[Quête : Tel est pris qui croyait prendre] Groupe 2 - Arthur

[Taliesin]

Elwen soupira.
-Ce qui m'importe, c'est que tu ne gardes rien... ou du moins que tu en gardes le moins possible sur le cœur. Or, je doute que s'aventurer sur de tels terrains avec notre chef, ou avec les plus remontées d'entre nous, soit judicieux... Bref : j'espère que tu sais que tu peux me le dire, à moi, sans que cela ait aucune conséquences. C'est vrai, je peux t'en assurer.

[Arthur de Faisanlys]

" Ne t'inquiète pas, je n'ai pas l'intention de me faire remarquer. J'ai mes galons dans l'art de garder un profil bas et ce n'est certainement pas moi qui adresserai la parole à votre cheftaine."
Il sourit doucement.
" Pour le reste, je pense t'avoir dit ce que j'avais sur le coeur. Je crains... que tes explications ne puissent pas tout à fait éteindre mon sentiment d'injustice, mais cela n'aura pas de répercussions, je te le promets. J'ai l'habitude de prendre sur moi. Je sais qu'il est... des tas de situations où il y a la manière dont on aimerait que les choses se passent, et puis la manière dont elles se passent réellement. Tout ira bien. Je ferai ce qu'il faut pour remplir ma mission, ou tomber avec les honneurs. Le reste ne compte pas vraiment."

[Taliesin]

-Bienvenue sur l'Île Mouvante, murmura l'amazone, d'un ton indéniablement chagrin. L'île où les états d'âme n'ont aucune place, où le pragmatisme règne en roi. Telles sont les conditions de la survie, ici. Et plus encore maintenant que ces mages sont en maraude et que nos hommes se sont engouffrés dans leur sillage...
Elle se tut, garda les yeux rivés sur les feuilles qui se balançaient doucement, sous l'effet de la brise légère.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur lâcha un léger soupir, puis posa une main sur le genou de la jeune femme, une seconde, avant de la retirer comme s'il avait commis un impair détestable.
" J'espère que... que vous retrouverez un peu de quiétude... de... de latitude pour vivre plutôt que survivre." souffla-t-il. " Mais si cette île ne vous offre jamais que... que cette tension permanente... même autrefois... même ensuite... Vous devriez peut-être songer à la quitter, tout simplement."
Il lorgna la campagne autour d'eux.
" Tu vois, je t'ai rendue triste, et je n'ai même pas le pouvoir d'adoucir mes paroles. Je suis un imbécile. On ne devrait jamais parler pour parler."

[Taliesin]

Elle ne s'offusqua pas une seule seconde de leur bref contact.
-Allez, Arthur... Si on ne parlait que de manière utilitaire, on n'ouvrirait pas souvent la bouche, et les relations entre êtres pensants perdraient un peu de leur sel, non ? Et je t'ai moi aussi ramené à des choses difficiles, tout à l'heure. C'est donc de bonne guerre... Quant à quitter cette île... Les elfes sauvages, tout au long de leur histoire, n'ont connu que déplacements, exils, exodes. Pour une fois que nous avons découvert un lopin de terre que personne ne vient nous contester... enfin, que personne n'était venu nous contester jusqu'ici, nous ne sommes pas décidées à en partir, aussi dure que la vie puisse y être.

[Arthur de Faisanlys]

Il acquiesça.
" Je comprends. Sans doute qu'une fois débarrassées des mages... et de vos hommes... Vous pourrez continuer à vivre en harmonie avec la nature... pragmatiquement, sans doute, puisque tu dis que c'est la seule solution... mais dans une relative tranquillité..."
Il faillit ajouter quelque chose, puis se mordit la langue pour ne pas parler, et leva les yeux vers le linge qu'avait étendu Elwen pendant qu'il lorgnait la forêt. Il se demandait ce que les elfes imaginaient du futur. Sans hommes, malgré leur longévité, elles finiraient par s'éteindre. Ou alors caressaient-elles l'espoir que, comme eux, certains des leurs soient récupérables ? Il n'en dit rien. Quoi que sa compagne en pense, il ne voulait pas l'attirer dans ces eaux douteuses. Elle avait perdu un mari, qu'elle avait aimé, qu'elle aimait peut-être encore. Songer à la perspective d'un avenir solitaire, même s'il était mieux que l'esclavage, n'était pas l'idéal dans leur situation.

[Taliesin]

Mais Elwen ne semblait pas prête à abandonner là la discussion. Ou à la laisser se conclure par un silence.
-Je ne sais pas, murmura-t-elle. Je ne sais pas ce que sera l'avenir. Et à franchement parler, j'évite de trop y réfléchir. Ce qui s'est produit dans notre clan est trop grave pour ne pas avoir de conséquences durables et tangibles. C'est un séisme, en quelque sorte. Tout ce en quoi nous croyions a été remis en cause. Et même si nous triomphons... Nos hommes sont aussi nombreux et aussi valeureux que nous. Il y a fort à parier qu'au final, nous ne soyons plus qu'une poignée. J'espère d'ailleurs que nous serons assez pour nous occuper des enfants, et que celles qui survivront seront aussi elles qui ont le moins perdu dans ce drame. Ou qui se satisferont de la joie de retrouver leurs fils. Car nos comptons épargner les petits, évidemment. Ceux qui l'étaient assez pour ne pas prendre les armes, qui auront aussi peu compris que nos filles ce qui s'est passé. Il faudra essayer, avec eux, de reconstruire, de préserver un futur. Sans que pèse sur leurs épaules les crimes de leurs pères. Nous avons... Nous avons essayé de préserver cela. Nous avons expliqué à nos filles trop jeunes pour comprendre que des méchants mages avaient possédé les hommes, les avaient forcé à agir contre leur gré. Elles devraient donc accueillir leurs frères sans arrière-pensée. Après... Après, si nous sommes assez nombreuses pour nous occuper des enfants, nous devrons tout faire pour tirer les leçons de ce gâchis sans nom, pour qu'il ne se reproduise pas. Je ne sais comment nous y parviendrons... En faisant preuve de davantage de pédagogie auprès des garçons, peut-être. En mythifiant cet événement, en en rendant les mages seuls responsables. En veillant à ce que cette rancune sourde qui a poussé nos hommes au massacre ne refasse pas surface...
Elle poussa un long soupir.
-Je ne sais pas si ce sera possible. J'en doute. Mais j'espère malgré tout que les survivantes... y arriveront. C'est le seul espoir de salut pour notre peuple.

[Arthur de Faisanlys]

" Tu sais..." commença Arthur. " Quand Luménis est tombée, suite au coup d'état qu'avait fomenté Morféa Nwalk, nous nous sommes retrouvés dans une situation similaire... Les purges ont été violentes, radicales, des centaines... des milliers de personnes sont mortes ou ont disparu. Toute la société luménienne a été déchirée. Certaines professions... les clercs, les hommes de loi, les paladins, ont été pratiquement éradiquées en l'espace de quelques jours. Certaines franges de la population ont soutenu le nouveau gouvernement. D'autres ont plié l'échine. Certains se sont enfuis ou ont pris le maquis. D'autres se sont rebellés et ont été exterminés. La situation avait dégénéré, bien sûr, mais je crois que la plupart des gens... ne s'y attendaient pas du tout. Et tout ce que nous avions connu, ce sur quoi nous avions toujours compté... Plus rien de tout ça n'existait. La violence du nouveau régime était telle que succomber au désespoir était quasiment la réaction la plus saine... Nous ne parvenions pas à imaginer d'avenir. Personnellement, j'étais complètement sonné. J'ai l'impression d'avoir erré dans une sorte de brouillard. Jusqu'à ce que quelque chose commence à s'organiser... que je trouve une place dans cette révolution naissante..."
Il se tut.
" Je sais que mon histoire n'a rien à voir avec la tienne, mais ce que je veux dire c'est que... rien n'est jamais perdu. Les possibles sont multiples, les lendemains peuvent chanter... Si on y met détermination, constance, si on a le bon droit de son côté... Je suis certain que vous trouverez un moyen de retrouver un équilibre. Peut-être pas celui d'avant, mais un équilibre tout de même. "

[Taliesin]

L'amazone releva les yeux sur lui.
-Ainsi, tu as participé à la guerre civile ? demanda-t-elle. Et tu y as survécu ? Je ne vois pas, dès lors, pourquoi tu t'étonnes d'avoir été envoyé ici. Nous en avons entendu parler, tu sais. Par la garnison, par les marins de cet étrange navire qui sont revenus après plus d'un an d'absence, les tirant d'une situation bien difficile... Nous ne connaissons pas tous les détails, évidemment, mais nous en connaissons assez pour savoir à quel point cela a été terrible. Et si les circonstances, si les tenants et les aboutissants diffèrent beaucoup de notre situation actuelle, il n'est pas impossible, malgré tout, d'en tirer certaines leçons. Quoi que... Dans une grande ville, tout le monde ne se connaît pas, et il est peut-être plus facile de pardonner à des inconnus qu'à des amis proches ou à des membres de sa famille.
Elle soupira, s'arracha un sourire.
-Dans tous les cas, tu as raison, et ton attitude est la meilleure : à trop s'inquiéter, on s'ôte toute force, on part presque perdant. Mieux vaut aller de l'avant, y mettre toute son énergie, et voir ce qu'il advient. Si les choses tournent mal, au moins, nous aurons notre conscience pour nous : nous aurons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour parvenir à la moins pire des conclusions.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur avait un peu du mal à comprendre comment les amazones avaient pu en apprendre autant en espionnant la garnison luménienne dans l'ombre. Il avait l'impression que les guerriers-mages qui la composaient avaient commis des erreurs graves en ne détectant pas leur présence. Bien sûr, les elfes vivaient en symbiose avec leur environnement, mais tout de même ! Disposer des glyphes, des cercles de protection, tout ça semblait basique et nécessaire, en territoire hostile. Que des hommes expérimentés aient pu tout ignorer d'un peuple qui manifestement les avait approchés de très près paraissait un peu démentiel... et leur échec à contenir les mages soudain bien moins étonnant.
" Je n'ai rien d'un grand héros. J'étais un parmi des centaines de révoltés... Je me suis placé sous les ordres de quelques paladins survivants, et nous avons fait de notre mieux. Je ne me sens pas mieux armé pour la mission d'aujourd'hui. Peut-être le suis-je, je n'en sais rien..."
Il soupira, pinça les lèvres.
" Mais je n'ai pas envie de parler de demain. De stratégie et de fracas. Cette journée est tellement belle... Je voudrais pouvoir en profiter l'esprit le plus libre possible... Même si c'est illusoire."

[Taliesin]

Son sourire s'élargit.
-Tu manques vraiment de confiance en toi... C'est étonnant, surtout si on te compare à certains de tes compagnons d'aventure. Sans doute est-ce un atout, là où leur suffisance risque de les aveugler. J'espère juste que ce sentiment que tu éprouves n'est pas si prégnant qu'il en devienne handicapant... Enfin, tu as raison, ne parlons pas de l'avenir, et jouissons de l'instant présent. J'ai déjà eu l'occasion de te dire ma pensée à ce sujet, et je suis toute prête à remiser pour un temps les grands préparatifs ou les grandes considérations qui s'imposeront à nous bien assez tôt. J'en profite même pour réitérer ma proposition : si tu as envie de faire quelque chose de particulier, d'ici ce soir, tu ne dois surtout pas hésiter à me le dire.

[Arthur de Faisanlys]

" Je n'ai pas d'idée précise... pas d'envie non plus... Je n'ai jamais imaginé que ce genre de situations se présenterait. Jusqu'ici, nous n'avons fait qu'avancer et survivre. Je ne sais même pas ce que nous cherchions vraiment. Des survivants, nous en avons trouvé. Des alliés, nous en avons trouvé aussi. Mais tomber sur un tel refuge... malgré les dangers qu'il comporte... c'était inespéré... imprévisible... J'ai juste envie... de décompresser... et de te rendre service, si je le peux. Pour le reste... Peut-être que je devrais faire une sieste en prévision des jours à venir..."
Il sourit.
" Ah ! Honte sur moi ! La tentation de l'oisiveté ! Je devrais m'entraîner, voilà ! M'entraîner encore et toujours... et prier. Sans doute que je devrais prier un peu aussi. Mais si je peux t'aider... ou aider d'autres femmes de ta communauté... C'est mon métier, quelque part. Même si je sais que vous n'avez pas vraiment besoin de moi, bien sûr."

[Taliesin]

-M'aider, nous aider, tu le feras déjà bien assez en combattant à nos côtés. Quant à t'entraîner... J'ai l'impression que cela ne ferait que t'épuiser. Or, épuisé, tu l'es déjà par trop, non ? Tu ne dois donc pas hésiter à te reposer, à prier, à faire ce que tu voudras, en somme.
Elle se leva.
-Pour ma part, je vais devoir redescendre : j'ai quelques préparations à effectuer. Mais sens-toi libre de demeurer ici : je te promets que cela ne te vaudra, ni ne me vaudra, aucun ennui.

[Arthur de Faisanlys]

La proposition d'Elwen le laissa un peu désemparé. Rester tout seul en haut d'un arbre, tandis qu'elle retournerait vaquer à ses occupations ?
" Heu... Je serais bien... redescendu avec toi mais... Enfin... Je ne veux pas m'imposer si tu voulais avoir un peu de temps pour toi. Je peux rester ici, ce n'est pas un problème, je veux dire. Je comprendrais très bien que tu... enfin... sois un peu fatiguée... simplement."
Il se sentit ridicule mais finit par esquisser un sourire.
" Je ferai comme tu préfères. Je veux dire... Je dois faire tout ce que tu m'ordonnes, après tout !"

[Taliesin]

L'amazone poussa un soupir théâtral.
-Je t'ordonnerai bien de faire ce dont tu as envie, mais je crains que cela n'avance pas beaucoup nos affaires... Alors, puisque c'est ce que tu sembles spontanément préférer, descendons de concert. Si tu veux faire la sieste ou t'isoler, tu pourras aller dans ma chambre. Sinon, je te trouverai toujours de quoi occuper des mains. Dans tous les cas, une chose est sûre : tu ne me dérangeras en aucune manière.
Sur ces mots - et un nouveau sourire - elle s'approcha de l'échelle sommaire qui escaladait le tronc et s'y engagea sans la moindre hésitation.

[Arthur de Faisanlys]

Arthur embrassa le paysage du regard pour lui dire adieu, puis rejoignit Elwen dans sa descente. Il se montra extrêmement prudent pour être certain de ne pas glisser et heurter la jeune femme. Habile et furtive comme un écureuil, celle-ci le distança d'ailleurs rapidement et il demeura en arrière, cramponné aux barreaux sommaires de l'échelle, la tête dans les feuilles, caressé de temps en temps par un rayon de soleil audacieux. Il se demanda si les amazones avaient déjà des projets précis pour les jours à venir. Elwen avait parlé de préparatifs, ce qui laissait supposer l'existence d'une stratégie. A moins qu'elle n'ait sous-entendu quelque chose de complètement différent. Mais malgré ses envies de déconnecter, de profiter de ce temps volé au destin, Arthur avait l'esprit à la guerre. La violence déferlerait tôt ou tard. Il serait prêt. Il parvenait à peine à se remémorer son état d'esprit des derniers jours : tout lui apparaissait désormais comme voilé par la fatigue et le découragement. Il se souvint de la bravoure de l'équipage de la Nébuleuse et y puisa la détermination dont il avait besoin. Ils ne pouvaient pas échouer. Luménis comptait sur eux. Ils avaient désormais un appui local des plus appréciables : les amazones étaient redoutables, il en était persuadé, et pas seulement parce qu'elles avaient eu raison de quelques naufragés épuisés. C'est ragaillardi qu'il reprit pied sur le plancher des vaches et qu'il emboîta le pas à sa compagne.

[Taliesin]

Celle-ci l'avait attendu au pied de l'arbre, sans doute pour intervenir au cas où une violente montée de vertige l'immobiliserait sur l'échelle. Comme il n'en fut rien, elle l'accueillit d'un sourire, puis gagna sans tarder l'intérieur de sa petite maison, relativement frais compte tenu de la touffeur ambiante.
Elle alla quérir un cruchon d'eau et deux gobelets qu'elle remplit à raz-bord : l'ascension vers la plateforme et la descente jusqu'au sol avaient prélevé leur dû, et la soif accompagnait indéniablement la fatigue.
-Alors ? s'enquit Elwen après s'être désaltérée à loisir. Pour quoi vas-tu opter ? Sieste, prières, périlleuses manipulations de produits hautement toxiques ?

[Arthur de Faisanlys]

Arthur haussa les épaules.
" Je pense m'être suffisamment reposé là en haut... même si la descente était plus fatigante que je ne l'aurais cru. Je peux te donner un coup de main d'abord. Si tu ne crains pas que je n'apprenne par mégarde l'un ou l'autre de tes secrets professionnels. Ensuite, peut-être, j'irai dormir un moment. Peut-être sais-tu ce que nous réservent les heures à venir... Cela me permettrait de savoir quoi faire en priorité."

[Taliesin]

Elwen haussa les épaules.
-Nous sommes entièrement maîtres de notre temps jusqu'après le repas de ce soir. Ensuite, et bien... Tu rejoindras tes compagnons, tandis que je m'entretiendrai avec notre chef. Elle rendra son verdict dans la foulée. Et comme tout se passera bien, vous serez ensuite relativement libres de vos mouvements dans le village. Évidemment, vos quartiers seront quelque peu aménagés, afin d'être moins... austères.

[Arthur de Faisanlys]

Il opina du chef.
" Mais tu ne sais rien de vos intentions immédiates ? Monterons-nous au front demain ? Aurons-nous encore l'opportunité de reprendre des forces ? Je ne me sens pas particulièrement fatigué, mais si j'apprenais que nous partons en campagne dès le crépuscule, je pourrais décider d'imposer à mon corps de prendre quelque repos. Dans le cas contraire... Je ferai la petite main. Je n'y connais rien en mixtures, mais comme tu l'auras deviné, je sais suivre des directives."

[Taliesin]

-Rassure-toi, on ne partira pas au crépuscule ! fit-elle, amusée. Ni même demain, probablement. Une fois que nous serons officiellement alliés, nul doute qu'un ou plusieurs conseils de guerre seront organisés, afin de confronter nos points de vue. Nous avons déjà des pistes d'action, mais vous détenez peut-être des informations, ou aurez peut-être des idées susceptibles de modifier nos plans.

[Arthur de Faisanlys]

Il acquiesça.
" Malheureusement, l'officier qui devait nous guider à terre n'a pas survécu..." dit le jeune paladin, se remémorant l'instant douloureux où il avait découvert le corps du Comte d'Aiglepierre. " Mais il n'est pas impossible que certains civils s'improvisent généraux. C'est arrivé plus d'une fois pendant la résistance... et vu le tempérament de certains de mes compagnons, cela ne me surprendra pas."
Il s'étira avec un soupir.
" Bon, mais dans ce cas, je serai marmiton empoisonneur... A vos ordres, ma dame."

[Taliesin]

Elle secoua la tête.
-Non point, messire. Il ne siérait guère que je contraigne un digne Paladin de Lathandre à confectionner semblables substances létales. Non, sire Arthur, point de poisons pour vous : mais des simples et autres baumes guérisseurs.
Elle s'agenouilla près d'un petit coffre de bois, à l'allure toute simple, et en tira divers ustensiles, dont un mortier et un pilon qu'elle déposa devant son compagnon. Puis elle alla farfouiller dans ses étagères, en revint chargée de bocaux. Celui qu'elle lui tendit contenait de grosses noix à la coque épaisse et rugueuse.
-Il faut les décortiquer et réduire le fruit en poudre, expliqua-t-elle. Ceci dit, pour atténuer l'aspect rédhibitoire de ce labeur, tu es autorisé à en manger quelques uns : c'est roboratif et plutôt bon. Mais prends garde à ne pas être trop gourmand : à côté de leurs effets bénéfiques, ces noix sont aussi quelque peu... aphrodisiaques.

[Arthur de Faisanlys]

Le jeune paladin la dévisagea, interloqué, tentant de percevoir si elle plaisantait. Mais il n'osa pas la regarder trop longtemps : ça aurait été inconvenant, et il extirpa donc une première noix du bocal, méfiant. Il n'était pas question qu'il en mange. Il ne voulait pas se retrouver en proie à une émotion incontrôlable, comme celle qui l'avait saisi au bord de la rivière, et ruiner toute la bonne volonté qu'il avait mise dans ses échanges avec Elwen jusqu'ici.
Décortiquer le fruit lui prit plus de temps qu'il ne l'avait imaginé, mais le réduire en poudre s'effectua en deux pressions du poignet et il versa le résultat dans le récipient que lui avait donné la jeune elfe. Il recommença avec la noix suivante, puis la suivante, puis la suivante encore. Au début, il était concentré sur ses gestes, mais il finit par prendre la main. Puis il suivit ce que faisait Elwen. Pas longtemps. Son esprit déconnecta, s'assoupit. Loin de ressasser d'autres questions pressantes, il s'abandonna à une sorte de torpeur mécanique, broyant, broyant, broyant encore, sans plus réfléchir à rien. Il finit par goûter une noix, puis une seconde, mais s'arrêta là, et continua à travailler, prêt à vider ce premier bocal et bien d'autres, si c'était nécessaire.

[Taliesin]

Les noix étaient succulentes, comme l'avait laissé présager Elwen. A tel point qu'Arthur eut bien du mal à ne pas en manger davantage. L'elfe, elle, ne s'en priva pas, et en avait déjà prélevé au moins quatre. Sinon plus.
Quand elle ne grignotait pas, elle réduisait des baies séchées en une sorte de pâte épaisse, violacée. L'opération était des plus compliquées, car elle extrayait des fruits des graines minuscules qu'elle conservait à part. L'habitude et l'habileté étaient là, pourtant, et cela ne lui prit guère de temps. Pas davantage, en tout cas, que ce qu'il fallut à Arthur pour quasiment vider son bocal.
-Quelle efficacité ! Je vais songer à te conserver éternellement comme assistant... glissa-t-elle.

[Arthur de Faisanlys]

Il sourit, à la fois flatté et embarrassé.
" Ce n'est pas très difficile, il faut juste un peu de force..." dit-il en haussant les épaules. " Mais je ne pense pas que je ferais un très bon assistant... Tôt ou tard, je vais avoir des fourmis dans les jambes. Quand j'étais apprenti avocat, je ne parvenais jamais à rester longtemps à lire toute cette fastidieuse jurisprudence que m'imposait mon mentor... Soit je m'endormais sur les parchemins, soit je finissais par prétexter n'importe quoi pour aller faire un tour... souvent un long tour... Pas étonnant que le vieux hibou se soit plaint auprès de mes parents..."
Il secoua la tête.
" Bref, heu... Tout ça pour dire que je crains de n'être bon à broyer des noix qu'un petit laps de temps... Après quoi... Je risque de devenir distrait."

[Taliesin]

-Tu aurais pourtant pu faire un excellent avocat. En dehors de l'assommante paperasse, si tu avais défendu tes clients avec la fougue qu'on sent poindre parfois, quand tu t'exprimes sur certains sujets... Tu aurais pu faire des miracles ! Mais il est vrai aussi que, bien souvent, l'apprentissage est une période rude, sans guère d'attraits...
Elle s'empara d'une petite bourse de cuir.
-En tout cas, rassure-toi : il n'est plus question de casser des noix, à présent.
Elle dénoua les cordons et versa, entre eux, un petit tas de feuilles encore fraîches.
-Il faut les trier. Sélectionner seulement celles qui ont sept nervures et qui portent des petits trous ronds, signe que des chenilles sont passées par là.

[Arthur de Faisanlys]

" Oh dieux..." fit Arthur avec une grimace, en soulevant une première feuille qu'il présenta à la lumière.
Elle n'avait pas le bon nombre de nervures et il l'écarta.
" Tu te trompes, cela dit, j'aurais fait un très mauvais avocat. Je ne suis pas assez belliqueux, je manque de répondant, je suis aisément décontenancé, je déteste parler en public... J'ai une mémoire discutable, aussi. Et je ne saurais pas rester des heures à lire et à écrire, dans une bibliothèque poussiéreuse... Non. C'était un choix de carrière stupide. Enfin, même pas un choix, en ce qui me concerne... Et sans la guerre civile, je serais encore coincé là-bas, médiocre et accablé d'ennui."
Il avait trouvé sa première feuille répondant aux critères d'Elwen et la posa précautionneusement dans un bol.
" Mais la tragédie a eu cet effet inespéré..."
Il haussa les épaules.
" Les voies du destin sont impénétrables."

[Taliesin]

-Ah ça... Je ne te le fais pas dire.
Elle déposa une nouvelle feuille dans le bol. Elle en était à sa troisième.
-Mais je verrai si tu es si emprunté, si tu es si peu belliqueux que cela sur un champ de bataille. Pour être franche, j'en doute. Et d'ailleurs, tes propos, le sombre portrait que tu ne cesse de dresser de toi-même me font m'interroger...
Elle lui adressa un sourire espiègle.
-Est-ce qu'il t'arrive de te reconnaître autre chose que des défauts ? Je ne sais pas... des qualités, par exemple ?

[Arthur de Faisanlys]

Le jeune chevalier demeura interdit une seconde, puis se fendit d'un sourire embarrassé.
" Je ne pense pas être dépourvu de qualités." dit-il enfin. " Mais les relever serait faire preuve d'un manque d'humilité flagrant, or j'estime que l'humilité est justement l'une de mes qualités."
Puis une petite étincelle passa dans son regard.
" Mais puisque tu insistes... Je suis grand, beau, fort, brave et extrêmement... heu... extrêmement... drôle ?"
Il secoua la tête.
" Bon d'accord, pas tellement. Mais je trie bien les feuilles, avec beaucoup d'application !"