[Lieu] Dansedunes

[Galathée]

Albérich se laissa porter par la bonne humeur de la soirée, intervenant quand il était sollicité, mais se contentant, la plupart du temps, d'écouter les échanges des autres. La nourriture était délicieuse et la compagnie plaisante. Lui-même oscillait entre des moments d'intense acuité et d'autres où il se sentait flotter dans une brume trouble. Il était généralement concentré sur ce qui se racontait, mais dérivait de temps en temps dans ses propres pensées. Aussi chaleureuse soit la famille de Thibault, elle le renvoyait à la sienne, et le vague à l'âme le saisissait pendant quelques minutes, avant qu'il ne retrouve le sourire au détour d'une plaisanterie ou d'un épisode truculent relaté par un voisin de table. La fatigue et le vin, fameux au demeurant, avaient des effets fluctuants.
De son côté, Thibault semblait dans son élément, et même s'il conservait une fêlure profonde, Albérich ne pouvait pas croire que l'ensemble de son comportement était feint. Judith était assise un peu plus loin, aussi indifférente qu'il l'avait supposé, ce qui était rassurant.
Les plus petits commencèrent à s'endormir sur les tables. Quelqu'un parlait d'improviser un bal. Albérich était surpris d'être toujours réveillé.

[Taliesin]

L'idée du bal fit son chemin à une vitesse fulgurante et, à peine exprimée, devint l'objet de toutes les conversations. Ce qui réveilla les endormis, ou, du moins, ceux qu'on n'avait pas déjà portés vers leurs lits.
La perspective plaisait d'autant plus que Thibault était présent. Apparemment, il était réputé excellent joueur de luth. Le Sunite eut beau protester qu'il n'y avait plus touché depuis des lustres, qu'il s'était converti à la viole, on ne voulut rien entendre et, tandis que l'on commençait sans tarder à déplacer les tables, Aidan gagnait les étages pour y quérir l'instrument. D'autres filèrent au dehors pour chercher les leurs.
-Ça va être un massacre... souffla le clerc à l'oreille d'Albérich, comme on lui laissait un peu de répit.

[Galathée]

" Allons, allons. Ça ne te ressemble pas de jouer les modestes." lui souffla le Luménien en se carrant dans son siège.
Il dissimula un bâillement dans le creux de sa main. Lui-même ne savait ni danser, ni jouer d'un instrument de musique, et il était passablement épuisé. Mais il écouterait les airs de bal avec plaisir, pour autant que personne ne le traîne sur la piste. A bien y réfléchir, il était sans doute plus prudent d'en profiter au travers des lattes du plancher : il y aurait sûrement un importun pour le forcer à aller se trémousser entre les tables.
" Je vais te laisser divertir les foules et aller me coucher."

[Taliesin]

Thibault écarquilla les yeux, incrédule.
-Quoi ?? Tu m'as abandonné aux tours des miens, dans les marais ; tu m'as lâché sur la plage, alors que j'ai manqué plus d'une fois me noyer sous les assauts ennemis. Et à présent, alors qu'on s'apprête à me donner le coup de grâce, tu désertes ?
Il secoua la tête, puis esquissa un sourire.
-Mais il ne sera pas dit que je tomberai sans résistance... Alors, si tu montes maintenant, je convaincrai Rodolphe de repousser d'un jour ou deux son voyage à Erhedun. Et je payerai quelques cousins pour monter la garde sur la route, afin de t'en barrer l'accès. Ainsi, ma famille pourra tout à loisir te tourmenter...

[Galathée]

Albérich soupira, demeura vissé à sa chaise, la mort dans l'âme, et décocha un regard courroucé à son ami.
" Très bien, j'affronterai donc cette épreuve supplémentaire avec dignité." grommela-t-il. " Mais je ne recommanderai pas le passage à Dansedunes dans mon futur guide des hameaux perdus d'Hélonna. Aucune pitié pour l'invité de passage."
Il croisa les bras et jeta un oeil désespéré sur la piste de danse improvisée.
" Tu n'as pas besoin de quelqu'un pour tourner les pages de ta partition, par hasard ?"

[Taliesin]

De la tête, le Suite fit un "non" catégorique.
-Les airs dont on va se fendre ce soir sont connus de tous, je le crains... Bon, il y a bien quelques variations locales ou familiales, mais on baigne dedans depuis qu'on est mômes. Alors, nul besoin de partitions.
Il prit une mine chagrine.
-Mais ta piètre opinion de Dansedunes me blesse profondément. N'y as-tu pas été accueilli comme l'un des nôtres ? N'as-tu pas pénétré les mystères de nos plus antiques traditions ? N'en es-tu pas ressorti tel un héros victorieux ?
Il soupira.
-Ceci dit, oui, n'en parle pas dans ton guide. Trop d'étrangers feraient perdre à ce lieu son âme si longtemps préservée...

[Galathée]

Albérich ne répondit rien. Il ne restait plus qu'à attendre le début des hostilités et espérer qu'une fois Thibault lancé dans son récital, il puisse prendre la poudre d'escampette sans se faire remarquer. De toute façon, il devinait que les menaces du Sunite étaient des paroles en l'air. Et s'il dormait peu, ma foi, il roupillerait dans le chariot dès l'aube du lendemain. Il voulait juste avoir le temps d'écrire quelques mots à Thibault, histoire de lui expliquer ce qu'il avait l'intention de faire une fois à Erhedun.

[Taliesin]

En un tournemain, la salle du banquet s'était fait salle de bal. Déjà, les musiciens revenaient, qui chargé d'un fifre, qui d'un tambourin, qui tenant un vieux violon. Ils furent au final plus d'une demi-douzaine à s'installer près de la cheminée, tandis que Thibault, auquel Aidan avait fourré dans les mains un vieux luth, se levait pour les rejoindre.
A l'instar de ses compagnons, il pinça quelques cordes, accorda son instrument... Puis se lança. On n'attendait manifestement pas de lui qu'il joue les solistes, juste qu'il accompagne les autres, et il s'acquitta de sa tâche sans se mettre en avant mais témoignant, comme on pouvait s'y attendre, d'une habileté certaine.
Après un premier morceau pour se mettre en train, durant lequel l'assistance s'anima, vidant encore quelques pintes, ils jouèrent les premières mesures d'une sorte de gigue, ce qui attira foule sur la piste aménagée à cet effet. Il s'agissait d'une de ces danses villageoises de groupe, et force fut de constater que la quasi totalité des personnes présentes entendaient s'y joindre. Maints regards se tournèrent d'ailleurs vers Albérich, curieux de savoir s'il se lèverait ou si, à l'instar de ces deux vieillards peu décidés à lâcher leur chope, il demeurerait là où il était.

[Galathée]

HRP : la gigue, une danse de groupe ?!

C’était quitte ou double. S’il participait à la gigue, peut-être le laisserait-on battre en retraite ensuite, satisfait de sa prestation. Il aurait payé son écot, pourrait prétexter la fatigue, les courbatures, n’importe quoi, pour se retirer dans un coin et s’endormir tranquillement. Mais le risque qu’il se retrouve coincé sur la piste de danse existait aussi. Il faudrait être attentif et rapide, histoire de fausser compagnie aux plus entreprenantes. Ça ne lui ressemblait pas fort d’anticiper que des demoiselles puissent s’intéresser à lui, mais il était un peu saoul et un poil paranoïaque. Thibault avait dû les avertir de sa maladresse proverbiale exprès pour détourner les moqueries sur quelqu’un d’autre. Pourtant, si les Danseduniennes voulaient préserver leurs pieds, elles se tiendraient à distance. Oui, décidément, la gigue pouvait aussi servir à détromper celles qui se faisaient encore des illusions. Il finit donc par se lever et rejoindre le groupe.

[Taliesin]

HRP : la gigue peut se danser à deux ou à quatre, mais il y a beaucoup de formes, c'est un peu un terme générique... Elle est déclinée aussi en bourrée qui, là, va de deux à des tas de participants... J'ai parlé de gigue pour évoquer le côté joyeux et entraînant, mais je peux être plus précis la prochaine fois, si tu veux !

La danse était aussi animée que simple. Et, aussi maladroit qu'il fut, Albérich ne dépareillait pas, dans ce décor où évoluaient, à côté des experts, les hommes et des femmes un peu ivres mais pleins d'entrain, les gamins délurés plus désireux de se défouler que de mimer les gestes justes, les adolescents amateurs des variantes personnelles. Le tout ressembla parfois à une joyeuse bousculade quoi qu'il y demeurât, toujours, un semblant d'ordre.
Si l'ancien aubemestre avait escompté se rassoir après une seule danse, il en fut pour ses frais : il n'avait pu s'extraire de la foule que déjà débutait une bourrée en V, dans laquelle il fut évidemment entraîné. Une autre suivie, plus improvisée, plus chaotique...
Et quand s'annonça la fin de celle-ci, force fut de constater au Luménien que plusieurs damoiselles convergeaient, décidées, dans sa direction.

[Galathée]

HRP : J'étais persuadée que la gigue se dansait à deux (avec changement de partenaire, cependant). Autant pour moi !


Albérich ne pourrait pas s'en sortir sans donner la nette impression qu'il fuyait. Or il avait beau détester danser, il ne voulait pas se montrer impoli envers des gens qui, comme le lui avait rappelé Thibault, l'avaient accueilli avec chaleur. Il délesta un villageois qui passait par là d'une chope de bière, pour se donner du courage, puis attendit de voir à quelle sauce il serait mangé. Elles ne pourraient pas se plaindre d'y perdre quelques orteils, il n'avait rien demandé, lui.

[Taliesin]

HRP : Honnêtement, j'y connais rien en danses... Me semblait que gigue, c'était un peu générique, mais tu m'as mis le doute... Alors, j'ai vilement vérifié sur internet o (le rp, où comment enrichir sa culture dans des domaines inattendus...)

La première à le rejoindre fut une adolescente d'un âge similaire à celui d'Elisa. Et tout aussi charmante.
-Messire... fit-elle en le saluant courtoisement. Ce serait un grand honneur pour moi que de partager avec vous la prochaine...
-Ne l'écoutez pas, messire, fit une deuxième arrivante, semblable en tout point à la précédente. Théa est fort mauvaise danseuse. De plus, elle...
-Je suis arrivée la première !
-Parce que tu m'as fait trébucher exprès pour me retarder !
-C'était un accident !
-Certainement pas !
-Tu m'accuses de...
Tandis qu'elles se chamaillaient, une troisième fille fit son apparition.
-Ah, les jeunes... dit-elle, philosophe, alors que son âge n'excédait celui de ses cousines que d'un ou deux ans, au mieux. Ne les écoutez point, et prenez plutôt mon bras. Cela va commencer...
-Il n'en est...
-...pas question ! s'exclamèrent les deux autres.
-Et le respect dû aux aînées ? s'offusqua la dernière venue.
-Le respect ! Tsssss ! Raconte pas n'importe quoi, Julia ! Car si tu en parles beaucoup, tu ne le manifestes guère...
-Léa à raison ! D'ailleurs, tu as enivré Petra pour qu'elle ne vienne pas te disputer la place, alors qu'elle te devance de trois mois et deux jours !
-Menteries ! Si je l'avais tant fait boire, s'avancerait-elle dans notre direction ? Bon, d'accord, elle titube un peu, mais...

[Galathée]

" Honnêtement, mesdemoiselles, il n'y a vraiment pas de quoi vous battre. Je suis un piètre danseur et je suis certain qu'il y a ici une foule de jeunes gens qui n'attendent que vos bras."
Elles n'avaient l'air que moyennement convaincues. Pour ne pas dire pas du tout.
" Si vous tenez absolument à goûter à ce calvaire, cependant, je danserai avec chacune d'entre vous, à son tour. En commençant par..."
Il hésita.
" N'est-ce pas justement une de ces danses où l'on change de partenaire toutes les quelques mesures ?"

[Taliesin]

Dans un même mouvement, elles secouèrent la tête.
-On non.
-Pas celle qui vient.
-Pas celles qui viennent.
-On y dense deux par deux.
-Tout du long.
-C'est très chaleureux.
-Mais simple, aussi, ne vous inquiétez pas.
-Simple et chaleureux.
-Voilà.
-Vous vous en tirerez très bien !
-Surtout si c'est comme pour les grenouilles...
-Vous avez alors mimé la maladresse pour mieux nous impressionner !

[Galathée]

" Ce n'est pas exactement comme ça que ça s'est passé..." commença-t-il.
Mais il renonça : il n'avait aucune envie de se lancer dans de longues explications. Il se tourna vers la dénommée Théa, la première arrivée, que sa cousine avait taxée de mauvaise danseuse. Peut-être serait-elle plus indulgente que les autres, pour une première danse.
" Mais ne tergiversons pas. Je vais commencer avec vous, et puis..."
Il se tourna vers la suivante, espérant qu'il se souviendrait de son visage au moment critique.
" Puis vous, et je terminerai par Julia."
Avec un peu de chance, Théa lui aurait alors fait une telle réputation qu'il serait tranquille jusqu'au moment de l'extinction des feux.

[Taliesin]

Mais il n'en fut rien.
Si Théa s'avéra une excellente danseuse, et s'il lui marcha plus d'une fois sur les pieds, elle n'en parut pas du tout offusquée, ni incommodée. Elle l'empêcha de s'excuser, au contraire, arguant qu'il s'agissait d'une variante locale dont les pas était déroutants, au début. Elle fit tout son possible pour le guider, en profitant pour se serrer contre lui à la moindre occasion et, au final, Albérich dut admettre que sa prestation avait été moins catastrophique que prévu.
Lorsque la danse fut terminée, Théa parut fort chagrine... Et toute prête à recommencer. Mais sa jumelle, ne l'entendant pas de cette oreille, veillait au grain : sitôt le dernier coup d'archet donné, elle rejoignit le couple... et prit la place tant convoitée.
Il alla de cette gigue comme de la précédente : Albérich fut un peu maladroit, on l'empêcha de s'excuser, on le guida en se pressant contre lui lorsque l'opportunité s'en offrait... et on rechigna à le libérer. La même histoire se répéta avec Julia, avec Petra - qui, tout ivre qu'elle soit, s'imposa avec courtoisie autant qu'autorité -, et elle semblait devoir se perpétuer encore longtemps, tant les prétendantes se faisaient nombreuses, surgissant dès qu'une danse annonçait son terme.
L'ancien aubemestre n'aurait pas trop du bal entier pour toutes les satisfaire. D'autant que les musiciens ne semblaient pas disposer à passer à des bourrées collectives, lesquelles l'auraient libéré des assiduités de la gente féminine.

[Galathée]

Il y avait quelque chose de suspect là-dessous. Il n’était plus de prime jeunesse et n’avait jamais été un séducteur. Comment se faisait-il que soudain toutes les adolescentes de Dansedunes semblaient jouer des coudes pour danser avec lui ? Est-ce que Thibault les avait soudoyées pour lui jouer un mauvais tour ? Ou alors c’était une sorte de défi exotique qu’elles s’étaient lancées les uns aux autres ? Il était en tout cas embarrassé de subir leurs attentions, d’autant que leurs parents devaient être présents dans la salle et qu’il fallait bien que quelqu’un s’en soucie à leur place. Mais si tous les villageois étaient taillés sur le moule de Thibault et Judith, ce n’était peut-être pas une surprise qu’il soit le seul à s’empourprer.
Il finit cependant par battre en retraite, prétextant une soif dévorante. Il avait besoin de dormir mais ce bal ne terminerait jamais, et il avait l’impression que s’il tentait de s’esquiver, on le poursuivrait jusque dans les escaliers.

[Taliesin]

Ses soupirantes - la plupart en étaient à réclamer une deuxième tour, car Albérich s'était montré endurant, et la communauté n'était tout de même pas si peuplée qu'on aurait pu le croire - acceptèrent de lui accorder ce répit. Mais elles l'auraient probablement arraché au repos sitôt quelques gorgées bues, s'il n'avait reçu un secours inattendu : Elsbeth et Aidan, assis depuis peu après s'être longtemps démenés, maintinrent les jeunes filles à distance, d'un regard, d'un geste.
-Tenez ! Remettez-vous ! dit l'aubergiste en lui tendant une chope de bière.
-C'est vraiment gentil à vous de leur avoir accordé ses danses... fit sa sœur. Vous l'ignorez sans doute, mais partager quelques pas avec le Champion de la chasse aux grenouilles est réputé porter bonheur, par chez nous. Elles vous en seront très redevables... et nous avec elles. D'autant que nous savons à quel point vous êtes fatigué...

[Galathée]

" Oh bon sang..." grommela Albérich en s'asseyant près d'eux.
Judith lui avait vraiment joué un mauvais tour en remplissant son panier de grenouilles. Il se serait largement contenté de l'unique batracien qui lui manquait. Or la demoiselle connaissait immanquablement les traditions de son village. Il payait cher la douceur volée à l'après-midi. Il se fit en tout cas la note mentale de ne plus jamais pêcher la grenouille. Ou, à défaut, de surveiller assidument son panier.
" Je ne sais pas de quoi elles seront redevables... Je doute qu'elles y gagnent autre chose qu'un ou deux orteils bleus demain."
Il soupira.
" Il n'est plus question que je décolle de cette chaise. Sauf pour aller dans mon lit."

[Taliesin]

Aidan sourit largement.
-Hé quoi ? Les orteils bleus font parti du jeu ! Nous ne sommes pas exactement de grands danseurs, et même sans vous, elles auraient eu leur compte en la matière, comme tout un chacun... Mais, en l'occurence, je pense qu'elles chériront ces infimes blessures comme des signes tangibles de leur fortune à venir !
-Mais rassurez-vous... fit Elsbeth. Nous les maintiendrons à l'écart tant que vous voudrez rester ici, et nous couvrirons votre retraite vers les étages quand vous aurez décidé d'aller dormir. Vous avez été des plus conciliants, des plus bienveillants quant à nos coutumes, mais il ne sera pas dit que nous épuiserons ingratement nos hôtes !

[Galathée]

" C'est trop tard, je suis épuisé." fit le Luménien avec le sourire. " Je pense que je vais me retirer. Vous présenterez mes excuses à Thibault et tant pis s'il me considère comme un traître à sa cause. Il a les fesses vissées sur une chaise, lui. Je ne voudrais pas manquer le départ de Rodolphe demain matin."
Il étouffa un nouveau bâillement.
" Et je vous fais confiance pour couvrir ma retraite. Merci pour cette petite soirée."
Sur ces belles paroles, il se leva et négocia prudemment sa trajectoire vers les escaliers. La nuit promettait d'être profonde et le réveil douloureux.

[Taliesin]

Personne ne le suivit dans l'escalier, ne tenta de le replonger malgré lui dans le mouvant ballet des danseurs. Il put donc gagner sa chambre sans entraves, puis se coucher dans un lit tentateur qui l'accueillit de sa tiède étreinte. Hasard heureux, il était situé au-dessus des cuisines, et non pas de la salle de bal. Mais en aurait-il été ainsi que l'ancien aubemestre se serait tout de même endormi dans l'instant, épuisé.
Un instant plus tard, lui sembla-t-il, il fut tiré du sommeil : on toquait doucement à sa porte. Par les rideaux tirés filtrait les grises lueurs de l'aube.

[Galathée]

Il se leva tant bien que mal, moulu comme il l'avait deviné. Mais Aidan était un guérisseur hors pair, et Albérich devinait qu'il devait disposer d'une tisane contre les courbatures et la gueule de bois, ou quelque chose du genre, avec un bon goût en sus. Il s'habilla lentement et renonça à écrire à Thibault. Après tout, il n'était pas encore certain que ce qu'il escomptait faire à Erhedun allait porter ses fruits. Il lui laisserait un message avant de regagner Combeloup, ce serait plus raisonnable.
Une fois vêtu, il gagna la salle commune de l'auberge, prêt à partir dès que Rodolphe le désirerait.

[Taliesin]

L'éphémère salle de bal gardait des festivités de la veille - ou des heures précédentes - maints stigmates éloquents. Les tables étaient là où on les avait poussées pour ménager une piste, à l'exception d'une seule, installée près du comptoir, dressée pour le petit déjeuner. Aidan et un autre vieillard, sans doute le cousin Rodolphe, s'y trouvaient : la mine tirée, les yeux rougis, ils avaient l'air défraichi de qui n'a pas dormi.
-Asseyez-vous... dit l'aubergiste, souriant. Et pardonnez-moi pour l'état lamentable des lieux. Mais les plus acharnés sont partis il y a moins d'une heure, et nous avons préféré charger le chariot afin de ne pas retarder votre départ.

[Galathée]

Albérich fit la grimace. Il n'avait pas voulu priver ses hôtes de sommeil.
" Je n'étais pas si pressé... Vous auriez pu prendre le temps de vous reposer..." fit-il, embarrassé.
Il était cependant trop tard, désormais.
" Enfin, si vous voulez, je peux conduire le chariot pendant que vous dormez..." dit-il au cousin Rodolphe.
Il avait après tout appris les ficelles du métier auprès d'un compagnon de route, une éternité plus tôt, lui semblait-il.

[Taliesin]

Rodolphe secoua la tête.
-Sans vouloir vous offenser, messire, la fatigue se lit sur votre visage. Ce qui n'est guère étonnant : vous avez peu dormi. Assez peu, sans doute, pour que cela soit pire qu'une nuit blanche.. Quant à moi, et bien... J'ai l'habitude de ce genre de veille : Dansedunes, c'est Dansedunes, après tout... Et je connais le trajet par coeur. Ne vous faites donc aucun souci !

[Galathée]

" Très bien, dans ce cas... Je vous fais entièrement confiance. Et si vous changez d'avis en cours de route, ma foi... Vous n'aurez qu'à me secouer. Mais je pense que j'essaierai de rester éveillé. Sinon je risque de finir complètement décalé."
Il se pencha sur le petit déjeuner, mais son estomac était complètement retourné.
" Aidan, je suis sûr que vous avez un peu d'infusion de chou rouge, ou du gland séché, pour moi... J'ai un peu abusé... et je ne suis vraiment vraiment pas habitué."
Il mangerait quelque chose sur la route, quand son organisme serait remis.

[Taliesin]

Aidan et son cousin échangèrent un regard.
-C'est que... Beaucoup ont réclamé semblable remède...
-Et pour soigner une gueule de bois, mieux vaut recommencer à boire, enchaîna le second.
Ils sourirent. L'aubergiste se leva.
-Je vais vous préparer ça. Vous voulez que j'ajoute d'autres éléments à la mixture ? Pour les courbatures, les orteils blessés ?

[Galathée]

" Mettez-moi quelque chose contre les vieux os, les muscles endoloris, les ampoules aux pieds, les piqûres de moustique, la fatigue, la gueule de bois, les refroidissements, les soucis et la digestion, voulez-vous ?" répondit Albérich avec aplomb.
Puis il se tourna vers Rodolphe.
" Pour combien de temps en avons-nous, selon vos estimations ?"
Dès qu'il serait requinqué, ils pourraient se mettre en route.

[Taliesin]

Rodolphe haussa les épaules.
-Oh... La route a eu le temps de sécher un peu, les chevaux sont beaucoup plus frais que leur cocher, il n'y aura sans doute pas d'embouteillages... Bref, je crois que nous y serons en milieu d'après-midi au plus tard.
Il se remit en devoir d'avaler son petit déjeuner. Aidan, lui, revint quelques minutes plus tard, porteur d'une mixture à l'indéfinissable couleur.
-Voici un élixir de jouvence maison... fit-il en le tendant à Albérich. Du genre qui requinquerait un centenaire moribond et lui permettrait de danser trois jours durant sans éprouver de fatigue.