Quête : Dans les sables du temps, deuxième époque

[Lothringen]

Lothringen écarta ses doigts de l'androgyne avec un certain dégoût. Autant exercer une sexualité double ne le gênait aucunement, autant il y avait à ses yeux quelque monstruosité dans ce corps aux caractères sexuels entremêlés. On est toujours l'autre de quelqu'un, sans doute...

Le rire dément continuait de retentir, insistant, teinté d'une petite nuance lubrique qui ne se laissait pas ignorer. On se serait presque attendu à trouver le rieur, ou la rieuse, ou la double chose, pourquoi pas, en plein ébat sur un cadavre. Lothringen se redressa, et, laissant ses compagnons derrière lui, serrant les mains sur ses armes, il progressa dans la direction qu'on lui avait si généreusement indiquée. Ce rire commençait de lui taper sur les nerfs et il avait hâte d'y mettre un terme.

[Althéa]

Leodacya le suivait à quelques pas, entourée par ses compagnons. Aucun d'entre eux ne parlait. Le rire les affectait, eux aussi. Nerveux, fébriles, assurant difficilement la prise sur leurs armes tant leurs mains étaient moites.

Ils débouchèrent sur une immense pièce dépourvue de mobilier, mais aux murs décorés de tapisseries obscènes. Sur le sol étaient posés des chaînes, comme si une mauvais ménagère les avait posées là négligemment. Mais ce n'était sûrement pas dû au hasard.

[Lothringen]

Quand il avait parcouru la ville, quand il avait écouté les rebelles, Lothringen avait tenu pour acquis que leurs adversaires, à l'instar d'Algernon, étaient voués à Baine. Il s'était donc attendu à tout ce qui l'accompagne - salles de torture, esclavage, cachots, réminiscences mélandiennes - plutôt qu'à cet étalage lubrique qui faisait davantage penser à Loviatar ou à Sharess qu'au Seigneur Noir. Pourquoi cette obsession sexuelle, quand l'oppression et la tyrannie peuvent prendre des formes si diverses ? Que dirait Baine d'un culte aussi dévoyé ? Faisait-on des orgies ici ? Entre tyrans ou... ? La vision des chaînes au milieu de la pièce le fit brièvement frissonner, comme elle touchait une vieille blessure. Etait-ce pour lui ?... Il en avait gardé si longtemps les cicatrices...

Il surprit un regard étonné de Leodacya, qui se demandait pourquoi il venait de se figer, et se ressaisit aussitôt. Il brasserait de mauvais souvenirs une autre fois. Après la mort de Plume, il ne pouvait pas se permettre une autre erreur. Pas avec trois personnes derrière lui.

Ils demeuraient groupés près de la porte, guettant l'origine du rire. Mais leur ouïe n'était pas assez bonne pour le localiser précisément. Du reste, un mage pouvait très bien falsifier l'origine d'un son, et la prudence restait de mise.

Lothringen n'avait plus de sort de détection de l'invisibilité, sans compter que le dernier n'avait pas eu la moindre efficacité tout à l'heure.

"Finissons-en", coupa-t-il avec agacement.

[Althéa]

Une sorte de sifflement strident. Un souffle d'air. Le bout de la chaîne fendit l'air écorchant au passage l'oreille de Leodacya qui plongea en avant pour éviter l'attaque. L'autre extrémité, comme un serpent s'en roula autour de la jambe de Lothringen. Une deuxième, entremêlée à la première se dressa soudain. L'un des bouts, taillé en pointe transperça la cuisse d'Ael.

Et au loin, l'immonde rire redoublait d'intensité.

[Lothringen]

Empêtré dans la chaîne qui lui écrasait la jambe, Lothringen en attrapa un bout, le plaqua au sol et entreprit de briser un chaînon à l'aide de sa hache dont il donnait des coups répétés de bûcheron. Une hache ordinaire y aurait sans doute perdu son manche, mais la hache magique s'en sortirait indemne. Restait à savoir si elle parviendrait à fendre le métal, et si cela suffirait à briser l'enchantement.

Pour l'heure, à chaque choc, elle émettait une vive lueur bleutée, comme si elle partageait l'humeur de son maître. Car le semi-drow rageait intérieurement. Leur adversaire invisible s'amusait avec eux, comme Algernon autrefois, et il ne détestait rien tant que de perdre le contrôle de la situation.

[Althéa]

La chaîne paraissait incassable. Certes, certains maillons se détachèrent en crissant. Mais l'objet animé semblait intuable. Peut-être n'y avait-il pas d'autre solution que de passer outre. Ils ne seraient sûrement pas poursuivis. Leodacya, immobilisant la chaîne réussit à libérer la jambe de son compagnon. Celui-ci perdait une quantité importante de sang. Une artère devait avoir été touchée.

Il fallait à présent s'éloigner au plus vite.

[Lothringen]

Il fallait surtout panser la jambe d'Ael avant qu'il ne se soit tout à fait vidé de son sang. lls tentèrent de le faire avec les moyens du bord, improvisant un garrot d'une efficacité relative avec de la charpie. Lothringen voulut regarder la blessure de Leodacya à l'oreille, mais elle paraissait bénigne. Devant eux, la grande pièce vide avec ses tapisseries suggestives, le rire indéfini de leurs adversaire invisible, et pas d'issue apparente. Ils avancèrent. Lothringen ne répéta pas sa mise en demeure : il était las de ce petit jeu. Mais tant que leur ennemi aurait des sorts et que son invisibilité tiendrait, il pouvait user et abuser de ses invocations. Ne restait plus qu'à tenir la distance.

[Althéa]

Ael suivait tant bien que mal. Le pansement était déjà imbibé de sang. Il ne tiendrait pas très longtemps. Mais pour l'instant, le plus important était d'avancer. Passées les chaînes, l'espace se vida des tapisseries obscènes et autres franfreluches, semblant s'ouvrir d'un coup.

Le groupe déboucha sur une sorte de galerie agrémentée de piliers et de colonnades. Vestiges d'un luxe moins lubrique mais inattendu dans le palais des murmures. Une multitude d'armures semblait monter la garde.

[Lothringen]

Un nouveau mirage, et pour Lothringen, une nouvelle occasion de se maudire de n'avoir pas poussé davantage son apprentissage des sorts de vision lucide. Quel était l'avantage de ce nouveau décor ? Dissimuler le mage, sans doute ; exaspérer ses poursuivants. Le semi-drow inspecta les armures d'un regard soupçonneux. Ce ne serait pas la première fois qu'il verrait des armures animées par sorcellerie... Il renâclait à l'idée de traverser la galerie, car c'était précisément ce qu'on attendait de lui. Alors que s'ils se contentaient d'attendre... non seulement le sort finirait par se dissiper de lui-même, mais l'adversaire probablement impatienté devrait revoir sa stratégie et dépenser de nouveaux sorts d'attaque. Et c'était ce que voulait Lothringen : lui faire progressivement vider son livre de sorts, un effet après l'autre.

Ils mirent la pause à profit pour utiliser un sort de soin sur la jambe d'Ael.

HRP : j'ai du mal à déterminer si Ael est le guerrier ou le prêtre du groupe.

[Althéa]

La petite troupe s'était donc immobilisée devant cette galerie. Les regards à l'affût du moindre mouvement s'arrêtèrent sur les détails du décor. Des miroirs. Ils semblaient ne pas avoir été là l'instant d'avant. Et pourtant. Derrière les armures, devant les chaînes. Ils reflétaient la scène, impassibles, renvoyant aux aventuriers leurs visages anxieux et leurs regards hantés. Leurs postures sur la défensive. Les yeux verts de Leodacya accrochèrent brièvement les siens. La quarteronne sursauta soudain.

Son reflet ne venait-t-il pas de bouger alors qu'elle demeurait parfaitement immobile ?

[Lothringen]

Son mouvement attira l'attention de ses compagnons sur le qui-vive. A leur tour, ils observèrent leurs images, interloqués, pour remarquer, qui un léger retard dans le mimétisme, qui un demi-sourire non conforme... L'espace d'une demi-seconde, ils demeurèrent bouche bée devant ce spectacle, n'osant en croire leurs yeux.

Le mage en Lothringen, comme à son habitude, ratiocinait. Il avait déjà vu des sortilèges impliquant des miroirs et des doubles, ou du moins, il avait lu à leur sujet, et il les passait en revue. Il se rappelait l'histoire de ce démon qu'un miroir ensorcelé avait contraint de se battre à mort contre son reflet. Il se rappelait l'histoire de cette compagnie de clercs emprisonnés dans un miroir qui avait commencé par absorber leur essence, avant de leur prendre leur raison... C'étaient des sorts d'une incroyable puissance, et qui demandaient une longue préparation.

Le guerrier en Lothringen, pour sa part, prit les devants, allant planter une hache dans le miroir le plus proche, sous le regard offusqué de son double.

[Althéa]

Avant de planter sa hache dans le miroir, Lothringen vit son double hausser un sourcils, alors que lui même ne cillait pas. La surface polie encaissa le coup avec un choc énorme et aurait dû logiquement se fendre mais ne bougea pas. S'il le semi drow avait causé une petite brisure dans le miroir, celle-ci s'était reformée aussitôt. Devant les yeux ébahis, le reflet de Leodacya sortit un poignard. Un éclat d'argent et le jeune homme, vivant comme reflet s'écroulèrent.

Le miroir se brisa.

[Lothringen]

HRP : j'ai supposé que tu avais voulu écrire "la jeune femme"

Consterné, Lothringen se précipita auprès de Leodacya, avec un mouvement d'inquiétude aussitôt imité par le rouquin qui semblait être son soupirant en titre. Fébrilement, ils cherchèrent à découvrir la plaie, cependant que la jeune femme remuait faiblement, manifestant que c'était avant tout la surprise du coup qui l'avait fait tomber.

Elle serrait les dents tandis que le prêtre cherchait toujours la blessure. Ce devait être soignable, sauf si la lame était empoisonnée...

Tandis qu'il attendait, Lothringen regardait sa fille, serrant inconsciemment les dents comme elle. Ses compagnons tombaient les uns après les autres. Il aurait mieux valu les laisser dans leurs cavernes, c'était une évidence à présent. Et il s'estimerait heureux si Leodacya réussissait à sortir indemne de cette attaque de son double... Ou bien le reflet s'était-il frappé lui-même ? Il n'avait pas bien eu le temps de voir. Comme tout ce qui s'était passé depuis leur arrivée dans ce Palais du Conseil revisité, tout cela n'avait aucun sens. Il était peut-être temps de cesser de chercher une logique à tout cela.

Ses doigts pressèrent ceux de Leodacya.

[Althéa]

Leodacya avait pressé en retour la main de son père. Un geste machinal, comme si le reste de sa personne n'obéissait plus. Environnée de bouts de miroirs brisés, elle n'osait même plus regarder le mur. Pas de blessure, rien. Même si son reflet s'était suicidé sous ses yeux. Peut-être cela allait apparaître. Elle ne ressentait aucune douleur, ni rien qui puisse ressembler à un épanchement de sang. Elle finit par se relever.

"L'humour de nôtre hôte est un peu douteux", souffla-t-elle entre ses dents.

Elle fit un pas, puis un autre. Ils devaient continuer, ils n'avaient pas vraiment le choix.

[Lothringen]

C'était bizarre... comme le reste. Renonçant à comprendre et espérant qu'il n'y aurait pas d'effet secondaire caché, Lothringen ouvrit la marche dans la galerie peuplée de colonnes et d'armures. Il prenait les paris pour le prochain maléfice dément. Dans son imagination, trente armures lourdes maudites le cernaient d'énergie négative, cependant que les colonnes abandonnaient le plafond à son sort pour se précipiter sur leur groupe comme de vulgaires troncs d'arbre arrachés par la main d'un invisible géant... Tout était possible, tout était envisageable au pays des illusions... mais à quoi bon, et se rapprochaient-ils seulement de leur adversaire ? C'était à qui tiendrait le plus longtemps.