable. Tu crois que tu peux réapparaître comme ça et tout arranger ? Elissa est perdue. Tu la tues petit à petit, tu l'empoisonnes. Allez, tire toi !"

[Eliaëdel]

" Tu décides peut être à la place de celle dont tu prétends être l'amie. "

Un sourire mauvais a flotté lentement à ses lèvres pâles. Elle s'est contrôlée. De justesse. La curiosité piquée malgré sa fureur. Non. Il n'était pas dans ses habitudes qu'elle ne lui tienne tête. Cela l'intriguait. " Ne commets jamais l'erreur de choisir à ma place. Je partirai. Mais j'aurai fait ce que j'ai à faire avant. "

" A moins que tu ne veuilles m'en empêcher? " D'un ton qui laissait entrevoir que Delcia marchait délibérément sur le fil. Mais aussi sur le ton sarcastique du défi. Pour voir jusqu'où la femme était capable d'aller.

[Althéa]

"Oui, je veux bien. Attends juste de voir"

Delcia s'était ramassée en position de combat. Qu'Eliaëdel avance et elle l'expédierait au sol dans quelques secondes. Elle n'attendait qu'un geste de la barde. Et ...

"Hé, ho ! Non, on attend rien du tout"

Aucune des deux n'avait vu Elissa entrer mais elle se tenait au milieu d'elles, les bras croisés. Cette fois, tout son visage exprimait la colère.

"Quand vous aurez fini de jouer aux connes, on pourra peut être discuter."

Elle les avait regardé tour à tour. Elle ne parlerait pas plus. Elle attendait juste des explications.

[Eliaëdel]

" Quelqu'un a prétendu que tu ne voulais plus avoir à supporter ma présence. Et même si tu le souhaitais, que mon présence n'était plus souhaitée ici. "

Laconique. Froide. Le sourire s'était évanoui. Elle a fixé Delcia sans croiser les yeux de la moinesse qui venait de s'interposer. Sans ciller. Se concentrant sur la colère pour ne pas avoir à montrer les défauts de sa cuirasse.

" Je ne comptais pas lui obéir dans l'instant. Ca ne lui plaisait pas. Je voulais te parler une dernière fois avant de partir. " Elle a masqué l'aiguillon de peur qui est revenue la harceler lorsque les évènements de la vieille lui sont revenus plus pressants dans sa mémoire. Un masque neutre sur ses traits. Trop creusé par l'épuisement et le froid dans ses membres pour se montrer totalement insensible. Mais tant que Delica serait dans sa chambre, elle n'en dirait guère plus.

[Elissa Keens]

Dans la pièce, trois volontés s'étaient affrontées. Et aucune ne voulait céder. Chacune avait ses droits. Elissa était maître de la guilde, Delcia maître de l'intendance et Eliaëdel avait quelque chose à dire. Un lourd silence s'installa.

Les yeux d'Elissa se posèrent sur Eliaëdel. Elle y lut de l'incompréhension, de l'incertitude, de l'espoir ... Un peu de colère aussi. De la méfiance. Non, Elissa ne s'attendait pas à la voir revenir. Même si elle n'avait pas tourné la page, elle pensait qu'elle était partie de son coté, menant seule sa barque. Elle avait eu l'air si déterminée. Ce fut elle qui finalement brisa le silence.

"Et bien moi, je vais vous dire. Vous êtes lourdes les filles. Réglez vos affaires entre vous, je m'en vais"

Avant de comprendre ce qu'elle faisait, elle était sortie en courant de la pièce, claquant la porte. Puis, sans ralentir le pas était entrée dans son bureau. Et, d'un geste rageur vérouilla la porte.

[Eliaëdel]

" Laisse moi faire ce que j'ai à faire. " Venimeuse. Et déterminée. Elle s'est dirigée vers la porte de la chambre. Préférant ignorer la femme qui restait avec elle après le débordement de colère d'Elissa. La main sur la ceinture. A un cheveu de la garde de son épée.

Oui. Delcia avait raison. Sa patronne changeait. Et oui. Elle en était responsable. Elissa l'avait fascinée. Jusqu'à qu'à ce qu'elle finisse par s'en brûler les ailes. Elle a secoué la tête en maugréant quelque chose d'indistinct. Elle devait extraire la pointe de son propre coeur. Ca lui prendrait du temps; et des ressources mentales dont elle allait avoir cruellement besoin.
La barde n'aurait ni l'un, ni l'autre. L'ombre qui planait au dessus d'elle lui décourageait ces espoirs.

Elle s'est arrêtée. Appuyant le front contre le chêne de sa porte. En silence. Dans l'attente d'une réaction. Avant de l'ouvrir de sa main libre.
Elle n'avait rien à lui expliquer. Elle ne lui devait rien.

[Elissa Keens]

Elissa était tournée vers la fenêtre ouverte, les mains derrière le dos.

"Zut alors, un peu plus et j'aurais pu m'enfuir"

Le ton de sa voix laissait à penser que la colère était retombée. Mais quand elle se tourna vers elle, la barde vit ses yeux flamboyer imperceptiblement. Mais elle l'écoutait, ce qui était déjà un progrès. Avait elle vraiment voulu s'enfuir ? C'était quelque chose qui ni l'une ni l'autre ne sauraient jamais.

"Alors, va-y, je t'écoute. Pour moi, tu es toujours la bienvenue. Mais j'aimerais bien savoir ..."

[Eliaëdel]

« Je... » Elle a buté sur les mots. Avant de se reprendre. Peut être était ce bien de la colère qu'elle a lu dans ces yeux qui la fixaient. Mais elle devait extirper ça de son esprit. Elle ne devait pas se laisser distraire.

« Je ne pensais pas devoir revenir aussi vite. Mais le temps presse. J'ai peu de temps. Sinon je te mettrai en danger. Ou ce sera quelqu'un d'autre ici. »

Une courte inspiration saccadée. Elle s'est avancée dans le bureau. Tout en se tenant à distance de la demie elfe. Sans savoir bien par où commencer. D'une voix sourde, elle a finit par se décider. Par le début.

« J'ai rêvé. Que je me soumettais à Shar. Que je finissais part te tuer pour être libre. Mes gestes étaient lents, j'étais comme engourdie. Comme si j'avais perdu ma volonté. Mais, c'était agréable presque. Même si une part de moi s'en horrifiait. Ça ne s'est pas arrêté là.
Elle m'a parlé ensuite. Quand je me suis rendormie. J'avais pensé que ce n'est qu'un simple cauchemar. Je... je m'étais trompée. Elle était belle. Froide. Si ancienne... Je me suis sentie si insignifiante. Elle m'a dit que tu finirais par me trahir, que je devais la suivre. Qu'elle m'aiderait à me venger. Je n'ai pas voulu la croire. »

Elle s'est tue, les lèvres hésitantes. En gardant cette distance. Réussissant à ne pas craquer. A ne pas céder. Son récit a continué. A l'essentiel. Laconique. Extirpant des mots et une douleur bien présente.

« Elle ne m'a pas abandonnée pour autant. Elle est revenue. A essayé autrement. Elle m'a promis qu'elle nous sauverait. Que toi aussi, tu finirais pas la rejoindre.
Je... je n'avais plus aucun secret à ses yeux. Elle lisait tout en moi, Elissa. Tout. Elle s'en amusait. Quand je l'ai repoussée une dernière fois, elle m'a plongée dans un dernier rêve. Pour me montrer les conséquences de mon refus. A Manost. Tu te promenais de nuit, dans la ville. Tu avais quitté ta robe de bure. Tu étais habillée comme tout un chacun; c'était presque étrange. Pas choquant. Juste inhabituel.
Mes poursuivants t'ont agressée. Tu as essayé de te défendre. Un coup de poignard t'a mis à terre. Après, ils... »

Silence lourd. Une boule dans la gorge.

« Ils t'ont violée. » La voix qui se brise. Elle a fermé les yeux. Trop réel. Chaque détail gravé dans la mémoire.
« T'ont laissé agoniser après. Je n'étais pas là. Je n'ai rien pu faire. Je n'ai pas réussi à me réveiller. J'étais impuissante. »

L'elfe tremblait. Elle était terrifiée. Véritablement terrifiée. Désespérée. Son monde venait de s'écrouler dans les nuits qui venaient de s'écouler. Même si ses sentiments crevaient les yeux encore. La croyance en sa survie s'était évaporée. Mais elle refusait d'entraîner dans sa perte la moinesse.

« Je dois partir, Elissa. Sans jamais te revoir. Je peux encore les attirer à ma suite si je fais ce qu'il faut maintenant. Ca sera mon dernier voyage sans doute. Mais si je reste, c'est trop dangereux. Pour toi. Et pour tous ceux qui comptent pour toi. Et si Shar revient, je ne suis pas sûre de pouvoir lui résister encore. Je ne veux pas que tu aies à connaître cet instant. »

[Althéa]

Ça concordait. Les vêtements qu'elle portait tout du moins. Eliaëdel comme personne d'autre ne les lui avait vus porter. Et curieusement, cela ne l'effrayait pas. L'appel de l'abîme une nouvelle fois. A présent, elle voyait le gouffre s'ouvrir à ses pieds. Elle avait déjà fait ce rêve, de nombreuses fois. Elle le revoyait dans tous les détails. Mais auparavant, elle ne connaissait pas l'identité de ses agresseurs. Aujourd'hui, elle comprenait. Et son rêve n'en devenait que plus réel. Aujourd'hui, elle savait pourquoi.

Mais elle acceptait la fin avec une sorte de fatalisme. Si ça devait finir comme ça. Elle ne savait pas quand mais cela ne tarderait pas. Maintenant, tous les éléments étaient assemblés. Une question de mois, de jours, d'heures peut-être. Mais elle n'allait pas s'interdire de sortir, de vivre pour se préserver. Si elle le faisait, le scénario changerait imperceptiblement mais la fin resterait la même. Elle ne blêmit pas, se contenta simplement de hocher la tête.

"Non, ne pars pas. Ça ne changera rien de toute façon. C'est ... c'est déjà en route. Shar se trompe rarement, je crois"

[Eliaëdel]

Eliaëdel s'est sentie chuter encore plus rapidement. La révélation lui a coupé le souffle; elle a tenté de parler, de protester. Elle s'est approchée d'elle. Elle l'a prise dans ses bras; dans ses propres yeux se lisait sa propre fin. Un long frisson l'a agitée alors qu'elle tenait contre elle la demie elfe, sans réaction.

" Je ne le permettrai pas. Tu vivras, mon amour. "

Ses lèvres se sont posées sur celles de la moinesse alors qu'elle enserrait ces joues entre ses mains. Sa langue s'est faufilée entre les lèvres entreouvertes et surprises de la femme en robe. Elle volait ce dernier baiser. Comme tous les précédents. Avec une fausse indifférence. Et cette fois çi une passion morbide. L'elfe a craqué. Sa peine et son désespoir ont coulé le long de ses joues; elle ne s'est pas éloignée d'elle, prolongeant l'instant. Elle l'a repoussée ensuite, presque avec rudesse, avant de lui laisser le loisir de réagir.

" Adieu. " D'un souffle inaudible.

Elle s'est reculée d'un pas, avant de plonger sa lame dans son propre ventre, d'un geste nerveux, désespéré, et assumé. Sans arracher de hurlement; juste une suffocation de mauvais présage. Ses jambes l'ont trahie, puis elle s'est affaissée, lentement. Son champ de vision déjà brouillé par les larmes s'est fait trouble, dansant, et de plus en plus restreint. Elle essayait de fixer Elissa une ultime fois; dans un message d'excuse infini; dans l'aveu cinglant de son échec. Et d'un amour qui la détruisait. La douleur froide et vrillante de l'acier en elle. Le goût du sang et de la mort en elle. L'esprit qui se faisait comme une flammèche agonisante. Elle est tombée sur ses genoux, avant de glisser sur le flanc. Inconsciente. Au milieu d'une auréole carmine de son propre sang dans lequel ses longues tresses gisaient. Dans ce sang qui commencait à s'étendre aux pieds de la moinesse pétrifiée.

[Elissa Keens]

"Non, tu ne dois pas mourir. Je n'en ai pas encore fini avec toi. Elle m'appartient de toute façon."

Par delà la douleur, l'inconscience et la fièvre, Eliaedel continuait d'entendre la voix de Shar. Elle lui parlait à l'oreille des horreurs de la nuit. De ses ombres. Elle lui disait que tôt ou tard, elle serait à elle.

De temps en temps, elle sentait qu'on lui appliquait un linge mouillé sur le front. Elle sentait une présence dans la pièce. Plusieurs présences parfois. Attentives et muettes. Pas un bruit.

Ce n'est que beaucoup plus tard qu'elle put ouvrir les yeux. Presque aussitôt, la douleur envahit son ventre pour se propager à tout son corps.

"Je te préviens, ne bouge pas. Sinon, tu vas avoir encore plus mal."

Elle sentit son ventre enserré dans un bandage. Quand elle voulut bouger un peu plus, elle se rendit compte qu'on lui avait attaché les pieds et les mains. La voix d'Elissa était méconnaissable. Tremblante et éraillée. La voix de quelqu'un qui avait veillé et était resté un long moment sans parler.

"Ne bouge surtout pas. Ça ne servira à rien de toute façon."

La voix était froide, porteuse de colère réprimée. Et de tristesse aussi.

"Essaye de te détacher et je te fais transporter au temple de Helm. Ils te garderont le temps qu'il faudra"

Le visage d'Elissa apparut dans son champ de vision. Les traits tirés, des cernes mauves sous les yeux. Et les yeux flamboyants de colère. Et brillants de larmes.

"Aide-moi un peu. Si tu ne m'aides pas, je vais craquer"