[Lieu] Combeloup

[Galathée]

Albérich salua le vieil homme puis se mit en route vers le donjon de Combeloup. Cependant, alors qu’il s’éloignait, les dernières paroles de César le poursuivirent. Un village tranquille depuis des décennies. Qui sombrait dans la violence juste au moment où il arrivait. Vous n’avez pas de chance, avait-il dit. Mais s’agissait-il de chance, d’une coïncidence ? Ou bien les ténèbres l’avaient-elles suivi jusque là ?
Tu délires, se sermonna-t-il en attaquant l’ascension vers le château.
Il n’avait pas pu enfreindre le pacte à son insu, il n’avait pas touché à la moindre racine, au moindre moineau, depuis son arrivée à Combeloup. Et les Sharites étaient hors course. Noir Dessein était en prison à Luménis, Calme Péril était mort. Cela n’avait rien à voir avec lui. Raisonnablement, il devait accepter qu’il n’y avait là que hasard, rien d’autre.
Pourtant…
Ne sois pas ridicule, ça ne sert à rien et à personne.
Il s’immobilisa à mi-parcours pour reprendre son souffle, contempler les environs, le village avec son temple encore fumant, la garnison sur sa crête, bientôt le donjon. Il réalisa que curieusement, la disparition du sanctuaire lui donnait une étrange impression de liberté. Il ne restait plus rien de Lathandre à Combeloup. Et la nature entendait reprendre ses droits. En continuant son chemin, il se demanda si la vieille mouette aurait apprécié la métaphore.
Enfin, il parvint devant les portes gardées du château et s’annonça, espérant qu’Elisa pourrait le recevoir.

[Taliesin]

Elle put le recevoir sans tarder. Et même avec un certain empressement. Dès qu'il la vit, faisant les cent pas dans la salle des gardes, Albérich put constater que son confinement lui pesait, qu'elle bouillonnait littéralement d'être ainsi cloitrée. D'ailleurs, elle ne fit pas mystère de sen sentiments.
-C'est gentil d'être passé... lança-t-elle avec un sourire amical. Je deviens folle, à tourner en rond, sans rien avoir à faire, dans ce foutu donjon... Vous n'imaginez quelle est votre chance de pouvoir vaquer à votre guise !

[Galathée]

Albérich alla s’asseoir sur un banc.
« Je suis désolé pour vous, Elisa. J’aurais aimé vous proposer une petite leçon d’escrime pour vous distraire, mais je crains de ne pas pouvoir prendre ce genre de risques dans mon état presque grabataire. » fit-il avec un léger sourire. « Mais je comprends votre agacement. Dites-vous que lorsque cette crise sera résolue, vous retrouverez peut-être la liberté plus vaste à laquelle vous aspirez tant. J’imagine que l’ambiance doit être particulièrement plombée au donjon en ce moment. Je regrette de n’avoir pu assister à la cérémonie pour Eloi, hier soir, mais je n’étais pas en état de revenir jusqu’ici. »

[Taliesin]

-Bah, ne soyez pas désolé... Et de toute façon, c'était bien évidemment sinistre. Rien de tel pour se miner le moral ou pour galvaniser ceux qui ont envie d'en découdre.
Elle s'assit à son tour.
-Honnêtement, quand tout cela sera terminé, je ne suis pas certaine que j'aurai d'autre liberté que celle de pourrir joyeusement, béquetée par les corbeaux. Ou alors celle de... hum, régner sur un champ de ruines, si d'aventure les renforts que père va mander nous permettent de gagner la bataille. Ce dont je doute fort : si toutes les bestioles des montagnes descendent sur nous, ce ne sont pas quelques dizaines de soldats qui feront la différence.
Elle eut un sourire difficile à déchiffrer, mi ironique, mi amusé.
-Le seul côté positif de l'histoire, c'est que quand les mesures d'exception auront été promulguées, père ne pourra pas me garder à l'intérieur. J'ai bien lu la charte : toute personne capable de brandir une armes sera mobilisée. Pas seulement tout homme. Et comme un seigneur est censé donner l'exemple, je le vois mal me garder enfermée ici tandis que les habitants devront s'armer, y compris des garçons et des filles bien moins âgés que moi.
Elle haussa les épaules.
-Je trouvais que Combeloup manquait d'animation : en la matière, je crois que je vais être servie.

[Galathée]

Les paroles d’Elisa allaient dans le même sens que celles d’Umberto ou d’Ada, et Albérich eut soudain l’impression que leur pessimisme manquait de vision.
« Si les choses sont si mal engagées, ne serait-il pas raisonnable de réfléchir à un moyen d’évacuer le village ? Je comprends que les gens soient attachés à leurs maisons et leurs moutons, mais il ne serait peut-être pas complètement stupide de mettre les enfants et les personnes plus âgées en sécurité, par exemple auprès de cette parente de votre père. Ou préparer un siège au donjon, que sais-je… Comme vous, j’espère que nous trouverons une solution pacifique à cette situation, mais cela n’empêche pas de se préparer au pire… »

[Taliesin]

Elisa arbora une moue pincée.
-Vous sous-estimez mon père, si vous pensez qu'il ne se prépare pas au pire... Les celliers du château sont bien remplis. Nos réserves comptent bien plus d'armes et d'armures que ne peuvent en porter nos seuls gardes. Père a toujours veillé à cela... Pour ce qui est de la mise à l'abri des enfants et des vieillards, du transfert des réserves de Combeloup jusqu'ici, tout se mettra en place dès que les mesures d'exception auront été prises. Mais pour cela, il faut attendre la réunion de tous les habitants du village. En fonction de l'évolution des choses, elle sera convoquée demain ou après demain.
Elle soupira.
-Quant à amener tout le monde ailleurs... Les gens refuseront, pour la plupart. Et quand bien même voudraient-ils : pensez vous qu'il soit bien raisonnable d'entreprendre un tel périple, qui prendra plusieurs jours, alors que les meutes rôdent au dehors ? Elles ne nous laisseront pas passer. Mieux vaut, dès lors, préparer le siège, comme vous le disiez.

[Galathée]

« Je ne voulais pas sous-estimer votre père. J’aurais dû me douter qu’il avait tout prévu. » fit-il, un peu penaud.
Il se sentait terriblement spectateur, c’était une position dont il avait horreur. Avec un peu de malchance, cependant, il y aurait bientôt des blessés dont il faudrait s’occuper. Il réalisa que comme Elisa, il était presque impatient que les hostilités commencent.
« Comment se déroulera cette assemblée ? Les villageois pourraient-ils refuser à votre père le droit de prendre les choses en main ? »

[Taliesin]

-Tous les adultes du village vont être convoqués... répondit l'adolescente. La voix de chacun a le même poids, et les décisions se prennent à la majorité. Cependant, théoriquement, on ne peut pas s'opposer à mon père s'il prend les mesures d'exception : selon la charte, le seigneur de Combeloup n'interfère pas dans les affaires du village, mais il demeure son protecteur et est donc habilité à imposer ses choix stratégiques, en cas de menace grave concernant la sécurité.
Elle s'interrompit, le regard songeur.
-Bon, ceci dit, si la majorité vote contre lui, je le vois mal la contraindre par la force... Il fera son possible pour les protéger malgré eux, déploiera nos hommes... Et advienne que pourra. Enfin, j'espère que les gens ne seront pas assez idiots pour se faire manger tout crus, pour vaquer tranquillement au village tandis que les loups, les ours et je ne sais quoi encore nous fondent dessus.

[Galathée]

Albérich se demanda s’il était depuis assez longtemps au village pour être convoqué, lui aussi. S’il avait l’occasion d’en être, cette réunion serait probablement un bon cadre pour en apprendre davantage sur les clivages dans la communauté. S’il n’était pas trop tard, bien sûr.
« J’espère aussi. » dit-il simplement. « Et j'espère que nous n’en arriverons pas là, mais les beaux rêves se réalisent rarement. »
Il sourit doucement.
« Que puis-je faire pour vous changer les idées ? Idéalement quelque chose qui ne soit pas trop physique. »

[Taliesin]

Elle lui sourit.
-Les possibilités ne sont pas légion... Je crois que vous faites déjà au mieux en m'offrant cette petite conversation. Ce dont je vous remercie.
Elle rit. Un rire un peu jaune.
-Voilà qui fait très dame de la bonne société, non ? Pour un peu, je vais bientôt en être réduite à tenir salon, avec thé, petits gâteaux et discussions légères... Il manquerait un barde, bien sûr, mais certains habitants jouent d'un instrument...

[Galathée]

« Elisa, ne soyez pas si amère. Je sais que les circonstances sont difficiles, mais tôt ou tard, vous serez maîtresse de votre destinée. Vous pourrez être la baronne de votre choix, à cheval toute la journée ou dans votre boudoir, si cela vous amuse. Mais pour pouvoir faire ce choix, il faut en connaître les tenants et les aboutissants. »
Il soupira.
« Je sais. Difficile de tenir ce genre de discours alors que nous ne savons pas de quoi sera fait demain. »
Il se leva, fit quelques pas.
« En soi, c’est presque rassurant. Quand on ne sait pas quoi faire de soi-même… Rien de tel que des événements pour nous cadrer quelques temps. »

[Taliesin]

Elisa fit la grimace.
-Je ne trouve pas qu'ils nous cadrent vraiment. A part nous prouver qu'on n'est pas grand chose, qu'on ne peut pas faire grand chose, nous faire bien sentir qu'on n'a pas vraiment voix au chapitre...
Elle jeta un regard en direction du râtelier d'armes.
-Vivement que ça se décante, en tout cas, et qu'on en vienne aux choses sérieuses. L'attente, c'est minant... Pour tout dire, j'ai hâte d'aller briser l'échine de ces loups, ou de tout ce qui passera à ma portée. Je rois que ça constituera un bon défouloir, à défaut d'autre chose.

[Galathée]

Les appétits guerriers de la jeune fille ne constituaient plus une surprise pour l’ancien clerc, il avait déjà quelque peu cerné cet aspect de sa personnalité. Et d’après ce qu’il avait vu de ses compétences, elle constituerait un adversaire autrement plus coriace que quelqu’un dans son genre à lui. Néanmoins, sous le nombre, même le guerrier le plus émérite finit par crouler. Il n’avait pas encore mesuré cette urgence désespérée qui saisissait peu à peu les Combelupins. Pour lui, tout cela n’était encore qu’un mauvais rêve. Un village décimé par les bêtes sauvages. C’était tellement surréaliste.
« Hugues n’a-t-il plus le temps de venir s’entraîner avec vous ? » demanda-t-il alors.

[Taliesin]

-Plus trop, non... soupira la jeune fille. Il est constamment de sortie, pour les patrouilles. Il a beau fanfaronner un peu en rentrant, dire qu'il est frais comme un gardon et tout prêt à se battre avec moi, je vois bien qu'il est éreinté. D'ailleurs, il n'insiste pas beaucoup quand je décline sa proposition...
Elle se leva, fit quelques pas sans but.
-Non, décidément, je n'ai vraiment rien à faire, ici. Ni personne à qui parler, quasiment... Même Blanche - vous savez, blonde, assez jolie, guère plus vieille que moi... vous avez dû la croiser dans les couloirs... Je crois même que c'est elle qui vous a apporté votre repas, la dernière fois... Enfin bref, Même elle, avec qui je m'entretiens d'ordinaire, semble devenue muette. Enfin, semble être tellement terrifiée qu'elle en a perdu la parole.
Elle secoua la tête.
-Vivement que ça se débloque... Honnêtement, je vais finir par devenir folle, si l'attente continue longtemps.

[Galathée]

« Je pense que les choses se débloqueront bien assez tôt. Je ne sais pas ce que les bêtes attendent… Un geste de notre part ou d’être suffisamment nombreuses pour passer à l’attaque… Vous devriez peut-être voir si vous pouvez vous rendre utile dans les préparatifs pour accueillir d’éventuels villageois. Même si votre père a garni ses garde-manger, je gage qu’il doit rester des aménagements de dernière minute à effectuer. Peut-être rien d’aussi excitant que de croiser le fer avec votre ami le sénéchal, mais des choses utiles, tout de même. »
Il s’interrompit.
« Sinon, vous pouvez peut-être m’aider à confectionner du poison anti-loups avec la pharmacopée de votre ancien précepteur. Ce n’est pas non plus une activité extrêmement défoulante, mais elle pourrait avoir son utilité. »

[Taliesin]

Elisa écarquilla les yeux.
-Vous voulez empoisonner les loups ? Ben ça...
Elle sourit avec un brin de malice.
-D'accord pour les poisons. Non pas que préparer des lits ou veiller au bon rangement des réserves soit inutile, mais... C'est par trop le genre d'activité que l'on attend d'une bonne... maîtresse de maison..
Et de se diriger aussitôt vers la porte.
-Venez, on va passer récupérer le coffret dans les affaires de Bartholomée, puis nous nous trouverons un coin tranquille à votre convenance...

[Galathée]

L’ancien aubemestre emboîta le pas à Elisa, à la fois content de lui avoir trouvé une activité, et inquiet de lui avoir donné une mauvaise impression. Aussi, lorsqu’ils se furent installés dans la tranquillité de la bibliothèque, le coffret à simples auprès d’eux, il se sentit forcé de rectifier ses propos.
« Je voudrais dissiper un malentendu, Elisa. Je n’ai pas l’intention d’attaquer les loups ou de jeter de l’huile sur le feu. J’espère toujours que nous trouverons un autre moyen de régler cette affaire, probablement en sauvegardant ce pacte, mais… mais si nous en venons à un affrontement obligatoire, je sais où se trouve ma loyauté. Et je sais quelles sont les armes dont je dispose. »

[Taliesin]

La jeune fille lui adressa un sourire entendu.
-Je crois qu'on est tous plus ou moins dans le même état d'esprit... On balance entre l'espoir d'éviter le carnage et la nécessité de se préparer malgré tout...
Elle baissa les yeux sur le coffret.
-Bon, je dois admettre que la perspective de rendre la monnaie de leur pièce à ces paltoquets n'est pas sans attraits... Mais pas au point de rechercher à tout prix l'affrontement. Dans tous les cas, s'occuper les mains, l'esprit, fourbir nos armes au cas où... C'est déjà une bonne chose.
En ouvrant la petite réserve d'Eloi, Albérich put à nouveau constater le soin avec lequel le défunt clerc rangeait les différentes plantes, ainsi que la remarquable variété de celles-ci : certaines essences étaient relativement rares, relativement difficiles à trouver... Il avait là de quoi préparer nombre de potions, de simples, de filtres...
Et plusieurs sortes de poison, bien sûr. Quoique, dut-il remarquer, les ingrédients entrant dans leur composition semblaient en moins grande quantité que les autres. Peut-être était-ce une simple impression ; peut-être cela tenait-il seulement à la rareté naturelle de ces constituants, ou au fait qu'ils puissent entrer dans l'élaboration d'autres recettes. Pourtant, alors qu'il en faisait l'inventaire, cette disparité semblait se confirmer...

[Galathée]

Mais Albérich n’en tira pas de grandes conclusions. Les plantes qui entraient dans la composition des poisons avaient toujours une utilité médicinale, sinon un guérisseur n’en aurait eu nul besoin, mais elles étaient généralement plus fortes, souvent traîtres, et en user demandait à la fois savoir et témérité. Les maladies qui requéraient leurs effets étaient rares et l’ancien clerc trouva plutôt rassurant qu’Eloi n’ait pas collectionné ces substances dangereuses. A moins, simplement, qu’on ait récemment prélevé le nécessaire dans le coffret. Il réprima un frisson comme une paranoïa désormais coutumière envahissait à nouveau son esprit. Ce n’était pas impossible. La composition exacte des préparations n’était pas chose connue de la plupart des gens, mais en général, on mettait très tôt les enfants en garde contre les propriétés de l’une ou l’autre plante commune.
« Bon. Il n’y a en réalité pas grand chose à faire. »
Il hésita un instant. Allait-il se servir d’Elisa comme d’une petite main, ou risquerait-il de lui enseigner certains détails de son art ? Il la dévisagea une seconde, la jaugeant mentalement. Puis il haussa les épaules.
« Je ne suis pas expert en empoisonnement, et encore moins en empoisonnement de loups… Je ne suis donc pas certain des doses qui seront nécessaires… et nous ne pouvons de toute façon que préparer des mélanges… En attendant de voir comment les choses tourneront. »
Ils s’étaient munis d’une série de fioles vides qu’Albérich disposa sur la table qui jouxtait la fenêtre. Il sortit ensuite ce dont il avait besoin.
« Du gui. Du muguet. Ça devrait suffire. »
Il se tourna vers la jeune fille.
« Avez-vous un jardin d’agrément quelque part au château ? Où pousseraient des jonquilles ? »

[Taliesin]

-Du qui, du muguet, des jonquilles ? s'exalama Elisa. Même pas de ciguë ou de mandragore ? Et bien, l'art des empoisonneurs est moins épique que je ne l'aurais cru...
Elle fit la moue, plus par jeu que par réelle déception.
-Hum, quant à votre question... Eloi faisait pousser quelques plantes derrière le château. Et la cuisinière y a son potager. Mais je ne crois pas que cela colle au descriptif "jardin d'agrément". En revanche, la plupart des gens en ont un, au village.

[Galathée]

" Oh, un réel empoisonneur aurait certainement de la ciguë ou de la mandragore, sans doute le venin de quelques insectes ou serpents... Mais un guérisseur n'a que faire de ces substances... Son métier est de guérir, pas de tuer. Le gui et le muguet sont utiles pour soigner quelques affections de la poitrine. C'est ce qui explique qu'Eloi en ait dans sa pharmacopée. Il ne faut pas non plus oublier que ce qui est toxique pour l'homme ne l'est pas forcément pour le chien, ou le loup, et inversement. Du gui et du muguet, je suis sûr, dans la situation qui nous intéresse. Cela dit, je ne pourrais jurer de leur effet sur un ours, un sanglier ou un aigle. Quant aux jonquilles... Ma foi, nous nous en passerons."
Il lui tendit l'une des fioles et l'invita à y mélanger les simples.
" Si nous devions les utiliser, il faudra en farcir de la viande, bien sûr. Il sera sans doute nécessaire d'y adjoindre quelque chose, pour que le goût et l'odeur ne trahissent pas nos intentions. Et même si le dosage n'est pas parfait, les troubles que cela occasionnera à la bête qui s'en repait suffiront à en faire une cible facile."

[Taliesin]

L'adolescente le dévisagea un instant, puis porta son attention sur la fiole, les plantes... avant de hausser les épaules, visiblement amusée.
-C'est une façon fort peu conventionnelle de combattre l'ennemi... dit-elle avec un sourire en coin. Pas le genre de stratégie qu'on enseigne dans les ouvrages liés à la chevalerie, où honneur et droiture seuls ont droit de cité... Mais enfin, à la guerre comme à la guerre, comme on dit ! Cette technique aura le mérite d'être originale, potentiellement ravageuse... et elle a un je ne sais quoi de loufoque qui n'est pas pour me déplaire.
Sans plus ajouter de commentaire, elle commença à remplir les fioles. Elle avait le geste sûr, les doigts habiles, et se révéla assez bonne observatrice, adaptant les proportions de ces mélanges d'après celles que réalisait Albérich.

[Galathée]

« Je me doutais que vous verriez mes méthodes retorses d’un mauvais œil. Mais le combat n’est pas égal de toute façon : les loups se serviront de crocs dont nous ne disposons pas, et ils attaqueront en groupe, sans se soucier des règles du duel… Je n’attends pas de leur part grande noblesse, ce sont des animaux. Nous ne joutons pas, nous livrons bataille pour survivre. Personnellement, je ne suis pas impatient de sentir à nouveau leur haleine sur mon visage. »
Il eut un léger sourire en rebouchant la dernière fiole.
« Voilà, nous ne pouvons pas en faire plus pour l’instant. Sans doute Ada a-t-elle des réserves de son côté, mais je doute qu’elle apprécierait mon initiative. Nous nous en contenterons donc pour commencer. »

[Taliesin]

-Oh, elle vous ouvrira les portes de ses réserves si les choses dégénèrent, je n'en doute pas... Elle espère encore préserver le pacte, attend sans doute que l'esprit se manifeste... fera tout pour retarder les décisions trop définitives... Mais elle ne nous abandonnera pas. Du moins, je ne le pense pas, moi. Ne vous a-t-elle pas aidée, quand les loups vous ont attaqués ?
Elle observa, assez satisfaite, le résultat de leur travail.
-Quant à vos méthodes... Non, je ne les vois pas d'un mauvais œil. Elles me plaisent même plutôt... Mon père est un vrai chevalier, droit loyal... Moi... Et bien, j'essaie de ne pas le décevoir, mais j'ai tendance à être plus pragmatique. A la bataille, un coup fourré peut s'avérer fort utile, de même qu'une botte vicieuse l'est assurément, en escrime.

[Galathée]

« Je ne doute pas qu’Ada fera tout ce qui est en son pouvoir pour préserver un maximum d’entre nous. Mais elle trouvera sans doute que j’anticipe un peu trop… »
Il eut un léger sourire et se leva pour ranger leur matériel.
« Se laver les mains est une précaution vitale, à présent, sinon nous finirons empoisonnés avant nos loups. » ajouta-t-il. « Où pourrions-nous stocker ces fioles ? Je dois dire que pour l’heure, je préférerais que cela reste entre nous. Je crains les humeurs belliqueuse de certains et il serait dommage d’être responsable d’une escalade… »

[Taliesin]

-Bah, les belliqueux, c'est d'épées ou de pieux qu'ils se serviraient ! protesta Elisa. Mais si vous préférez, nous garderons le secret. Et comme lieu de stockage... Et bien... Si vous ne voulez pas les remporter, je crois que le mieux, c'est de les garder dans ma chambre. Les serviteurs ne fouillent pas dans mes coffres. Et le feraient-ils... Ils ne sont pas forcément au courant de ces histoires de doubles-fonds.
Elle se leva.
-Bon, mais autant ne pas s'attarder ici, dès lors. Histoire d'éviter les rencontres ou les questions malvenues.

[Galathée]

Albérich emboîta le pas de la jeune femme alors qu’elle l’entraînait dans les méandres du donjon. Les petits préparatifs auxquels ils s’étaient livrés auraient peut-être leur utilité, mais ils ne l’avaient en rien avancé dans son enquête sur les causes de cette crise. Elisa, comme Umberto, comme Ada, semblait se préparer sans enthousiasme à l’affrontement. Tout en cheminant, le Luménien songea à nouveau à la possibilité d’aller de chaumière en chaumière, à la recherche d’un signe… mais de quoi ? D’un tronc ? D’une carcasse ? Et il s’imaginait mal se transformer en fouineur : il n’avait rien d’un roublard, ni la dextérité, ni l’œil vif. Non, il lui fallait procéder autrement, amener les gens à lui confier ce qu’ils savaient… s’ils savaient seulement quelque chose.
Ils étaient arrivés devant la chambre de la jeune fille et Albérich lui tendit les fioles qu’il transportait.
« Je vous attends. » fit-il, tandis qu’elle poussait la porte.

[Taliesin]

-Comme vous voulez... fit Elisa en haussant les épaules.
Elle s'empara des fioles puis se glissa à l'intérieur. refermant la porte derrière elle. Albérich entendit quelques bruits diffus, à l'intérieur, un vague raclement, puis la jeune fille reparut, les mains vides.
-Voilà qui est fait, dit-elle. A moins que je ne sois prise d'une soudaine crise de somnambulisme durant la nuit et que je ne confonde le coffre avec ma table de chevet, puis les fioles avec ma carafe d'eau, celles-ci sont en parfaite sécurité.

[Galathée]

« Ne parlez pas de malheur. » soupira l’ancien clerc en la suivant à nouveau alors qu’ils redescendaient vers la salle de garde.
« J’ai compris que vous aspiriez à quitter la vie étriquée que votre position vous promet à Combeloup… Pourtant, d’autres viennent s’installer dans ce petit coin de nulle part. » reprit-il alors qu’ils atteignaient leur point de départ, sur le ton de la conversation. « Je connais mes motivations, je comprends celles d’Umberto, mais je dois avouer que celles de Hugues des Essaims me semblent plus obscures. J’aurais imaginé qu’un jeune homme de sa trempe aurait lui aussi souhaité s’attacher à des régions plus tumultueuses plutôt que de briguer une position au milieu de rien. Savez-vous ce qui l’a poussé à s’installer ici ? »

[Taliesin]

-Ce qui l'a poussé ? Tout simplement sa famille et le manque d'autres opportunités ! répondit la jeune fille sans se démonter. Vous n'êtes pas sans savoir que dans les familles nobles, l'aîné hérite de tout, que le cadet va dans l'armée, et le troisième dans les ordres. C'est le schéma traditionnel, du moins. Qui n'est plus très souvent appliqué... Ce qui ne change pas, en revanche, c'est le fait que l'aîné rafle l'essentiel, et que les autres se contentent de miettes. Si miettes il y a. C'est... pour éviter la dispersion des patrimoines, le morcellement des domaines...
Elle sourit.
-Vous voyez que je peux être bonne élève et répéter les leçons qu'on m'a patiemment fait entrer dans le crâne... Mais pour en revenir à Hugues, donc... Il est le troisième de sa fratrie, n'avait rien à espérer comme héritage, ne se sentait guère d'attrait pour les ordres et trouvait le fait de servir son frère un peu dur à avaler. Bref : sa famille l'a expédié ici sitôt qu'elle a appris que mon père cherchait un écuyer, bien heureuse de se débarrasser de l'impétueux rejeton qui renâclait un peu trop...