[RP] Mouvements de troupes

[Mornagest]

Le sable était brûlant, le soleil de plomb. La plupart des habitants du désert étaient des reptiles, des oiseaux prédateurs des premiers, et quelques plantes grasses qui survivaient entre chaque ondée, très peu fréquentes pendant l'essentiel de l'année. À perte de vue, les dunes s'étalaient paresseusement, et changeaient de profil selon les vents dominants, décorant l'horizon de couleurs allant du jaune vif à l'orange feu, contrastant brutalement avec le ciel entièrement et désespérément bleu.

Pourtant, dans cet enfer torride, une armée s'avançait lentement mais inexorablement vers son but. Souffrant, suant, les hommes marchaient dans des conditions difficiles, mais avec une détermination qui galvanisait leur moral, et leur donnait l'envie d'accélérer le mouvement autant que possible. D'ici quatre jours, ils seraient dans des contrées plus clémentes, et ce serait alors une partie de plaisir.

On leur avait promis tout. La gloire, l'or, la satisfaction de tuer des représentants de l'ennemi de toujours, Manost. Et ils s'étaient sentis capables d'y arriver, et de pouvoir jouir de tout cela. Restait à obéir aux ordres, et à survivre à cette fournaise.

La fatigue éliminait naturellement les plus faibles. Ceux qui ne suivaient pas le mouvement étaient rapidement distancés, s'égaraient alors ou mouraient de soif ou d'épuisement. Quelques rares téméraires essayaient de déserter, mais ils étaient souvent rattrapés et exécutés sommairement, ou finissaient tués par une horde de gobelins ou un scorpion quelque peu hargneux.

Finalement, mieux valait suivre le mouvement, la colonne apparemment sans fin qui s'étirait sur des kilomètres. Chariots, chevaux, fantassins, tous venaient de Melandis. Combien étaient-ils ? Dix mille ? Vingt mille ? Eux-mêmes l'ignoraient, et n'en avaient que faire. Ils voulaient en découdre, faire passer cette rage qui montait simultanément avec la chaleur, sur leurs ennemis. Chacun passait mentalement en revue les mouvements qu'il effectuerait. Une feinte, une pointe, une pirouette, un assaut final. Et on passait à l'ennemi suivant.

L'entraînement avait été rude, plus encore que lors du service militaire classique et obligatoire pour tout citoyen âgé de plus de seize ans, filles comprises. Elles étaient moins nombreuses à se rendre au combat, mais faisaient montre d'une opiniâtreté égale à celles des hommes. Melandis transformait les esprits, les modelait selon son bon vouloir, et celui de son jeune mais impitoyable empereur, guidé par Cyric lui-même, disait-on. Il les guidait. Il leur avait parlé. Certains avaient son âge, et se voyaient en lui, s'imaginaient diriger, eux aussi, une armée, une cité, un empire.

"Nous ne pouvons accepter que la Cité helmite nous spolie encore de la sorte, depuis si longtemps. Qu'avons-nous besoin de souffrir pour obtenir ce dont nous avons besoin, alors que l'abondance est présente chez eux, qu'ils baignent dans la richesse et l'opulence ? Acceptons-nous que leur dieu de pacotille leur serve d'alibi pour essayer de s'emparer d'une partie de notre empire ?"

Ainsi parlait-il. Ainsi les avait-il facilement poussé à prendre les armes et à marcher vers la frontière, pour se battre.

D'ici quatre jours, ils seraient dans des contrées plus clémentes, et ce serait alors une partie de plaisir.

[Mornagest]

L'armée avait bien avancé, malgré les conditions difficiles et un terrain sans pitié. L'immensité de la troupe leur avait permis d'éviter tout combat. Les brigands s'étaient évidemment cachés depuis longtemps, et les gobelins et les orques n'étaient pas suffisamment idiots pour se frotter à une telle puissance adverse.

Les soldats passaient leur dernière nuit dans les terres du Basilic, et cela les réconfortait. La température était déjà nettement plus supportable, et de ci, de là, on voyait quelques étendues verdoyantes, des bouquets d'arbres, des mares d'eau. Bientôt, les frontières de l'Empire seraient dépassées, et les premiers villages manostiens seraient à leur merci.

Le pillage n'avait pas été proscrit, au contraire, mais les affrontements directs étaient pour l'instant en attente. Les différents généraux avaient reçu des ordres très précis de la part de Swaren sar Venuma, et ils comptaient bien les mettre en application dès que possible, soit le lendemain vers le milieu d'après-midi, s'ils progressaient à cette allure.

La masse de soldats se séparerait en plusieurs factions suffisamment proches pour communiquer rapidement par corbeaux, tout en couvrant une bande assez large et ainsi empêcher une infiltration des troupes manostiennes. Pour l'heure, les éclaireurs n'avaient rien repéré, et les quelques magiciens qui accompagnaient l'armée avaient usé leurs talents de divination jusqu'à certifier qu'il n'y avait pour l'instant rien à craindre.

Le moral des combattants était bon, meilleur que la veille, quand le soleil les rôtissait presque dans leurs armures, même légères. Le poids de l'équipement et la chaleur pesaient sur leurs épaules, et la fin de la journée était accueillie avec un soulagement général. Les choses sérieuses allaient pouvoir commencer bientôt.

[Lothringen]

Les bancs de sable s'étaient peu à peu raréfiés, les prairies avaient bientôt succédé aux herbes sèches, et avec la fertilité était revenue la bonne humeur de l'armée. La clameur avait été immense quand l'avant-garde de la colonne avait aperçu le premier filet de fumée dans le ciel pâle de ce matin d'automne. Un village, enfin ! Un petit groupement de bâtisses se tassait au pied de cette fumée, de part et d'autres de la route. Un village, à n'en pas douter - à la fois relai pour voyageurs et exploitation agricole - à peine un point sur les cartes. Dix maisons, tout au plus. Il s'approchèrent, et la terre tremblait sous leurs pas.

Ce fut l'odeur qui les força à ralentir. Une odeur asphyxiante de cendres et de charogne, portée par la brise. On envoya des éclaireurs, qui ne tardèrent pas à explorer la zone. A leur retour, ils faisaient grise mine.

La fumée qu'ils avaient vue de si loin était celle des granges, où il ne restait plus de la récolte qu'un tas énorme de braises incandescentes. Les maisons avaient été elles aussi incendiées, mais la rosée avait éteint les dernières flammèches. Seuls les murs se dressaient encore : ni toit, ni plancher, et un maigre refuge. En contournant les ruines, ils avaient trouvé une dizaine de cadavres de porcs égorgés baignant dans la soue, et à demi rongés par les corbeaux. Ils étaient là depuis des jours, tantôt mouillés par la pluie, tantôt séchés par les rayons du soleil, carcasses puantes, sanguinolentes et creuses.

Alors ils regardèrent l'horizon, y aperçurent d'autres colonnes de fumée, et comprirent que ce village déserté n'était que le premier d'une longue liste.

[Swaren sar Venuma]

Le gros de la troupe était établie autour de lui et de ses généraux. La situation était bonne, pour l'instant, mais la bataille n'avait pas encore commencé. Les petits échauffements sur les villages frontaliers n'étaient qu'un amuse-gueule destiné à motiver les troupes, les faire patienter en relâchant un peu la pression sur leurs victimes. Swaren ne l'ignorait pas, une partie non négligeable des soldats étaient en réalité d'anciens prisonniers dont la seule alternative à la pendaison ou autre mise à mort plus douloureuse était l'enrôlement dans l'armée mélandienne. Ces éléments-là étaient bien entendu surveillés, mais les dérapages pouvaient survenir. Ils étaient déjà survenus, d'ailleurs... le viol n'était que moyennement toléré, mais impossible d'avoir des yeux partout. De temps en temps, les gradés retrouvaient un cadavre de jeune fille à l'écart du village tout juste pillé, et en général, son état ne laissait aucun doute quant aux sévices subis par la victime.

L'empereur était parti pour deux bonnes raisons, à ses yeux. La principale était qu'il avait fini par s'admettre que participer aux escarmouches et donner des ordres en restant sur le terrain était le meilleur moyen pour instiller courage et détermination auprès des troupes. Quant à la loyauté... elle dépendait surtout des sujets. Mais la crainte était souvent largement suffisante. Non ?

"Nous allons lever le camp d'ici cette nuit. Nous avancerons plus avant en territoire manostien, en direction d'Aghoralis. La cité n'est pas si proche que cela. Je pense qu'il faudra une bonne semaine pour l'atteindre, en admettant que nous filions droit vers elle, mais ce ne sera probablement pas le cas.
- Les dirigeants manostiens risquent de s'y attendre, en effet, Sire", approuva un général.
"Mais il serait judicieux de ne pas prendre trop de temps pour joindre cet objectif. Les troupes sont disciplinées, pour l'instant, mais le temps jouera en notre défaveur, à long terme.
- Tenez vos hommes. À tout prix. Nous n'avons pas besoin que les choses dégénèrent. Motivez-les, faites-leur miroiter Aghoralis. Une cité importante, qui détient probablement bien des richesses. Et une victoire importante pour nous, si nous la prenons facilement."

L'optimisme était une chose, l'inconscience une autre... mais l'empereur avait probablement plus d'un tour dans son sac.