[Rp] L'inattendu : De vieux tréteaux dans la clairière

[Lothringen]

Il avait une façon de dire cela... D'un air un peu perdu, un peu inquiet, comme s'il craignait de commettre une faute. Quelquefois, les grands guerriers nordiques prenaient de drôles d'airs de géants fragiles qui auraient sûrement fait sourire un observateur extérieur, et devant lesquels Lothringen s'attendrissait comme un imbécile heureux.

Le semi-drow resserra inconsciemment son étreinte sur les épaules de son compagnon, comme pour le rassurer. Il se sentait confusément responsable de lui, de tout ce qu'il pourrait lui arriver de bien ou de mal, mais surtout de mal, se prenant du désir insatiable de le protéger du monde entier comme de lui-même. Ce n'était pas si grave. L'enjeu n'était si grand que cela. Ils étaient ensemble, et qu'importait au fond qu'ils passent ce temps roulés dans l'herbe ou autrement ?

Il sourit, parce que la question de son compagnon ne le prenait pas au dépourvu ; c'était précisément ce à quoi il pensait quand Mornagest l'avait posée.

"Oui", souffla simplement Lothringen. "Si nous poursuivions maintenant, tu sais... Je m'emballe : je ne saurais pas m'arrêter. L'autre fois, au bosquet, je crois que je me suis laissé emporter par l'impatience, par la crainte de ne plus te revoir. Et j'ai voulu aller trop vite, et tu n'étais pas prêt..."

Malgré elles, ses mains avaient recommencé à caresser doucement. Lothringen s'en rendit compte et suspendit son geste. Il fixait son compagnon. S'il réagissait ainsi, ce n'était pas faute de désir. Oh non.

"Je ne veux pas foncer encore une fois sur un mur."

[Mornagest]

Il resta coi un moment. Il éprouvait un sentiment mitigé de soulagement et de frustration... il redoutait la suite des événements, s'avançant en terrain encore presque totalement inconnu... mais, simultanément, il voulait apprendre, découvrir... il sentait cependant qu'il avait besoin de temps. Qu'ils avaient besoin de temps, tous les deux. Apprendre à se connaître un peu mieux dans ce domaine, avant de tenter d'aller plus loin.

"Je... je ne sais pas. Tout ceci... c'est tellement... étrange, nouveau. Je ne sais absolument pas comment... comment réagir."

Il se sentait idiot, mais c'était réellement le dilemme qui s'était emparé de lui.

"J'ai envie de poursuivre, mais..."
il posa sa main sur son ventre. "... quelque part, ça me met mal à l'aise."
Il détourna les yeux, puis ajouta timidement : "Je suis désolé..."

[Lothringen]

Lothringen posa à son tour la main sur ventre de son compagnon. Quand il se mit à parler, son regard parut noircir à mesure.

"Mal à l'aise... Des nœuds dans l'estomac, une gorge obstruée, et l'impression tenace que ton corps est en train de te trahir, et que ton dernier repas va s'évader d'un instant à l'autre par l'une ou l'autre issue ? Une honte écrasante de penser à de telles choses en de tels moments, la panique de ne rien contrôler ? La certitude de ne jamais avoir été aussi mortel, de n'être que viande et pourriture ? Je connais moi aussi cela, Mornagest. Cela, et pire."

Il marqua un temps, luttant pour refouler les souvenirs.

"Il faut du temps, évidemment, pour s'habituer aux gestes et aux odeurs, mais ce n'est pas le plus difficile. Ce serait plutôt d'apprendre à faire confiance, à ne plus considérer l'autre comme un intrus."

Retenant un soupir, il se redressa pour se mettre à rassembler ses vêtements épars.

"Nous n'avons pas d'obligations."

[Mornagest]

Le guerrier regarda Lothringen se rhabiller lentement, sans vraiment le voir. Il songeait encore aux paroles qu'il venait de lui dire... un intrus ? Considérait-il son amant comme cela ? Pas vraiment... pas du tout, même. C'était... autre chose qui le gênait. Le manque de confiance ? En Lothringen ? En lui ? La peur ? L'incompréhension ? Le fait de ne pas savoir rendait Mornagest de mauvaise humeur. Cette situation était idiote, et c'était lui le responsable... même si le semi-drow ne lui en tenait nulle rigueur.

Soupirant intérieurement, il se leva et suivi l'exemple de son compagnon. Après tout... aucune obligation. Et ils avaient un peu de temps devant eux. Une des ressources les plus précieuses, en ce moment.

Désireux de changer de sujet et revenir sur quelque chose qu'il connaissait bien mieux de lui-même, il aborda la question culinaire.

"Nous devrions manger. Le temps de nous trouver un peu de gibier, et il sera environ midi..."

Il n'avait plus chassé depuis longtemps, et ses réflexes de survie dans la nature sauvage s'étaient envolés avec le temps passé dans les jungles urbaines, où les habitudes, bien différentes, forgeaient l'âme et le corps à ne plus penser avec la faune et la flore qu'il n'aurait jamais dû quitter...

"Je n'ai pas d'arc, par contre. Tu veux te charger de la traque, et moi du feu ?"

Des phrases banales. Chasser... chasser surtout ses pensées, lourdes de regrets et d'interrogations. Se tenir l'esprit occupé. Allait-il passer leur semaine commune à agir de la sorte ?

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête, heureux de la diversion que lui offrait la proposition de son compagnon. Lui aussi mourait d'impatience de songer à autre chose.

"Si tu veux. Mais je risque de mettre un peu de temps. Je ne connais pas du tout cette forêt ni ce qui l'habite."

A première vue, il s'agissait d'une forêt tempérée, dotée d'un climat continental en dépit de la proximité de la côte, où l'on trouvait des hêtres, des noisetiers, des bouleaux et des chênes à profusion, et une faune probablement faite pour l'essentiel de cervidés, de sangliers, de lapins. Mais il fallait se méfier de l'apparente normalité des lieux, car pour ce qu'il en savait, cet endroit pouvait aussi bien être le refuge de toutes sortes de créatures moins attendues.

Il sortit de son sac un arc qui pour être "court" n'aurait jamais dû pouvoir en sortir, si le sac n'avait été enchanté. Cet arc avait été son fidèle compagnon depuis Féerune, à une époque où être un mercenaire guerrier-mage avait plutôt fait de lui un combattant de dernière ligne, destiné à frapper à distance. Ces derniers temps, néanmoins, il avait rarement eu l'occasion de le bander, et les haches de bataille lui avaient sauvé la vie plus souvent qu'à leur tour.

Il testa la corde, par réflexe : toujours aussi tendue. Avantage du léger enchantement dont elle était dotée. Ne manquait plus que le carquois, et il était prêt.

"A tout à l'heure."

Accompagnant son salut d'un sourire d'encouragement, il se détourna vers le nord, en partie pour remonter le cours de la rivière, et en partie pour laisser derrière lui l'agressif éclat du soleil.

[Mornagest]

Il regarda un instant Lothringen s'enfoncer dans la forêt, puis, lorsqu'il le perdit de vue, il s'affaira à trouver du bois mort. Ce n'était pas chose évidente ; la saison ne s'y prêtait pas vraiment, et une récente ondée avait humidifié les quelques morceaux qu'il avait trouvés. Il dut marcher un bon moment avant de trouver un vieux tronc de saule qui s'était abattu, s'éparpillant en une multitude de copeaux mous de bois sec.

Ramassant ce qu'il pouvait dans le creux de sa tunique improvisée en sac, il retourna à leur campement de fortune et entreprit de disposer sa récolte en un tas compact et bien ordonné.

Tandis qu'il tentait tant bien que mal d'obtenir une étincelle des silex qu'il avait dégotté dans son sac, il repensait malgré lui à ce qui venait de se passer. Pourquoi, comment... dans le bosquet des pierres, il avait pensé pouvoir se faire à l'idée... et maintenant, il reculait, effrayé par l'inconnu ? Il ne savait dire. Était-ce le fait qu'ils venaient de passer une semaine des plus ignobles, où ils avaient frôlés la mort à maintes reprises, qui ne le mettait pas dans de bonnes conditions ?

Alors qu'il avait retourné ses interrogations en tête une dizaine de fois, additionnées d'autres guère plus réjouissantes, son feu avait démarré, et il l'alimentait distraitement avec du petit bois vert, qui dégageait une épaisse fumée blanche et odorante. Il entendit un bruit, non loin, et vit des broussailles, plus loin, s'agiter. Était-ce Lothringen ? Il se saisit promptement de sa lame, méfiant.

[Lothringen]

Mais Lothringen ne se serait sans doute pas caché dans le sous-bois pour l'observer, et le guerrier ne tarda guère à crisper la main sur la garde. Se voyant découvert, l'intrus sortit du taillis, l'arc braqué sur lui. C'était un elfe vêtu d'une besantine et d'une cape brune, équipé comme un forestier, et son regard semblait déformé par la haine. Mornagest ne tarda guère à voir trois, quatre de ses semblables sortir à leur tour de leur cachette et l'encercler.

Une femme portant deux lames courtes se précipita vers le feu et le piétina. Les elfes parlaient dans leur langue, très vite, se montrant le feu et l'absence de gibier, et, là où ils avaient dormi, la forme d'un deuxième corps.

L'un d'eux s'adressa à Mornagest en commun, d'un air teinté du plus total mépris.

"Où est l'autre, humain répugnant ?"

Pendant ce temps, l'un de ses acolytes s'intéressait d'un peu trop près aux traces de pas dans l'herbe humide du bord de l'eau...

[Mornagest]

Encore des elfes ! Décidément, leurs escapades forestières semblaient leur déplaire au plus haut point. Etait-ce à cause du feu ? Il avait pourtant pris soin de ne brûler que de la végétation morte ou sans utilité réelle... il doutait de toute manière qu'ils l'invectivassent de la sorte pour quelque chose d'aussi secondaire. Et ils cherchaient Lothringen. Un semi-drow n'était décidément bien accueilli nulle part.

Il fallait croire que Mornagest avait froissé l'ensemble du panthéon humain, elfique et nain à la fois, pour jouer ainsi de malchance. Il tenait toujours son épée en main, mais il savait qu'il n'aurait guère l'occasion de s'en servir avant d'être parsemé de plusieurs flèches, s'il lui venait à l'idée de les attaquer. Cependant, les laisser traquer Lothringen... autant, en tant qu'humain, il aurait une chance de s'en sortir vivant, mais lui...

"En quoi cela vous regarde-t-il ? Qu'ai-je fait de mal ?"

Jouer à l'idiot était risqué, mais il se demandait néanmoins ce qu'ils cherchaient réellement.

[Lothringen]

Ils n'étaient pas, ne pouvaient pas se trouver en territoire elfique, ni même à proximité. Jamais les autorités luméniennes n'auraient choisi un tel endroit pour l'organisation d'une manifestation aussi peu écologique qu'un festival des arts. A y bien regarder, le groupe d'elfes que Mornagest avait sous les yeux ressemblait davantage à un commando qu'à une patrouille régulière, et l'on pouvait distinguer parmi eux des nuances de peau signalant qu'ils appartenaient à des sous-races différentes, elfes de cuivre, d'or et d'argent.

La femme lui répondit d'une voix cassante.

"Vous êtes leurs éclaireurs, n'est-ce pas. Vous aviez presque trouvé le campement. Mais quelle stupidité que de faire du feu..."
"Il ne dira rien. Tuons-le tout de suite", intervint un second, semblant prendre un malin plaisir à le dire en commun.
"Nous devons retrouver l'autre. Et celui-ci devra nous dire où se trouve le reste. Il parlera, s'il veut vivre un peu. Les humains sont si lâches."

[Mornagest]

Des éclaireurs ? La méprise était là... ces elfes s'imaginaient qu'eux deux faisaient partie d'il ne savait trop quel groupe menant la vie dure aux elfes de cuivre... quant à leur faire avaler cette vérité, probablement plus dure à croire qu'un bon mensonge, c'était une autre paire de manches.

"Je ne suis éclaireur de personne. J'étais venu ici passer quelque temps loin du bruit de la cité. Et... si je cherchais à vous espionner, j'aurais été plus discret qu'en produisant cette fumée épaisse et odorante, non ?"

Nouveau risque. Les elfes étaient par nature fiers et hautains, et les cuivrés n'étaient certainement pas les plus faciles. La démonstration par l'absurde ne leur plairait sans doute pas énormément, même si elle était vraie.

[Lothringen]

[NB: comme dit ci-dessus, ces elfes appartiennent à plusieurs sous-races différentes – détail important]

La femme elfe – son teint sombre et ses cheveux dorés indiquaient une elfe du soleil - haussa les sourcils.

"Il dit peut-être vrai.", hasarda l'un de ses compagnons.
"A moins que ce feu ne soit le signal pour alerter les autres, tiens."
"Son partenaire doit être loin à présent... Nous allons devoir lever le camp tout de suite", intervint un archer. "Nous perdons du temps ici."

La femme s'adressa à nouveau à Mornagest.

"Posez vos armes. Avec un peu de chances, ils accepteront de vous échanger contre Velyn. Sinon..."

Elle haussa les épaules, visiblement peu soucieuse de son sort.

[Mornagest]

Avait-il le choix ? Tenter de se battre eut été vain, et il aurait du mal à tous les convaincre. Il avait déjà marqué un point en se faisant accorder le bénéfice du doute ; le gaspiller en refusant eût équivalu à la mort. Ces elfes ne semblaient pas disposés à perdre du temps en bavassages inutiles.

"Prenez mon épée. Je n'ai aucune raison de me battre contre vous..." Il tendit sa lame, garde en avant, vers la femme, qui semblait un peu plus raisonnable que ses compagnons.

Mornagest se perdait en conjectures quant à leur présence ici, et le fait qu'ils soient de plusieurs origines différentes. Entre eux, les elfes ne se côtoyaient qu'assez peu, sinon lorsqu'ils y étaient forcés. C'était probablement le cas présent.

Il attendit sagement les directives, espérant que Lothringen ne soit pas trop à vue...

[Lothringen]

Visiblement peu portés à la confiance, ils lui attachèrent solidement les poignets dans le dos, avant de se remettre en route en lui intimant de les accompagner.

" Au premier cri, c'est la mort", précisa la femme, qui avait passé son épée dans sa ceinture.

Ils marchaient vite, et soutenir le rythme n'était pas de tout repos. Ils ne firent halte qu'après un bon quart d'heure, et, en dépit de ses longues jambes, Mornagest était déjà presque essoufflé.

Ils n'avaient pas menti : ce cercle de tentes semblait bien être leur propre campement, et il se trouvait singulièrement près du leur. D'autres elfes se trouvaient là, à attendre le petit groupe ; au total, ils devaient être une quinzaine, guère plus. Ils avaient recommencé à parler en elfique. Ils s'activèrent rapidement à démonter les tentes et effacer toute trace de leur présence, tandis qu'un archer restait près de Mornagest, à le menacer.

Leur intention était manifestement de repartir à même allure, peut-être pour aller rétablir un campement un peu plus loin. Après quelques temps, en effet, l'endroit ayant été nettoyé, ils se remirent en route...

[Mornagest]

Le guerrier n'avait pour ainsi dire aucune marge de manœuvre. Tenter de fuir eut été suicidaire, et ils étaient bien trop nombreux pour espérer que Lothringen vînt lui porter secours pour l'instant. Il se borna à soutenir le rythme imposé par ses ravisseurs, marchant parfois avec maladresse du fait de son manque d'équilibre, les mains bridées derrière le dos.

Il commençait sérieusement à se demander jusqu'où cela le mènerait... sinon la mort - avec une sérieuse option pour la torture préalable.

La seule chose qu'il avait à faire, outre faire attention où il posait les pieds, était de tenter de garder son sens de l'orientation. Peut-être aurait-il l'occasion de leur fausser compagnie... avec beaucoup de chance.

[Lothringen]

Pendant ce temps-là, Lothringen avait remonté la rivière, et fini par découvrir un lac où il s'était fait un plaisir de lever un vol de canards. Deux de leurs dépouilles à la ceinture et une perdrix sur l'épaule, il était revenu au campement sans vraiment se hâter, jusqu'à remarquer que le feu auparavant bien visible de Mornagest s'était tout à fait éteint.

Il s'était alors rapproché plus prudemment - mais peine perdue, il arrivait trop tard ; le campement était vide. Piétinement nombreux, et pas de traces de sang ; Mornagest avait dû se faire capturer. Mais par qui, ou quoi ? Dès que l'on quittait la clairière, les traces se faisaient beaucoup plus difficiles à suivre ; les agresseurs devaient être du genre discret. L'espace d'un instant, Lothringen désespéra : il n'était pas rôdeur, il ne parviendrait pas à remonter cette piste. A moins que...


***

De son côté, le groupe d'elfes descendait au sud-est, à un rythme toujours aussi soutenu. Se croyant découverts, ils tentaient de mettre le plus de distance entre eux et leurs poursuivants. La plupart ne prêtaient aucune attention à Mornagest, cependant, bien qu'il puisse sentir sur son dos le regard des deux guerriers auxquels avait été confiée sa surveillance. Peut-être pourrait-il profiter d'un moment d'inattention pour s'enfuir, mais cela demeurait une entreprise risquée.

Ils marchaient et marchaient toujours, et l'après-midi s'avançait...

[Mornagest]

Plus le temps passait, et plus son espoir de trouver une occasion idéale s'étiolait. Il devrait tenter le tout pour le tout... s'il avait été magicien, il aurait pu entrer en contact avec Lothringen, mais ici, perdu au milieu de nulle part, comment pourrait-il même se faire entendre ?

La fatigue ne jouait pas en sa faveur, mais il se décida à prendre le risque, certes inconsidéré, mais désespéré. Tandis qu'ils gravissaient une faible côte, il bondit soudain sur le côté, vers un buisson, pour disparaître le plus rapidement possible derrière lui.

Bien, ou mal lui en prit ? Derrière l'épais buis, une chute de plusieurs mètres l'attendait. Le guerrier chut en ravalant un cri sourd. Sans ses mains libres, il se débattit vainement de ses jambes, fouettant l'air, attendant le choc - et la mort.

[Lothringen]

Le buis plongeait ses racines dans une fine couche de terre instable posée sur un rocher en à pic de trois ou quatre mètres de haut. Mornagest tomba en contrebas et roula plusieurs fois sur la pente, avant de se faire arrêter par un tronc d'arbre. Chacun des deux chocs successifs s'était accompagné d'un fracas épouvantable d'os brisés.

Avant de perdre conscience sous l'intensité de la douleur, il eut le temps d'apercevoir l'angle étrange que formait son tibia gauche avec le reste de la jambe.

Les elfes, au-dessus, ne délibèrent pas longtemps sur la conduite à tenir ; le prisonnier ne pouvant plus suivre, autant l'abandonner à son sort ; vue la chute qu'il avait faite, ce serait l'affaire de quelques heures. Quelques instants plus tard, l'endroit était à nouveau tout à fait désert. Un corps inanimé se recroquevillait dans les feuilles mortes.

[Mornagest]

Dans un état proche de l'inconscience, Mornagest gémissait faiblement. La douleur était insupportable, le sang coulait de sa fracture ouverte, et il souhaita, brièvement, être mort, plutôt que subir cela. Sa tête tournait, et il rouvrit les yeux pour apercevoir un carré d'herbe à côté de lui, qui tanguait dangereusement. Il régurgita le contenu de son estomac, et, enfin, sombra entièrement dans l'inanition.

Ses songes, de courte durée, lui firent revivre le mouvement fatal. Lentement, il se revoyait plonger dans le vide, repérer de manière fugace un nid d'hirondelles dans un hêtre voisin, sentir l'air lui chatouiller le nez, et voir très rapidement le sol se rapprocher. Il entendit à nouveau très distinctement ses os se briser, et la douleur fulgurante qui s'ensuivit immédiatement.

Il était inconscient, mais était pris de sueurs froides. Combien de temps resta-t-il ainsi ? Il ne put jamais le dire.

[Lothringen]

Il reprit conscience comme quelque chose remuait autour de lui. Un animal lui rongeait les liens, reniflait son vomi, lui léchait le visage. Quadrupède. Un loup... Mornagest gémit sourdement, désireux de replonger dans l'apathie de l'inconscience, mais la langue râpeuse insista jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux tout à fait. Ceux de l'animal étaient noirs comme... comme...

Comme le semi-drow dont il reprit bientôt l'apparence. Tout en l'examinant rapidement, Lothringen paraissait on ne peut plus inquiet. Il redoutait que des lésions internes ne viennent redoubler la fracture ouverte.

"Ne bouge pas, recommanda-t-il. Es-tu blessé ailleurs qu'à la jambe ?"

[Mornagest]

Il voulut parler, mais il avait la nausée, et la tête froide. Il tenta de déglutir, mais cela se solda par un autre vomissement, ou plutôt, un mécanisme de vomissement, sans qu'il ne remette quoi que ce fut.

Il put enfin grogner :

"Une côte... je crois..." il transpirait toujours aussi abondamment, et la douleur ne risquait pas de passer avant un moment. Il grimaça, mais parvint à respecter le conseil de Lothringen, et demeura plus calme pendant un moment.

"Tu... n'as rien ?" chuchota-t-il cependant.

[Lothringen]

Lothringen s'affairait déjà à fouiller son sac, qu'il avait pris le temps de récupérer sur le campement avec toutes affaires utiles.

"Bon sang, non. Je n'ai eu le temps que de vous pister, et je n'ai pas songé à suivre tes cours de vol."

Il avisa la blessure à la jambe. Beaucoup de sang avait d'abord coulé avant que la coagulation ne forme une mince croûte sur la fracture. Il allait falloir avant toute chose remettre l'os en place, puis installer une attelle... Il tira de sa besace une bouteille de vin prise à l'ambassade et la tendit à son compagnon.

"Tiens, je crois que ça peut t'être utile."

D'une certaine manière, il était soulagé. Traiter des fractures le ramenait en terrain beaucoup plus familier que de pister de mystérieux ravisseurs sur un territoire inconnu. Au moins, Mornagest n'était plus entre leurs mains. Même s'il ne savait pas vraiment comment l'expliquer, à présent qu'ils étaient réunis, il sentait que le pire était passé.

A ses côtés, Mornagest ne partageait sans doute pas ce point de vue.

[Mornagest]

Il fit un effort pour avaler doucement deux gorgées de vin, qui coulèrent avec un délice passager mais réconfortant jusque dans son estomac, pour le réchauffer quelque peu. Il nota inconsciemment les nuances épicées du breuvage avant de revenir à la réalité, et la douleur qui l'accompagnait.

Il serra les dents, attendant que Lothringen le martyrise afin de remettre tant bien que mal son os en place.

"Vas-y... et ne t'arrête pas si je crie." Quand, aurait-il dû dire, plutôt.

[Lothringen]

Lothringen mit un peu de temps à trouver une position adaptée au milieu des hautes herbes et des feuilles mortes. Il finit par s'agenouiller pour s'emparer du bout de tibia désaxé. Il appréhendait un peu de n'être pas le guérisseur idéal, mais ils n'avaient pas vraiment le choix.

"Tu es prêt ? Att..."

Et il repositionna l'os d'un coup sec avant d'avoir fini le mot. Encore un ou deux réajustements, et il jugea que ce devait être bien réemboîté. Il soupira de soulagement quand le hurlement de Mornagest se tarit.

"Je vais devoir... faire chauffer un peu d'eau, laver tout ça... ça va ?"

[Mornagest]

Le souffle court, la vision troublée par un voile blanc, Mornagest était à nouveau sur le point de s'évanouir. Il aurait sans doute préféré, d'ailleurs, mais il n'avait pas choisi.

Il haleta un bon moment avant d'avoir la force et le courage de relever la tête pour constater les dégâts. La plaie avait recommencé à saigner, mais si l'os était correctement remis, Lothringen pourrait bander la plaie et empêcher l'hémorragie de se poursuivre. Plus facile à dire qu'à faire...

"En pleine extase..."

Le semi-drow s'affairait du mieux qu'il le pouvait. La douleur passait lentement, très lentement, mais elle n'atteignit plus le paroxysme de tout à l'heure. Le guerrier empoignait cependant encore sauvagement une épaisse touffe d'herbe pour se donner du courage.

[Lothringen]

Il avait creusé un trou dans la terre, pour y rassembler des brindilles et faire partir un petit feu au moyen d'un sort de mains ardentes. Il installa sur deux gros bouts de bois un récipient dans lequel il faisait bouillir de l'eau et des bandelettes de toile. Nettoyer la plaie n'était pas une partie de plaisir, surtout avec les sursauts de Mornagest à chaque contact, mais trop d'humus s'était mêlé au pus et au sang coagulé. Lothringen préférait être minutieux, quitte à faire durer : il n'avait aucune idée du temps qu'il leur faudrait pour trouver un prêtre. On risquait la gangrène...

Après un temps qui lui parut infini, il jugea que la plaie devait être à peu près propre. En tout cas, il ne voyait plus de résidus au milieu des chairs déchirées. Une première couche de bandelettes serrées se chargea d'endiguer l'hémorragie. Il se mit alors à tailler des branchages en deux planchettes allongées destinées à empêcher l'os de trop se déplacer...

Pendant ce temps, il observait son compagnon, gêné de l'état dans lequel il le voyait. A moitié par curiosité, et à moitié pour essayer de distraire son attention de la douleur, il demanda alors :

"Ces individus qui t'ont capturé... Qui était-ce, que voulaient-ils ?"

[Mornagest]

Les larmes avaient cessé de couler, et il parvenait à se retenir de crier sans se mordre les lèvres à chaque fois. Cependant, la douleur était toujours intense, et il ignorait s'il pourrait marcher avant plusieurs jours, même en étant appuyé sur son compagnon. Loin de tout, cela comportait aussi des inconvénients...

"Je... des elfes. De plusieurs factions, j'ai repéré des elfes de cuivre et de soleil. Ils m'accusaient de les pister, d'être un espion venu les débusquer. Argh... Ils m'ont mené jusqu'à leur propre campement, qu'ils ont fait disparaître avant de poursuivre le chemin... jusqu'à ce que je leur fausse compagnie. J'ignore ce qu'ils sont devenus, et pourquoi ils ne m'ont pas achevé. J'étais sans doute inaccessible depuis là-haut..."

Ils n'en sauraient probablement jamais plus sur cet "incident", qui avait quand même failli lui coûter la vie, de façon totalement idiote... trop tard pour faire marche arrière, de toute façon.

"Comment va-t-on s'y prendre ? Marcher jusqu'à un village risque de prendre du temps... déjà, que je puisse poser le pied sans m'évanouir."

[Lothringen]

Lothringen réfléchit à la question tout en fixant les planches à l'aide d'une nouvelle série de bandages.

"Plusieurs solutions... Je peux te porter, mais sur un terrain aussi accidenté ce n'est pas très commode... Je peux te métamorphoser... En loup comme je l'ai fait tout à l'heure, ça te fera toujours trois pattes de fonctionnelles sur quatre. Ou en oiseau, en fait. Ce serait même plus pratique pour repérer rapidement un éventuel village. Ne connaissant pas la région, nous pourrions chercher longtemps. Je n'apprécie pas beaucoup les métamorphoses, mais je ne vois pas mieux pour l'instant. Enfin, on va attendre que tu reprennes un peu de forces, tout de même."

Tout en passant un morceau de toile humide sur la visage en sueur de son compagnon, il ressongea à ces elfes. Un groupe de différentes sous-races, et qui se pense pourchassé ? Bizarre. Peut-être des locaux en sauraient-ils davantage. Mais il y avait plus urgent.

"As-tu faim ?"

[Mornagest]

Voler... il sentait déjà son ventre demander grâce. Mais c'était une solution efficace et rapide ; il n'aurait essentiellement besoin que de ses ailes, et donc de ses bras, qui, eux, n'avaient soufferts que d'écorchures assez superficielles.

La question de Lothringen lui rappela la cruelle réalité ; avec toute cette histoire, ils n'avaient rien mangé depuis leur réveil. À la simple évocation d'un repas, il sentit son estomac se contracter et réclamer son dû. D'autant qu'il avait besoin de reprendre des forces après ce rude coup.

"Je meurs de faim, c'est plus exact... mais... pas de feu", fit-il remarquer avec un léger sourire aux lèvres. "Je ne sais pas si manger ici est une bonne idée, mais je ne me sens pas vraiment d'attaque pour nous déplacer loin d'ici..."

[Lothringen]

"Pas de feu ?..."répéta Lothringen sans comprendre, avant d'ajouter "Ah, oui, ce doit être ainsi qu'ils t'ont repéré."

Il regarda son tout petit feu à moitié enterré dans la pente.

"Bon. Dommage, j'avais chassé des canards et une perdrix, mais si tu penses que c'est imprudent... il doit rester un peu de nourriture emportée de l'ambassade. Œufs, figues sèches, viande rôtie, ce genre de choses."

Il étala les victuailles à portée de son compagnon. Il aurait volontiers jugé que c'était assez pour deux comme lui, mais l'appétit de Mornagest ne suivait pas la même échelle. L'affaiblissement du guerrier lui laissait en bouche une pénible impression d'impuissance.

"Après, tu peux dormir, si tu veux..."

[Mornagest]

Du canard, de la perdrix... gâcher de la volaille aussi savoureuse était un désastre, surtout lorsqu'on mourrait de faim. Et puis... Lothringen avait déjà relancé un feu pour chauffer l'eau des bandages. Pourraient-ils prendre ce risque ? Mornagest s'en voulait de penser à son appétit, mais il préféra ne pas surestimer ses forces, amoindries par ses blessures.

"Tu me tentes, avec ce menu... penses-tu que c'est sage, de cuire tes prises ?"

Quant à dormir... il ne se sentait pas fatigué à proprement parler. Il aurait bien dormi, cela dit, mais cela n'aurait fait que retarder son besoin de manger. C'est ce qu'il expliqua à Lothringen, s'excusant pour sa gloutonnerie.