[Lieu] Edhoras

[Galathée]

Le terrain semblait former un repli un peu plus loin, et Taliesin perçut le frémissement discret d'un petit cours d'eau. Au travers du rideau de pluie, il devina quelques arbres, mais il était difficile de savoir s'ils offraient un réel couvert. Ils étaient en tout cas hors de vue des mercenaires retranchés dans leur campement. Tant qu'il ferait nuit et humide, ils ne quitteraient sans doute pas leur position.
" Qu'est-ce qu'on fait du cadavre ?" demanda l'arbalétrier, en redressant Victor de la pointe de la botte.
" Faudrait l'enterrer, parce qu'il va attirer la vermine."
" On peut le griller, non ? Si on le débite, ça ira vite." dit le troisième.
Il se déplaça jusqu'à l'endroit où gisait toujours le corps de Hans et l'attrapa par les pieds, avant de le tirer vers le feu, juste en face de Victor.
" Tu vas voir, gamin, c'est tout un spectacle."
" Garde ses fringues, quand même."
" Tu parles, avec tout le sang qu'il a pissé, y'a plus rien d'récupérable."
Puis il sortit une hache et se mit au travail en sifflotant.

[Taliesin]

Réfléchir.
Ne pas penser, cependant, à ce que pouvait éprouver Victor. Sous peine d'être paralysé, privé de tous ses moyens.
Ténèbres. Charge, Fuite.
Retraite, Coursier fantôme... Et peut-être enchanter une branche pour qu'elle génère une orbe d'obscurité... Le sort le permettait.
Deux options, pour l'heure les seules qui lui venaient à l'esprit.
Il eut une autre idée, cependant, qui pourrait faciliter le premier projet, au moins. Il pouvait déplacer des objets à distance. L'incantation était brève, pouvait passer inaperçue... Alors, s'il faisait choir une torche pour embraser l'abri, pour faire paniquer les chevaux...
Il étudia la possibilité. Observa le terrain.
En essayant d'ignorer l'angoisse qui lui nouait les tripes.

[Galathée]

Déplacer une torche jusqu'à la bâche devait être possible, d'autant que deux d'entre elles étaient fichées à l'entrée de l'abri. Néanmoins, il n'était pas certain que le brasier effraie les chevaux, qui n'y étaient pas directement adossés, et la pluie risquait de transformer le feu de joie en quelques étincelles malingres. C'était imprévisible. La bâche était manifestement détrempée, peu propice à s'enflammer.
Le mercenaire débitait toujours le cadavre de Hans, et jetait les morceaux dans le feu au fur et à mesure de son travail. Une odeur de chair grillée commença à se répandre dans l'air tandis qu'il avançait. Quand il arriva à la tête, il s'immobilisa une seconde puis la saisit par les cheveux et la lança sur Victor qui, les yeux exorbités par l'horreur, essaya de se protéger. Mais les mains prisonnières, il ne put l'éviter, et il fut fauché comme une quille, retombant à nouveau dans la fange.
" Ah, manque de réflexes !" s'exclama le boucher, d'un ton moqueur.
Celui qui surveillait l'enfant parut hésiter à le relever, puis finit par poser sa botte sur son dos, le plaquant au sol. Victor se débattit et tourna la tête sur le côté pour ne pas s'étouffer dans la boue.
" Tu f'rais aussi bien de dormir, mon gars. Ton heure de coucher est passée depuis un moment, non ?"

[Taliesin]

Faire abstraction de ce qui se passait sous ses yeux devenait de plus en plus difficile. d'autant qu'il craignait que les mercenaires, las d'attendre, ne commencent à rivaliser d'imagination pour tourmenter Victor, afin de se distraire.
L'impatience, cependant, la tension pouvait leur faire commettre des erreurs. Lui offrir des ouvertures, des marges de manœuvres... Il avait renoncé à son idée d'incendie, encore plus hasardeuse que les deux autres pistes qui seules semblaient offrir quelques chances de réussite.
Quelques.
Se montrer patient, guetter. Se fermer au reste.
Il y aurait forcément une ouverture, aussi mince fût-elle. IL ne savait pas de quelle manière elle interviendrait, mais... Il se raccrochait à cette certitude. Alors, selon les cas, il chargerait ou se replierait pour mieux revenir.
Attendre. Guetter. Ne pas se laisser dominer par la haine qui croissait à l'encontre des mercenaires, par les souffrances qu'endurait Victor.

[Galathée]

L'un des mercenaires scrutait toujours les alentours, mais le second s'était rapproché de son compère arbalétrier qui maintenait toujours Victor au sol. Il s'accroupit et posa sa grosse main calleuse, couverte du sang du Manostien, sur la joue du petit garçon.
" Tu crois qu'il va revenir, ton pote ? Moi je pense qu'il s'est tiré la queue entre les jambes, pour sauver sa peau. Pourquoi qu'y r'viendrait pour un moutard dans ton genre ? Après tout, si tu t'coltines un elfe, c'est d'jà que ta propre famille n'a pas voulu t'garder, y m'semble."
" Il est orphelin." intervint Brune depuis l'abri.
" Orphelin ? Ben ça. Pas d'bol, gamin. Et l'elfe, là, comment qui trouve son compte avec toi ?"
Il lui asséna une grande claque sur les fesses.
" J'devine bien, pas besoin de répondre."

[Taliesin]

Ne pas écouter.
Et prier pour que Victor ne sa laisse pas atteindre.
Mais comment le pourrait-il ? Ces brutes mettaient volontairement le doigt là où ça faisait mal, usaient d'une violence mentale pire, peut-être, que les mauvais traitements qu'ils lui infligeaient.
Et ce qu'ils avançaient le faisait bouillir, lui, ravivait, comme s'il en était besoin, la colère et la haine qui brûlaient déjà, à peine muselées.
Il en venait même à se demander si ces hommes et leur chef n'avaient pas fait partie des clients du Furet. N'étaient pas à l'origine des rumeurs immondes qui avaient circulé...
Mais Moira les aurait identifiés, non ? Lui aurait rapporté la présence d'étrangers louches...
Sauf si elle lui en voulait de l'avoir éconduite.
Ne pas y penser. Ne penser à rien de tout cela.
Se concentrer sur le plan.
S'il s'éloignait, s'il revenait à la charge, tambour battant, ils se masseraient tous autour de Victor. L'empêcheraient de l'atteindre, même dans les ténèbres. Il n'était pas armé. N'aurait pu tous les défaire, même s'il l'avait été...
Et charger dans l'instant... Ils étaient deux, tout proches de l'enfant. Plus une sentinelle, à peine plus éloignée. Sans compter Brune, sous l'abri. Elle et d'autres, peut-être : il ne pouvait rien voir de ce qui se dissimulait sous la bâche.
Sans doute attendaient-ils, arcs bandés, lames nues, qu'il fasse son apparition.
Qu'il se jette dans la gueule du loup.
Que faire, alors ?
Que faire, bons dieux ?
Il ne pourrait pas rester éternellement à attendre. Laisser Victor souffrir, par sa faute.
Encore.
Ne pas penser à ça non plus...
Il fallait créer une diversion. Tenter d'en attirer quelques uns loin du petit garçon.
Fébrile, il regarda les environs. Cherchant une pierre à faire dégringoler,..
Et pourquoi pas les torches, au final ?
Rester calme, surtout...

[Galathée]

L'arbalétrier finit par lâcher Victor mais celui-ci ne se releva pas pour autant. Il resta allongé dans la fange, haletant, le visage tourné vers le coche, invisible pour Taliesin.
" Il pleure, c'est malin." commenta le boucher.
" J'lui ai rien cassé." répondit son complice.
Le troisième continuait de scruter la nuit.
" Ils vont en faire quoi, quand ils le récupèrent ?"
" J'en sais rien." dit Brune. " Probablement pas grand chose. Il s'est déjà enfui d'un Temple, apparemment."
" Ça, j'peux pas le blâmer."
" On leur fait quoi, aux gosses qui se tirent du temple, pour leur en faire passer l'envie ? Le fouet ? On les enchaîne dans une cellule avec des bouquins chiants ?"
" Ça dépend le dieu, sans doute. Lathandre pardonne, j'imagine."
" C'était un temple d'Oghma."
" Les bouquins chiants, c'est garanti."
" Tu crois qu'il a besoin de tous ses doigts, pour devenir prêtre d'Oghma ?"
" Ils écrivent beaucoup, c'est des intellos."
" Ah. Alors il doit sans doute garder ses yeux, sa langue aussi."
" Pour chanter."
" Ah oui, chanter. Mais est-ce qu'il a besoin de ses couilles ?"
" Sans doute que non."
" Je propose qu'on commence par les oreilles."
" Quoi les oreilles ?"
" Puisqu'il aime tant les elfes, qu'est-ce que tu dirais qu'on lui taille les oreilles en pointe ?"
" Ah, ça me paraît une chouette idée. Brune ?"
La jeune femme ne répondit rien.
" Qui ne dit mot consent !" s'exclama le boucher en prenant un couteau à sa ceinture.
Il s'approcha de Victor, posa un genou sur sa tête pour la maintenir au sol et attrapa son oreille de sa main gauche. Le gamin poussa un cri d'horreur et tenta de ruer mais l'arbalétrier avait déjà reposé la botte entre ses omoplates, et le maintenait de tout son poids.

[Taliesin]

Il ne pouvait plus attendre.
Il n'y avait pas d'ouverture. On l'attraperait forcément : sinon, pourquoi Brune demeurerait-elle ainsi dissimulée ? Il y avait anguille sous roche...
Qu'importe. Il ne pouvait pas laisser Victor se faire torturer. Les coups, les mots, il avait pu tenir, en serrant les dents.
Là, s'en était trop, cependant...
Alors, il pointa du doigt un gros caillou, situé le plus loin possible de sa position.
Incanta, dans un murmure à peine audible.

Taliesin --> Manipulation à distance --> caillou.

Avec un bruit caractéristique, la pierre, délogée comme si on l'avait frôlée du pied, dégringola, en entraînant d'autres dans sa chute.
Prier pour que les mercenaires s'y laissent prendre.
Se laissent prendre à une ruse aussi éculée ? Quelles étaient les chances, franchement ?

[Galathée]

Le subit fracas fit bondir les hommes. Brune resta sous la bâche, mais l'arbalétrier leva son arme vers l'endroit où les rochers s'étaient abattus.
" J'vais jeter un oeil." fit le guetteur.
" Bouge pas, Conrad !" lança le boucher tout en relevant Victor contre lui, le couteau toujours à la main.
Le gamin avait le visage noir de terre, dans lequel s'ouvraient ses yeux clairs effrayés. Le mercenaire qui le tenait se pencha et lui murmura quelque chose à l'oreille, ce qui le fit gémir.
Le premier homme avait sorti son épée et marchait à présent lentement dans la direction de l'éboulement, couvert par l'arbalétrier. Conrad était debout sur son toit. Brune silencieuse et invisible.

[Taliesin]

Un seul s'était déplacé.
Mieux que rien. Mais pas grand chose.
Que faire ? Poursuivre quand même ? Attendre, maintenant qu'ils avaient abandonné, pour un temps, leurs projets de torture ?
Mais ils y reviendraient. Et l'homme parti en éclaireur ferait peut-être le tour des rochers.
Le barde grimaça. Ferma les yeux, un instant, cherchant à puiser encore un peu de lucidité au milieu de son angoisse, de sa colère.
Tant pis. Il devait tenter le tout pour le tout. Plus le temps passait, moins il avait les pensées claires.
Alors, le plus bas possible, il se mit à nouveau à incanter.
La bâche recelait un piège ? Et bien, il allait en avoir le cœur net.

Taliesin --> Convocation de monstre III --> Entrée de l'abri

Si cela marchait, si on lui laissait lancer son sort, il faudrait agir vite, ensuite. Très vite.

[Galathée]

Pendant les premières secondes de son incantation, Taliesin fut tranquille. Mais certaines des inflexions nécessaires au lancement du sortilège étaient plus sonores, et malgré la concentration qu'il y mit, sa voix perça une seconde le rideau de pluie.
" Il est par là ! Je l'entends !" beugla Conrad en désignant approximativement sa direction.
L'homme qui tenait Victor ne bougea pas d'un centimètre.
" Il est en train de lancer un sort !"
L'arbalétrier fit volte-face et tira au jugé. Taliesin était toujours plongé dans sa récitation et il entendit le trait siffler dans l'air. Il le manqua de peu. Il ressentit une vague sensation de brûlure à l'épaule droite, mais rien de susceptible à interrompre sa litanie.
Une seconde plus tard, l'élémentaire de feu, fidèle au poste, surgit dans les ténèbres, embrasant d'un coup la nuit noire. Brune poussa un cri de surprise, sans pour autant surgir de sa retraite, et l'homme qui tenait Victor poussa un juron. Conrad était en train de descendre du coche, le guetteur revenait, l'arbalétrier était en train de recharger son arme.

[Taliesin]

Il était trop tard pour reculer, désormais.
Il fallait continuer. Avec célérité, précision et sang froid.
Mission presque impossible, mais... Il n'avait pas le choix.
Mentalement, il ordonna à l'élémentaire de pénétrer dans l'abri, de combattre tout ceux qui s'y trouvaient et, si possible, d'incendier tout ce qui passerait à sa portée. Peut-être cela réduirait-il à néant un éventuel piège...
Puis, sans plus perdre un instant, il incanta à nouveau. Les autres étaient loin de lui. l'arbalétrier devait recharger son arme. Il avait donc une petite chance de réussir avant d'être frappé par un carreau...

Taliesin --> Pyrotechnie --> Caillou

Il avait renoncé au sort "Ténèbres", par peur d'être lui-même affecté. Avait opté pour un autre, dont les effets ne le ménageraient pas, certes... Une épaisse fumée, aveuglante, étouffante. Un cloaque dans lequel il devrait se jeter, avancer au jugé. En espérant qu'il avait assez bien repéré la configuration des lieux, la position des mercenaires...
"En espérant" ? Comme si espérer lui avait déjà apporté quoi que ce soit...

[Galathée]

La fumée se dégagea en épaisses volutes, embrumant immédiatement la zone contigüe à la torche. De grosses quintes de toux résonnèrent dans l'air froid. Mais on n'y voyait plus grand chose. Conrad était hors de la zone enfumée, indécis, tout comme le guetteur, mais que Taliesin ne pouvait plus apercevoir. L'Elémentaire de Feu avait embrasé la toile de la tente et des cris s'en échappaient. La brume âcre rendait la situation de plus en plus confuse.
Lorsque l'elfe se jeta dans la mêlée, yeux plissés, tissu humide sur la bouche et le nez, il déboucha non loin de l'endroit où auraient dû se trouver Victor et son bourreau, mais ils s'étaient déplacés. Taliesin devina leur silhouette dans la lueur de l'Elémentaire : ils allaient vers Brune.

[Taliesin]

Les yeux larmoyants, réprimant tant bien que mal la toux que provoquait l'irritante fumée, Taliesin se lança à ses trousses. Il n'était pas armé, ce qui était un énorme handicap, mais il avait dans l'idée de s'emparer de l'une des torches qui marquaient l'entrée de l'abri. Il pourrait s'en servir pour brûler son adversaire, pour enflammer ses vêtements... Pour le déconcentrer, en somme, le pousser à lâcher Victor. Si cela s'avérait impossible, s'il y avait trop de monde à proximité, les hommes qui, potentiellement, se dissimulaient sous la bâche, il n'irait pourtant pas se jeter dans la gueule du loup. Demanderait à l'élémentaire de continuer son œuvre, reviendrait sur ses pas pour tenter de désarmer l'un des autres mercenaires, de récupérer son arme et d'éliminer, autant que possible, tous ceux qui passeraient à sa protée.
Il serait toujours temps d'aviser, ensuite...

[Galathée]

Taliesin n'eut aucune difficulté à s'approcher de l'homme qui tenait toujours Victor. Cependant, lorsqu'il fut quasiment à sa hauteur, le mercenaire se retourna, poussant le gamin derrière lui, à l'intérieur de la tente. Il était manifestement aveugle, mais son couteau était pointé devant lui, et il était campé sur ses jambes comme un combattant aguerri. Il était difficile de discerner le petit garçon dans les lueurs éclatantes de l'incendie, couplées aux lourds voiles de la brume empoisonnée. L'Elémentaire de Feu était toujours aux prises avec quelque chose, on devinait sa silhouette parmi les flammes.

[Taliesin]

Il ne pouvait discerner ce qui se passait exactement sous la tente. Savait juste que Victor se trouvait à l'entrée, séparé de lui par le mercenaire...
Un obstacle à éliminer au plus vite.
Alors, il fit quelques pas, s'empara de la torche dont il s'était approché, se déplaça à nouveau et, se fendant d'un assaut subit, porta la flamme vers la main de l'homme, celle qui tenait le couteau.
Le désarmer, d'abord, pour éviter une contre-attaque potentiellement destructrice. Lui régler son compte, ensuite...

[Galathée]

S'il n'y voyait goutte, le mercenaire sentit la chaleur de la flamme avant d'être frappé. Il fit un mouvement en arrière, leva sa main libre pour dévier l'objet, mais ne parvint qu'à se brûler davantage. Il poussa un glapissement en lâchant son couteau, mais se porta immédiatement en avant pour agripper le barde. Il ne brassa que de l'air. Taliesin voyait sa silhouette à contrejour, mais l'agresseur, lui, ne voyait rien. L'un et l'autre toussaient, cependant, et l'elfe devinait que ses yeux subiraient le contrecoup de cette initiative.
De la périphérie du nuage provenaient des jurons et des interpellations. Apparemment, les autres mercenaires ne savaient pas comment agir, peu désireux d'aller s'empoisonner dans la fumée suffoquante.
Puis, brusquement, il y eut un craquement et la bâche s'affaissa, soulevant une montagne d'étincelles. Un cri aigu s'éleva, épouvanté, chargé d'une souffrance sans limite. Puis un second hurlement lui succéda, beaucoup plus proche, et beaucoup plus familier.

[Taliesin]

Une vague d'angoisse folle saisit le barde, le paralysant un instant.
Se pouvait-il...
Il n'était pas trop tard. Il refusait d'imaginer qu'il le soit.
Il serra les dents. Serra les doigts autour du manche de la torche. Tenta de faire le vide dans son esprit.
Il fallait qu'il agisse, tout de suite. Il n'avait que trop traîné...
Alors, il bondit en avant, son flambeau brandi en direction du visage de son adversaire. Le feu ne suffirait sans doute pas, mais il avait bien l'intention de le percuter de tout son poids, de le faire basculer en arrière, se raccrochait à l'idée que la douleur et la surprise le mettraient hors d'état de nuire assez longtemps pour qu'il puisse récupérer Victor...

[Galathée]

L'homme était beaucoup plus lourd que Taliesin mais celui-ci avait l'avantage de l'élan et de la détermination. Lorsque la torche l'atteignit en plein visage, il poussa un cri de bête blessée, recula d'un pas, ce qui le déséquilibra et l'envoya rouler sous son adversaire. Mais il n'avait pas perdu tous ses réflexes. Comme l'elfe prenait appui sur lui pour mieux se relever, il lui attrapa la cheville, ce qui fit chuter Taliesin dans la boue. Devant eux, ce n'était plus que brasier. L'élémentaire revenait en arrière, et quitta finalement la zone de fumée, manifestement satisfait de son travail.
Le cri qui avait glacé Taliesin s'était tu. On n'entendait plus que le crépitement des flammes.

[Taliesin]

La tête lui tournait. Des papillons sombres dansaient devant ses yeux embués. A cause du choc. A cause, aussi, de la fumée âcre qui lui emplissait les poumons.
Ce n'était pas le moment de flancher, pourtant.
A tâtons, ses mains parcoururent le sol, à la recherche d'une pierre. Il en trouva une, la saisit, se mit à frapper avec force le poignet de son agresseur, pour le faire lâcher prise.
Dans le même temps, il ordonna à l'élémentaire de venir à son secours, d'achever le mercenaire...
Il fallait faire vite.

[Galathée]

La créature de flammes fit volte-face et se rua sur le mercenaire. Celui-ci n'eut pas réellement le loisir de se dégager : au sol, il poussa un cri désarticulé puis disparut dans la fournaise. Taliesin put alors se relever tant bien que mal. La chaleur était intense, insoutenable, et l'odeur caractéristique de la chair calcinée flottait dans l'air, écoeurante. La pluie combattait le brasier en grésillant mais sans réel effet.
Victor gisait quelques mètres devant lui, face contre terre, immobile. La tente s'était affalée devant et autour de lui, peut-être en partie sur lui, même s'il semblait, de loin, indemne.

[Taliesin]

L'elfe s'avança à pas prudents, lorgnant le cloaque autour de lui. Certes, il y avait eu ce cri, l'élémentaire avait bien fait son travail et rien ne semblait bouger dans les décombres. Mais il préférait ne pas se faire surprendre une nouvelle fois. Cela aurait été désastreux.
Arrivé près de l'enfant, il s'agenouilla, résista à l'envie de le prendre aussitôt dans ses bras, préférant vérifier, d'abord, qu'il n'était pas blessé, pouvait être transporté...

[Galathée]

Victor était toujours attaché et sa peau comme ses vêtements étaient brûlants. Il était inconscient. Lorsque Taliesin lui toucha l'épaule pour le retourner doucement, il poussa un gémissement misérable, tout son corps fut animé d'un tressaillement. Puis l'elfe reconnut l'odeur avant de contempler, troublement, à la lueur infernale du brasier qui crépitait toujours autour d'eux, l'étendue des dégâts.
L'enfant était brûlé sur tout le côté droit, au visage, au torse, au bras. Ses vêtements s'étaient manifestement enflammés, et seule la boue humide avait permis qu'il ne s'embrase pas complètement. Il était difficile, dans cette lumière dansante, flamboyante, de véritablement mesurer l'état dans lequel il se trouvait, mais de prime abord, les choses étaient graves. Cependant, la fumée commençait à se dissiper. Ils seraient bientôt exposés aux regards des autres mercenaires.

[Taliesin]

L'elfe ne put réprimer une plainte sourde, viscérale.
En voulant sauver l'enfant, il lui avait fait plus de mal que tous les brigands réunis.
Mais il repoussa la culpabilité qui l'étreignait. La colère, aussi.
Rien n'était irréversible. Il pouvait lancer des sorts de soins. Dénicher un clerc, le cas échéant...
Et pour l'heure, il fallait parer au plus pressé : se soustraire à la vue du reste du groupe. La fumée ne les protégerait plus longtemps. Et s'il tentait de s'esquiver, simplement, de grimper sur les rochers entourant le bivouac, il y avait toutes les chances pour qu'il soit repéré aussitôt.
Il n'y avait qu'une seule solution.
Taliesin ferma les yeux. Tenta de nier les sentiments qu'il éprouvait. Le tournis qui faisait vaciller le monde. Sa gorge sèche, irritée. La chaleur, accablante...
Et il tenta d'incanter. C'était là la seule échappatoire...

Taliesin --> Invisibilité --> Taliesin

Si cela marchait... Si cela marchait, il prendrait Victor dans ses bras. Se ferait aussi silencieux qu'une ombre. S'éloignerait. Vers le coche, sans doute, pour essayer de récupérer leurs affaires... Ses armes...

[Galathée]

Taliesin parvint au bout de son incantation, en dépit de la fumée qui lui piquait la gorge et embuait ses yeux, de la chaleur de la fournaise, de son trouble, aussi, qui n'était pas propice à la concentration. Il entreprit ensuite de soulever l'enfant et s'apprêta à repartir vers le coche, lorsque la fumée se dissipa. Heureusement pour lui, le véritable incendie continuait à faire rage et brouillait l'espace de tremblements et de crépitements, ce qui attira davantage l'attention des mercenaires survivants que sa silhouette découpée par la pluie. Il était debout au milieu du campement. Conrad poussa un cri en découvrant le corps du boucher, calciné, et il se rua vers les vestiges de la tente, à la recherche désespérée de celle qui était peut-être vraiment sa tante. L'élémentaire de feu était aux prises avec les deux autres mercenaires qui petit à petit, semblaient en venir à bout. La créature était lardée de carreaux d'arbalète et l'épéiste parvenait à la maintenir à distance.
Si Taliesin avançait avec prudence et discrétion, il pourrait sans doute quitter le cercle de rochers sans se faire remarquer. Il était plus hasardeux d'espérer dévaliser le coche dans l'immédiat, cependant.

[Taliesin]

Se replier loin des regards, loin des mercenaires. C'était le plus urgent.
Il ne pourrait sans doute pas parcourir une grande distance. Des recherches, peut-être, seraient organisées pour lui remettre la main dessus.
Mais cela ne changeait rein, dans l'immédiat. Et leurs affaires pouvaient attendre. Ils pourraient même faire sans, un temps...
Se replier. Tout de suite, et discrètement.
Il se mit donc en devoir de s'exécuter, surveillant du coin de l'œil les hommes aux prises avec l'élémentaire, veillant à ne rien bousculer sur son passage, à ne faire rouler aucune pierre...

[Galathée]

Mais les trois mercenaires survivants avaient d'autres chats à fouetter et Taliesin put s'esquiver sans difficultés. Même lorsqu'il trébucha dans un trou dissimulé par des hautes herbes, personne ne prêta attention au gémissement que lâcha faiblement Victor. Il retrouva la steppe détrempée, immense, dépourvue du moindre point de repère. Aucune lueur dans le lointain, les hauts plateaux au sud et au nord, la nuit qui semblait éternelle. Il prit conscience du froid et de l'humidité. De la désolation environnante. Du fracas qui résonnait encore derrière lui.

[Taliesin]

S'éloigner le plus possible, avant qu'on ne commence à le pourchasser.
Il mit le cap vers les arbres qu'il avait entrevus alors qu'il guettait aux abords du bivouac. Vers le cours d'eau dont il avait cru entendre le murmure. Il en suivrait les berges. Pénétrerait peut-être dans son lit, pour dissimuler ses traces : impossible de savoir s'il y avait de bons pisteurs, parmi les mercenaires. Et, dans tous les cas, ainsi, il ne se perdrait pas dans ces étendues désolées. Pourrait revenir en arrière, plus tard, pour tenter de récupérer leurs sacs, ou du matériel abandonné par les hommes de Brune.
Mais pour l'heure, s'éloigner. Vite.

[Galathée]

Taliesin atteignit sans difficulté le ruisseau. L'averse en avait gonflé les flots, il rugissait et bondissait entre des berges spongieuses où poussaient quelques arbres malingres, sans doute malmenés par les grands vents qui s'engouffraient dans la vallée. Il put suivre son cours, même s'il dut parfois effectuer de larges détours pour ne pas s'enfoncer dans des zones marécageuses d'apparence traître, dont la vase recelait peut-être des sables mouvants. Au bout d'une petite trotte sous la pluie battante, il finit par repérer un nouveau groupe de rochers, de l'autre côté du ruisseau, certainement invisibles à l'oeil humain, mais que son regard d'elfe, larmoyant et irrité, pouvait distinguer. De plus près, ils semblaient former une structure ordonnée mais que le temps avait brisée, peut-être les vestiges d'un ancien temple.

[Taliesin]

Il hésita. C'était le premier endroit où viendraient le chercher les mercenaires. Mais il ne pourrait pas aller bien plus loin : il était épuisé, gelé jusqu'à la moelle, et devait penser à Victor qu'il fallait soigner. De plus, il n'était pas impossible que leurs adversaires, échaudés par son attaque, décident de ne pas lui courir sus...
Il finit donc par gagner le bord immédiat de la rivière, cherchant, du regard, un endroit propice à la traversée.