[Lieu] Loth Imarhil

[Taliesin]

Pas encore inquiet, mais un peu agacé tout de même, Taliesin reprit le chemin de l'auberge. Si les gamins ne voulaient rien lui dire, il n'allait pas leur tirer les vers du nez : ce serait là chose mal aisée, surtout pour un étranger. Et s'ils ne savaient vraiment rien, lui-même serait incapable de dénicher Victor, connaissant trop peu le village. Non, dans les deux cas, ce qu'il lui fallait, c'était un informateur local...
Une fois dans la salle commune, il se mit en quête de Borgporkniel et l'aborda sitôt que ce dernier eut un moment à lui accorder.
-Je ne veux pas l'arracher à ses jeux... conclut-il après avoir résumé l'affaire. Mais j'ai du pain sur la planche, et je ne peux pas lui courir après toute la journée... Auriez-vous une idée de l'endroit où je peux le trouver ? Ou d'une personne susceptible de me renseigner ?

[Galathée]

Le demi-orque l'écouta avec attention, puis grimaça.
" A moi, il a dit qu'il allait jouer dehors." fit-il. " Hum. De toute façon, tranquillisez-vous, il ne peut rien lui être arrivé. Les bois sont sûrs et les elfes, même s'ils ne sont pas férus d'êtres humains, ne lui feront pas de mal."
Il alla jusqu'à la porte, l'ouvrit sur la cour et cria après une certaine "Ermesende" à pleins poumons. Son appel était pour le moins impressionnant. Quelques minutes plus tard, une gamine entra, penaude et rougissante. Elle avait les cheveux noirs, le visage assez fin, et un teint clair tirant sur le vert. Elle partageait manifestement certains traits avec le tavernier, mais il aurait été difficile de deviner si sa mère était humaine ou demi-elfe. Une autre combinaison paraissait des plus improbables.
" Où est Victor ?" demanda immédiatement Borgporkniel, le visage dur.
" J'dis rien !" rétorqua la petite fille.
" Ermesende."
" J'peux pas ! P'pa, si c'est moi qui trahis, tu imagines ! Personne va plus m'parler ! J'peux pas trahir !"
" Ermesende."
" Papaaaaaa !"
" Oui ?"
" Il est parti en ville. Il a dit que c'était pour une surprise pour l'elfe." grommela-t-elle.
" Où en ville ?"
" Il a pas dit."

[Taliesin]

Taliesin grimaça. Il se sentait à la fois rassuré... et un peu bête.
-Désolé, je crois que j'ai tendance à être trop nerveux dès que je ne l'ai pas sous les yeux... s'excusa-t-il avec un sourire embarrassé. Ermesende, je te promets que personne ne saura que tu m'as révélé quoi que ce soit... Dis qu'on avait besoin de toi pour un service... Ou même qu'on a tenté de te tirer les vers du nez et que tu n'as pas failli. Tu peux compter sur moi pour confirmer cette version.
Un Victor parti en ville pour lui faire une surprise. Il n'avait pas la moindre idée de ce dont il pouvait s'agir, mais Borgporniel avait raison : le gamin ne risquait rien.
Autant qu'il trouve à s'occuper en l'attendant, dès lors. Répéter quelques morceaux elfiques, par exemple, ne pourrait pas lui faire de mal...

[Galathée]

Mais lorsqu'arriva l'heure du repas de midi, Victor n'avait toujours pas reparu. Borgporkniel servit Taliesin dans la grande salle, solitaire à sa table, et finit par s'asseoir en face de lui.
" Je me demande bien ce qu'un gosse qui ne parle pas un mot d'elfique peut bien avoir derrière la tête pour se faufiler en solitaire dans Loth Imharil." fit-il, souriant. " C'est bientôt votre anniversaire ? Si je ne savais pas que vous étiez déjà lié à la mère de Victor, je dirais qu'il cherche à vous trouver une compagne, mais puisque ce n'est pas ça... Je suis curieux, je dois dire."

[Taliesin]

Le barde, souriant, haussa les épaules.
-Je dois bien avouer que je n'en sais pas plus que vous... Et que je suis tout aussi curieux. Nous avons des livres de magie à vendre, mais ils sont toujours ici. Un mage de la Confrérie de la Lune Rousse voulait me parler mais... je suis toujours ici. Et je doute que même en se déguisant, Victor arrive vraiment à me ressembler. Je le vois mal, effectivement, me chercher une compagne, et ce n'est pas encore mon anniversaire... Bref, je ne sais pas ce qu'il prépare, et j'ai hâte qu'il revienne.
Son sourire s'élargit.
-J'aurais bien couru à ses trousses, mais il n'a rien à craindre, vous l'avez dit. Et je ne veux pas lui gâcher son initiative. J'espère juste que ce n'est pas une énorme bêtise, mais j'en doute : Victor est un garçon raisonnable. Enfin, en général...

[Galathée]

« Je ne saurais dire. » fit Borgporkniel. « A moins que vous ne lui ayez parlé d’une envie de rencontrer vos semblables… Je veux dire, des elfes du soleil. Mais vous m’avez l’air heureux parmi les moins-que-rien, j’imagine que vous ne vous languissez pas tellement des vôtres. Il y a six ou sept elfes du soleil résidents à Loth Imharil. Tous ont des existences assez secrètes, ils sont mages, généralement, ou prêtres, et se cantonnent à leurs laboratoires et leurs alcôves. Hier, Victor m’a posé des questions sur l’une d’entre elles, une dame nommée Cerridwen. Je ne sais pas comment il a entendu parler d’elle, mais il était fort curieux. Peut-être entend-il vous la faire rencontrer ? »

[Taliesin]

Taliesin grimaça, un peu mal à l'aise... Il avait presque oublié cette histoire.
-Mais je l'ai déjà rencontrée... fit-il. Hier matin. Nous nous sommes vus à l'initiative d'un autre mage, un dénommé Nevyn, qui pensait, disons... que nous aurions pu avoir certains liens. Il s'agissait d'une méprise, cependant, et je m'en suis ouvert à Victor. Je ne vois pas pourquoi il serait allé retrouver cette personne...
Bien sûr, le petit garçon lui avait demandé comment elle s'appelait. N'avait pas évoqué de raison particulière à se curiosité. Se pouvait-il qu'il ait eu une idée derrière la tête ? Il fallait espérer que non... La jeune femme avait déjà été assez troublée sans qu'il fût besoin d'en rajouter.
-Pour le reste, vous avez raison, reprit-il. Je n'ai jamais vraiment cotoyé les elfes et, du coup, je me sens un peu déplacé, parmi eux. Je ne recherche pas particulièrement leur compagnie... Je pense que Victor s'en est aussi rendu compte.

[Galathée]

« Dans ce cas… Peut-être a-t-il été suffisamment intrigué par votre récit pour vouloir se rendre compte par lui-même de ce qu’il en était… Malheureusement, elle n’est pas très férue d’humains. Et je ne suis pas certaine qu’elle parle le commun. L’un dans l’autre, il ne tardera plus. Je doute qu’elle l’ait invité à déjeuner. »
Il sourit.
« Ainsi ce brave Nevyn lui tourne toujours autour. Il est tenace, celui-là. Mais je peux comprendre sa démarche… La pauvre Cerridwen est tellement esseulée, son passé tragique est tellement romantique, qu’elle suscite ce genre de comportements chez certains. Il a dû être fort déçu de ne pas avoir réussi à lui dénicher un ancien compatriote. Mais cet échec ne le fera pas baisser les bras pour autant, vous pouvez me croire. »

[Taliesin]

Ah, la voici donc, l'explication de l'étrange réaction du magicien... Taliesin se sentit soulagé : il n'avait pas commis d'impair. Enfin, en dehors du fait de ne pas être celui qu'on aurait espéré...
-Je le comprends : c'est une accorte damoiselle... répondit-il. Et puis, sa démarche était logique : nous partageons effectivement une certaine ressemblance, et elle avait un frère nommé Taliesin... Dans ces circonstances, tout autre que lui aurait aussi, sans doute, fait le rapprochement.
Il soupira.
-Je crains cependant que cette rencontre n'ait fait ressurgir chez dame Cerridwen de bien mauvais souvenirs... Je peux très bien la comprendre : nos histoires ne sont pas sans présenter une certaine similitude... Mais elle a vraiment cru retrouver son disparu. C'est une foisse joie cruelle, je suis navré d'en avoir été l'instrument.

[Galathée]

« Ne vous chagrinez pas. Nevyn est responsable de ces faux espoirs. S’il avait été plus malin, il vous en aurait directement parlé. Evidemment, nul ne sait plus de choses sur Cerridwen, que Cerridwen elle-même… Mais les soupirants aiment faire des surprises… parfois avec justesse, parfois avec stupidité. »
Il sourit.
« Je n’ai plus vu cette demoiselle depuis bien longtemps, je dois avouer. Je ne me souviens pas bien d’elle. Une elfe. Parmi des elfes. Je me souviens mieux de son père, qui n’avait aucune sympathie pour moi. Comme vous, il avait vécu parmi les autres races pendant longtemps. Mais ça l’avait apparemment vacciné et bien vacciné. Comme quoi, il n’est jamais certain qu’une expérience similaire mène à la même ouverture d’esprit. »

[Taliesin]

Le barde acquiesça.
-Oui... Si j'ai bien compris, Cerridwen vient d'une cité que son père qualifiait d'"infernale", Sans doute les races y étaient-elles mêlées. Là encore, la coïncidence est troublante : mes parents habitaient également une ville multiraciale. Et comme celle de Cerridwen, sa fin fut tragique... Il y a une différence majeure, cependant : tous les survivants que j'ai pu rencontrer la qualifiaient de "cité idéale".
Il secoua la tête. Sourit à nouveau.
-Deux expériences proches, deux conclusions similaires... Mais, fort heureusement, les leçons à en tirer ne sont pas les mêmes, et je suis heureux d'être issu de la cité où la coexistence fut réussie. Je n'en garde aucun souvenir : elle fut rasée alors que j'étais tout petit... Mais sans doute, par ma vie, n'en suis-je pas un représentant trop indigne.

[Galathée]

Les paroles de Taliesin laissèrent Borgporkniel songeur, quelques instants. Puis il se fendit d’un sourire.
« Sans doute. C’est merveilleux d’imaginer qu’il a pu exister un endroit où tout le monde était heureux et satisfait. Je dois dire que j’ai peine à le croire, l’esprit des vivants a toujours tendance à se montrer plus exigeant que ce que la vie peut offrir. Mais je veux bien vous croire. Même si vous n’avez en réalité pas la mémoire de ce lieu… »
Il hocha la tête.
« J’aime à penser que cette auberge est un peu comme votre cité, à son échelle. Un endroit où la race ne compte pas et où nous vivons tous en bonne entente. Bien sûr, je n’ai pas à régler les problèmes qui se présentent aux dirigeants d’une large ville, mais la diplomatie ne m’est pas étrangère. Et j’espère qu’on ne me la rasera pas trop vite. »

[Taliesin]

-Votre auberge est un lieu rare... répondit le barde. Et je suis heureux d'avoir eu la chance de m'y arrêter. Ce n'est pas pour rien que je me sens si à l'aise, ici, et je crois que c'est également le cas pour Victor. J'imagine fort bien que maintenir une telle concorde n'est pas toujours chose aisée, et votre réussite n'en est que plus remarquable... Vos concurrents doivent vous envier, mais je doute qu'ils viennent à vouloir raser votre établissement !
Concernant la Cité Idéale, Borgporkniel avait raison, bien sûr : il ne l'avait jamais vraiment connue, était tributaire, pour ce qu'il en savait, de ce qu'on lui avait dit. Mais il ne voyait pas pourquoi Hafghan, Charis ou Lorghar auraient menti à ce sujet... Eux aussi avaient souffert de sa destructions : ils auraient fort bien pu en éprouver du ressentiment. Ce n'était pas le cas, pourtant.

[Galathée]

« Non, en vérité, nous nous entendons bien. En hiver, je suis la seule enseigne ouverte, parce qu’il n’y a pas assez de clientèle pour faire tourner les quatre auberges, et mes collègues ne sont pas suffisamment forestiers pour demeurer ici lorsqu’il neige. Ils rentrent chacun dans leur famille, en ville. Mais à la belle saison, nous avons nos spécificités, du coup, tout tourne harmonieusement. L’Alcôve des Etreintes est un petit hôtel confortable qui accueille des couples, en général, ou des gens qui aiment le silence et les ambiances feutrées. La Sarabande des Fous fait grincer des dents jusqu’au Palais du Prince. C’est… comment dire… le plus recommandable des endroits peu recommandables. Ce qui s’y passe n’est rien en comparaison de ce qu’on trouve dans les bouges urbains, mais on peut y dénicher aisément filles, substances illicites, combats divers et tables de jeux. Enfin, le Relais des Chasseurs n’accueille que ça, des chasseurs. Ça sent perpétuellement la charogne, chez eux. Si on aime ça, on est servi, mais si on tourne de l’œil à la vue d’une carcasse fraîche qu’on écorche, ce n’est pas la bonne adresse. »
Il poussa un soupir d’aise.
« Enfin. Tout ça ne nous rendra pas Victor. J’imagine qu’il ne tardera plus. S’il pointe le bout de son nez, envoyez-le moi, je lui trouverai de quoi manger. »

[Taliesin]

Le barde sourit largement.
-Manger ? Il n'aura plus droit au moindre aliment durant un mois, en dehors d'un crouton de pain sec par veille. Et ce n'est pas le pire aspect de la punition que lui vaudra son escapade, croyez-m'en !
Son ton disait bien assez qu'il plaisant. Pourtant, il ne tarda guère à se faire plus sérieux.
-Mais j'avoue que je serai plus tranquille quand il sera de retour. Je ne sais pas ce qu'il avait en tête... Or, les enfants ont parfois de drôles d'idées....

[Galathée]

Victor finit par reparaître, tout juste après le repas. Il avait la mine rosie par le froid et un large sourire, il transportait un gros paquet ficelé. Il s'arrêta devant la table où se trouvait toujours Taliesin et fit semblant de rien, s'asseyant avec son fardeau, qu'il glissa sous la table.
" Bien dormi ?" demanda-t-il d'un air dégagé, tout en retirant ses gants et son manteau avec force contorsions.

[Taliesin]

Le barde, rasséréné par le retour du petit garçon, entra d'emblée dans son jeu et fit comme s'ils se retrouvaient au saut du lit, sans que rien de particulier ne se fût produit.
-Comme un loir... répondit-il. J'en avais besoin ! J'espère que je n'ai pas trop ronflé... et que tu as trouvé à t'occuper durant ma grasse matinée.

[Galathée]

Victor lui décocha un radieux sourire.
« Tu as ronflé comme un sanglier ! » s’exclama-t-il. « Mais j’ai trouvé à m’occuper, oui. »
Il parut hésiter, puis croisa les bras sur la table, tandis que Borgporkniel venait lui déposer une assiette ventrue.
« Pour les jeunes loups qui ont couru toute la matinée. » fit ce dernier avant de s’esquiver.
Victor mourrait de faim et se jeta sur sa pitance avec entrain.
« Mais d’abord, je voulais te dire que tu avais été super hier soir. Je savais bien que tu étais un bon barde, parce que c’était pas la première fois que je t’entendais, mais devant les gens, c’est incroyable… Je te reconnaissais à peine ! Et toutes les filles de la table veulent m’épouser, maintenant. Grâce à toi. »
Il s’interrompit et grimaça.
« En fait, de ça, je te remercie pas vraiment. »

[Taliesin]

L'elfe lui rendit son sourire.
-Ah ça, mon gars, on est embarqués sur la même galère : j'ai moi-même dû me défaire de mon lot de soupirantes, tu as pu t'en rendre compte... Mais en tout cas, je suis content si cela t'a plu. Je me suis beaucoup amusé, de mon côté... Et ça m'a fait du bien, surtout. Des mois que je n'avais pas fait mon métier... J'ai eu l'impression de retrouver un peu mes marques. Je suis plus à l'aise dans le rôle de musicien que dans celui de fuyard, de rôdeur ou de d'apprnti guérisseur, c'est un fait.

[Galathée]

« J’espère que quand on va rentrer, tu pourras retrouver ça… Tu sais… »
Il lorgna autour de lui d’un air de conspirateur.
« Moi je ne crois pas que Kanter ait ébruité ce qui s’est passé. Les Luméniens, ils auraient jamais laissé faire une chose pareille ! C’était… comment on dit… On peut pas condamner les gens sans avoir fait un procès ! Alors tu pourras sûrement retourner chanter à la Bienveillante. Personne dira rien. Personne saura rien. Bon… Kanter, lui… J’sais pas. Mais il reviendra pas te chercher deux fois, si ? »

[Taliesin]

Le barde soupira. De noires pensées au détour d'une conversation banale... Mais il fallait bien y faire face, et mieux valait être préparé.
-Je ne sais pas, Victor. Vraiment, je ne sais pas. En revanche, ce que je sais, c'est que s'il a parlé... Je ne m'en tirerai pas comme ça. Les Luméniens ne cautionneront pas ce qu'il a fait. Mais ils ne cautionneront pas non plus ce que j'ai fait. Il se peut donc que je sois jugé...
Il secoua la tête.
-Mais ça n'a pas d'importance, pour l'instant. Quand nous arriverons près de Luménis, nous nous ferons discrets, nous essaierons d'apprendre ce qu'il en est... Et je doute que Galathée y soit, de toute façon. On aura donc tout le temps d'aviser.

[Galathée]

Le gamin opina du chef, sérieux.
« Tu as raison. On verra en temps utiles. »
Puis il se rassit dans son siège et sourit, ravi.
« J’ai un cadeau pour toi. » annonça-t-il finalement. « Pour te… féliciter pour hier soir ! Et aussi pour te remercier de m’avoir sauvé de… de ce qu’Ava… enfin, tu sais. »
Il eut une grimace embarrassée et plongea sous la table. Il remonta son paquet, emballé dans une sort de papier végétal. La forme en était cependant caractéristique, et en l’ouvrant, Taliesin n’eut pas de réelle surprise. C’était une petite harpe de facture clairement elfique, au bois enluminé de dessins végétaux, dans lesquels on apercevait de temps en temps le visage d’un elfe ou un animal en maraude. L’arbre dont était tiré l’instrument était étranger à Taliesin, car il semblait à la fois solide et léger, bien plus que du chêne ou du hêtre. On devinait à la précision du travail que la harpe devait produire un son de qualité. Pas aussi bon que celui de sa harpe personnelle, mais moins artificiel que celui des instruments invoqués.
« Je me suis dit… que c’était bête que moi j’ai un pipeau, et toi rien, alors que c’est toi le musicien, et j’ai réalisé hier comme c’était important pour toi… Alors je me suis dit que pour… pour que les choses redeviennent normales… peu à peu… il fallait que tu aies une harpe. »

[Taliesin]

Taliesin fit tourner la harpe entre ses mains, admirant la précision du travail, la richesse du décor, la légèreté du bois. Il pinça une corde, songeur, et releva les yeux sur l'enfant tandis que se dissipaient les échos d'une note claire.
Il se demanda bien, pensée fugitive, comment Victor avait pu se procurer un instrument d'une telle facture alors qu'ils étaient presque sans le sou. Mais il ne s'attarda pas sur la question : il savait que l'argent n'avait pas souvent cours à Loth Imarhil, faisait entièrement confiance au petit garçon... Et, surtout, était conscient que l'important n'était pas là, pour l'heure.
Restait à trouver quelque chose à dire. Pas évident, se rendit-il compte.
-Et bien tu pourras rajouter à ta longue liste d'exploits celui d'avoir coupé le sifflet à un barde... murmura-t-il, sincère. Merci, bonhomme. Vraiment.
Il l'aurait volontiers étreint dans l'instant, mais il n'avait pas envie de l'embarrasser devant les quelques clients présents aux alentours. Alors, il se contenta de tendre la main par dessus la table et de serrer la sienne.

[Galathée]

Malgré la discrétion de la manœuvre, Victor s’empourpra et détourna un instant le regard.
« Bah heu… » commença-t-il. « Je… j’espérais juste que tu serais pas fâché parce que c’est un peu encombrant… Alors j’en ai pris une pas grande… Comme ça, ça devrait pas vraiment gêner… Puis si tu l’emballes bien, peut-être que les gens ne devineront pas ce que c’est, et alors tu devras pas chanter partout où on va… Ou bien je peux dire que tu es très mauvais, si c’est plus simple… Et puis de toute façon… C’est juste jusqu’à ce qu’on revienne à la maison pour reprendre la tienne. »

[Taliesin]

S'il la reprenait jamais, ce qui était loin d'être assuré. Cependant, cela ne l'inquiétait guère. Peut-être y aurait-il du bon dans tout cela, au fond : la harpe de Hafgan le rattachait au passé. Celle-ci, au présent, au futur.
-Ne te fais pas de souci : elle est parfaite, pratique... Et facilement dissimulable, oui. C'est un excellent choix. Et une excellente idée : ça me manquait, un vrai instrument.
Il sourit largement.
-Et si des gens la remarquent tout de même, ne t'inquiète pas : je dirais que c'est toi, le barde.

[Galathée]

" Ça, j'crois pas que tu pourras les abuser !" s'exclama Victor, hilare. " Tu rentres dans un endroit, rien qu'à ton attitude, on devine que tu as l'habitude qu'on te regarde. Moi j'aimerais pas, en fait, d'avoir tous ces yeux posés sur moi, toutes ces personnes qui ne font plus attention à rien d'autre... Brrrr... Toi, on voit que tu as ça naturellement. C'est peut-être à cause de ta bonne mine... Mmm... Moi ça me tente pas. Barbare avec des boules de feu, sur le dos d'un dragon, voilà qui me plaira davantage. Tu pourras raconter mes aventures."

[Taliesin]

-J'y compte bien ! D'ailleurs, je songe à te faire signer un contrat stipulant que je serai le seul autorisé à écrire ton histoire, à composer des chansons sur tes exploits... De beaux succès en perspective !
Avec précautions, il entreprit d'emballer à nouveau la petite harpe.
-Mais je crois tout de même que tu te trompes sur mon compte... reprit-il. Je ne suis pas né barde. Quand j'étais petit, les histoires ou les balades, j'aimais les entendre, pas les interpréter ! Et quand Hafgan, mon maître, que j'ai suivi pour d'autres raisons que son métier, m'a fait comprendre que je n'y couperais pas, que je monterais sur scène tôt ou tard... Je me suis dit que j'allais devenir un élève exécrable qu'il n'oserait jamais montrer en public...
Il s'interrompit un instant pour ficeler le paquet.
-Et puis, honnêtement... Entre les regards bienveillants des clients d'une auberge et ceux, assassins, de myriades d'ennemis sur un champ de bataille... Je crois que mon choix est vite fait. Et tu te doutes bien que tu ne passeras pas inaperçu, sur ton dragon...

[Galathée]

Victor rit.
" Personne n'a dit qu'il fallait être barde ou guerrier. Galathée, elle, elle aime pas qu'on la regarde. Toi, peut-être que tu n'y avais pas pensé, mais je suis certain que c'était pas complètement étranger à ta nature... A mon avis, tu faisais le pitre quand tu étais enfant, et ta famille, ça les faisait rire."
Il paraissait très sûr de lui.
" Quant à moi... C'est mon dragon qu'on regardera, pas moi. Et je veux un droit de regard sur tes chansons sur moi !"

[Taliesin]

-Sauf si tu lances des boules de feu. Un barbare qui use de ce genre de projectiles, c'est peu courant, tu peux me croire. Tu feras sensation... Ah, et tu pourras bien sûr regarder mes notes. De temps en temps. Quelques-unes.
Il se tourna un instant vers la scène qui occupait un coin de la salle commune, puis refit face à Victor.
-Et tu as raison : je faisais le pitre, quand j'étais petit. Mais seulement quand j'étais en confiance. Avec mes frères et sœurs, avec mon maître, ensuite. Il était calme et posé, mais je crois avoir réussi plus d'une fois à le mettre hors de lui... A part ça, avec les étrangers, ou lorsqu'on allait dans un lieu qui m'était inconnu, je me montrais plutôt timide et réservé. Chez mes parents, lorsqu'ils abritaient des voyageurs égarés, ce qui arrivait souvent, j'avais tendance à vouloir passer inaperçu. D'autant plus que si on me repérait, j'attirais l'attention : tu penses, un petit elfe au milieu d'une famille d'humains... Par la suite, quand j'ai pris la route, j'avais tendance à me dissimuler dans l'ombre d'Hafgan dès que nous entrions dans une auberge... Bon, ça a fini par passer, après quelques années, mais ça a mis du temps.

[Galathée]

Victor avait manifestement beaucoup de peine à croire que Taliesin ait jamais pu correspondre au trait de "timide", mais il se le tint pour dit et ne le chercha pas davantage. Il avait terminé son assiette, saucée jusqu'à la dernière goutte, et il se carra dans son siège avec une moue satisfaite.
" Je digère un peu, puis on peut retourner chez les mages, non ? C'était bien ça le programme ?"
Alors qu'il prononçait ces mots, la porte s'ouvrit sur deux elfes de la lune en riche livrée, couleur bleu et or. Ils allèrent droit sur Borgporkniel qui les reçut avec son habituel sourire, écouta leurs doléances puis d'un geste, les dirigea droit sur Taliesin et Victor. Croisant le regard du barde, il lui décocha un petit haussement d'épaules désolé.
Les deux visiteurs s'arrêtèrent à côté de leur table et le premier d'entre eux, un jeune homme à la peau très pâle et aux cheveux blancs, s'inclina poliment.
" J'ai un message pour vous, maître barde, de son Excellence le Prince."
Il lui tendit un parchemin frappé d'un sceau de cire, sur lequel était dessiné une loutre et deux étoiles. Il resta ensuite immobile.
" Je dois attendre votre réponse." se justifia-t-il.

Le pli disait ceci :
" Très cher sire,
J'ai appris votre bienheureuse présence en nos murs par plus d'une oreille affûtée, et l'on me conte vos louanges depuis que vous avez animé un petit récital impromptu chez mon bon ami sire Polfinn. Vos prouesses d'hier soir ont également ravi les esthètes, et je me vois donc contraint, pour le plus grand plaisir, je dois l'avouer, de vous inviter à une petite soirée, demain soir, en mon Palais. Rassurez-vous, la compagnie sera triée sur le volet et peu nombreuse, et nous ne vous demanderons pas de nous divertir toute la soirée : nous tâcherons d'en faire de même.
En espérant une réponse positive à cette requête,
Prince Toron Aman-Brethil "