[Lieu] Mersant

[Taliesin]

-La barricade, juste derrière la fosse, expliqua Taliesin. Enfin, de nôtre côté. Les pirates venant de la plage seront obligés de descendre dans le trou, d'escalader le sable et, au sommet, auront cette barrière à franchir. Barrière derrière laquelle nous serons relativement à l'abri de leur traits. Elle ne nous gênerait en rien dans notre retraite, puisque... nous aurions pas à la passer, nous. Au contraire des assaillants dont elle ralentira l'avance même quand nous l'aurons désertée.
Il se tourna vers Guéric.
-Si tu penses pouvoir piéger le défilé, cela vaut peut-être le coup de ne pas faire ces travaux pile à son embouchure sur la plage, mais plus en amont ? Ainsi, nos ennemis auraient d'autres surprises avant de d'atteindre nos défenses proprement dites. Il pourrait même être intéressant de stocker des rochers en haut des parois. Il suffirait ensuite, au bon moment, de les ensevelir dessous.
Il s'interrompit, reprit.
-Quant à ne plus avoir accès à la plage... On ne pourra rien faire là-bas, de toute façon : trop étendue. Nos quelques archers pourraient tuer un ou deux forbans avant le débarquement, mais il leur faudrait se replier en quatrième vitesse... Évidemment, s'il y avait eu un chenal, seulement une ou deux voies d'accès pour les barques, on aurait pu semer des trucs sous l'eau, pour les bloquer, les faire chavirer...

[Galathée]

" Il faut s'assurer qu'ils ne pourront pas grimper sur les parois du défilé, si nous plaçons la barricade à mi-hauteur... Mais des archers suffiront, tu as sans doute raison..." fit le halfelin. " Le mieux est sans doute de nous placer au premier rétrécissement.... Fosse sur la plage, défilé piégé, barricade ensuite ? Avec des personnes postées en haut pour canarder les assaillants ? Il faudra sans doute construire des semblants de boucliers pour les gens perchés... Ce n'est pas assez haut pour être protégé des flèches..."
Il se gratta le menton.
" Je sens qu'on va devoir démonter des tables, des portes ou des sommiers... Pas un arbre sur cette île..." ajouta-t-il.

[Taliesin]

-Tant mieux ! Ils ne pourront pas s'en servir comme béliers !
Taliesin se mit alors à distribuer les tâches : il ne se sentait pas très légitime pour exercer cette fonction de commandement, mais il fallait bien que quelqu'un s'en charge. Et puisqu'on lui laissait l'initiative...
Il envoya Martin au village, pour y quérir des pelles, des outils pour démonter les clôtures si les mains nues ne suffisaient pas et, éventuellement, des bras supplémentaires. Il dépêcha Elerinna et Noéline sur la plage, pour récupérer du bois flotté : il leur adjoindrait Victor et Jehan dès que ceux-ci reviendraient avec Harold. Enfin, tandis qu'il laissait Guéric examiner le défilé et choisir des emplacements pour les pièges, la fosse et la barricade, il partit avec George, Fred et Dix-Sept en direction du pâturage, histoire de s'occuper des fameuses clôtures.

[Galathée]

Les clôtures étaient bien enfoncées : les vaches de Mersant avaient, comme Taliesin en avait été témoin la veille, leur petit caractère et un goût pour la promenade imprévue. Il leur fallut donc faire jouer les poteaux un certain temps, en pesant dessus, avant de parvenir à les dégager. Le fil barbelé qui les reliait était vicieux et ils finirent par attendre le retour de Martin et des éventuels outils qu'il aurait pu dénicher. Il revint peu de temps après, accompagné par les cinq Mélandiens ainsi que deux courtisans, un homme et une femme, de plus. Il avait trouvé des pelles, des masses, des marteaux et des clous, ainsi que des gants de travail, ce qui n'était pas du luxe. Les nouveaux arrivés se mirent rapidement au courant des intentions de l'elfe et ne firent pas de commentaires. Ils attendirent cependant qu'on leur dise où travailler. Harold et les deux enfants en profitèrent pour remonter, ainsi que Guéric, qui avait sélectionné son endroit pour monter la barricade. Dix-sept semblait ne pas savoir quoi faire de lui-même.

[Taliesin]

Le barde choisit de ne pas disperser inutilement leurs forces : s'il envoya les deux garçons rejoindre les cueilleuses de bois flotté, il garda tous les autres pour le démontage des clôtures. Ceux qui ne disposaient pas d'outils ou de gants furent chargés de déterrer les poteaux ; le reste de l'équipe, de les défaire du fil barbelé puis de les emporter à l'emplacement de la future barricade. Quant aux barbelés eux-mêmes, il demanda à ce qu'on les conserve soigneusement : il avait pu expérimenter leur caractère pour le moins... piquant.
Ils étaient nombreux et vinrent rapidement à bout de cette tâche. Ils se retrouvaient avec de quoi dresser les structures d'une barrière solide, mais aussi, en partie, de quoi garnir le fond de la fosse. Taillés en pointe, les poteaux pouvaient faire de très solides pieux. Quant aux barbelés...
Ils regagnèrent tous le défilé, et il fallut, à nouveau, distribuer les tâches. Comme il en avait pris l'habitude depuis le départ, Taliesin présentait ses consignes sous forme de suggestions et de demandes polies plutôt que d'ordres secs. Outre l'illégitimité qu'il ressentait à diriger ces gens, il ne voulait froisser personnes, et surtout pas les Mélandiens qu'il pensait, peut-être à tort, ombrageux.
Il affecta les plus solides au creusement de la fosse ; comme l'espace était malgré tout restreint et le travail difficile, il organisa une sorte de roulement, certains creusant tandis que d'autres dispersaient le sable extrait - pour qu'il ne forme pas de monticule utilisable par l'ennemi - et que d'autres encore se reposaient en récoltant du bois. Le reste du groupe fut dispersé entre la préparation de la barricade, le stockage de pierres et de rochers en haut des parois du défilé et, enfin, la confection de pieux.
Lui-même restait en compagnie de Dix-Sept. Ils faisaient le tour du chantier, prêtaient main forte à chacun dès que possible, relayaient ceux qui désiraient s'accorder une courte pause...

[Galathée]

Ils avaient bien avancé lorsque Sullyan vint à leur rencontre. Elle avait troqué sa tenue civile, et quelque peu légère, contre une armure de cuir et relevé ses cheveux en une coiffure complexe mais pratique. Il n'était plus difficile de la prendre au sérieux et toute trace de charme aguicheur avait disparu au profit d'une expression sévère et concentrée. Elle admira cependant le travail abattu par l'équipe de Taliesin sans retenue.
" Vous avez bien travaillé." fit-elle. " Les navires du Squale sont pour l'instant à l'ancre non loin du port. Le phare est tombé sous leurs yeux, ce qui n'a pas dû leur plaire. Ils sont bien six, comme l'avait dit Harold, mais seulement deux sont de gros tonnage. Apparemment, le navire amiral est présent, ce qui veut dire que nous avons affaire au chef pirate lui-même. Ce n'est pas une très bonne nouvelle... mais pas une mauvaise non plus. Il n'a rien à prouver à personne, c'est déjà ça."
Elle baissa les yeux sur la plage et le défilé où s'affairaient les visiteurs de Mersant, voyageurs et résidents confondus.
" Pour l'instant, ils ne bougent pas, mais ils ne tarderont pas à faire le tour de l'île. Je doute que ce contretemps les paralyse bien longtemps."

[Taliesin]

-Tout délai est bienvenu... répondit Taliesin, toujours paré de son inébranlable optimisme. Cela nous permettra, une fois terminés les travaux en cours, de procéder aux derniers préparatifs. Harold est allé repérer l'entrée d'une caverne apparemment accessible en chaloupe : il faudra essayer de la boucher et de la piéger. Il faudra voir, aussi, si on peut dissimuler encore un peu l'entrée des grottes donnant sur la plage, même si ça peut paraître superflu. Enfin, comme me l'a suggéré Guéric tout à l'heure, démonter des tables ou des portes pour en faire des manières de boucliers serait sans doute une bonne idée : cela permettrait aux personnes postées de part et d'autre du défilé de s'abriter tandis qu'elles tireront sur les pirates ou les bombarderont de cailloux.
Il se concentra, essayant de voir s'il avait oublié quelque chose.
-Ah, et... Dix-Sept... Il eut un regard pour l'elfe qui s'affairait un peu plus loin. Il nous aide bien, mais j'ai tout lieu de croire qu'au moment de la bataille, il cherchera avant tout à se faire tuer, afin d'échapper à sa vie de servitude. Il pourrait être bon que les Mélandiens l'affranchissent rapidement. Ainsi, il aurait sa liberté à défendre. Et... Comme il y voit dans le noir, son appui serait réellement très utile.

[Galathée]

" J'ai abordé la question avec les Mélandiens, à vrai dire." fit Sullyan, pensive. " Mais ils sont coriaces. Ils ont commencé par prétendre qu'il ne voudrait pas être affranchi, que c'était tout ce qu'il connaissait, que c'était la meilleure chose qu'il pouvait attendre de la vie... qu'il avait des amis parmi les esclaves de leur maisonnée à Mélandis... Je leur ai fait comprendre que je poserais la question à ce... Dix-sept. Ils étaient déjà un peu moins sûrs d'eux... Je leur ai aussi expliqué que notre seule chance de salut viendrait de la marine luménienne. Et que celle-ci ne tolérerait pas qu'il reste esclave. Quoi qu'il advienne, cet homme sera libre, s'il survit et que nous sommes sauvés. Mais les Mélandiens... ont l'air de vouloir attendre jusque là... Je pense qu'ils ont peur de ce qu'il ferait s'il était libre. Et je pense aussi qu'ils entendent en profiter jusqu'au bout. Je ne serais pas surprise qu'ils préfèrent le tuer plutôt que de lui rendre sa liberté... Maintenant, je n'ai pas pensé à présenter la chose en termes de survie. Je peux le faire. Mais il sera alors doublement sous votre responsabilité. Je ne peux pas prendre le risque qu'il aille régler ses comptes : la dernière chose dont nous avons besoin est qu'une rixe éclate entre les défenseurs de l'île... D'autant que la tension montera d'un cran lorsque les navires du Squale seront ancrés en face de nous."
Elle grimaça.
" Va-t-il vraiment nous être utile, ou est-ce de la sensiblerie ?" demanda-t-elle finalement. " Car la sensiblerie n'a vraiment pas sa place autour de la table, en ce moment."

[Taliesin]

Le barde la regarda droit dans les yeux.
-Lorsque Valaellyn et moi sommes montés pour le soigner, hier matin, il a demandé, en elfique, à ce qu'on le laisse mourir. J'ai été le seul à le comprendre, et je n'ai pas traduit sa requête aux autres, pour éviter toute tension, tout éclat. Il m'en a coûté, mais... Vous pouvez voir qu'en matière de sensiblerie, j'ai déjà fait mon deuil.
Il s'autorisa un sourire.
-Notre principal problème, lorsque les pirates débarqueront, sera de juguler leur flux. Le défilé devrait bien tenir. Malheureusement, il ne sera pas impossible à nos ennemis de gravir les rochers ailleurs. Il faudra donc des guetteurs au nord, mais surtout au sud, où l'escalade est la plus aisée. Si nous tenons toujours bon à la nuit tombée, disposer d'une personne supplémentaire capable de percer les ténèbres serait bienvenu. D'autant que, si j'en crois la rumeur, certains hommes du Squale ne sont pas humains. Et donc... Voient dans le noir.
Il observa la plage en contrebas, un instant, puis refit face à l'ancienne Manostienne.
-Nous ne sommes pas forcés de statuer maintenant, évidemment. Si toutefois il vous paraît opportun de le faire à un moment ou à un autre... Un argument de poids pourrait convaincre les Mélandiens : outre la vie sauve, nous aurons les richesses du Squale à disposition, si nous survivons. De quoi nous rembourser tous largement de nos pertes.. matérielles..

[Galathée]

" Bon." fit-elle. " Je vais faire mon possible pour régler cette histoire rapidement. Si nous avons un guetteur qui fait semblant de ne rien voir pour hâter son trépas... et par là, précipiter le nôtre, nous avons un problème... De votre côté, vous devriez peut-être voir s'il y a quelque chose qui pourrait alléger sa servitude, tant qu'il est toujours esclave. Dites-lui qu'il sera libre s'il survit. C'est vrai. Mais qu'il y a peu de chances qu'il le soit avant."
Elle croisa les bras et désigna le groupe qui ramassait du bois flotté.
" Le vieux Luménien m'a expliqué que sa femme était fabricante de flèches... Je vais devoir vous l'emprunter."

[Taliesin]

Taliesin se frappa le front.
-Bon sang, j'avais oublié ce détail... grommela-t-il. Pour ma défense, je dirai que j'ai eu beaucoup d'autres soucis en tête, ces dernières jours. N'empêche, si je m'étais souvenu de ce "détail", je lui aurais demandé d'en confectionner bien plus tôt...
Il secoua la tête.
-Savez-vous si d'autres de nos compagnons ont des compétences spécifiques ? Que ce soit au niveau du maniement des armes, de la magie, de la fabrication d'objets utiles ? Je connais un peu ceux avec qui j'ai voyagé mais pas les Mélandiens ou les habitants de Mersants. Et en plus, vous l'avez vu... Ma mémoire fait parfois défaut.

[Galathée]

La Manostienne secoua la tête.
" La plupart des gens d'ici sont des civils... marchands, fermiers, aubergistes, courtisans... Ils ne manquent pas de compétences, mais elles ne sont pas guerrières à proprement parler... Si le Squale avait été homme à parlementer, je lui aurais envoyé Elerinna... S'il avait été homme à se laisser séduire, je lui aurais envoyé Martin ou Bellyra... Mais ce n'est pas son genre."
Elle poussa un bref soupir.
" Vous êtes barde, vous êtes donc notre magicien attitré. Votre amie est notre seule clerc. Katja se débrouille avec les onguents de base, mais je pense que la plupart de ses potions sont achetées aux marchands de passage... Goran, le propriétaire du comptoir, était aventurier, dans sa prime jeunesse. Une sorte de trappeur. Il sait placer des pièges... Sans doute savait-il tirer à l'arc, cela lui reviendra. Chez les Mélandiens, nous avons un peu plus de matière. L'aîné était garde avant de devenir marchand. Et il a trois hommes de main plutôt solides, même s'ils sont habitués à taper sur de l'esclave enchaîné plutôt que sur un adversaire qui répond. Mais un fouet bien manié est une arme redoutable. Ils seront utiles. Vous ne l'ignorez sans doute pas mais Constance est une fine lame. Je me souviens du temps où elle la louait au plus offrant, à Pajus... Nous étions jeunes alors."
Elle eut un sourire privé.
" Et Guéric est dangereux. Mais ce serait gaspiller ses talents que de le risquer trop tôt dans la bataille. Nous devons le conserver comme atout si les choses tournaient mal. Il n'est pas rare que la mort d'un chef désorganise une armée d'invasion."
Elle le dévisagea.
" Non, ça ne fait pas beaucoup, je suis d'accord. Mais c'est tout ce que nous avons."

[Taliesin]

-L'équipage de la Liberté me semble aussi constitué de gens d'expérience, fit-il sans se départir de son sourire. Et parmi les passagers... Les jumeaux, par exemple : ils n'en sont pas à leur premier combat.
Il faillit ajouter qu'ils disposaient également, dans leurs rangs, d'un berserk miniature caparaçonné de mithril, mais, à la réflexion, il préféra s'abstenir.
-Et nous ne manquons pas d'imagination, continua-t-il. Tenez : il semble que les bovins locaux soient dotés d'un sacré caractère. Si nous les faisions débouler dans le défilé lorsque les pirates auront franchi la barricade, ça pourrait être efficace...
Il se fit plus sérieux.
-Je sais, c'est sans doute stupide. Mais je préfère évoquer toutes les solutions qui me passent par la tête. On ne sait jamais...

[Galathée]

Sullyan sourit.
" Je ne doute pas que nous ayons à recourir à toutes les idées possibles, même celles qui apparaissent les plus saugrenues alors que nous devisons, tranquilles, face à la plage..." fit-elle en croisant les bras. " Je vais retourner à l'auberge. Je ne suis pas complètement sûre de comprendre pourquoi les bateaux du Squale n'ont pas encore commencé à venir vers la plage... Peut-être attendent-ils la nuit. Peut-être... peut-être ont-ils d'autres atouts dans leur manche... Je n'en sais rien. Ce qui est certain, c'est que vous ne serez jamais prêts assez tôt. Je vais chercher la Luménienne."
La fosse avait désormais une belle profondeur et il serait bientôt temps de condamner l'accès à la plage pour commencer à la remplir de pieux et piéger le défilé.

[Taliesin]

-Très bien. De mon côté, je vais essayer de motiver notre futur elfe libre.
Il salua Sullyan puis se porta aux côtés de Dix-Sept, lui demandant de le suivre un peu à l'écart.
-Voilà... fit-il. Nous avons mandé des renforts. Des renforts Luméniens. Comme vous le savez peut-être, Luménis n'autorise pas l'esclavage. Ne le tolère pas non plus. Ce qui signifie que... Lorsque ses forces auront débarqué, vous serez libéré.
Il sourit.
-J'aurais aimé vous apprendre votre libération prochaine dans d'autres circonstances. Malheureusement, les choses sont ce qu'elles sont... Nous allons essayer de convaincre vos maîtres de vous affranchir dès à présent, sans toutefois pouvoir garantir la réussite notre démarche. Mais, dans tous les cas, si nous survivons à cette épreuve... Vous vous appartiendrez, serez votre propre maître et pourrez décider de votre destin.
Il songea à ce statut d'Eduqué évoqué par Martin. A la peur que pourrait susciter chez Dix-Sept la perspective d'une chose demeurée jusqu'ici théorie bien lointaine...
-Nous vous aiderons également à gagner le lieu qui vous conviendra le mieux. A trouver des gens qui pourront vous seconder, vous accompagner dans votre nouvelle vie, ajouta-t-il.

[Galathée]

Une surprise perplexe puis franchement apeurée se peignit sur le visage de l'elfe. Il dévisagea son congénère, la bouche entrouverte, puis, semblant se reprendre, baissa rapidement les yeux.
" Ils ne me laisseront jamais partir." souffla Dix-sept. " Vous devez faire erreur, messire. Je ne crois pas que mes maîtres accepteront de me livrer aux... aux Luméniens."
Il frissonna.
" Leur ai-je déplu d'une manière ou d'une autre ?"

[Taliesin]

Le barde ne s'était pas vraiment attendu à une telle réaction. Du moins, pas à sa seconde partie.
-En aucun cas. Et je vous assure que vous serez libéré. Je ne vous mentirais pas sur un sujet aussi sérieux.
Il bascula d'un pied sur l'autre, mal à l'aise, cherchant les mots adéquats.
-Je vous ai compris, hier, lorsque vous avez parlé en elfique, reprit-il, doucement. J'ai été le seul. Mais je n'ai pas pu traduire devant votre maître. La personne qui m'accompagnait, qui vous a soigné... Elle voulait faire quelque chose pour vous. Vous racheter. D'autres y ont pensé. Nous n'avions pas assez d'argent, malheureusement.
Son ton se fit plus assuré.
-Je suis triste que ce soient les circonstances et le pragmatisme qui rendent votre libération possible. Néanmoins, c'est... une chose encourageante, au milieu du reste.

[Galathée]

L'elfe parut embarrassé, puis nerveux.
" Vous ne direz pas à mes maîtres ce que j'ai... demandé hier, n'est-ce pas ?" murmura-t-il. " S'ils savaient, ils pourraient... Vous ne leur direz rien ? Je ferai ce que vous voulez, je vous le jure, mais ne leur dites rien."

[Taliesin]

L'elfe manqua lui poser une main rassurante sur l'épaule, mais se retint.
-Je ne leur dirai rien. Je n'ai pas traduit devant l'un d'eux hier, pourquoi vous trahirais-je aujourd'hui ?
Il tenta de sourire.
-Vous n'avez rien à craindre d'eux, ni de moi, ni d'aucun autre de nos compagnons. Les seuls dont vous ayez à redouter quelque chose, ce sont ces pirates qui nous assaillent et que nous allons tenter de repousser. Et pour cela... Nous aurons grandement besoin de vous. Mais... J'aimerais que vous vous battiez à nos côtés de votre plein gré, et non par obligation. Que vous vous battiez parce que, désormais, vous avez quelque chose à défendre. Un avenir. Et votre liberté.

[Galathée]

Mais l'elfe le dévisagea d'un air absent, puis détourna le regard, embarrassé.
" Vous... Est-ce que vous me... protégerez des Luméniens ? Vous ne voulez pas de moi ? Est-ce que vous pensez que quelqu'un va pouvoir... me racheter ? Je sais écrire et lire. Et compter, dans une certaine mesure. Sinon, je... c'est tout. Ce n'est pas grand chose."
Puis il se tut.
" Je serai libre de disposer de moi-même." murmura-t-il, et cela le fit trembler.

[Taliesin]

-Vous n'aurez rien à craindre des Luméniens : ils n'en ont pas après les hommes asservies par les Mélandiens. Et personne ne vous rachètera, puisque vous vous appartiendrez.
Tout aurait été plus simple si Dix-Sept avait accepté de le regarder en face, mais... Il ne pouvait l'y contraindre.
-Vous ne serez pas seul, toutefois. Ne vous inquiétez pas pour cela non plus : vous serez entouré, on vous aidera à vous habituer à cette nouvelle vie, à trouver une place qui vous conviendra. Vous serez accompagné. Mais plus d'ordres : juste des conseils et de l'aide.

[Galathée]

Il acquiesça, mais il ne semblait pas en mener large.
" A Melandis, on nous enseigne que lorsque les Insurgés qui ont suivi le Grand Mensonger sont arrivés à Luménis, les Luméniens ont essayé de les rejeter à la mer. Comme il était trop tard et que les Insurgés s'étaient déjà répandus dans la ville, les Luméniens les ont parqués dans des camps et les ont exterminés en leur envoyant des maladies et la faim. Ils se sont parés de leur Bienveillance pour les massacrer, femmes, enfants et vieillards, que le Grand Mensonger avait séduits. Et ils ont enchaîné chaque âme qui s'échappait du corps d'un Insurgé dans une pierre. De ces pierres, ils ont fait des armes meurtrières, des armes damnées, et les Insurgés sont désormais esclaves à tout jamais, prisonniers de lames qui puisent leur magie dans les tourments de ceux qui y sont enfermés. On nous raconte que ces armes peuvent invoquer les défunts et les contraindre à l'obéissance. L'enchantement est éternel, aucune promesse de répit. On nous raconte que le Grand Mensonger reviendra et que nous devrons nous défier de ses promesses. Car elles sont venin et souffrance. Nous sommes mieux lotis à Mélandis. Notre obéissance nous permet de manger et d'avoir un toit. Et quand nous mourrons, Ilmater nous accueille dans ses bras compatissants et nous porte jusqu'à notre lieu de repos."
Il releva les yeux.
" Je ne veux pas aller à Luménis. Une vie de servitude est assez. Je veux mourir pour mourir, pas pour être asservi à nouveau."

[Taliesin]

Taliesin demeura pétrifié de stupeur. Rien ne l'avait préparé à une telle déclaration. Ni à ce qu'elle impliquait.
Les Luméniens asservissant les anciens esclaves jusqu'après leur mort.
Le Grand Mensonger...
Il frémit. Serra les poings. Chassa toutes les pensées qui déferlaient. Toute la révolte, aussi.
Ce n'était pas le moment.
Il savait que ces phrases reviendraient le hanter. Plus tôt qu'il ne le voudrait. Mais...
Ce n'était pas le moment.
Pour l'heure, il fallait redonner confiance à l'homme qu'il avait en face de lui. Pour qu'il combatte vaillamment. Qu'il contribue à leur sauvetage à tous.
-On vous a menti, répondit-il d'une voix un peu moins tranquille qu'il ne l'aurait voulu. On vous raconte ces choses pour vous contraindre à l'obéissance, vous faire croire qu'il n'y a aucun espoir, aucun ailleurs. Mais ce n'est que mensonges. Les anciens esclaves ont été accueillis à Luménis. Mais il y a eu un coup d'état, fomenté par un Mélaneien infiltré parmi eux : Morféa Nwalk, ancien bourreau de la Cité du Chaos. Il a fait régner la terreur, Luméniens et anciens esclaves ont souffert le martyr sous son joug. Avant de le renverser et, ensemble, de reprendre leur liberté.
Il ferma les yeux, tenta de calmer les battements accélérés de son cœur, tenta de ne pas se laisser emporter par l'indignation qui l'ébranlait tout entier.
-Vous ne serez plus jamais esclave. Ni de votre vivant, ni de votre mort. Si vous ne me croyez pas... Je vous présenterai des gens, ici-même, dans nos rangs. Des gens qui ont traversé ces événements. Ils vous diront ce qu'il en est réellement.

[Galathée]

L'elfe avait perçu le changement d'humeur de son interlocuteur et s'était tendu, un peu comme s'il s'attendait à ce qu'on le frappe.
" Je ne voulais pas vous manquer de respect." finit-il par dire. " Ou mettre votre parole en doute."
Il lorgna vers la plage.
" Je vous fais perdre votre temps, de surcroît."
Il revint vers Taliesin, les yeux toujours baissés.
" Je ferai de mon mieux pour vous aider. En retour... Vous me laisserez disposer de moi-même, n'est-ce pas ?"
Il se tut, puis se ravisa.
" Puis-je rester avec vous ? Je veux dire... cette nuit... et le reste du temps ?"

[Taliesin]

Le barde songea aux gamins qu'il devrait garder à l'œil. Puis il songea au possible dessein des Mélandiens mentionné par Sullyan.
Sa décision fut vite prive.
-Bien sûr, je serai heureux de profiter de votre compagnie. Et pour la suite... Vous serez libre de disposer de vous-même, puisque vous serez votre propre maître. Tout au plus devrez-vous souffrir mes conseils ou ceux des autres. Mais vous en ferez ce que bon vous semblera.
Il fit un pas en direction de la plage.
-Venez, allons chercher nos ramasseurs de bois. La plage va bientôt être fermée au public.
Il faudrait qu'il demande à Guéric d'aller piéger la fameuse grotte... S'il était trop occupé, il enverrait quelqu'un chercher Goran pour s'en charger.

[Galathée]

Guéric attendait le retour des derniers attardés sur la plage avant de commencer l'installation des pieux dans la Fosse. Il fallut aider les enfants et les dames à traverser le grand trou avant de les hisser de l'autre côté. Victor et Jehan semblaient désespérés à l'idée d'abandonner ainsi leur merveilleuse plage aux mille algues et coquillages, mais ils se poursuivirent bientôt dans le défilé en poussant des cris de guerre. L'anxiété ambiante semblait les épargner. Il fallait désormais procéder à rebrousse-pas et le halfelin envoya les Mélandiens dans la Fosse, avec une masse et les pieux que Bellyra et Ruyven, les deux autres courtisans, terminaient d'affûter. Lorsque Taliesin lui parla de la grotte à piéger, Guéric laissa son poste à Martin, lui expliquant rapidement les paramètres cruciaux à surveiller. La palissade s'érigeait plus haut, incomplète pour laisser remonter les personnes qui travaillaient plus bas. Des piles de rochers avaient commencé à faire leur apparition sur les saillies rocheuses qui surplombaient la plage et le chemin.
Valaellyn apparut peu après, interceptant Taliesin et Dix-sept alors qu'ils choisissaient les points où se posteraient les archers et les guetteurs. Ils n'étaient pas encore parfaitement certains du nombre de non-humains présents dans leurs rangs. La prêtresse sourit au barde et parut plus embarrassée face à Dix-sept. Elle avait le visage maculé de poussière, les joues rougies par la bise qui soufflait, les cheveux désordonnés, ce qui la rendait encore plus ravissante qu'à l'accoutumée. Benoît n'était pas avec elle.
" Belenn..." fit-elle. " Sullyan veut te voir pour une dernière mise au point. Est-ce que tu peux déléguer ici ?"

[Taliesin]

-Bien sûr. Laisse-moi juste un instant...
Il confia la direction des opérations à Elerinna : Sullyan avait dit qu'elle l'aurait envoyée au Squale, s'il avait été homme à accepter les négociations. Elle pourrait donc sans mal gérer le groupe en cas de problème. Mais, de toute façon, chacun savait ce qu'il avait à faire.
-Venez, dit-il à Dix-Sept. Nous aurons sans doute des choses à ramener ici, vos bras nous seront donc utiles.
Enfin, il rejoignit Valaellyn.
-Me voilà ! Ah, au fait : bravo, pour le phare.

[Galathée]

Valaellyn sourit tout en reprenant le chemin de l'auberge.
" C'était assez spectaculaire, je dois l'avouer. J'ai eu peur que tout le promontoire ne cède au passage et que nous tombions tous à l'eau... ou dans les rochers. Mais en réalité, c'était moins difficile que ça en a eu l'air... Le bâtiment était déjà en mauvais état, un miracle qu'il ne se soit pas effondré pendant la tempête. Je n'ai pas fait grand chose, personnellement... Juste protégé ceux qui poussaient et tiraient... Je n'ai pas exactement prévu de sortilèges pour ce genre de situations... Il faudrait que j'arrive à trouver un moment pour me reposer... Mais j'imagine qu'avec la nuit qui tombe, nous serons les premiers sur le pont..."

[Taliesin]

-Sans nul doute... répondit le barde. Mais qui sait ? Si nos sympathiques visiteurs continuent à tergiverser devant le port, tu auras peut-être quelques heures pour dormir et préparer tes sorts....
Sa mine s'éclaira.
-Et tiens, j'ai une bonne nouvelle. Peut-être la connais-tu déjà, mais... Notre ami ici présent va être affranchi.

[Galathée]

L'elfe vira au pivoine, pris au dépourvu par la subite déclaration de Taliesin. Lorsque Valaellyn se tourna vers lui, sa confusion augmenta encore davantage. La prêtresse lui sourit et posa une main sur son bras, mais il le dégagea rapidement et croisa les mains dans son dos. Elle ne se formalisa pas de sa réticence.
" J'en suis ravie. Je n'osais l'espérer." dit-elle d'une voix très douce.
Dix-sept s'immobilisa et les dévisagea tous les deux, interdit, avant de baisser brusquement les yeux, prenant conscience de l'inconvenance de son attitude.
" Pardonnez-moi, bon sire, ma dame, mais je ne comprends pas comment cette nouvelle vous affecte en quoi que ce soit."