[Bâtiment] Le Palais Présidentiel

[Lothringen]

Lothringen cilla à peine devant ce feu roulant de questions qui semblaient s'imaginer qu'il maîtrisait les tenants et aboutissants d'une situation qui, justement, était en train de lui échapper. Ce qu'il anticipait ? Mais justement, rien. A ce jour, à cette heure, tout était possible. De l'union nationale devant la menace grandissante à la guerre civile fratricide qui ferait de Manost un fruit mûr pour les mélandiens. Mais s'il y avait bien une excuse ridicule pour ne pas accorder leur aide, c'était de faire semblant de redouter d'être pris pour une force d'occupation.

« La seule force d'occupation que redoutent mes concitoyens, à ce jour, c'est celle de Mélandis. Si vous débarquez pour vous incruster dans Manost et ne pas la combattre, alors là, sans doute, on pourra commencer à douter de vos intentions. Vous remarquerez que je ne vous ai rien demandé de tel. En attendant, vous êtes censés être nos alliés, avec ou sans Helm, et je pense que c'est admis par tous, dans la mesure où les factions dont je parle ne vouent pas de cultes à des divinités maléfiques. »

Il ferma fugitivement les yeux. Le général le soupçonnait de noircir le tableau, de vouloir se servir de troupes complémentaires pour maintenir la théocratie par la force. C'était, rationnellement parlant, un soupçon légitime. Mais cela manifestait une complète méconnaissance des acteurs de ce conflit, aussi bien de l'empereur de Mélandis, qui ne faisait pas semblant, ou des tensions intra-manostiennes, qui n'étaient pas que des querelles d'amoureux, que de lui-même, d'ailleurs. Et c'était une grave erreur de jugement que de sous-estimer la part des hommes.

« Quant au pouvoir vacillant que je représente... permettez-moi de préciser les choses. Je suis drow. Je ne suis pas helmite. Je ne suis même pas né manostien. Je ne dois ma position qu'à la protection du Grand Émissaire... je ne la garde que parce que je n'ai pas plus légitime que moi sous la main, et que j'espère encore qu'il refera surface. Si cependant, à terme, la théocratie devait tomber, je ne l'empêcherais pas de tomber. S'il se présente un gouvernement crédible capable de reprendre les affaires courantes, je lui rendrai moi-même mes dossiers. Vous préféreriez traiter avec mes éventuels successeurs ? Je ne vous parlerai même pas de l'aide que vous a accordée le Grand Émissaire, manifestement, c'est déjà bien loin. Je vous ferai seulement remarquer que c'est en ce moment que les armées progressent.»

[Théobald Longuehune]

L'entrevue menaçait de dégénérer. Longuehune était persuadé que la sortie du général et, plus encore, les accusations à peine voilées du conseiller Manostien, allaient mettre le feu aux poudres. Le marin, bien que désireux de venir en aide à leur allié, avait lui aussi fait les gros yeux en entendant la proposition de Lathiriel. Le fait qu'elle était dans son camp l'avait rassuré mais lui-même s'était bien garder de promettre une intervention de la flotte pour briser le blocus. Il était évident que le conseil devait discuter de ces questions en privé et de se mettre d'accord sur la réponse à donner à cette requête d'assistance. Longuehune prit enfin la parole :

- Conseiller Lothringen, nous avons pas oublié l'aide passée de Manost. Luménis n'a pas une tradition militaire et commence à peine à se relever des troubles pour lesquels vous nous êtes venus en aide. Nous ne disposons pas d'un corps expéditionnaire prêt à partir sur le champ le soir même où un allié nous réclame son aide. Vous devrez comprendre qu'il nous reste beaucoup à discuter, à préparer. Vous nous avez fourni de nombreux éléments dont nous devons débattre entre nous. Nos ressources ne sont pas illimitées et il nous faut organiser leur éventuel déploiement. Nous allons mettre à votre disposition et une suite et nous nous reverrons demain si cela vous convient.

Une façon diplomatique de congédier le conseiller avant que la discussion ne s'envenime. Du moins l'espérait-il.

[Lathiriel]

Lathiriel répondit aux regards furibonds de ses homologues par des regards non moins furibonds. Elle n'avait rien promis, ayant pris soin d'employer le conditionnel concernant ce dont ils pouvaient faire don gratuitement, sachant fort bien que sur ce type d'aide, ils n'auraient aucun mal à se mettre d'accord - la seule discussion concernerait le montant, sur lequel elle ne s'était pas engagée. Elle s'était simplement attachée à donner une touche positive à leur début de réponse, sachant pertinemment quelle serait ensuite la position de Maelwedd. Pour qu'un émissaire de l'importance de Lothringen se déplace en personne, c'est que la situation était grave, et c'était bien mal récompenser un allié d'hier que de refuser d'entrée de jeu d'accéder à ses demandes. Mais bien sûr, ce genre d'amabilité était trop étranger au caractère de son homologue...

Elle acquiesça à la proposition de Longuehune. Exposer leurs dissensions devant un haut responsable manostien aurait été une erreur gravissime. Et le débat risquait fort de se poursuivre très tard dans la nuit...
- Soyez sans crainte, nous sommes conscients de tout ce que nous devons aux manostiens. Mais nous devons nous concerter sur les modalités que nous pouvons mettre en oeuvre pour répondre à vos requêtes. Nos moyens, tant financiers qu'humains, sont bien inférieurs aux vôtres, peut-être même insuffisants pour faire pencher la balance... Mais soyez assuré que nous ferons notre possible pour venir en aide dans la mesure de nos moyens. Comme l'a proposé mon homologue, vous pouvez disposer d'une suite dans ce palais, à moins que vous ne préfériez demeurer à l'ambassade pour cette nuit ?

[Gareth Maelwedd]

Le général aurait volontiers croisé le fer un peu plus longtemps avec le Manostien, mais il s'en tint à l'intervention de Longuehune. Après tout, s'il y en avait un qui irait guerroyer sur Dorrandin, c'était lui. Longuehune voudrait sans doute caracoler en mer, mais Lathiriel serait forcée de rester à Luménis. Il espérait, du moins, qu'elle comprendrait que c'était là son rôle et sa place. En même temps, vu le tour qu'avaient pris les choses, les décisions qui semblaient avoir été imposées sans même qu'ils en discutent, plus rien ne le surprendrait.
Mais donc, puisqu'il devrait sans nul doute se frotter aux Manostiens pendant des mois, si pas des années, autant la boucler pour l'instant. A nouveau, son esprit dériva sur les mille et une choses qu'il allait devoir mettre en place pour préserver Luménis en son absence. Heureusement, il avait des hommes de valeur sur lesquels compter. Et un peu plus nationalistes, justement, que ceux qui se prétendaient protecteurs de la cité.

[Lothringen]

Sa colère était retombée aussitôt qu'éclose. Il n'avait pas aimé les sous-entendus de Maelwedd, il l'avait fait savoir : affaire close. Pas de quoi fouetter un chat, et encore moins s'effaroucher en se débarrassant aussitôt de lui comme d'un témoin gênant. Il aurait pu trouver le procédé aussi peu élégant que le reste, mais en même temps, Lothringen n'avait aucune envie de perdre son temps en chamailleries, pas plus que d'assister aux démêlés du conseil luménien, qui avait visiblement du chemin à faire avant de parler d'une seule voix. Il n'insista donc pas, pas plus qu'il ne prit la peine de relever ce que les propos qui lui étaient tenus pouvaient avoir de lénifiant. Il se doutait quelque peu que les choses ne pouvaient pas être mises en place en quelques heures – et c'était pour cela qu'il était venu si tôt, d'ailleurs, alors qu'on y aurait sûrement vu plus clair quelques jours ou semaines plus tard. Plus clair, mais trop tard.

Le semi-drow hocha la tête devant la proposition de Lathiriel.

« Ce ne sera pas nécessaire. Maintenant que j'ai vu une fois cet endroit, je n'aurai pas de peine à le cibler. Je reviendrai demain, midi. D'ici là, je crois que j'ai besoin de moi... ailleurs. Et merci pour le thé. »

Tout bien réfléchi, il n'était pas certain de pouvoir remercier pour autre chose. Puis il se mit à incanter :

Lothringen = = > téléportation = = > Le Palais des Murmures

... et disparut.

[Gareth Maelwedd]

« Formidable. On entre et on sort des hauts lieux du gouvernement luménien sans même frapper à la porte. Je vois que notre niveau de sécurité atteint des sommets. Pour une cité de la magie, c’est édifiant. » grommela le général en voyant le Manostien disparaître.
A vrai dire, il avait une forte envie de jeter l’éponge, là, comme ça, à cette heure indue. On se targuait de mesurer l’urgence de la situation à des milles de là sans prendre conscience de celle qu’on avait sous les pieds. Parlons d’une poutre.
Il était furieux contre ses collègues, déçu de leur mollesse face à un représentant étranger, mais c’était sans doute un juste reflet de cette cité rose bonbon, dégoulinant de bons sentiments au risque d’être foulée du pied par le premier venu. Il avait du mal à croire que la féroce dame Lathiriel ait pu échanger autant d’amabilités avec quelqu’un qui n’était pas venu demander leur aide, mais l’exiger.
Il se garda cependant bien d'ajouter quoi que ce soit. Il n'était pas certain de parvenir à maîtriser sa mauvaise humeur et espérait, voeu pieu, pouvoir dormir au moins deux heures sur la nuit.

[Lathiriel]

Lathiriel sentait la moutarde lui monter au nez. Ce Maelwedd se comportait véritablement comme un... un goujat paranoïaque ! Et bien sûr il estimait avoir raison sur tout !
- Et bien, oui, on n'est pas dans un dictature complètement sécurisée, on nest pas dans l'un de vos quartiers de haute sécurité où vous et vos semblables mettez au point stratégies, armes et offensives... Nous sommes dans une démocratie en paix, dans une cité ouverte au commerce, aux connaissances, à la magie et aux hommes. Je crains que nos divergences philosophiques ne soient insurmontables sur ce point et ce n'est certes pas ce soir que nous nous mettrons d'accord. Mais je vous rassure, il existe tout de même des glyphes qui nous avertiraient si quelqu'un écoutait nos conversations privées. Mais là, s'agissant je vous le rappelle d'un chef d'état allié venant quémander de l'aide, il n'était guère nécessaire de bloquer son utilisation de la magie.
Certes, permettre ainsi l'utilisation de la magie était une faille pour la sécurité de leur conseil, donc pour la stabilité de la ville. Elle était consciente que Maelwedd n'avait pas vraiment tort sur ce point, mais elle n'était pas d'humeur à le reconnaître.

Elle soupira.
- Discutons-nous maintenant des suites à donner aux demandes formulées, ou préférez-vous remettre la réunion à demain matin ?
Elle se sentait parfaitement capable de poursuivre les débats encore un bon moment. L'un des avantages des elfes, après tout, c'était qu'ils pouvaient assez aisément se passer de sommeil, même s'il lui en faudrait quelques heures tout de même pour mémoriser ses sorts. Elle savait qu'il n'en allait pas de même des humains, ce qui était l'un de leurs moindres défauts.

[Théobald Longuehune]

Longuehune se cala au fond de siège comme pour marquer son intention de rester et appuyer sa réponse orale :

- Il me semble que nous avons beaucoup à faire, et beaucoup à discuter dans un délai très court. Ce conseiller nous a presque fixé un ultimatum en proposant de revenir si tôt. Si la situation était différente, je serais enclin à le faire attendre, juste pour le principe... Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous tenir prêts et de voir ce qu'il convient de faire. résumons à chaud ce que nous savons avec certitude et nos options. Nous pourrons prendre des décisions à tête reposée demain et dans les jours qui viennent.

[Gareth Maelwedd]

La répartie pleine de mesure de Longuehune aurait sans doute pu radoucir le général, mais il avait besoin de relâcher la pression, et il le fit avec sa morgue habituelle, fulminant. Sa diatribe s'adressa avant tout à la magicienne, dont il avait fort peu goûté l'intervention.
« Pardonnez-moi, Lathiriel, mais à moins de deux ans d’un coup d’état qui a coûté la vie à un Luménien sur dix, on aurait pu croire que la naïveté et les bons sentiments étaient quelque chose qui avait disparu au moins chez les gens supposés guider la cité. Ou bien allez-vous continuer à tendre la joue gauche, au mépris du bien-être de ceux que vous avez juré de servir ? Vous parlez de démocratie comme si j’ignorais le sens de ce terme, mais vous vous apprêtez à engager Luménis dans une guerre potentiellement coûteuse sans vous soucier de l’avis de votre peuple, justement. Personne n’est sorti indemne de la dictature morféenne. Il n’est pas un Luménien qui n’ait perdu une soeur, un père, un fils, au cours de ces événements qui ont, pardonnez-moi encore, été précipités par la stupidité et l’aveuglement des dirigeants d’alors. A présent, vous allez leur imposer de payer à nouveau pour les erreurs d’autrui ? Sans leur demander leur avis ? Et vous me parlez de démocratie ? Allons bon. »
Il secoua la tête, dépité.
« Et ne la ramenez pas sans cesse avec cet « allié » manostien, qui ne veut bien l’être que parce que son allié mélandien n’en veut plus. Dois-je vous rappeler que Manost nous a envoyé 200 petits soldats lors du coup d’état ? 200 ? Et officieusement, de surcroît ? Pour ne pas froisser les Mélandiens qui étaient plus que probablement impliqués dans nos problèmes ? Dois-je vous rappeler… »
Il se tourna vers Longuehune.
« Que les rapports diplomatiques envoyés par Grégoire mentionnent noir sur blanc que le commerce entre Manost et Luménis n’est toléré que pour autant qu’il ne fasse pas d’ombre aux accords conclus entre la cité du Vigilant et celle du Chaos ? Alors qui est l’allié de qui, hein ? Soudain, on se rappelle la belle qu’on a délaissée sur l’île voisine quand la régulière demande le divorce ? Je sais que Luménis et Manost ont un passif complexe, bourré de rancoeurs et de méfiance. Mais le savoir signifie accepter que, non, ce ne sont pas nos "alliés" naturels. »

[Lathiriel]

Lathiriel toisa le général avec un regard de glace. Le genre de regard qu'elle avait envers ses subordonnés de l'université de la magie lorsqu'ils en prenaient un peu trop à leur aise et qu'elle devait leur rappeler les règles... Maelwedd n'était pas un de ses subordonnés, hélas, pourtant elle aurait bien voulu pouvoir lui faire ravaler sa morgue d'un seul regard.

Elle prit la parole d'un ton parfaitement calme.
- Cela me paraît une interprétation bien partiale des faits, général, mais soit... Pour en revenir au peuple, il ne s'opposerait certainement pas à ce que nous envoyions un peu d'aide à Manost pour contrer les Mélandiens. Ils savent tous quel danger représente Mélandis. Tous savent que que Morphea en venait. Je pense qu'au contraire on nous reprocherait notre passivité face à la menace qui se profile. Quant aux 200 hommes envoyés... Ils nous ont bien aidés, et étaient en nombre suffisants. S'ils avaient été davantage on les aurait soupçonnés de vouloir nous coloniser.
Elle prit une bouchée d'un des petits fours.
- Pour en revenir au problème présent... Je ne sais pas combien vous pensez en proposer, des hommes, mais pour ma part je pense que le mieux est de faire appel avant tout à des volontaires. Parmi les soldats, bien sûr, mais éventuellement en-dehors. Il semblerait qu'ils aient besoin de prêtres.
Oh, bien sûr, il allait se récrier qu'il n'avait jamais eu l'intention d'en proposer un seul... Qu'il râle donc, elle savait qu'il finirait par se ranger à leurs arguments : même une tête de mule comme lui savait qu'on ne pouvait pas prendre le risque de laisser Mélandis gagner la guerre.

[Théobald Longuehune]

Le vieux briscard adressa un signe discret de la tête en direction de Lathiriel pour signifier qu'il était proche de partager son avis. Mais, en homme habile, il intervint pour ne pas faire perdre la face au général. Cela aurait été le meilleur moyen d'enliser la situation. En homme pragmatique et ancien commerçant, il énonça ses propres arguments :

- Je pense qu'il est assez évident que nous n'enverrons pas de corps expéditionnaire conséquent de l'autre côté de la mer. Mais nous avons certainement des choses à proposer qui ne nous pénaliseront pas trop à court terme et pourraient nous profiter sur le long terme. Après tout, nous serons en position de force pour négocier des accords commerciaux qui nous seraient bien utiles pour renflouer nos caisses. Indirectement, cela profitera à toute la population et pourra nous permettre de renforcer nos positions et accélérer la reconstruction et les réformes que nous savons toutes nécessaires. Je suis loin d'être un novice crédule dans ce domaine : la flotte qui permettra d'alimenter les ports manostiens pendant cette crise sera avantagée lorsqu'il s'agira d'escorter les navires marchands lorsque nous en ressortirons. Si nous sommes habiles, nous serons moins freinés par ce nationalisme qui caractérise aujourd'hui nos partenaires. Peut être qu'une flotte au mouillage de façon plus permanente aidera à rappeler à Manost qui sont ses alliés.

[Gareth Maelwedd]

Le manque de combattivité de ses opposants ne manqua pas de décontenancer le général, qui reprit sur un ton nettement plus modéré.
" Malheureusement, je ne pense pas que nous puissions faire l'économie d'un minimum de troupes. Si les Manostiens sont aussi dépassés qu'il l'apparaît, ils pourraient réellement perdre cette guerre et nous ne pouvons pas le permettre. Dans nos stricts intérêts personnels. Laisser des volontaires traverser la mer sur vos bateaux me parait dangereux. Vous parliez de la désorganisation légendaire des Mélandiens. Nous devons leur opposer des hommes entraînés et surtout capables de se mobiliser en fonction des ordres qui émanent d'en haut. Nous ne disposons pas de milliers d'hommes : nous devons être efficaces. Envoyer des mercenaires persuadés, chacun, d'être un stratège de génie qui ne demande qu'à se révéler... Catastrophe assurée. Reste que nos troupes sont actuellement maigres et novices. Mais c'est leur job. Ils le savent. Ce sont des soldats de métier, ils ont signé, ils accepteront ce que nous leur imposons. Et j'ai de bons officiers. Et j'en serai. Par contre..."
Il fronça les sourcils.
" Nous n'avons pratiquement pas de clercs militaires. Si nous voulons leur envoyer des prêtres... Il faudra contacter les temples sur base individuelle et leur vendre le produit. Nous ne pouvons réquisitionner personne, vous le savez. Et il y a fort à parier qu'avec la mort de Helm... Tout ce petit monde se montre bien prosélyte une fois en territoire manostien... Cela pourrait les motiver à partir... pour autant que Manost soit prêt à accueillir ce groupe de missionnaires en leur laissant la bride sur le cou... Un minimum du moins."
Il soupira.
" Cette guerre va nous grever. Méchamment, même. J'espère que vous en êtes conscient. Ces sacrifices, nous n'avons pas les moyens de les faire en ce moment. Le peuple va nous comprendre, et nous en vouloir encore davantage. Aucun de nous trois ne gouvernera peut-être Luménis dans un an. C'est le jeu. Mais je ne crois pas, Dame Lathiriel, que vous préféreriez avancer dans l'ombre sans avertir nos concitoyens de ce qui va leur tomber dessus."

[Lathiriel]

Lathiriel hocha la tête.
- Il nous faudra faire un communiqué rapidement, avant que les rumeurs ne se chargent de grossir l'affaire. Il y a des témoins de la présence du conseiller Lothringen. Bien sûr, il faudra présenter les choses à la population de façon à ce que les citoyens comprennent que nous n'avons pas le choix. Comme vous le dites, général, on ne peut pas se permettre de courir le risque de laisser Mélandis l'emporter. Je regrette que nous ayons laissé partir le conseiller sans lui demander à combien d'hommes il estime leurs besoins, cela nous aurait fait une base de départ pour négocier... Mais c'est trop tard. Il faut que nous définissions combien d'hommes au maximum nous pouvons envoyer, sur terre comme sur mer, sans dégarnir trop dangereusement la cité... en espérant qu'il nous en demande moins. Je ne suis pas certaine que nous puissions faire l'économie d'un appel aux volontaires civils, même si je comprends bien vos réticences. Il faudra veiller à ce qu'ils soient bien encadrés, intégrés dans les escadrons et moins nombreux que les soldats de métiers... Ou peut-être leur confier une mission parallèle où ils ne viendront pas gêner les mouvements de troupe, ça peut être une option.
Encore une bouchée de gâteau.
- Il nous faut aussi définir l'effort financier que nous pouvons fournir, en terme de fournitures. Nos caisses ne sont pas très remplies, il va falloir trouver des financements, peut-être en augmentant un peu les taxes sur les bénéfices des commerçants, après tout ils ont directement intérêt à ce que nous gagnions cette guerre, et vite. Mais ce ne sera pas populaire, c'est certain. Contrer Mélandis, tout le monde sera pour. Mais mettre la main au portefeuille...
Elle soupira.
- Quant aux clercs... Je crains moi aussi leur prosélytisme, mais nous n'y pouvons pas grand-chose. Le successeur d'Albérich, Alaric d'Antelucas, me semble un homme pragmatique et il saura sans doute motiver quelques-uns de ses prêtres. On peut aussi faire appel à quelques temples mineurs en complément.

Edit :j'ai le vague souvenir intuitif qu'il y avait un souci avec les origines d'Alaric... un lien avec une cité concurrente peut-être... trop flou dans ma tête, j'ose pas y faire allusion

[Théobald Longuehune]

Enfin on semblait avancer. En vieux briscard, Longuehune avait attendu que les deux autres conseillers commencent à parler des moyens à envoyer pour intervenir à nouveau. Il était maintenant peu probable que l'on revienne sur la décision d'envoyer de l'aide à Manost.

- Nous avons une dizaine de vaisseaux d'attaque qui pourront être prêts à appareiller dès demain si nous en donnons l'ordre. La Cavalière, La Brise et La Brume sont encore en réparation mais ils pourront eux aussi prendre la mer d'ici une semaine. Transporter notre aide et la protéger pour qu'elle arrive en toute sécurité ne posera pas de problème. Cependant, pour ne pas dégarnir par trop nos défenses, je recommande d'en garder au moins six dans le port, au moins jusqu'à ce que nous rappelions nos flottes de patrouille.

[Gareth Maelwedd]

Maelwedd sourit.
" Visons après-demain, si vous le voulez bien. Nous ne devons pas agir dans la précipitation, si la situation est aussi mal embarquée que le dit ce Manostien. Et il est toujours de bon ton de laisser vos matelots embrasser leur blonde avant de les vouer à la mer, vous savez ça, Longuehune."
Il soupira.
" Je ne pense pas que nous puissions taxer le commerce. Les marchands se remettent seulement des spoliations du tyran. Par contre, dans ce que nous avons saisi... Peut-être pourrions-nous nous séparer de certains bâtiments... Suspendre certains postes... moins nécessaires en temps de guerre. Du genre de votre Amphithéâtre. Ne me regardez pas comme ça, Lathiriel. Je vais envoyer les trois-quarts de mes gars outremer, vous allez aussi devoir couper dans vos marottes."
Il vida son verre.
" Je pense pouvoir envoyer 3000 hommes grand grand maximum. Il faudrait que je discute du terrain avec l'un ou l'autre de mes conseillers pour sélectionner le type de troupes. Même si je n'ai pas la possibilité de faire la fine bouche. Je prendrai le commandement du contingent. Flèche-Sombre me suppléera sur Luménis. Nous ne pouvons pas complètement dégarnir la Trouée et il faut absolument que les navires de guerre puissent nous couvrir au cas où les Mélandiens changeraient subitement de cible. Comme vous le savez, les Services Secrets sont notre poste le plus minable, en ce moment. Vu d'où ils reviennent, ça n'a rien de surprenant, mais nous ne parvenons pas à contrôler tout ce qui entre et sort de la ville. Nous n'avons donc pas de rapports concernant la présence d'agents mélandiens à Luménis, mais ça ne signifie pas qu'ils n'y sont pas..."
Il fronça les sourcils.
" Tant que j'y pense, il serait sans doute bon de garder à l'esprit qu'une partie non négligeable de nos recrues récentes sont des repentis morféens. Tous ne viennent pas de Mélandis, bien évidemment. Mais nous ne pouvons pas complètement prévoir ce qu'ils feront une fois sur Dorrandin."

[Lathiriel]

Lathiriel foudroya le général du regard quand il osa évoquer l'amphithéâtre. Est-ce qu'elle lui demandait de vendre le siège des services secrets, ou de se séparer d'une partie du port militaire, elle ?
Puis elle failli tomber de son siège quand il évoqua le chiffre de 3000 hommes. Fichtre. Et dire qu'il prétendait plus tôt dans la soirée n'avoir presque pas d'hommes... Ils étaient bien loin des quelques centaines à peine accordés par Manost à l'époque !

Elle haussa un sourcil à la dernière remarque.
- J'imagine que vous ne recrutez pas aveuglément vos repentis morféens et que vos subalternes vérifient bien leur motivation et leur patriotisme, ça me semble la moindre des choses... Quant à vos trois mille hommes, j'espère qu'ils ne seront pas perçu comme une force de colonisation à Manost : il va falloir marcher sur des oeufs là-bas, diplomatiquement parlant. Nous verrons demain ce que ce conseiller Manostien souhaite exactement, comme force d'appui.
Elle soupira.
- Reste l'aspect financier. Difficile de se dire clairement en guerre alors que tout ça se passera ailleurs... Pour les citoyens, on ne fait que venir en aide à un allié, mais ils ne considéreront pas que nous sommes en guerre nous-mêmes, donc effectivement des impôts seraient mal perçus. Peut-être peut-on envisager une autre voie, une sorte d'emprunt national, rémunéré à un taux raisonnable, que nous pourrons rembourser avec l'argent que nous escomptons gagner par le développement des relations commerciales entre Manost et Luménis. les droits de douane et les taxes déjà existantes devraient nous assurer un revenu assez confortable une fois la guerre gagnée.
Elle était bien décidée à ne même pas relever l'allusion à la vent des biens communs. La culture, l'art, la magie, étaient emblématiques de leur ville : il était hors de question de sacrifier leur âme.

[Théobald Longuehune]

Longuehune avait aussi haussé les sourcils en entendant le général évoquer le nombre de soldats qu'il estimait pouvoir mener au combat. Maelwedd avait paru frileux jusque là mais peut être était-ce une posture. Peut être comptait-il mener un assaut lui-même dès le départ.

- Je serons peut être amenés à réquisitionner certains navires marchands pour transporter tant d'hommes. D'autant plus qi vous comptez y envoyer des unités de cavalerie légère. L'infanterie et les milices d'archers serait parfaites pour renforcer les garnisons des cités en danger mais si vous comptez affronter la horde en pleine campagne, nous aurons besoin de chevaux. Mélandis n'a quasiment pas de cavalerie, autant en profiter.

[Gareth Maelwedd]

Oups, sorry...

Maelwedd acquiesça.
" J'ai parlé de 3000 hommes au grand maximum. Je n'ai pas dit que nous devions tous les envoyer... et je vous rappelle, Lathiriel, que nous avons offert l'amnistie à bien des hommes en échange de leur engagement. Le tri est donc... ce qu'il est. Les officiers sont sûrs. Les soldats... C'est au cas par cas. Nous n'avons pas envisagé de nous retrouver si rapidement en guerre. Monter au front est un métier qui s'apprend, et la plupart d'entre eux n'en sont qu'aux prémisses... Mon armée n'est pas composée de piétaille qu'on envoie se faire décimer. Leur loyauté est liée à leur professionnalisme. Evidemment, le couteau sous la gorge, nous devrons faire feu de tout bois."
Il sourit intérieurement. Voilà qu'il se mettait à faire des belles phrases, comme Longuehune.
" Mais nous avons de quoi négocier avec le Manostien, désormais. Si vous préférez que je n'assiste pas à l'entrevue, je suis prêt à rester dans mon fort. Les préparatifs n'attendent plus."

[Lathiriel]

Lathiriel grimaça intérieurement. Leur armée était-elle si peu fiable que le général le disait ? Il devait exagérer, trop perfectionniste peut-être, en bon professionnel de la guerre.
Elle sourit, amusée, quand il envisagea de ne pas être présent à l'entrevue du lendemain. Il détestait ce genre de réunion, c'était visible. Mais elle ne voulait pas s'entendre ensuite accusée d'avoir pris des décisions sans son accord...
- Il me semble au contraire que votre présence est des plus importantes. La guerre, c'est votre métier, vous saurez certainement mieux que moi discuter stratégie et forces en présence avec le conseiller Lothringen. Nous essayerons de ne pas laisser la réunion s'éterniser, ajouta-t-elle avec un soupir. Vous avez raison, les préparatifs doivent débuter au plus vite.

[Gareth Maelwedd]

Les dirigeants se quittèrent peu après. Maelwedd avait accepté d'assister à la réunion du lendemain, Longuehune était satisfait, et Dame Dithazir alla trouver les quelques malheureux serviteurs qui avaient veillé tard pour leur donner les consignes en vue de la réunion à venir.

Aussi, à midi le jour suivant, étaient-ils à nouveau dans le petit salon, attendant la venue du conseiller manostien.

[Lothringen]

Lothringen se présenta aux portes du palais à midi pile, heure luménienne. A la mine congestionnée qu'avait prise le général en le voyant se téléporter, il en avait déduit qu'il valait mieux faire ça hors de sa vue. Qu'à cela ne tienne, l'ambassade n'avait pas tant d'amour-propre...

Encore ému du message de Ravestha qui lui avait été remis à peine plus d'une heure plus tôt, le semi-drow avait eu quelque peine à se remettre en tête les affaires en cours ; toutes ses démarches, toutes ses tentatives lui semblaient confiner à l'absurde. Pour qui faisait-il cela, pour quoi déjà ? Ni pour un dieu qui était mort, ni pour un régime démissionnaire, mais pour les milliers de manostiens qui n'avaient d'autre choix que de compter sur leur gouvernement en miettes et leur armée étêtée pour contrer les troupes ennemies.

Les dernières nouvelles des éclaireurs étaient plutôt encourageantes, de ce point de vue ; depuis leur sortie du désert, les mélandiens s'égayaient dans les plaines et s'amusaient à piller les villages déserts plutôt que de poursuivre leur marche forcée. Sans le savoir sans doute, ils étaient en train de laisser aux manostiens un peu de temps pour se réorganiser. En espérant que ce soit possible...

Lothringen en était là de ses réflexions quand on l'invita à pénétrer à nouveau dans la salle de réunion. Les conseillers luméniens étaient tous là, ce qu'il n'avait pas forcément espéré au vu des dissensions de la veille. Après les salutations d'usage, le manostien n'y alla pas par quatre chemins :

"Je suppose que vous êtes parvenus à un accord quant à la question que je soulevais hier ?"

[Théobald Longuehune]

Une chose que l'on pouvait dire à propos du conseiller Lothringen était qu'il ne s'embarrassait pas à y aller par quatre chemins. C'était une attitude qui convenait parfaitement à Longuehune mais qui pouvait braquer les autres conseillers. Celui-ci adressa un regard à ses compagnons et s'éclaircit la gorge avant de répondre en tentant de ménager ses alliés et notamment le général :

- Nous avons en effet discuté de l'assistance que Luménis pourrait voua accorder et des moyens que nous pourrions envisager de déployer pour vous aider. Mais notre connaissance du conflit en cours est imparfaite. Bien moindre que la vôtre, j'imagine. Il nous faudrait en savoir davantage sur la composition et la position des ennemis et sur votre plan d'attaque. il parait évident que si nous n'agissions pas de manière coordonnée, nous perdrions un énorme avantage tactique.

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête, approuvant ce discours. Oui, mieux valait agir de concert, ou ils pourraient perdre la guerre tout en ayant la supériorité numérique et qualitative; ça s'était déjà vu.

"Pour ce qui est des mélandiens, la situation évolue constamment et il se pourrait que les informations que je possède soient déjà périmées. L'empereur a envoyé quasiment toutes les troupes dont il dispose, moins la garnison de Mélandis. On a dénombré près de dix mille hommes, pour l'essentiel des fantassins, guerriers et archers, accompagnés de quelques mages et clercs en soutien. Après avoir traversé les terres du Basilic à marche forcée, il semblerait qu'ils aient décidé de s'offrir du "bon temps" en pillant les villages. Ils se sont séparés en différents groupes et ravagent la région située entre Aghoralis et Armonis. A priori, les habitants ont eu le temps de fuir, de détruire les récoltes qu'ils ne pouvaient emporter et de se réfugier dans les cités fortes : faute de butin de valeur, les troupes mélandiennes devraient se lasser assez rapidement. Que feront-ils après cela ? Attaquer Aghoralis serait une grossière erreur ; cette cité frontalière a toujours disposé d'une garnison importante et de défenses robustes ; elle est prête pour un siège. J'imagine qu'ils attendent notre armée, et que, faute de la voir venir assez vite, ils s'en prendront aux cités moins bien défendues de l'intérieur, Graëlon en première ligne.

Le moins que l'on puisse dire est que pour l'instant cette armée n'est pas prête. Il me faut gagner du temps, quitte à sacrifier l'arrière-pays. Du temps pour remplacer les démissionnaires, calmer la panique liée à la mort de Helm, et laisser les nouveaux convertis se gagner les faveurs de leur nouveau dieu... Pour ce qui est de la stratégie à adopter, l'état-major est loin d'être unanime. Certains pensent qu'il vaut mieux laisser les mélandiens venir jusqu'à nos remparts et les y briser par vagues. Le problème est qu'ils ne le feront peut-être pas, se contentant de conquérir des cités et du territoire jusqu'à nous coincer dans la péninsule. D'autres voudraient attaquer le plus vite possible, en rase campagne, afin de l'imiter l'impact de leurs exactions. La seule chose dont je sois sûr, c'est que si nous adoptons la seconde option aujourd'hui, nous courons à une défaite majeure."

[Lathiriel]

La seconde option était pourtant sans doute celle qu'espérait le peuple, espérant limiter les victimes civiles. Même si les manostiens étaient réputés pour leur loyauté et leur combattivité, ne risquaient-ils pas de se sentir abandonnés par leur armée ?
Lathiriel soupira intérieurement. La guerre était l'affaire de stratèges qui raisonnent froidement. Elle se sentait trop ignare en la matière pour pouvoir juger du bien-fondé de leurs choix.

- Pardonnez-moi, je ne suis pas stratège, et mes questions peuvent paraître naïves... Mais vous, de votre côté, de combien d'hommes disposez-vous ? Vous dites qu'une attaque frontale est actuellement vouée à l'échec parce que vous êtes en infériorité numérique ou parce que le terrain vous est défavorable ? Parce que si je comprends bien votre analyse, attendre présente le risque de perdre la guerre à moyen terme si vos adversaires se contentent de rogner votre territoire sans jamais attaquer de front. Vous disiez hier que vous aimeriez une petite armée alliée pour les prendre à revers, si j'ai bien compris ? Combien d'hommes faudrait-il, pour y arriver ? A moins bien sûr que vos plans ne soient pas encore arrêtés...

[Lothringen]

Chuis pas morte.

« En fait, nos plans dépendent aussi des renforts dont nous pouvons disposer...Jusqu'ici le Grand Émissaire restait principal décisionnaire et son absence nous nuisait, mais il vient de m'envoyer un courrier qui règle au moins ce problème. La bonne nouvelle est qu'il n'est ni mort ni enlevé. La mauvaise est qu'il ne prendra pas part à cette bataille. »

Lothringen marqua une pause. Il se rendait compte qu'il occupait beaucoup l’espace sonore, mais en même temps, il fallait bien partager les informations avant de pouvoir discuter stratégie. La vérité est qu'il n'était pas vraiment plus versé dans cet art que Lathiriel, tout bien réfléchi. Ce n'est pas parce qu'on a été mercenaire qu'on a été général. Il avait appris en écoutant les autres...

Il exposa alors quelles étaient les forces et faiblesses de l'armée manostienne, pour ce qu'il en savait. Elle avait toujours été légèrement inférieure en nombre à l'armée mélandienne : en temps ordinaire, huit mille cinq cents hommes étaient mobilisables. Parmi ceux-ci, le nombre des archers ou des mages était sensiblement comparable à celui de l'ennemi. Il y avait aussi une cavalerie de huit cents hommes, mais la principale originalité, et force, de l'armée helmite était que trois combattants sur dix étaient paladins ou clercs.

« Et c'est de là que provient notre affaiblissement actuel. Ce ne sont ni le terrain ni le nombre qui nous gênent, dame Lathiriel, mais simplement le fait qu'une partie non négligeable de notre armée est privée de pouvoirs cléricaux. A cela s'ajoute un effet de panique à la mort de Helm : des démissions, des désertions, qui parachèvent la désorganisation... Le fait que certains s'attendent à un effondrement du régime également. Pour ma part, je ne pense pas qu'il faille trop attendre, et encore moins laisser les choses dégénérer en guerre de siège. Mais attendre deux ou trois semaines avant de nous mettre en branle nous est néanmoins nécessaire. »

[Théobald Longuehune]

Deux ou trois semaines pour se mettre en branle et la défection d'une bonne partie des forces vives de la cité... Il ne fallait pas être un génie tactique pôur se rendre compte que la situation n'était guère brillante. L'amiral s'éclaircit la gorge et répliqua d'un ton gêné :

- Deux semaines pour mettre vos troupes en ordre de bataille et probablement autant pour espérer les opposer à la clique mélandienne. Cela laisse donc un mois à ces salopards pour se reposer après leur traversée du désert et tenter de gagner des points stratégiques. M'est avis que s'ils s'emparent d'une de vos cités, il ne sera pas facile de les en déloger. Et pire, ils pourraient y trouver de meilleurs armes et des vivres pour tenir le temps d'une campagne. Avez-vous un moyen de les ralentir ? Quelles pourraient être leurs prochaines cibles ? A supposer qu'ils ne se dispersent en autant de bandes de brigands. Auquel cas, vous n'avez pas fini d'entendre parler d'eux. Nous ne sommes malheureusement que trop bien placés pour en parler.

Le conseiller s'interrompit pour laisser l'opportunité eu général de réagir à ses propos, tournant son regard vers lui. La situation était trop grave pour laisser libre court à leur inimitié coutumière.

[Gareth Maelwedd]

Heu, mais j'y connais absolument rien en stratégie, moi... Kasu, tu ne veux pas reprendre le général ?

Le général avait attentivement écouté les échanges jusque là, préférant laisser la diplomatie à ceux dont c'était le métier. Il se sentirait plus à l'aise sur le terrain, dans une tente, la boue, en face des hommes avec lesquels il devrait composer, et de ceux qui combattraient à ces côtés.
" Si vos désirs désignent essentiellement des clercs et des paladins, nous ne les avons pas." intervint-il finalement. " Notre armée compte surtout des soldats réguliers, et des mages de guerre. Nous avons des clercs, mais peu. Nos Lathandrites ne sont pas vos Helmites. Cela ne veut pas dire que nous ne trouverons pas des prêtres pour traverser la mer, mais cela devra se faire sur base volontaire : nous n'avons pas de pouvoir de conscription. Quant aux paladins, même si nous vous les envoyions tous, ça ne ferait jamais qu'une poignée d'hommes. Ce sont des sphères de la vie luménienne qui ont souffert de la domination morféenne, et qui peinent à s'en relever."
Il fronça les sourcils.
" Si vous pensez par contre vouloir compenser cette absence de divin par des troupes plus conventionnelles, nous pourrions, je pense, vous appuyer plus solidement. Nous y engager, en tout cas."

[Lathiriel]

Lathiriel hésitait à intervenir, se sentant peu compétente dans ce domaine.
- A défaut de prêtres, nous pourrons vous fournir un certain nombre de potions je pense. Certes, ça ne remplace pas des hommes. Mais je me demandais... Vous parlez de rumeurs d'effondrement du régime, de désertions... En décidant d'attendre, ne craignez-vous pas que ces rumeurs s'amplifient ? Qu'attendez-vous, exactement, en laissant ce délai ? Est-ce simplement le temps que nos renforts arrivent, ou bien espérez-vous pouvoir pendant ce temps reprendre en main vos hommes, réaffirmer l'autorité des dirigeants, redonner confiance à votre armée... Parce que Theobald a raison, attendre est plutôt risqué... Il me semble que le temps joue contre vous.

[Lothringen]

Ma foi, un helmite ne se poserait pas tant de questions. Il monterait au combat sabre au clair, sans se soucier de savoir qui le suit ni même s'il a la moindre de chance de réussir, et se réjouirait à l'idée d'une mort glorieuse et vaine ... Puis il tomberait dans la lumière, laissant derrière lui un pays sans défenseur. Heureusement pour Manost, ce n'est plus ma philosophie, rumina Lothringen, qui, depuis quelques heures, nourrissait une rancune certaine à l'égard de Ravestha pour sa défection.

« J'espère qu'au lieu d'ajouter à la confusion, un certain délai permettra de faire entendre la voix de la raison, de remettre de l'ordre dans l'armée et dans l'administration, de calmer les esprits qui criaient à la malédiction et à la fin du monde, et éventuellement, de redonner une allégeance efficace à nos clercs et paladins. Il vous permettrait d'arriver également... Nous communiquerons tant et plus, remettrons la discipline dans les rangs, annoncerons la date du départ en campagne, et l'effet de mobilisation peut faire le reste. Je me rends bien compte que c'est une prise de risque, mais je veux croire en mes concitoyens... je crois aussi que nous n'avons pas d'autre choix que de prendre ce pari. Comme je vous l'ai dit, en l'état actuel des choses, une bataille est à peu près perdue d'avance. »

Triste constat, mais à ce sujet, l'état-major était unanime... Le contrecoup de la mort du dieu tutélaire, annoncée à peine trois jours plus tôt, était trop récent ; tant que les combattants ne l'auraient pas digérée – ni trouvé de parade, ils feraient une piètre armée. Le semi-drow se tourna vers Maelwedd.

« La configuration de l'armée helmite est trop atypique pour que l'on cherche à la reconstituer. Nos clercs étaient prêtres de bataille, pour la plupart ; mais ce sont les prêtres de soutien et les soigneurs qui vont le plus manquer. L'armée mélandienne étant surtout riche de ses fantassins... tout ce qui peut faire la différence, à vrai dire, est bienvenu. »

Il s'arrêta un temps, le temps de se remémorer les remarques de Longuehune. Pour une fois, il n'y répondrait pas par de mauvaises nouvelles.

« Vous demandiez comment ralentir les mélandiens... En fait, la géographie est contre eux. Le territoire sur lequel ils se trouvent est composé de grandes plaines à peu près vides, parsemées de villages abandonnés et de rares cités fortes ; et ils n'auront d'autre choix que de contourner le Bosquet. S'ils mettent le siège devant la mauvaise cité, ils se fixeront d'eux-mêmes. S'ils se dispersent en continuant de piller, ils perdront leur temps tous seuls. Le scénario le pire est en effet qu'ils attaquent une cité mal défendue, et qu'elle tombe... Aghoralis s'y attend depuis sa fondation, elle tiendra. Je n'en suis pas aussi certain pour Graëlon, mais le temps qu'ils la rejoignent... Ils n'ont pu traîner de machines de guerre depuis Mélandis, il leur faudrait les construire : elle ne tombera pas en deux jours non plus. Cojum, en revanche, compte tenu de ses collections et de ses bâtiments anciens, serait ville ouverte... mais ils ne pourraient pas en faire grand chose. Les autres cités qu'ils pourraient capturer ne leur apporteraient pas d'avantage décisif. C'est une région peu peuplée, somme toute. Beaucoup moins dense qu'Helonna. »

[Gareth Maelwedd]

Le général demeurait silencieux pendant le discours du Manostien. Il était enfin question de parler stratégie après tous ces atermoiements sans fin. Miser sur un évènement aussi improbable qu'une conversion massive des anciennes troupes loyales à Helm revenait à croire en un miracle. Autant s'asseoir en cercle en priant que les dieux eux-mêmes viennent pour chasser les importuns Mélandiens. Le général connaissait l'importance du moral et de la discipline sur les troupes mais il préférait, de loin, les éléments concrets, hommes, armes, logistique et ravitaillement, ceux qui pesaient sur les rapports de force. Il valait mieux ne pas ôter trop vite les belles illusions des rêveurs cependant aussi choisit-il une autre approche :

- Vous avez dit disposer d'unités de cavalerie. Comment sont-ils armés ? Pour l'heure, je gage que des unités rapides qui peuvent voyager et se retirer sans avoir toute une troupe d'écuyers à leurs basques nous serait plus utiles que des chevaliers lourds. Le terrain s'y prête : si l'ennemi n'est pas complètement idiot, il devra disperser des unités pour trouver de la nourriture et de l'eau. Harceler les bandes isolées pourrait faire du dégât et les ralentir, et mieux encore, perturber leur approvisionnement. Helonna dispose de très bonnes troupes de cavalerie légère mais il nous faudra du temps pour en réunir suffisamment et même alors, ils ne se suffiront pas. Nous devrons dégarnir quelques places fortes de la trouée du Rohan mais c'est possible si Longuehune nous fournit suffisamment de transporteurs pour le fourrage et les bêtes. Quant à nos troupes d'infanterie, elles sont bien armées mais leur entraînement n'est pas achevé. La plupart des fantassins n'ont participé à aucun conflit et nous ne disposons pas encore d'assez bons sergents pour les orienter. Ils pourront renforcer les garnisons que vous estimez en danger. Mais pour cela, vous devez savoir où l'ennemi est le plus susceptible de frapper. Que pouvez-vous nous dire sur leurs généraux ? Peut être est-il possible d'attirer les troupes où nous le voulons ? En leur faisant convoiter richesses, vivres et armes apparemment sans défense peut être ? Si nous avons suffisamment affaibli leurs possibilités de s'alimenter jusque là, cela sera plus facile. Armer la population devra attendre, inutile d'aggraver les troubles pour le moment mais il faudra y songer si vos défenses sont percées. Nous disposons d'un bon stock qui pourrait vous être utile. Les arbalètes ne nécessitent qu'un entraînement minimal et elles nous seront utiles sur vos remparts même si elles sont maniées par des civils.