[Commerce] Au Loyal Paladin

[Althéa]

Elie avait eu un petit sourire triste. Cette phrase ... Son fils lui avait si souvent dite et redite. Il voulait la protéger aussi longtemps qu'il serait là. Avait-il imaginé un seul instant que sa vie serait brève et que ne subsisterait de lui que son propre chagrin ? Sa souffrance, son absence. Sa solitude. Depuis, elle avait décidé qu'elle ne s'attacherait plus à personne. Il y avait eu Chandara qui l'avait convaincue de venir à Manost. Et maintenant, elle n'était plus seule. Plus vraiment seule. Car on pouvait ressentir la solitude au milieu d'une foule.

Allait-elle lui dire qu'elle ne s'attacherait pas à elle de peur qu'elle se fasse tuer ? Qu'elle ne voulait plus porter le deuil ?

"Je suis fatiguée, dit-elle d'une voix blanche, je crois que je vais monter. Avez-vous un endroit pour dormir, cette nuit ?"

[Amaryllis]

Amaryllis prit le changement de ton dans la voix de la conteuse, pour une simple manifestation de sa fatigue. Elle-même eut soudain une envie de bâiller, qu'elle tenta de réprimer sans réelle succès. La pensée qu'elle n'avait aucun endroit où dormir lui traversa l'esprit, l'inquiéta une seconde, puis s'évanouit. Elle ouvrit son sac, le fouilla pendant une bonne minute. Elle en sortit son livre, qu'elle posa sur ses genoux, sa fronde et deux cailloux tout ronds, son grimoire, une pomme bien mûre, et, finalement, une poignée de piécettes. Elle rangea le reste de ses affaires, un sourire victorieux sur le visage.

"Je vais prendre une chambre ici. Si leurs chambres valent au moins pour moitié leurs tartes aux pommes, j'y serai très bien."

Joignant le geste à la parole, elle fit signe à l'aubergiste. L'idée qu'il pouvait ne plus y avoir de chambres libres ne lui vint même pas à l'esprit.

[Althéa]

Et elle obtint une chambre qui par le plus pur des hasards se trouvait juste en face de celle d'Eliessan. Elie s'était allongée toute habillée dans son lit, en proie à des sentiments contradictoires. D'un coté, elle était heureuse de sa nouvelle rencontre. D'un autre coté, cela l'effrayait, et elle avait envie de s'enfuir. Ne pas s'attacher. Elle aurait tôt fait de construire une autre cabane et de s'y laisser mourir, loin des autres. Mais elle n'en avait pas le courage. Le sommeil, bénéfique cette fois l'empêcha de réfléchir d'avantage.


De l'autre coté du couloir, la jeune conteuse, sur le point de s'endormir entendit une petite voix, tout contre son oreille.

"Hé toi, réveille-toi. Ouvre les yeux !"

[Amaryllis]

La tête à peine posée sur l'oreiller, la jeune halfeline sentit le sommeil la gagner. Dans cet étrange passage entre l'éveil et le sommeil profond, là où la logique n'a plus cours, elle discerna un visage, et su sans l'avoir jamais vu qu'il s'agissait de celui de son frère. Ses lèvres bougèrent, et elle entendit une voix, une toute petite voix qui ne ressemblait en rien à celle de son frère. L'image se dissipa, et Amaryllis entrouvrit les yeux, incapable de prime abord de dire si elle avait rêvé, ou si quelqu'un venait bien de l'appeler. Il lui fallu quelques secondes pour apercevoir la silhouette, diaphane, juste à côté d'elle. Elle retint un cri de justesse, et s'écarta rapidement, manquant tomber du lit.

"Vous...vous êtes qui vous ?"

[Althéa]

Une petite silhouette environnée de lumière. Une petite fille aux cheveux roux et aux grands yeux bleus lui rappelant ceux d'Eliessan. Des yeux rieurs et en amande. La petite créature ne sembla pas se formaliser des questions de la petite personne en face d'elle. Au contraire, prenant de l'aplomb, comme consciente de sa matérialité, elle se percha sur le rebord de son lit avant de lui dire.

"Ma maman, elle veut pas m'écouter. Mais toi, tu vas m'aider."

[Amaryllis]

Amaryllis était fascinée par l'apparition. Elle était si jolie, cette petite fille, entourée de ce halo de lumière. Un ange peut-être...Son visage lui était étrangement familier, mais il lui fallut quelques instants, le temps de se réveiller complètement, pour l'associer à un nom, ou du moins à une identité. Elle ressemblait tellement à la conteuse, ce devait être sa fille...
La petite fille morte. Un fantôme !
La jeune voleuse fit un bond de côté, rata de peu le bord du lit et finit par terre sur le tapis. A moitié sonnée, elle réussit à se relever, fit un pas de plus pour s'éloigner de l'apparition qu'elle dévisagea ensuite, méfiante.

"T'aider à faire quoi ?"

Elle voulait bien l'écouter. S'il s'agissait bien de la fille de la conteuse, elle ne risquait sans doute pas grand-chose. Mais elle préférait garder ses distances, pour l'instant au moins. On n'était jamais trop prudent avec les fantômes...

[Althéa]

Le halo entourant la petite apparition avait faibli durant quelques secondes. L'enfant, à ce moment avait paru presque normale, comme toutes les petites filles de son âge. Et elle avait éternué, recrachant par ce fait une poudre dorée, irréelle. Étrange. En même temps, Amaryllis eut l'intime conviction qu'elle ne lui ferait aucun mal. Une sorte de personnage sorti de l'imagination d'un conteur fou mais inoffensif.

L'enfant lui fit un petit sourire penaud avant de répondre.

"Hé ben, c'est facile. Il faut que tu parles à ma maman. Elle ne veut pas m'écouter. Je sais pas pourquoi. Mais tu vas m'aider, d'accord ? Tu vas lui dire que je voudrais lui parler"

[Amaryllis]

Si elle avait eu encore quelques doutes quant aux intentions de la fillette, son sourire les fit fondre plus vite que neige au soleil. Un fantôme aussi adorable ne pouvait pas être bien méchant...
Enhardie par cette pensée, Amaryllis se rapprocha, puis s'assit sur le lit, le regard fixé sur le fantôme. Elle regardait son visage, essayant d'imaginer de quelle matière il pouvait être fait. S'il était seulement fait de matière...
D'air peut-être ? Ou de cette sorte de poudre d'or ?
Puis, réalisant qu'elle l'observait avec un peu trop d'insistance, elle détourna le regard, rouge de confusion et finit par répondre d'une toute petite voix :

"Je veux bien t'aider. Mais qu'est ce que je dois lui dire ? Elle me croira peut-être pas si je lui dit que j'ai vu sa fille et qu'elle veut lui parler..."

[Althéa]

La petite fille croisa les bras, l'air buté.

"Moi, je pense que ma maman ne croit plus à ce qu'elle raconte. Elle croit plus dans la magie. Et si ça continue, je vais disparaître moi. Tu peux lui dire ça, non ?"

Elle fit mine de disparaître. Mais revint à travers le mur.

"Si elle me voyait, elle me croirait. Mais là, elle croit que c'est pas vrai. Toi, tu me vois. Et tu crois. Et il faut que tu lui dises que tu voies. Parce que c'est important. Elle pleure toutes les nuit, tu sais ? Il faut qu'on lui dise, pour mon frère."

[Amaryllis]

Amaryllis avait hoché gravement la tête, puis avait écouté la fillette avec attention, une expression déterminée sur le visage. Oui, parler à la conteuse, elle pouvait le faire. Lui dire qu'elle avait vu sa fille, lui retransmettre mot pour mot ses paroles.
Mais lui dire...quoi, à propos de son fils ?
La dernière phrase prononcée par le fantôme prit soudain tout son sens. Il y avait quelque chose que la conteuse ne savait pas. Et ça concernait son fils, ça devait être important.

"Il lui est arrivé quoi, à ton frère ?"

[Althéa]

La petite fille parut interloquée durant de longues minutes. La jeune fille eut comme l'impression que ce qu'elle avait à dire lui pesait beaucoup. Comme si la différence entre elle et son frère était soudain très difficile à énoncer.

"Il est vivant, quelque part. Il faut qu'elle le retrouve. Sinon, il sera trop tard."

Amaryllis vit une larme rouler sur la joue de la petite fille.

"Pour moi, il est trop tard. J'aurais bien aimé, aussi ..."

[Amaryllis]

Il est trop tard...
Ces mots avaient un arrière goût de définitif, teinté de cette si désagréable impression de déjà-vu. La jeune halfeline frissonna. Une larme roula sur sa joue, qui aurait pu passer pour de la compassion. Elle l'essuya d'un geste vif, comme on cherche à effacer une preuve et reconcentra son attention sur la fillette.

"Je suis vraiment désolée..."

Elle aurait bien voulu la serrer dans ses bras, essayer de la consoler. Mais la perspective de ne brasser rien d'autre que de l'air la réfrénait quelque peu. C'était encore un peu trop...bizarre pour elle. On ne se débarrassait pas si rapidement de ces plus anciennes peurs, même s'il ne s'agissait alors que d'une simple peur d'enfant.

"Tu sais où il se trouve ton frère ? On peut aller voir ta maman maintenant, on va la réveiller, mais comme ça tu pourras peut-être lui parler directement, d'accord ?"

[Althéa]

La larme n'avait pas échappé à la petite fille. Elle s'était avancée sans vraiment réfléchir et avait touché la joue d'Amaryllis. Le contact de la menotte fut à la fois brûlant et glacé, mais doux. Presque irréel. Et il laissa sur la joue de la jeune femme une empreinte d'or.

"Oh, je suis désolée. Je ne voulais pas ça. Maman me disait que les fantômes, ils passaient à travers nous. Elle s'est trompée."

La fillette prit un air penaud et croisa les bras.
"J'aimerais bien qu'on aille la voir. Mais avant, j'aimerais bien que tu lui parles."

[Amaryllis]

Amaryllis porta la main à sa joue, distraitement. L'étrange sensation de froid mêlé de chaud passa sur le bout de ses doigts. Elle les retira, presque surprise et les contempla. Un peu d'or s'y était déposé mais disparut avant qu'elle ait eu le temps de le toucher de son autre main. Elle releva la tête vers la fillette, l'air perdu. L'espace d'une seconde, elle se demanda pourquoi elle lui avait touché la joue, puis le souvenir revint, lancinant, comme une vieille blessure mal refermée. Elle resta un instant, suspendue entre la douleur du souvenir et l'oubli, puis pencha une fois encore vers l'oubli. Elle sourit à la fillette. La tristesse qui avait pu apparaître dans son regard avait laissé la place à de la simple compassion.

"Bien sûr, je vais aller la voir. Tu crois qu'elle m'en voudra si je la réveille ?"

[Althéa]

La petite fille avait réfléchi. Puis avait sourit.

"ça dépend comment tu la réveilles. Ma maman, elle aimait pas quand on venait sauter sur son lit. Surtout tôt le matin. Elle aimait bien dormir. Là, elle a l'air d'avoir très sommeil. Je l'aide à dormir, un peu. Je lui parle dans l'oreille. Elle me dit qu'elle est triste parce qu'elle se souvient presque plus de mon visage. Tu pourras lui raconter comment je suis, dis ?"

Elle marqua une courte pause, puis reprit, les yeux tristes.

"Moi aussi, j'oublie. Un petit peu. Et puis, je m'efface. J'ai peur de ne plus penser à ma maman, un jour."

[Amaryllis]

"Ce doit être difficile, de ne pas se souvenir..."

Quelque chose, dans le ton qu'elle venait d'employer, donnait l'impression qu'elle faisait plus que d'imaginer ce que ça devait être, même si son expression restait neutre. Elle sentait confusément que certains souvenirs étaient plus que fragmentaires dans son esprit, mais ils suffisaient qu'elle tente de se les remémorer pour qu'ils s'effacent un peu plus. Elle avait renoncé.

"Mais...quand elle saura que tu es toujours là, vous pourrez vous parler à nouveau peut-être. Elle pourra t'aider à ne pas oublier...Elle trouvera les mots pour te rassurer. Je crois que c'est quelqu'un qui sait trouver les mots qu'il faut."

Elle sauta en bas du lit, le regard brillant de détermination, et fit quelques pas en direction de la porte.

"Je vais lui parler maintenant. Tu m'attends ici ?"

[Althéa]

La petite fille avait commencé par hocher la tête puis s'était ravisée. Elle aimait beaucoup voir sa mère endormie, juste avant qu'elle ne vienne lui souhaiter le bonjour en compagnie de son frère. Bien sûr, ils sautaient directement sur son lit, la réveillant en sursaut avec leurs éclats de rire. Elle mettait de longues minutes à émerger et finalement, riait avec eux. A cette époque, elle ne saisissait pas encore les notions de fin et de fatalité. Aujourd'hui, elle regrettait de ne pas lui avoir caressé tout simplement la joue, pour la tirer doucement du sommeil. Lui offrir sa tendresse avant qu'il ne soit trop tard.

"J'aimerais bien voir ma maman dormir un tout petit peu. Tu veux venir ? Elle est belle quand elle dort."

[Amaryllis]

Le souvenir de ses propres parents, endormis, vint heurter sa conscience, lui arrachant un sourire. Elle aussi avait coutume de les réveiller brusquement. Elle et ses frères...ils sautaient sur le lit, réclamaient jeux et câlins, et les obtenaient, la plupart du temps. Elle essaya de se rappeler de leurs visages, mais ils étaient si flous, si lointains...Une ombre passa dans son regard, et disparut aussi vite qu'elle était apparu.

"Oh...bien sûr, je viens. Tu pourras la regarder, un peu. Et après je la réveillerai, doucement, et je lui parlerai de toi. Et de ton frère."

Joignant le geste à la parole, elle parcourut les quelques mètres qui la séparaient de la porte, attendant que le fantôme la rejoigne.

[Althéa]

La petite fille s'avança d'un air décidé et passa à travers la porte. Pour repasser quelques secondes après.

"Oh, pardon, je pensais plus que les autres pouvaient pas faire ça. Alors, tu viens ?"

Elle laissa la jeune fille ouvrir la porte. Doucement, elle s'approcha de sa mère. Elle la regarda un long moment. Elle la trouva changée. D'habitude, elle dormait sur le dos, un sourire au coin des lèvres, ronflant légèrement. Mais là, elle dormait recroquevillée sur elle même, les bras repliés autour de son oreiller. Elle lui sembla infiniment plus petite, démunie. Fragile. De sourire, aucune trace. Pire, il y avait des traces de larme. Sa maman pleurait en dormant. Elle se tourna vers Amaryllis, l'air infiniment triste.

[Amaryllis]

Amaryllis regardait la fillette, désemparée. Elle réalisait soudain que, quoiqu'elle fasse, elle ne pourrait pas arranger les choses. Rien ne pouvait guérir la perte d'un être cher. Elle en avait l'intime conviction, même si ce qui la poussait à le croire lui paraissait étrangement flou. Des bribes de souvenirs, encore. Il ne fallait pas qu'elle y pense. Précautionneusement, elle se rapprocha du lit, puis elle murmura à l'oreille de la conteuse :

"Eliessan...Elie...C'est Amaryllis...Réveillez-vous..."

[Althéa]

Elie, encore dans les limbes du sommeil, Elie mit du temps à réagir. Puis, redressant la tête, elle parut désorientée durant quelques secondes puis finit par s'asseoir dans son lit. Quand elle parla, sa voix était peu assurée et inquiète.

"Qui ? Amaryllis, c'est vous ? Je parie que j'ai encore oublié de verrouiller ma porte, n'est-ce pas ?"

En voyant sa maman si démunie et pathétique, la petite ne put s'empêcher d'intervenir.

"Maman, c'est moi. Écoute-moi."

Eliessan resta muette un long moment avant de soupirer, les larmes soudain aux yeux.

"Lily, ma petite Lily, mon ange. Par pitié. Tu es morte. Cesse de venir."

[Amaryllis]

Amaryllis cligna plusieurs fois des yeux. Elle qui croyait qu'Elie ne voyait pas sa fille. Mais si, elle la voyait. Et elle ne croyait pas ce qu'elle voyait. C'était encore pire. Le regard de la jeune halfeline passa de l'enfant à sa mère, puis elle murmura, une pointe d'incompréhension dans la voix :

"Mais elle veut juste vous parler ! Elle a des choses importantes à vous dire, et ça peut même vous aider à retrouver votre fils. Pourquoi vous voulez pas l'écouter ?"

[Lothringen]

Arrivant du Palais des Murmures...
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Le Loyal Paladin. Sa rumeur qui enflait depuis la rue, le chant de la forge, en face, les éclats de voix de Dryade... Une grande vague de nostalgie le saisit, comme à chaque fois qu'il repensait aux premiers temps de sa présence à Manost – un temps où il logeait en face de cet établissement, et où sa couleur de peau surprenait encore. Il n'empêche : il était libre, alors... Quand il pénétra dans la salle commune, aussitôt reconnu de tous, les murmures s'assourdirent soudain, tandis que quelques citadins tournaient vers lui leur visage, comme s'ils s'attendaient à une annonce, une déclaration, un ordre, une arrestation. Mais comme rien de tout cela ne venait, les conversations reprirent comme à l'accoutumée, au plus grand soulagement du semi-drow qui reprit sa place ordinaire au fond, près de l'escalier.

Après lui avoir servi sa bière, Titoeil parut l'éviter. Il fallut à Lothringen beaucoup d'insistance et un soupçon d'autorité pour le convaincre de s'asseoir à sa table. L'aubergiste obéit, une pâleur surnaturelle sur le visage. Un très mauvais menteur, quand il ne s'agissait plus de ses exploits imaginaires. Le semi-drow le laissa quelques temps mijoter tandis qu'il sirotait sa bière, et, quand il jugea sa victime bien à point, il repartit :

"On prétend que la confession soulage... Je vous écoute."

"Je... Promettez-moi de ne pas vous mettre en colère."

"Vous me connaissez, depuis le temps : je ne me mets jamais en colère sans bonne raison. Du reste, je suis à peu près certain que vous n'y êtes pour rien... Qu'a-t-elle fait, cette fois ?"

Soulagé de se voir deviné, l'aubergiste ouvrit brutalement les vannes.

"Althéa est repartie hier soir. Avec d'autres, une... une aventure, elle ne sait pas où elle va, ni quand elle reviendra... Et elle m'a confié Leodacya. Je ne devais pas vous le dire trop tôt, mais quand j'ai voulu vous prévenir hier soir et ce matin, vous n'étiez pas là..."

Lothringen fit aussitôt le lien avec le groupe parti en quête d'Eroeh. Rien d'étonnant à ce que sire Guiguemar les ait envoyés chercher du renfort à la Vierge d'Argent... Curieusement, il ne ressentait pas de colère, ni de dépit de voir une fois de plus Althéa se jeter tête la première dans des affaires dont elle ne connaissait rien ou presque. Elle partait, elle le laissait derrière, elle oubliait sa fille et négligeait les risques... Combien de fois l'avait-elle déjà fait.

"Vous... vous ne dites rien ?"

"Je ne dis rien. Qui m'a demandé mon avis, de toute façon ?"

Titoeil fronça les sourcils. Sous ses airs de gros imbécile heureux dont il jouait tant et plus (et d'autant plus que le client adorait ça), se cachait un homme doté d'une assez subtile intuition de la nature humaine.

"Vous êtes... vous êtes amer, conse... Lothringen, corrigea-t-il, se rappelant que le semi-drow préférait qu'il l'appelle ainsi. Pourtant, vous aussi, à ce qu'on dit, vous partez risquer votre vie, sans prévenir personne..."

*Pas personne. Seulement celui qui s'en soucie.*

"Et je laisse derrière moi une fille en bas âge... Vous avez raison. Vous êtes plus que le parrain de Leodacya, Titoeil, et nous sommes des parents indignes. Puis-je la voir ?"

L'aubergiste sourit.

"Je me demandais quand vous le demanderiez. Elle dort dans mon appartement."

Le temps de finir sa bière, de demander des nouvelles de l'auberge et de prendre congé, et Lothringen se rendait à l'étage, auprès du berceau. L'enfant dormait à poings fermés... du moins jusqu'à ce qu'il se penche sur elle : la porte se referma alors à la volée, et le bébé, surexcité, se mit à gazouiller des areuh expressifs en agitant les bras. Le semi-drow, stupéfait, alla à la porte et la trouva verrouillée de l'extérieur.

"Eh... c'est toi qui as fait ça ! commenta-t-il en agitant en vain la poignée. Bravo ! Je suis impressionné."
Il revint vers le berceau. L'enfant se calma un peu. Elle le dévisageait de ses immenses yeux verts, avec un sourire qui ne lui paraissait pas destiné. Le semi-drow saisit sa quenotte grise dans sa main noire.

"Tu sera une grande sorcière, un jour... La main se resserra à toutes forces sur son index. Ne t'inquiète pas, j'ai compris le message. Je vais passer la soirée avec toi, si tu veux."

La saisissant avec précaution, il la sortit du berceau et la blottit dans ses bras, tout en s'installant lui-même dans un fauteuil à bascule. Dans un premier temps, c'était à peine s'il osait regarder sa fille. Il se souvenait encore de ce rêve où il proposait de la sacrifier pour que Mornagest revienne. N'était-ce qu'un rêve ? Il aurait accepté de gagner Féerune, si le guerrier le lui avait demandé...

Dans ses bras, Leodacya redevenait douce et sage, jouant simplement avec ses doigts, ses vêtements et sa natte blanche. Etait-ce là le bébé infernal qui faisait tourner sa mère en bourrique ? A moins qu'elle ne lui offre un rôle de composition, pour célébrer les retrouvailles. Sa dernière visite ne datait pourtant que de la semaine précédente...

"J'ai rencontré un homme, ma Leo... murmura-t-il d'une voix à peine audible, dans la pénombre de la nuit tombante. Il ressemble si peu à ta mère : du genre à marcher à vos côtés plutôt que de vous fuir. J'espère pouvoir te le présenter bientôt. Il est tellement grand qu'on n'a jamais fini de l'explorer, et que quand on croit le connaître, il vous surprendre encore : il devrait te plaire... Que dis-je, il te plaira.Il ferma les yeux à demi et s'interrompit quelques instants. Oui, et nous formerons une étrange famille..."

[Hanna]

Hanna avait marché dans la ville étrangère. Silhouette étrange claudiquant un peu à cause de ses chaussures usées. Ses vieilles chaussures. Comme elle les aimait. Elle les portait depuis le début de son expédition. Et, aujourd'hui, il fallait bien l'admettre, elles étaient sur le point de rendre l'âme. Etait-ce pour elle le signe de l'imminente fin du voyage ? Allait-elle devoir s'arrêter là où tomberaient ses semelles ? Elle soupira à cette pensée. Elle n'avait jamais pu se poser, de toute façon. Et elle allait bientôt repartir : l'exploration de Dorrandin était sa prochaine étape. Juste le temps de trouver … Elle n'avait pas vraiment l'habitude de ces pratiques mais l'on disait que Mélandis n'avait pas une très bonne réputation et que la route jusque là était dangereuse. Et il fallait qu'elle revienne entière si elle voulait continuer son atlas.

Ses pas, tout comme ceux de nombreux riverains avant elle, la portèrent vers le Loyal Paladin. Elle se laissa aller, attirée par la musique et les rires. Après tout, après ce temps passée seule sur la route, elle pouvait bien s'accorder un moment pour voir ses semblables.

Elissa s'était elle aussi réfugiée au Loyal, fuyant l'ambiance mortifère et malsaine de la guilde. Elle se sentait à cours de mots. Impuissante devant les événements. Incapable d'aider. Elle vit Hanna passer la porte, fine silhouette à l'air perdu et aux yeux trop grands. Elle prit place à une table un peu moins fréquentée que les autres. Titoeil vint la trouver, muni de son habituel sourire. Il la regarda un long moment avant de s'exclamer.

«*Ah, mais je vous connais ! Vous êtes Hanna d'Etihad*»

Et elle de rougir et de chercher mentalement un petit trou de souris où elle aurait pu se cacher. Mais elle n'en trouva pas. Pour une fois qu'elle pensait qu'on ne la reconnaîtrait pas. Les autres personnes – à qui le nom ne disait fichtrement rien – finirent par retourner à ses occupations. Seule Elissa tendit l'oreille. Titoeil quant à lui, en tant que héros se devait de connaître toutes les célébrités notoires et insignifiantes. Et même si Hanna appartenait surtout à la seconde catégorie, elle l'intriguait néanmoins. Elle lui parla de ses recherches scientifiques à travers le monde. Il l'écouta les yeux rêveurs. La maîtresse de la guilde de la Vierge d'Argent n'en perdit pas une miette. Et quand la rouquine demanda à Titoeil s'il ne savait pas où elle pouvait trouver un mercenaire capable de l'escorter durant son périple, elle s'approcha doucement d'elle et lui glissa à l'oreille.

«*A l'herboristerie de la Vierge d'Argent. Ils poussent comme des mauvaises herbes*»

Et la laissa tout à fait interdite.

Hanna ne régla pas sa consommation – que Titoeil avait insisté pour lui offrir – et s'en fut, d'un pas incertain vers la direction indiquée. Tout en pensant qu'elle était en train de se jeter dans la gueule d'un traquenard. Une bête féroce aux grandes dents, dont la rencontre signifiait souvent votre mort. Tout doucement, elle entra dans la boutique.

[Althéa]

Eli s'était recroquevillée sur elle même, enserrant ses jambes de ses bras. Elle avait paru vieillie d'au moins une quinzaine d'années. La tête baissée, comme si elle refusait de les voir. Des sanglots agitèrent tout d'un coup ses épaules.

"Partez, dit-elle faiblement, je ne veux plus vous voir. Il est mort, je le sens, je le sais."

Sa fille s'approcha doucement d'elle, tenta de caresser ses cheveux et passa à travers. Elle regarda Amaryllis d'un air désolé.

"Je crois qu'elle a peur. Mais si on traîne trop, mon frère sera vraiment mort."

[Amaryllis]

Amaryllis puis regarda Eli un instant, l'air perdu. Elle cherchait un moyen de la convaincre d'écouter sa fille. Elle pouvait lui répéter encore et encore que son fils était en vie, mais il n'y avait guère de raison pour que l'argument devienne plus convainquant avec la répétition. Haussant les épaules, la jeune halfeline se tourna vers le fantôme.

"Qu'est ce qu'on peut faire ? Je peux pas l'obliger à m'écouter."

Une idée lui traversa l'esprit. Il lui semblait avoir déjà posé cette question, ou peut s'en fallait, mais elle n'était plus certaine de la réponse. A moins qu'elle n'y ait tout simplement pas encore pensé...

"Mais je peux pas t'aider, juste moi, à retrouver ton frère ? Si tu me dis où il est, je peux aller le chercher..."

[Althéa]

La petit fille secoua la tête, l'air triste.

"Il faut qu'elle soit là. Il a besoin d'elle, et elle a besoin de lui. Je crois qu'il ... qu'il n'en a plus pour longtemps, tu comprends ? Peut-être que le temps qu'il revienne il sera déjà ..."

Elle ne termina pas sa phrase. Elle parut plus vielle. Petite fille fantôme victime des affres du temps.

"Je sens que par moment, il est en train de devenir comme moi. Dis le lui si tu le peux."

[Amaryllis]

Le regard d'Amaryllis resta fixé sur le fantôme pendant quelques instants, chargé d'émotions contradictoires. Elle semblait à la fois curieuse, triste, étonnée, désolée. Puis de plus en plus songeur, jusqu'à ce que la jeune halfeline ne semble plus voir l'esprit. Puis, brusquement, elle sembla revenir à la réalité. Elle sursauta, légèrement, cligna des yeux et murmura :

"Je vais réessayer alors..."

Puis elle se rapprocha doucement d'Eli, se hissa sur la pointe des pieds et lui tapota l'épaule.

"Je crois que je sais...ce que vous ressentez. Ce que ça fait de perdre quelqu'un."

L'espace d'un instant, sa voix sembla particulièrement lointaine et empreinte de mélancolie. Mais elle se ressaisit rapidement et reprit d'un ton plus neutre :

"Mais...Il faut que vous l'écoutiez. Elle m'a dit qu'il était encore en vie, mais qu'il est en danger et qu'il risque de devenir comme elle si on fait rien. Moi toute seule je peux rien faire, il a besoin de vous."

[Althéa]

Eli avait relevé la tête tout doucement. Elle avait séché ses larmes. L'espace de quelques instants, son visage se fit dur et déterminé. Mais très vite, son air doux habituel revint, et elle dit d'une voix posée.

"D'accord. Je crois que nous n'avons pas vraiment le choix."

Elle se tourna vers Amaryllis.

"Jeune fille, j'ai honte de te demander cela, mais je vais avoir besoin de toi pour ce voyage. Tu serais mes yeux. Sans toi, je ne peux rien. Au fait, où est -il ? "

[Amaryllis]

Un sourire naquit sur le visage de la jeune halfeline. Finalement, il avait suffit d'insister un peu et non seulement Eli acceptait de venir, mais en plus elle avait cessé de pleurer. Et elle lui demandait son aide...

"Oh, rien ne me ferait plus plaisir ! Euh..."

Amaryllis rougit jusqu'aux oreilles, réalisant que sa formulation n'était certainement pas la mieux adaptée à la situation. Tout ce qu'elle voulait dire, c'était qu'elle voulait aider, se sentir utile, rien de plus. Que s'il y avait une chance pour que le fils d'Eli soit sauvé, alors elle était partante. Mais 'ça me fait plaisir'...oh vraiment !

"Je veux dire que...Bien sûr, vous pouvez compter sur moi. Votre fils a besoin d'aide, et rien ne me retient ici."

Elle se tourna vers le fantôme et poursuivit, dans l'espoir de faire oublier complètement sa maladresse :

"Alors, où est-il ? Loin d'ici ? Nous pouvons nous mettre en route quand vous voulez..."