[Lieu] À Aigues-Douces (RP : l'inattendu)

[Lothringen]

En provenance de

Lothringen ralentissait régulièrement l'allure, afin de laisser à son compagnon le temps de revenir à son niveau. La "côte de lumière" d'Helonna méritait bien son nom, avec ses innombrables criques, ses plages de sable fin et sa végétation luxuriante. La vue perçante du faucon parvenait à distinguer des nuances de relief subtiles, et jusqu'aux musaraignes au milieu des prés...

Il dut faire un effort pour distraire son esprit de l'envie de piquer sur elles, afin de reporter son attention sur la côte. Ce golfe bien abrité du vent semblait l'endroit idéal pour une implantation humaine... Oui, ces avancées de bois sur la mer : des pontons, et à leur bout, un village de pêcheurs fait d'une vingtaine de modestes demeures de torchis et de bois. Impossible en revanche, à cette distance, de discerner le temple local. Lothringen criailla à l'attention de Mornagest, pour lui signaler qu'il commençait d'envisager les manœuvres d'atterrissage. Ne sachant où se poser, il choisit le quai, où, pour l'heure, ils ne dérangeraient qu'un vieux endormi sur sa canne à pêche.

[Mornagest]

L'atterrissage tout en finesse de Lothringen fut suivi de celui, bien plus pataud et disgracieux, de Mornagest, qui toucha le sol de l'aile gauche, avant de rouler en avant, puis, déporté sur le côté, acheva la catastrophe dans un filet de pêcheur en cours de raccommodage.

"Instinctivement", il se mit à se débattre, pour ne réussir qu'à s'empêtrer davantage dans les mailles en chanvre. Il risquait à tout moment de se blesser encore un peu plus à la patte...

[Lothringen]

Le semi-drow s'empressa de reprendre forme humaine, mais laissa à Mornagest son volume de volatile ; une métamorphose inverse, en cet instant, n'aurait fait que l'empêtrer davantage dans le filet... ou détruire ledit filet.

"Arrête de bouger et je pourrai peut-être y faire quelque chose..."

Lothringen jeta un coup d'œil aux maisons environnantes, heureux de ne pas voir surgir de pêcheur en colère, puis s'accroupit près du filet, dans l'espoir de réussir à démêler le faucon prisonnier dans ses mailles. Avec un peu de patience et beaucoup de temps, il finit par réussir à le dégager sans trop de dégâts. Quelque chose lui disait que les habitants n'auraient guère apprécié de le voir tailler à coups de hache dans leurs filets.

Mornagest put alors retrouver sa forme habituelle, et sa jambe brisée.

"On pêche de ces trucs bizarres, de nos jours..."

En se retournant, ils découvrirent que le vieux à la canne à pêche les observait avec une stupeur philosophe.

[Mornagest]

Mornagest essayait de ne pas tomber, en équilibre sur sa jambe valide, et s'accrocha comme il le put à l'épaule de Lothringen. Il constata avec soulagement que son arrivée en fanfare ne provoqua guère plus de réaction que cela de la part du pêcheur, et en profita pour l'interroger.

"Mon ami, désolé d'avoir troublé votre pêche... nous aimerions savoir si votre village dispose d'un temple ou d'une chapelle ?"

Il ponctua sa phrase en indiquant de la main sa jambe emballée dans un pansement de fortune. Le tissu s'était petit à petit engorgé de sang, et il avait pris une teinte marron des plus suspectes, mais aussi, explicite.

[Lothringen]

L'homme regarda alternativement le semi-drow, puis l'humain blessé, sans paraître s'inquiéter plus que cela de la présence de ces deux étrangers et de leur magie. Peut-être pensait-il avoir atteint un âge où l'on ne redoute plus grand chose, parce que l'on pense n'avoir plus grand chose à perdre.

"Il y a bien une chapelle d'Ilmater dans la grand rue, à cinquante pas sur la gauche."

Lothringen remercia vivement avant d'ajuster la prise de son compagnon sur ses épaules, la renforçant en lui serrant la taille. Même à cloche-pied, même en posant à peine le pied gauche à terre, la progression dans cette rue avait tout du supplice. Ils firent de nombreuses haltes, et plusieurs fois, Lothringen crut que son compagnon allait perdre conscience. Au bout de vingt pas, il décida qu'il était temps de changer de stratégie. Abandonnant Mornagest assis au milieu de la rue, il annonça :

"Je vais chercher le prêtre..."

Quelques minutes plus tard, il revenait en compagnie d'un individu hirsute, vêtu d'une robe de grosse bure brunâtre, qui ne prit même pas le temps de regarder la plaie avant d'invoquer Ilmater d'apaiser ses fidèles en prenant sur lui leur souffrance... Une formule que Lothringen jugea un peu déplacée, mais tant que Mornagest était guéri, il n'était pas trop regardant sur l'origine de la délivrance.

L'ilmate avait lancé un soin des blessures graves, mais le guerrier avait fait une très mauvaise chute et le semi-drow se demandait si cela suffisait.

"As-tu encore mal ?"

[Mornagest]

Mornagest s'essaya à remuer un peu la jambe ; visiblement, cela allait. Un picotement désagréable se faisait encore sentir, mais comparé à ce qu'il avait vécu les heures passées, il s'estimait heureux.

Lothringen avait bien fait cela. L'os avait été réajusté avec précision, et grâce au sort du prêtre, la fracture s'était refermée, ainsi que la plaie. Le guerrier entreprit de retirer le pansement, désormais inutile, et s'assura qu'il ne saignait effectivement plus.

Et c'est en se penchant sur sa jambe qui grogna longuement.

"Aggh... toujours ma côte...". Il indiqua de la main l'autre os brisé, sur le côté droit. À nouveau, le prêtre lança un sortilège, moins puissant, cette fois ; bien que douloureuse, la fracture n'était pas ouverte.

"Je vous remercie, prêtre. C'était un véritable supplice... comment peut-on vous remercier ?"

[Lothringen]

"Avec une offrande pour les pauvres, bien sûr... Ou encore, en rendant visite à notre bourgmestre : nous avons quelques soucis."

Lothringen hocha la tête. Comme il était vraiment reconnaissant, sans doute feraient-ils les deux. Tout en versant une obole généreuse à l'ilmate, il se fit encore indiquer la maison du bourgmestre et la taverne la plus proche ; cette dernière, "Le chant de la baleine", était installée sur les quais, à destination des marins en relâche.

Le prêtre retourna à sa chapelle, tandis qu'avec quelques précautions,le semi-drow aidait Mornagest à se relever.

"Te sens-tu tout à fait remis, ou penses-tu avoir besoin de prendre un peu de repos en ville ? Tu es encore très pâle..."

[Mornagest]

Excellente question. Il n'avait guère l'habitude des fractures et de leur guérison, mais il se sentait globalement en forme. Sauf qu'il avait encore faim... et un peu soif également.

"Peut-être grignoter un bout ?" demanda-t-il timidement. Il avait parfois l'impression de ne faire que cela, en comparaison de Lothringen, qu'il ne voyait jamais réclamer à manger, ni de repos... excepté pour ses sortilèges.

Et puis, la perspective d'ennuis à résoudre pour le village... il soupçonnait des créatures ignobles à détruire, ou du moins, des choses de ce genre. Et combattre le ventre vide n'était pas son style. C'est ce qu'il précisa à son compagnon, comme s'il devait se justifier.

[Lothringen]

Cette réponse fit sourire Lothringen, moitié parce qu'il savait ce que "grignoter un bout" voulait dire dans la bouche de son compagnon, moitié parce qu'il n'avait pas un seul instant envisagé de sauter le repas. Ils se mirent à retourner lentement sur le quai.

"Bien sûr. Cette petite excursion aérienne avait de quoi vous ouvrir l'appétit ! Mais, à vrai dire, ma question portait plutôt sur le reste de la journée. Je t'ai vu si souvent ensanglanté, déchiqueté, empoisonné ou brisé ces derniers jours qu'un peu de répit ne serait pas de refus, j'imagine. Un Mornagest au grand complet, misère : on ne savoure pas assez sa chance", acheva-t-il, l'air taquin.

Ils étaient parvenus à hauteur de la taverne, étrangement calme à cette heure de la journée. Ce devait être le soir que la clientèle s'amassait... A part trois ou quatre vieillards qui tapaient la carte dans un coin et un serveur qui passait le balai, l'endroit était proprement désert. Faute de trouver personne derrière le comptoir, le semi-drow s'adressa au balayeur :

"Est-il possible de commander à déjeuner ?"

Le jeune homme s'appuya lourdement sur le manche de son balai.

"Pour sûr. Mais c'est plat du jour : boeuf bouilli et carottes."

"Parfait... Pour deux alors. Et, deux bières ?"

Il laissa la phrase en suspens, au cas où Mornagest souhaiterait modifier la commande.

[Mornagest]

"Ce sera parfait pour moi", confirma Mornagest, qui était suffisamment affamé pour manger n'importe quoi. Un bon plat de ce genre lui mettait déjà l'eau à la bouche.

Ils prirent place, et le guerrier répondit à la question de Lothringen :

"C'est vrai qu'on pourrait passer le reste de la semaine tranquillement... mais je suppose que ce n'est pas ce que tu voudrais, toi non plus ?" dit-il en souriant. Les aventuriers qu'ils étaient avaient soif... d'aventure. Se reposer, certes, mais pour une période limitée. Après quoi, l'ennui revenait rapidement pointer le bout de son nez, non ?

"Sauf si tu penses que je ne suis pas assez sage et qu'il faut que je me repose pour récupérer... j'ai effectivement tendance à ne sortir que rarement indemne de nos péripéties", conclut-il en grimaçant.

[Lothringen]

Il hocha la tête, l'air un peu mélancolique. Bien sûr, il appréciait l'aventure et on le ferait difficilement tenir en place une semaine durant dans un endroit comme celui-ci, mais en même temps... Il avait le sentiment que Mornagest sollicitait un peu trop Tymora ces derniers temps, et la perspective de redouter constamment une nouvelle blessure pour ce dernier – ou la réouverture d'une ancienne - ou pire - risquait de lui gâcher un peu le plaisir de ces vacances.

"Tu me dis cependant que tu es parfaitement remis... Écoute, passons chez le bourgmestre, voyons en quoi on pourrait leur être utiles, et nous aviserons. Mais si tu envisages de te battre dès aujourd'hui, je risque de m'inventer un droit de veto. Tu n'as même plus d'arme."

Il trempa les lèvres dans la bière que l'on venait de déposer sur leur table et en avala une longue gorgée. Une fraîcheur bien agréable.

"Je pourrais te donner ma dague – il montra du doigt la dague qu'il portait toujours à sa ceinture, et qui lui servait aussi bien à couper des cordes qu'à éplucher des pommes ou égorger discrètement. Mais ce serait dommage, quand on a une allonge comme la tienne, de ne pas en profiter... Le mieux serait de trouver un magasin."

[Mornagest]

Il hocha timidement la tête. Ses goûts du risque étaient peut-être immodérés, en ce moment... la fièvre d'avoir remporté la victoire contre Terenas lui faisait peut-être penser qu'il pouvait faire n'importe quoi... et ce récent incident avec les elfes aurait dû calmer ses ardeurs.

"Tu as raison. Voyons ce qu'on peut faire pour eux, ensuite, il sera toujours temps de décider si c'est dans nos cordes... par contre, je ne sais pas si on peut trouver une forge ou une échoppe d'armes dans le coin. Peut-être un outil ou l'autre, mais je ne sais pas si ce sera plus efficace qu'une dague."

Le tavernier arriva avec les plats du jour, qui sentaient la carotte parfumée au thym et aux oignons. Ils entamèrent leur repas, qui paraissait réellement délicieux, après toutes ces péripéties.

"Je dois... me calmer un peu", confessa-t-il après quelques bouchées en silence, profitant de la saveur du repas. La fougue de la jeunesse ? Cela expliquait peut-être aussi son comportement.

[Lothringen]

Lothringen sourit tout en attaquant son écuelle. Un repas chaud, complet, assis, à l'abri des intempéries... Un vrai luxe, qu'il savourait en homme qui ne sait pas quand viendra la prochaine occasion

"Oui. Un peu."

Ils continuèrent de manger quelques temps en silence.

"Ce n'est pas que je veuille te mettre sous verre, juste... J'ai eu peur pour toi un peu trop souvent ces derniers jours, tu comprends ?"

Il mordit avec avidité dans le pain de seigle et nettoya consciencieusement la sauce. Ne rien gâcher.
Quand il eut fini, le semi-drow se recula sur sa chaise et attendit patiemment Mornagest. Ils avaient bien un village à explorer, mais aucune urgence, après tout.

[Mornagest]

Mais il n'avait rien perdu de sa voracité, et il ne tarda guère à terminer son assiette, pour enfin répondre à Lothringen.

"Je comprends... personne n'est à l'abri d'un accident, la preuve... moi, peut-être, encore moins qu'un autre. Je suis excité comme un petit enfant et je ne mesure pas les conséquences éventuelles."

Il ne manquait pas d'expérience, cela dit. Il avait passé plusieurs années à vivre avec des risques mortels autour de lui. Froid, maladie, bêtes sauvages ou ennemis humanoïdes... il retombait en adolescence, sans qu'il parvienne à se l'expliquer réellement. Bah, c'était probablement passager, et dû à cette blessure si vite soignée, qui lui donnait ce sentiment d'immortalité. Il se morigéna et conclut :

"Je vais faire attention." Pourquoi pas, après tout ? Il était capable d'un peu de bonne volonté...

Ayant tous les deux terminés leur repas, il s'enquit :

"Tu veux autre chose ? Ou on se remet en route maintenant, doucement ?"

[Lothringen]

Le semi-drow jeta sur la table les quelques pièces correspondant au prix des deux repas.

"Allons-y", répliqua-t-il en se levant.

En quittant la taverne, ils purent constater qu'ils avaient mangé relativement tôt, car le soleil continuait lentement son ascension dans un ciel pommelé. Ils retraversèrent sans se hâter un village toujours aussi paisible, n'étaient deux commères sur un pas de porte qui les regardèrent de travers. Lothringen n'était pas bien loin de trouver cela rassurant ; il commençait à trouver l'endroit un peu *trop* tranquille.

Suivant les instructions du prêtre, ils reprirent la rue principale et dépassèrent des maisons simples, la très modeste chapelle d'Ilmater, et une ou deux échoppes qui n'exposaient guère en devanture ce dont elles disposaient. Ils verraient plus tard si l'une d'entre d'elles vendait des armes.

"Voilà un village qui va pouvoir rejoindre Ysté dans notre galerie des trous perdus inoubliables..."

Ils étaient parvenus sur la place centrale, où la rue principale croisait la voie côtière. Une maison un peu plus cossue que les autres possédait un encorbellement et un balcon : d'après la description, c'était la maison du bourgmestre.

"Il vaudrait peut-être mieux que ce soit toi qui parles... Inspirer confiance, peau-noire, tout ça."

Quand ils entrèrent, un domestique les introduisit auprès de son maître, un homme entre deux âges relativement élégant, aux favoris poivre et sel, qui les examina d'un air vaguement défiant. Lothringen se tint prudemment en retrait.

"Messieurs, vous souhaitiez me rencontrer ?"...

[Mornagest]

Le guerrier ne payait probablement pas de mine. Après les événements des dernières vingt-quatre heures, il avait une barbe dure, les vêtements en lambeaux, par endroit, et les cheveux et le visage sali par la poussière. Conscient de son apparence guère engageante, il répondit prudemment :

"Messire. Nous sommes arrivés ce matin dans votre bourgade. Votre prêtre d'Ilmater a eu la bonté de me soigner d'une fracture, et nous a parlé d'un souci qui troublait la quiétude du village. Et nous voici."

Amusant, de constater qu'il avait les mots bien moins faciles que Lothringen, et qu'il avait probablement des tendances bien plus agressives que lui, alors que seule son origine humaine lui permettait d'"inspirer confiance", comme l'avait dit le semi-drow. Les gens étaient parfois tellement stupides...

Mornagest n'avait pas encore les automatismes des dirigeants. Il n'avait que peu d'expression avec les mains, et il se tenait de façon trop rude. Mais, après tout, dans ce cas présent, cela importait peu ; le bourgmestre n'était pas censé savoir à qui il s'adressait, à vrai dire. Heureusement, d'ailleurs. Mais le mélandien se demanda, l'espace d'un instant, s'ils n'allaient pas simplement et proprement se faire mettre dehors sans plus de façons.

"Bah... qu'ils aillent au diable, dans ce cas", songea-t-il aussitôt.

[Lothringen]

Le bourgmestre détailla du haut en bas l'accoutrement des deux intrus. Des étrangers pas forcément très recommandables... Mais ils avaient l'air de savoir se battre - autant essayer de s'en servir, plutôt que de les froisser.

"Notre prêtre a dit vrai, nous avons actuellement divers problèmes bien gênants. Le principal est en voie de résolution... Un groupe d'elfes hors la loi fait régner la terreur sur cette région, incendie les fermes isolées et massacre les voyageurs. Lumenis nous a envoyé une troupe de paladins et de rôdeurs pour les traquer."

"Pourquoi ces elfes agissent-ils ainsi ?", ne put s'empêcher d'intervenir Lothringen, qui soupçonnait qu'il s'agissait là de ceux qui avaient enlevé Mornagest.

"Le chef du groupe d'intervention m'a dit ce qu'ils étaient, mais je n'ai pas retenu le nom... Eldath... Eldeth..."

"Eldreth Veluuthra ?" suggéra le semi-drow d'une voix blanche.

"Oui. Des extrémistes elfes qui pensent que tout était mieux avant, et qui rêvent d'anéantir toute présence humaine, si j'ai bien compris. Comme c'est hors de leur portée, ils se contentent de commandos qui harcèlent les isolés. Enfin, j'ai bon espoir que notre groupe parvienne à éradiquer cette menace..."

"En quoi pourrions-nous vous être utiles, alors ?"

"J'y viens. Depuis que ce groupe d'enragés s'est installé dans la région, plus personne n'ose quitter le village par la terre. Mais un certain nombre d'embarcations ont disparu entre les villages plus au sud et celui-ci. Quelques barques de pêcheurs, et un navire aussi... Il devait faire escale ici et n'est jamais arrivé. Ce n'est pas normal. La côté est bien cartographiée, et il n'y a pas eu de tempête ces jours-là..."

[Mornagest]

Des pirates elfes qui pilleraient les embarcations ? Voilà quelque chose qui était étonnant, de prime abord. Mais il était vrai que certains elfes pouvaient se montrer très violents lorsque leur territoire était menacé... peut-être ce groupe d'elfes était-il donc impliqué. Ou pas. Cependant, leur présence s'expliquait désormais, ainsi que leur agressivité lors de leur rencontre avec Mornagest.

"Et vous pensez qu'il existe un lien entre les deux ? Depuis quand ces elfes vous malmènent-ils ? Et, ces vols d'embarcations, quand ont-il débuté ?"

Dans les petits villages isolés, les gens étaient prompts à accuser les étrangers. Quoi de plus normal quand tout un chacun se connaissait, il devenait alors bien difficile d'imaginer que son propre voisin pût être le coupable. Le guerrier ne pouvait pas leur en vouloir... il aurait probablement réagi de la même façon à leur place. Il était cependant curieux de connaître les soupçons du bourgmestre.

[Lothringen]

L'homme haussa les épaules. Il était bourgmestre, pas devin.

"Les elfes n'ont commencé à sévir dans la région que depuis un an environ. Les problèmes avec les embarcations ne datent que de deux ou trois mois... J'aimerais apprendre que les deux problèmes sont liés et qu'ils pourront se résoudre ensemble, mais je n'en sais rien, en fait. Quand vous êtes déjà affaiblis, certains sont prompts à profiter de la situation.

Ce pourraient être des naufrageurs. Ou des créatures alliées à ces elfes terroristes. Ou de simples pirates...

Ce qui est certain, c'est que je ne peux pas me permettre d'envoyer des hommes au hasard enquêter là-dessus, aussi longtemps que les elfes arpentent encore la contrée."

...Alors que des inconnus ne manqueraient à personne, songea Lothringen sans piper mot. Il se demanda de quel point de départ ils pourraient bénéficier. Longer la côte et guetter les épaves ? Faute de mieux...

[Mornagest]

Le guerrier haussa les épaules. Il avait tiré exactement la même conclusion que Lothringen. Après tout... comment lui en vouloir ? Mieux valait sacrifier de parfaits inconnus dont personne ne pleurerait le sort.

"C'est maigre, comme indications. J'imagine qu'il faudra s'en contenter... par contre, j'aimerais savoir si vous disposez d'un forgeron, dans le village. J'ai perdu mon épée, et sans elle, je ne suis pas d'une efficacité remarquable en combat. Et comme nous nous dirigeons vers ce genre de conclusion..."

Un cimeterre, une rapière, un estramaçon... même une masse, à vrai dire. Faute de quoi, il devrait se contenter de la dague de Lothringen, ce qui comportait quelques risques en combat ouvert...

[Lothringen]

"Vous ne trouverez pas de forge avant Dreknon, à vingt lieux à l'est. Mais le bazar de maître Eldis vend vraiment de tout, et des armes entre autres. Par les temps qui courent, le réflexe est à l'autodéfense...


Vous avez dû passer devant, c'est le magasin peint en rouge."


Tout en les laissant prendre congé, le bourgmestre garda pour lui ce que lui inspirait la considération d'un guerrier qui "perdait" son épée. Selon toutes probabilités, son problème de disparitions n'était pas près d'être résolu.

[Mornagest]

Ils rebroussèrent donc chemin, et, tout en marchant, Mornagest demanda son avis à Lothringen sur la question.

"Je ne suis pas certain qu'on va réussir à mener à bien cette mission... les indices sont minces, et nous n'avons qu'une vague idée de la direction à prendre. Enfin, je suppose qu'on peut au moins aller voir au bazar ?"

Avec un peu de chance, ils trouveraient ne serait-ce qu'une arme endommagée mais suffisante, le temps d'arriver à un bourg qui propose les services d'un forgeron. Ils arrivèrent rapidement devant l'échoppe renseignée par le bourgmestre, et y entrèrent. Le marchand était à moitié assoupi dans son fauteuil, derrière le comptoir, et sursauta à leur arrivée. Assez âgé, il avait une barbe blanche fournie et bien taillée, et portait des vêtements de bonne coupe. Il se leva sans hâte et accueilli les visiteurs d'un sourire franc mais intrigué. Les étrangers devaient vraiment être rares, dans le coin, malgré ces histoires de pillages.

L'intérieur de la boutique suffisait à faire mériter le terme de bazar au magasin ; rien n'était rangé. Plutôt, entassé sans ordre logique apparent. Des ustensiles de cuisine en cuivre cohabitaient avec un vieux bouclier en bois, sur la même étagère, tandis que sur une table en chêne massif, diverses armes en plus ou moins bon état se disputaient la place avec un ensemble de couvertures qui pouvaient être utilisées pour passer une nuit d'hiver, dehors, dans l'Épine Dorsale du monde.


Mornagest jeta un coup d'œil rapide aux armes, et en repéra quelques-unes qui pouvaient correspondre à son style de combat. Une épée à deux mains, qui lui garantirait une excellente allonge ; une coutille assez lourde et probablement pas plus maniable que la précédente ; plusieurs épées longues à la lame émoussée... et un arc long et son carquois garni. Voilà qui pourrait le réconcilier avec les armes de trait.

"Je n'imaginais pas trouver autant de choses ici... tu as vu ?" Il sortit l'épée à deux mains du lot, ainsi que l'arc et le carquois. "Combien pour tout ceci ?" demanda-t-il au marchand.

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête d'un air approbateur ; cette épée à deux mains aurait été un peu lourde à manier pour lui, mais pour Mornagest, elle serait parfaite. Son tranchant aurait cependant mérité d'être rafraîchi.

A la question de son client, Eldis évalua l'ensemble d'un rapide coup d'œil.

"Quatre-vingts pièces d'or."

Le semi-drow, pour sa part, était retourné fureter dans le bric à brac, disparaissant derrière une pile de cordes enroulées pour réapparaître absorbé par le troisième étage d'une étagère. Il en revint quelques temps plus tard avec une pierre allongée dans laquelle Mornagest reconnut une pierre à aiguiser, et deux bouteilles dans lesquelles son odorat avait identifié une potion de soin même pas éventée et un vin blanc tout juste en âge. Des rouleaux de bandages propres complétaient l'ensemble.

"Tu as raison, on trouve vraiment de tout ici."

"Et quatre-vingt-onze ici", commenta le marchand. La potion de soins grevait le budget, mais Lothringen préférait y mettre le prix. Il se tourna alors vers son compagnon, qui, pour autant qu'il sache, n'avait encore pu profiter de ses émoluments de chancelier.

"Tu auras assez ? Je dois pouvoir payer pour deux."

[Mornagest]

Le guerrier sortit sa bourse et examina rapidement son contenu, puis hocha la tête en répondant :

"J'ai suffisamment, je m'en charge." Une pierre à aiguiser, parfait pour remettre à neuf cette lame. Des bandages... vus les derniers événements, cela ne serait sans doute pas du luxe s'ils venaient à devoir se battre, ce qui ne manquerait probablement pas d'arriver.

Il paya le marchand et entreprit d'attacher le fourreau de sa nouvelle arme sur le côté gauche de son dos, tandis que le droit accueillit le carquois plein et l'arc. Lothringen entreposa ses acquisitions dans sa besace enchantée.

"Autre chose ?" Pour sa part, il avait ce dont il avait besoin ; si objet magique il y avait, le semi-drow serait plus à même de le repérer, dans tout ce fatras... mais il avait des doutes quant à la probabilité d'en trouver dans un village si éloigné de tout.

[Lothringen]

Lothringen pensait avoir fait le tour de l'inventaire, mais une nouvelle idée le traversa.

"Ah oui. Vous avez une carte de la région ?"

"En effet, mais une seule : je ne la vends pas."

"Juste pour consulter."

Le marchand fouilla quelques instants sous son comptoir et en sortit une carte sommaire de la côte et des premiers villages intérieurs. Le parchemin avait jauni, accusait les plis, et s'écornait, mais les traits au fusain demeuraient bien visibles.

On distinguait une côte assez peu découpée, où le village où ils étaient – Aigues Douces – se lovait au fond d'un golfe que Lothringen reconnut pour l'avoir approché à tire d'ailes. A vingt lieux à l'est, Dreknon, où, d'après le bourgmestre, ils trouveraient une forge. A autant plus au sud, deux villages rapprochés sur la côte ; un seul d'entre eux semblait posséder un port digne de ce nom. Entre les deux, des falaises assez irrégulières alternaient avec de petites criques. Un chemin de gardes longeait la côte tout du long. "A peine un sentier à vaches, en réalité, qui lutte contre les ajoncs", commenta le vieil homme.

"J'imagine que c'est par là qu'il faudra commencer, qu'en penses-tu ?"

[Mornagest]

Il haussa les épaules. Le nord, le sud... la chance jouerait ou non en leur faveur, et comme Lothringen avait celles de Tymora... autant se fier à son intuition.

"Puisque nous cherchons des voleurs de barques, essayons vers le port, au sud. Il sera toujours temps de rebrousser chemin si nous faisons chou blanc." Ou si la semaine s'était déjà écoulée. Le temps passait vite...

En ayant terminé avec la carte, ils quittèrent le bazar et se retrouvèrent dehors. Le soleil brillait, radieux, et une brise marine légère soufflait. Pas de nuage à l'horizon, mais le temps côtier était capricieux. Mais... vingt lieues, cela supposait de marcher rapidement.

"Nous avons intérêt à partir d'ici peu de temps, si on veut avoir une chance de ne pas dormir à la belle étoile", suggéra-t-il.

[Lothringen]

"Peur de dormir à la belle étoile ? Tu deviens douillet", le taquina Lothringen. Cela dit, il comprenait le point de vue. Il venait de passer une très mauvaise nuit et la perspective de pouvoir retomber sur ces satanés elfes était plutôt désagréable.

"Nous pouvons partir dès maintenant."

Ils s'engagèrent dans une rue transversale, en quête de l'amorce du sentier côtier, mais il leur fallut sortir du village, traverser un pré et s'arrêter au sommet des falaises avant d'apercevoir l'étroit chemin qui les longeait. La végétation était abondante, mais heureusement peu élevée : à tout moment, ils avaient vue sur la mer d'un bleu-vert intense. S'ils ne trouvaient rien, au moins auraient-ils fait une belle promenade.

Lothringen se taisait, marquant des pauses régulières pour admirer la vue ou repérer les éventuels indices d'une activité anormale.

[Mornagest]

L'après-midi touchait à sa fin. Ils progressaient relativement rapidement, compte tenu du fait qu'ils essayaient fréquemment de voir ce qui pouvait éventuellement troubler la quiétude des habitants de la région côtière. Le calme plat de la mer n'était troublé que par le ressac, qu'ils entendaient distinctement du haut de la falaise. Le chemin longeait le bord de la mer, tout en passant, de temps en temps, près d'une plage de galets ou d'une crique ensablée. Une belle promenade, effectivement.

Le soleil se couchait sur l'océan, et ils bénéficiaient d'une vue imprenable sur la sphère orangée qui disparaissait progressivement à l'horizon, comme englouti par les flots, tel un fer forgé refroidi dans l'eau.

C'est alors qu'ils repérèrent du mouvement, en contrebas, sur une petite grève, à quelques centaines de mètres de leur position. Un groupe de personnes se tenait sur le sable, transportant apparemment des caisses depuis une embarcation, un peu plus loin dans l'eau, jusqu'à terre, vers une destination invisible.

[Lothringen]

Ils venaient apparemment de surprendre des contrebandiers en plein travail. Se pourrait-il que ces derniers aient éliminé les embarcations de passage pour se débarrasser de témoins trop gênants ? Quoi qu'il en soit, mieux vaudrait ne pas être repérés. Sans doute serait-il nécessaire d'aller visiter l'entrepôt, mais il fallait d'abord que le petit groupe rentre ou s'éloigne ; ils n'atteindraient pas la grève sans passer à découvert, et l'invisibilité ne couvrait pas les bruits de pas.

Les deux guerriers progressèrent encore d'une bonne centaine de pas, puis se tapirent derrière la végétation, observant et attendant la fin de ce remue-ménage pour mettre au point un plan d'action. Lothringen cherchait tout particulièrement la présence d'éventuelles sentinelles aux aguets.

[Mornagest]

Ils avaient parcouru environ les deux tiers de la distance jusqu'au port repéré sur la carte. Il était donc très possible que ces gens soient responsables des disparitions constatées, mais comment s'en assurer ?

Lothringen chercha rapidement des yeux un éventuel guetteur, mais en vain ; les hommes, sur la plage, semblaient s'activer, et ne pas s'encombrer de prudence. Ils couraient presque, malgré le chargement apparemment lourd qu'ils transportaient. Il y avait encore une énorme caisse sur l'embarcation maintenue près de l'eau grâce à deux rameurs. En tout, ils devaient être une dizaine. Leur cargaison, pour ce que les deux aventuriers purent en voir, se composait de quatre caisses en bois. Quant à la nature de leur contenu... c'était visiblement lourd.

"Que fait-on ?" chuchota Mornagest. "Nous approcher risque de nous faire repérer, et ils sont nombreux... d'un autre côté, ils semblent avoir des choses à se reprocher... on ne débarque pas du matériel comme ça au milieu de nulle part.