Les Soeurs du Premier Sang: A la recherche d'un père

[Ugo]

CHAPITRE 12: MELVONTE

1373 Flammeneige 3, port de la ville de Melvonte.

La Sirène Rougissante arriva à destination le lendemain matin. Le phare du port, un monument en fonte de 36 mètres de haut, fut la première vision que ses passagers eurent de la ville, à l'exception de Forjia qui craignait les conséquences d'un retour trop hatif, et ce malgré la protection de ses nouvelles "associées". La ville se dévoila ensuite, s'étendant le long de la côte, la fumée de ses milliers de forges planant comme un rideau noir au-dessus de sa cité.
Les docks de Melvonte n'étaient pas les plus grands de la Mer de Lune, mais assurément les plus organisés et les plus étroitement surveillés. Dès son entrée, le navire fut examiné par les autorités portuaires à qui ont confia aussitôt les pirates survivants de Turok le rouge. La mort du sanguinaire chef pirate se propagea rapidement sur les quais et les quartiers environnants, et même si aucun attroupement ne se forma quand le bâteau accosta, il y avait beaucoup de regards qui dévisagèrent les personnes qui en descendirent.

Numési savait qu'elle ne pouvait éviter que son groupe fasse l'objet de la curiosité locale, elle prit donc deux décisions. Premièrement, plus question de passer pour un groupe de simples voyageurs. La région de la Mer de Lune Septentrionale attirait chaque année un grand nombre d'aventuriers avides de gloire et de richesses, et Melvonte était la porte d'entrée de cette terre promise pour eux, même si beaucoup ne revenaient jamais. La seconde décision fut de se fondre dans la masse des arrivants, un sort camoufla les couleurs particulières des armes et armures.
Une fois que tout le groupe eut débarqué et fit ses adieux à l'équipage de la Sirène Rougissante, Numési questionna Forjia:

"Avant toute chose, il nous faut trouver une auberge où déposer nos affaires, que nous proposes tu?"

La jeune fille réfléchit deux secondes avant de dire:

"Il y a bien deux affaires qui sortent du lot dans le quartier portuaire. Le Brise-Lame où les capitaines de vaisseaux, les aventuriers et les personnes de goût descendent quand il viennent à Melvonte par la mer. Les chambres sont spacieuses et confortables, le service est impeccable et son propriétaire, Tarvis, met un point d'honneur à satisfaire toutes les demandes. Il y a aussi le Corsaire Flottant, établi par un ancien employé mécontent du Brise-Lame. En plus d'un service au-dessus de la moyenne et de chambres bien équipées, il y a une salle de vapeur et de bains chauds. Les deux se valent."

Après un bref conciliabule, le choix se porta sur le Brise-Lame. Forjia leur donna un bref aperçu de la cité durant leur trajet jusqu'à l'auberge et pendant leur installation. Melvonte entretenait de bonnes relations commerciales avec Montéloy et Mulmastre mais considérait Château-Zhentil avec beaucoup de méfiance. La cité exportait surtout des armes, des armures et d'autres produits manufacturés contre du minerais et du bois d'oeuvre. En raison des conditions climatiques, l'élevage et la culture étaient marginaux ce qui obligeait Melvonte à importer en grand nombre le grain, le bétail et les légumes pour subvenir aux besoins alimentaires de la population. Un Conseil de Seigneurs gouverne la cité, en particulier trois familles - les Nanthers, les Leiydraghons et les Bruils. Jusqu'à présent les Nanthers avaient la mainmise mais la mort soudaine du patriarche, Dundeld qui dirigeait le Conseil, a affaibli leur influence.
Les trois temples majeurs de Melvonte sont dédiés à Gond, Loviatar et Lliira. Tempus, Tymora et Sharess font également l'objet d'un culte conséquent.
A l'heure du diner les six compagnons descendirent diner dans la grande salle. En attendant d'être servis, ils écoutèrent ce qui se disait autour d'eux, manifestement les ragots allaient bon train dans la cité. Selon certains les Nanthers s'étaient convertis à Baine pour garder le pouvoir, d'autres prétendaient que un des Bruils était un vampire. D'autres encore parlaient d'une invasion de rats sanguinaires dans le quartier nord, du mécontentement grandissant des forgerons par rapport à l'augmentation de certaines taxes ou d'attaques de bandes orques sur la route menant à Phlan.
Forjia y alla de son commentaire:

"Ne faite pas attention à tout ça, beaucoup ne sont que des histoires de poivrots qui prennent de l'importance avant de retomber comme un soufflé. Avant que je ne parte, si il fallait croire ce que l'on disait, les Magiciens Rouges s'étaient emparés de la cité, un tueur sanguinaire aux yeux incandescents hantait les rues durant la nuit et les nains allaient devoir s'enregistrer."

Numési hocha la tête:

"C'est le propre de toutes les cités d'une certaine importance ce genre de rumeurs un peu fantaisistes, mais parfois il y a un fond de vérité malgré tout."
"Moui, peut-être" dit la jeune fille pas totalement convaincue.

La discussion s'arrêta quand on amena leur repas, une potée de choux, de patates et de saucisses. Le tout accompagné d'un pichet de vin.
Entre deux bouchées, Forjia demanda:

"Comme on est en cheville maintenant, vous pouvez me dire la raison de votre présence ici. Ce n'est certainement pas pour le plaisir que vous êtes venues jusqu'ici"

Méliane lui répondit un doux sourire aux lèvres:

"Nous sommes ici pour que je puisse rencontrer mon père"
"Ton père? Je me serais attendue à une raison plus matérielle comme la recherche d'un trésor... mais bon, c'est une raison comme une autre. Tu connais son identité au moins? Tu sais où le trouver "
"Oui, il se nomme Killian Kreel."
"LE Killian Kreel de la famille Nanther"
"Oui en effet."
"...euh...ça non plus je ne m'y attendais pas."

L'étonnement de Forjia fut manifeste, mais Méliane fut la seule à ne pas remarquer que l'adolescente venait de se retenir de glousser. Numési et Erin s'entreregardèrent interrogatives, il leur faudrait demander quelques explications à la Melvontienne quand Méliane aurait le dos tourné.

[Ugo]

Elles n'eurent pas à attendre longtemps, l'occasion vint à elles naturellement à la fin du repas pendant que les membres du groupe dégustaient une dernière boisson "pour faire passer le bouchon" comme disait le célèbre dicton gobelin. Méliane, depuis sa petite mésaventure éthylique à Scornubel, fuyait comme la peste tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à de l'alcool, se contentant d'eau. Et un verre d'eau est vite vidé par rapport à une coupe de vin ou une chope de bière, ce qui ne fut pas différent cette fois ci. Numési tenta de manoeuvrer pour éloigner la jeune demi-elfe sans que celle-ci ne s'en rende compte via leur lien empathique:

"Nous pourrions aller à la rencontre de ton père dès cet après-midi, pourquoi n'irais tu pas te rafraichir pour être plus présentable?"

Méliane fronça le front en s'inspectant avant de répondre:

"Pourquoi? Que reproche tu à mon allure?"

Méliane était ferrée, Numési camoufla toutes traces physiques ou mentales de jubilation:

"Nous allons visiter un membre d'une des plus puissantes familles d'une importante cité, pas un simple fermier d'une région sauvage. Tu peux cirer ton armure, arranger tes cheveux, mettre un ou deux bijoux, comme si tu allais à un rendez-vous galant mais en plus chaste. Et puis c'est la première fois que tu vas rencontrer ton père, tu ne voudrais pas qu'il ait l'impression que sa fille ait autant de charme qu'une orque."

L'argumentation de la cylon eut l'effet escompté, Méliane réfléchit bien quelques instants puis hochant la tête, elle commenta:

"Il est vrai que tu as bien plus d'expérience que moi pour les relations avec les gens extérieurs à notre communauté. Je vais donc suivre tes conseils, mais..."

Numési ressentit l'embarras de la jeune fille, et en devina évidemment la raison. Elle s'adressa à Shennesta sans prendre la peine de la regarder:

"Shennesta, accompagnes notre jeune amie, elle va avoir besoin d'aide pour se préparer. Erin et moi restons ici pour discuter de certains points avec notre guide."

L'actuelle paria du groupe se leva pour accompagner sa soeur adoptive sans dire un mot, elle avait d'ailleurs tout intérêt à se faire discrète pour le moment. Alors que Harald commençait à se lever à son tour, Numési interrompit son mouvement en lui agrippant le poignet:

"Toi tu peux rester avec nous."

Le raidissement soudain de Shennesta n'échappa à personne, en invitant Harald à rester à leur table, Numési venait de permettre à un mâle d'occuper un rang supérieur dans le groupe à celui d'une Soeur du Premier Sang, un acte exceptionnel au sein de la communauté. Le chemin de croix de Shennesta allait être long et douloureux. Tandis que les deux femmes s'éloignaient, Numési coupa court aux objections qu'Erin allaient émettre d'un geste impérieux de la main pour se tourner vers Forjia:

"Quel est le problème avec Killian Kreel exactement?"

Fojia feignit l'innocence:

"Il n'y a pas de problème, pourquoi croyez-vous ça?"

Erin intervint à son tour:

"Ne nous prend pas pour des grues s'il te plait, nous sommes plus intelligentes que ça."
"Exactement, alors parle."

Forjia considéra les regards scrutateurs braqués sur elle, puis se redressa sur le dossier de sa chaise en levant les mains en signe de reddition:

"D'accord d'accord. Bon comme je vous l'ai dit tout à l'heure, le dirigeant de la famille Nanther est mort récemment ce qui a affaibli leur mainmise sur le Conseil de la cité. Seulement peu de temps avant, il y eut un scandale retentissant qui leur porta un coup dur. Et la personne à l'origine de ce scandale, c'est Killian Kreel justement."
"Et?" dit Numési pour inviter la jeune fille à continuer.
"Ah non je n'en dirais pas plus, vous verrez bien plus tard. Tout ce que je peux dire c'est qu'il a légèrement changé de famille, et certainement pas la plus recommandable."

Malgré leurs tentatives d'intimidation, Forjia resta inflexible et refusa d'en dire plus. Les occasions de rire étaient rares, et là elle voyait une bonne occasion de le faire.

[Ugo]

Bien que Numési craignait la surprise qui les attendaient, elle se dit que ça ne devait pas être aussi terrible que ça si Forjia y voyait une bonne occasion de rigoler. Ses craintes allaient plus vers Méliane qui risquait de se prendre une claque monumentale dans la figure sans y être préparée. Numési trouva sa réaction présente peu appropriée, elle s'était retrouvée embarquée dans cette aventure pour veiller sur le groupe, ce qui incluait de les entrainer au mieux de ses possibilités, mais aussi de les endurcir. Forger les âmes en acier trempé est l'un des credos de la communauté, et honnêtement, la cylon doutait de remplir sérieusement son rôle de mentor à l'heure présente.

Pendant qu'elle ruminait ses sombres pensées, Méliane et Shennesta revinrent dans la salle. En moins d'une heure, l'hybride extérieure avait fait des miracles avec sa soeur. Bien que Numési ait camouflé les couleurs de leurs armes et armures personnelles avant de descendre du navire, la cotte de Méliane luisait doucement à la lueur des torches présentes dans la grande pièce. Son indémodable natte avait laissé la place à un chignon relevé qui dégageait parfaitement le visage de la jeune femme. Le maquillage était léger et mettait surtout ses grands yeux marrons en valeur. Enfin, elle portait une paire de boucles d'oreilles constituée de fines franges d'argent. l'opération ne fut pas faite en pure perte, plusieurs têtes se tournant à son passage pour admirer la nouvelle venue.

Numési inspecta avec attention la demi-elfe en remontant lentement des pieds jusqu'aux cheveux et hocha la tête, visiblement satisfaite du résultat. Son examen se reporta aux membres de son groupe et ce qu'elle voyait maintenant ne lui plaisait pas trop. Harald avait une barbe hirsute de plusieurs jours qui lui mangeait les joues, et comme Erin et Shennesta avait un air négligé. En réalité, ils avaient tous besoin d'un petit ravalement de façade et d'un bon bain après plusieurs jours de voyages en mer, mais cela viendrait après la visite. Numési regarda alors Forjia et sa moue s'accentua, la jeune fille semblait être sortie d'un cul de bassefosse. Ses vêtements de cuir étaient élimés et usés jusqu'à la corde, ses cheveux bien que coupés courts (certainement à la dague quand une mèche dépassait) étaient tellement enmêllés que jamais un peigne n'avait du découvrir cette contrée depuis sa naissance. Elle se tourna vers Méliane et dit en soupirant:

"Je crois que tu vas encore devoir patienter une heure ou deux."


---------------------------------------------

"Tu n'avais pas besoin de faire ça" bougonna Forjia en se tenant la tête.
"Tu n'avais qu'à entrentenir ta pilosité cranienne mieux que ça, j'ai l'impression d'avoir brossé un mouton qui n'a pas été tondu depuis 20 ans" dit Numési en se massant le bras.
"Je suis d'ethnie Damarienne, nous avons toutes le cheveu fourni."
"Je doute que ton manque d'entretien soit une norme Damarienne"

La discussion stérile s'arrêta d'elle-même faute d'argument supplémentaire, il avait fallu réellement deux heures pour que le groupe soit présentable, dont une pour que Numési arrive à discipliner les touffes rebelles de Forjia. Ce qui ne s'était pas fait sans mal étant donné la nature rebelle de cette dernière. La grande blonde regrettait déjà de l'avoir engagée, elle avait mis plusieurs mois à mater les deux autres pestes et voilà qu'une troisième arrivait.
Après être sorti du Brise-Lame, le groupe prit directement la première venelle à droite pour arriver sur une rue suffisamment large pour laisser passer deux chariots de front. Si on regardait à gauche on distinguait les toits de plusieurs grandes batisses cossues à plusieurs étages. A droite, au bout de la rue, on distinguait les docks et les eaux grises de la Mer de Lune. Se fiant à la logique Numési, tourna à gauche mais à peine avait elle fait quelques pas que Forjia l'interpella:

"Par là tu arrives au Manoir Nanther, mais Killian Kreel se trouve dans la direction opposée."

Bien que tout le monde alla dans la direction indiquée par leur guide, les pensées se bousculaient dans leur tête. Méliane se demandait pourquoi son père se trouvait dans un quartier populaire plutôt que dans son manoir familial, elle en déduisit qu'il devait se trouver à la tête d'une affaire commerciale des Nanthers en relation avec la mer. Erin, Numési et Harald se dirent que cela devait avoir une relation avec le scandale évoqué par Forjia peu de temps avant, mais cela ressemblait fort à un banissement.
Forjia s'arrêta enfin devant un bâtiment massif et trapu qui faisait le coin. L'atmosphère particulière de la cité, en déposant une fine pellicule de graisse noirâtre sur les bâtiments, ne rendait pas ceux-ci particulièrement attachants et le bâtiment en question était déjà d'aspect rébarbatif à la base. Celui-ci était constitué de grosses pierres en basalt noir grossièrement taillées, ses murs possédaient peu d'ouvertures à l'exception de meurtrières et d'une porte à double battant qui était ouverte pour le moment. De chaque chaque côté de l'entrée, deux gardes vêtus de cottes de mailles et armés d'une épée longue et d'un bouclier montaient la garde, veillant à la sécurité du lieu. Au-dessus de la porte se trouvait un symbole représentant un fouet barbelés à neuf lanières qu'Erin reconnut sans peine:

"C'est un temple de Loviatar"

Forjia désigna le bâtiment d'un ample mouvement de la main:

"Mesdames, monsieur, je vous présente le Repos du Fouet."

Harald fut le premier à demander:

"Pourquoi le gars que l'on est venu voir habiterait là dedans?"

Forjia lui répondit un grand sourire aux lèvres:

"Quand tu es prêtre, il est normal de vivre dans un temple dédié à la divinité que tu sers."

C'était effectivement un gros scandale, Numési amena inconsciemment ses index et ses majeurs à ses tempes qu'elle commença à masser, sentant une migraine s'amener à grands pas. Pourquoi ce genre de situation n'arrivait qu'à elle. Pour sa part, Méliane était aussi pâle qu'un mort.

[Ugo]

Forjia ne regrettait pas d'avoir ménagé son effet jusqu'à la fin, elle avait escompté se payer une bonne tranche de rigolade et les airs affichés par son auditoire valaient la peine d'être vus. Selon les personnes cela allait de l'hébétement abruti à la consternation absolue, ils auraient vu Fzoul Chembryl nu comme un vert et une plume dans le derrière passer devant en levant la jambe et chantant "ah qu'elles sont jolies les filles du Zhentarim" que le résultat aurait été pareil. La jeune femme se retenait malgré de rire aux éclats devant eux, autant pour ne pas les froisser davantage que pour ne pas risquer un coup malheureux. Ce n'était de toute façon pas trop grave, l'instant était gravé dans sa mémoire et serait source d'amusement plus tard, quand elle serait un peu plus seule.

Pour l"instant la principale intéressée était abasourdie, se contentant de fixer le bâtiment en ouvrant compulsivement la bouche comme un poisson cherchant de l'air. Ses compagnons eux s'étaient remis du choc initial et réfléchissaient à la meilleure solution pour aborder le sujet sereinement et avec tact. Pas assez en ce qui concerna Harald qui émit un timide:

"Ca pourrait être pire."

Le pauvre garçon n'eut pas le temps de se rendre compte des effets malheureux de sa phrase, Méliane se raidit, pivota lentement aussi tendue qu'un piquet pour faire face à Harald et lâcha entre ses machoires crispées:

"C.a p.o.u.r.r.a.i.t ê.t.r.e p.i.r.e"

L'instant d'après Numési, shennesta et Erin tentaient d'empêcher la jeune demi-elfe de mettre Harald en pièces. Celle-ci, rouge de colère, à la limite de la bave aux lèvres, rugissait comme une lionne en colère:

"J'APPRENDS QUE MON PERE APPRECIE SE FAIRE FOUETTER LES FESSES, PERCER LA PEAU, SE FAIRE HUMILIER, AVILIR ET JE NE SAIS QUOI D'AUTRE ENCORE ET CA POURRAIS ETRE PIRE!!!!!"

Numési qui n'avait jamais du faire face à un tel déchainement de violence cria à Harald:

"Harald va faire un tour et vite!"
"Mais..."
"DEGAGE DE LA ESPECE D'ABRUTI SINON ON TE LA LACHE AUX FESSES!"

Cette fois, le jeune humain comprit le message et s'enfuit à toutes jambes conscient que son salut au moment présent dépendait de la vélocité de ses pieds et du bon vouloir de Numési. Forjia pour sa part n'en pu plus de se retenir et partit d'un grand éclat de rire devant le spectacle qui se déroulait devant elle, elle n'était pas la seule d'ailleurs car de plus en plus de personnes s'arrêtaient pour observer la raison de ce remue-ménage. Finalement les gardes du temple vinrent y mettre leur grain de sel:

"QUE SE PASSE T-IL ICI!"

L'interpellation venait d'un des deux gardes qui avaient tout deux la main posée sur le pommeau de leur épée et considéraient la foule présente avec un air peu aimable. Au moins l'intervention des gardes eut-elle le bénéfice de calmer Méliane, au grand soulagement de ses trois entraves vivantes qui purent enfin souffler. La foule considéra cela comme un signal d'avertissement et les gens se désintéressèrent du groupe pour retourner vaquer à leurs occupations. Forjia reprit son sérieux même si un soupçon de sourire flottait sur lèvres, Numési essaya de congédier les gardes avec diplomatie:

"Ce n'est rien officier, une simple dispute. Mais l'affaire est entendue et nous allions partir."

Le garde haussa un sourcil, dubitatif:

"Une simple dispute? c'est comme ça que vous appelez ce que nous avons vu? Je ne voudrais pas voir cette furie en colère alors."
"Grrrrr"
"Hum hum, bon je suis sure que vous avez des choses plus importantes à faire. Au revoir officier."
"Stop, j'ai bien remarqué que votre destination était ce temple, alors vous ne partirez pas sans nous dire pourquoi vous êtes venues ici."

Numési allait hausser le ton et dire à ce mâle qui commençait à l'énerver de s'occuper de ses affaires quand Méliane la précéda:

"Nous sommes venues voir Killian Kreel."
"Heu, tu ne prendrais pas une heure ou deux pour réfléchir à tête reposée?" proposa Numési, inquiète du changement d'attitude de Méliane.
"Je n'ai pas fait tout ce chemin pour faire demi-tour à la première contrariété. Alors on y va."

Le garde qui s'était adressé à elles les inspecta d'un air soupçonneux puis haussa les épaules une fois sa décision prise:

"A cette heure-ci, vous le trouverez dans la seconde pièce dans le premier couloir de gauche, mais vous devez-nous laisser vos armes avant de rentrer et être accompagnées par deux gardes. Acceptez-vous ces conditions? De toute façon, c'est ça ou rien."

Au ton du garde, les conditions étaient non négociables.

[Ugo]

Les 5 femmes acceptèrent ces conditions, même si Forjia renacla à lacher sa dague fétiche, et après avoir laissé leurs armes à l'entrée pénètrèrent dans le temple, escortées de deux gardes armés. L'intérieur du bâtiment était plus propre de ce que l'on pouvait s'attendre au vu de la réputation des adeptes de Loviatar. Mais elles se trouvaient dans une zone ouverte au public et il ne faisait aucun doute que certaines zones plus isolées devaient être moins ragoutantes. Si on n'entendait pas de coups de fouets ou de râles d'agonie, une odeur entêtante flottait léanmoins dans l'air, celle rance de la sueur. Erin remarqua:

"Ca sent comme dans l'antre de Scarlett."

A l'évocation de ce nom, toutes les Soeurs du Premier Sang présentes eurent un rictus réflexe en se massant certaines zones du corps.
Forjia qui ignorait de qui on parlait questionna à la cantonnade:

"Qui est cette Scarlett?"

Les yeux de Méliane se perdirent dans le vide et elle se mit à réciter un mantra appris quelques années plus tôt:

"La douleur n'est pas ton ennemie, apprends à l'accepter, à la dompter et à l'utiliser pour te rendre plus forte."

Devant l'air perplexe de Forjia, Erin clarifia la situation:

"La grande majorité de notre éducation se fait de mère en fille ou de marraine à filleule, bref selon un lignage unique. Mais certains points sont développés par d'autres Soeurs plus...aptes à enseigner leurs connaissances. Dont la gestion de la douleur, de la souffrance, la résistance à la torture, etc. Et Scarlett dite la Ronce Epineuse est une de ces enseignantes zélées. Nous sommes toutes passées un jour ou l'autre par ses mains expertes pour apprendre ses leçons, et cela n'est pas une partie de plaisir."
"En effet."

Elles se tournèrent toutes vers Numési:

"Toi aussi?" interrogea Méliane, plutôt surprise car ce genre d'entrainement concernait rarement les nouvelles recrues expérimentées.

"Hum, oui, bien que la leçon fut assez courte."
"Tu peux nous en dire plus? C'était quoi la leçon? Des épines sous les ongles? Une fessée avec des orties?"
"Non, rien de cela, elle m'a juste demandé de me mettre poitrine nue."
"Euh...c'est quoi le but?"

Erin intervint de nouveau, Numési ne disait pas tout et cela embrouillait quelque peu l'esprit de Forjia:

"Cet entrainement nous sert à faire face à de nombreuses situations, parfois particulièrement pénibles comme le viol. Dans certains cas, l'élève est mise en situation réelle via des illusions, de l'hypnose, tout ce qui rendre la leçon plus vivante."
"C'est pas ce qui s'est passé."
"Expliques-toi alors, au lieu de tourner autour du pot."
"Bon, ça devait être la première leçon, sur la douleur physique ou quelque chose comme ça. Elle s'est approchée en déclamant son laius, que j'ai oublié depuis, m'a saisi le sein droit et l'a violemment tordu."

Méliane et Erin pouffèrent à cette anecdote, à cause d'un point commun morphologique elles avaient échappé à ce désagrément.

"Et après?"
"Et après...rien."

Un sourire en coin Shennesta regarda malicieusement Numési:

"Sa machoire cassée...c'était toi?" cela tenait autant de la question que de l'affirmation.
"J'ai la poitrine sensible, je n'y peux rien."

Sur les mots les quatre femmes partirent dans un énorme éclat de rire alors Forjia se permit d'être dubitative:

"Votre communauté à des moeurs bizzares, je me demande comment vous réussissez à enrôler de nouveaux membres."

La lueur dans le regard de Numési était mutine, autant dire un événement aussi commun que l'ascencion d'un orque à la droite de Moradin.

"Tu es d'ethnie Damarienne tu m'as dit. Combien de fois par mois dois-tu passer ta dague sur tes jambes pour éviter de ressembler à une orque? Une fois? Deux fois? Moi depuis que j'ai rejoint les rangs des Soeurs du Premier Sang, je n'ai plus eu à me soucier de ce détail et pourtant mes jambes sont toujours aussi douces que des fesses de bébé."

Alors que Forjia ouvrait la bouche pour modifier son jugement, un des gardes annonça qu'elles étaient arrivées à destination. Il frappa à la porte et ouvrit celle-ci quand un "entrez" se fit entendre de l'autre côté.

[Ugo]

Avant de rentrer Méliane se tourna vers ses quatre compagnes:

"J'aimerais être seule."

Le désir de la jeune femme fut parfaitement compris et respecté par ses pairs, Numési hocha la tête et lui mit la main sur l'épaule pour lui signifier son soutien. Méliane lui sourit en retour et entra dans la chambre dont elle referma la porte. Une fois à l'intérieur elle put l'inspecter plus attentivement, comme on pouvait s'y attendre elle était des plus spartiates ce qui respectait la logique d'un culte basé sur la souffrance physique et mentale. L'ameublement se limitait à une paillasse, une chaise en bois, un coffre pour ranger les affaires personnelles et un pot de chambre. Les murs étaient nus et sans aucune décoration, l'ambiance était dépourvue de la moindre chaleur.
L'homme présent dans la pièce était de prime abord agréable à regarder, approchant la quarantaine. Méliane jugea que les femmes devaient devenir caressantes à la vue de ses cheveux blonds bouclés et ses yeux bleus. Pour le moment, son regard était interrogatif devant sa jeune visiteuse qu'il ne connaissait et sourit en signe de bienvenue, un sourire parfait nota Méliane, et demanda:

"Bonjour mademoiselle, que me vaut le plaisir de votre visite?"

Le ton enjoleur ne trompa pas la jeune femme qui connaissait très bien les méthodes des adeptes de Loviatar, qui ne prenaient pas leur plaisir dans la seule souffrance qu'ils s'infligeaient mais aussi à celle infligée à autrui. Comme briser le coeur d'un amoureux transi ou à détruire les amitiés les plus solides.
Maintenant que Méliane était en face de son géniteur elle ne savait pas comment aborder le sujet, malgré les centaines de scénarios qu'elle avait élaboré dans sa tête depuis son départ de la Citadelle de la Lune plusieurs mois plus tôt. Elle avait la bouche sèche et aurait donné n'importe quoi pour boire un verre d'eau, mais il n'y avait rien dans la chambre pour étancher sa soif. Prenant son courage à deux mains, elle déglutit et dit d'une voix enrouée:

"Vous rappelez vous de Vestele Lunerousse, une elfe des bois que vous avez rencontré il y a dix-huit ans environ?"

Le sourire disparut du visage de Killian qui plissa le front, regardant Méliane d'un air désormais soupçonneux qu'il interrogea:

"En quoi ma vie de cette époque vous intéresse? Et qui êtes vous?"

L'entrevue tant espérée était loin de démarrer comme espéré mais l'éducation de Soeur du Premier Sang de Méliane l'incita à ne pas laisser un mâle, fut-ce son père, à contrôler la discussion. C'est d'un ton plus assuré qu'elle répondit:

"Je m'appelle Méliane, et je vous le redemande, rappelez-vous Vestele Lunerousse?"

L'instinct du prêtre lui disait qu'il ne courrait pas de danger dans l'immédiat, l'attitude la frêle jeune fille en face de lui n'était pas agressive et si besoin était deux gardes étaient postés de l'autre côté de la porte. Il ferma les yeux pour se concentrer sur ses souvenirs, mais cela remontait à loin et à une époque assez tumultueuse où il passait beaucoup de temps à écumer les tavernes de la ville.

"Entre nous jeune fille, ce nom ne me dit rien. Je me rappelle bien avoir fréquenté une ou deux elfes à cette époque mais te dire si elles étaient des bois ou pas. Pour moi une elfe c'est une humaine avec des oreilles en pointes et qui vit dans les arbres."

"Bravo pour les préjugés" pensa Méliane dont la déception montait en flèche vitesse grand V. Elle lui décrivit sa mère du mieux qu'elle put:

"Ma taille, les cheveux longs bruns réunis en une seule tresse, les yeux verts."

Kreel secoua la tête de gauche à droite, cette description ne lui disait rien, aussi Méliane alla droit au but:

"C'était ma mère et regardez ceci." Elle s'approcha de lui et dégagea l'arrière de son oreille droite, où se trouvait une tache de naissance en forme de croissant de deux centimètres de long. Kreel se laissa tomber sur son lit abasourdi:

"Seuls les Nanthers portent ce signe....qui es-tu donc?"
"C'est si dur de voir que je suis ta fille?"

Le prêtre se passa plusieurs fois la main dans les cheveux, en proie à une intense confusion et pensant à voix haute sans se soucier de Méliane:

"Par la Vierge barbelée, cela devait arriver un jour ou l'autre."

Un gong retentit dans le lointain, sortant Kreel de sa torpeur qui annonça un peu trop précipitamment:

"C'est l'heure de l'office, désolé mais cette entrevue est terminée. Au revoir."

Il se leva ouvrit son coffre et s'apprêta à prendre quelques effets sacerdocaux quand il s'interrompit, s'avisant soudain de la situation. Il se tourna vers Méliane:

"Excuse-moi, je suis encore sous le choc et...jusqu'à aujourd'hui je ne me connaissais pas de progéniture. J'ai quartier libre ce soir, nous pourrions peut-être nous retrouver pour...parler plus longuement, si tu es d'accord? Tu loges quelquepart?"

Elle lui indiqua l'adresse du Brise-lame et ils s'accordèrent sur 19 heures, juste après le souper du soir. Sur quoi ils se quittèrent.

[Ugo]

INTERLUDE

Loin dans le passé dans un lieu inconnu

Du haut de sa tour, Bedlam admirait la vue par la baie vitrée. La faible lueur dispensée par les trois lunes de la planète cristalline se reflètait dans les structures d'améthyste de celle-ci, créant un halo violet qui illuminait la nuit d'une atmosphère éthérée. Il porta la coupe qu'il tenait à la main à sa bouche et but quelques gorgées du nectar qu'elle contenait. Amusé, il se demanda si les deux visiteuses qui patientaient dans la salle d'à côté et qui dégustaient également une coupe du même breuvage, savaient que le prix d'une seule bouteille valait plusieurs mondes comme celui d'où elles venaient. Il consentit enfin à les recevoir, après tout l'existence de ces créatures était aussi éphèmère qu'une flamme de bougie. D'un geste de la main, il créa une ouverture dans le mur qui séparait les deux pièces. Deux femmes à la peau sombre, aux oreilles pointues, aux yeux rouges, aux cheveux blancs et portant des vêtements et des armes archaiques entrèrent dans la pièce, observant leur environnement avec crainte et curiosité. Bedlam les observa avec plus d'attention, ce n'était pas la première fois qu'il observait des elfes noires mais aussi loin que portaient ses souvenirs, des jumelles de cette ethnie était une première. En tant normal, il ne se serait pas intéressé à elles, mais le fait que des autochtones d'un monde aussi arriéré que le leur arrivent à le contacter était en soi assez exceptionnel pour qu'il y conscre une infime partie de son précieux temps. Il allait juste devoir faire attention à ses mots pour se faire comprendre par ces deux barbares.
Il marcha jusqu'à elles, pris leurs mains dans les siennes qu'il embrassa d'un chaste baiser avant de les saluer:

"Bonjour mesdames, bienvenue dans mon humble demeure, installez-vous, je vous en prie." dit-il en indiquant trois sièges au centre de la pièce. Il s'installa dans l'un d'entre eux, encourageant d'un geste ses invités à prendre place dans les deux autres. Il ne leur laissa pas le loisir de parler, entamant la discussion sans passer par les habituels préliminaires:

"N'allons pas par quatre chemins, je sais qui vous êtes, d'où vous venez et surtout...pourquoi vous êtes là. Ce que j'ignore c'est pourquoi...moi?"

Les jumelles se regardèrent mal à l'aise, l'une des deux prit enfin la parole pour répondre d'une voix qu'elle tentait de maintenir ferme:

"En vérité, nous...ne cherchions pas à vous contacter...personnellement."

Bedlam éclata de rire, il adorait tourner ces créatures éphèmères en bourrique. Il reprit son sérieux et leur dit:

"En vérité, votre nombre grandit, ce qui à court terme va entrainer l'apparition de dissensions internes, à moyen terme l'apparition de factions aux idées opposées et au final l'éclatement de votre communauté, détruisant le peu que vous avez réussi à bâtir jusqu'ici. Conscientes de l'issue finale de votre oeuvre, vous vous êtes mise à la recherche d'une solution dans votre petite bibliothèque et pensiez avoir trouvé une solution valable. Sauf que vos nouvelles connaissances acquises ont quelque peu ouvert vos esprits étriqués sur l'univers qui vous entoure mais que vous ne saisissez pas toujours le vrai sens des choses. Du coup votre rituel n'a pas donné le résultat attendu. Avant que je continue, je n'aurais qu'une seule question: ce que vous attendez de moi va à l'encontre de toutes les valeurs que vous voulez instaurer, si cela vient un jour à se savoir vous risquez de voir vos ouailles se détourner de vous et de vous faire des ennemies mortelles des plus puissantes créatures de votre monde, êtes vous pretes à en assumer toutes les conséquences, quelle qu'elles soient?"

Les deux femmes se regardèrent de nouveau, le regard lourd de sous-entendus, mais leur ton était résolu quand elles répondurent par l'affirmative toutes les deux.
Bedlam eut le sourire d'un squale et conclua alors la discussion:

"Bien alors tout est dit, j'accepte de faire ce que vous me demandez, votre colis sera livré dans quelques jours, sans retour pour le moment. Mais un jour je reviendrais chercher mon dù. Au revoir, mesdames."

Et sur ces derniers mots, il fit disparaitre les deux femmes qui se retrouvèrent instantanément téléportées sur leur monde. Resté seul, il pivota son fauteuil et fit surgir une statue du sol. Celle-ci en mabre blanc ou dans une matière proche, représentait une femme de plein pied. Bedlam la regarda longtemps et murmura:

"Bientôt mon amour, nous nous retrouverons. La roue du destin est en marche et désormais rien ne pourra plus l'arrêter."

[Ugo]

CHAPITRE 13: UN NOUVEAU PRELUDE

1373, flammeneige 3: Melvonte, grande salle du Brise-lame

Le retour jusqu'au Brise-lame fut silencieux, Méliane ne dit rien de la discussion qu'elle avait eu avec son géniteur et ses camarades ne voulaient pas lui forcer la main ou ignoraient comment aborder intelligement le sujet que par un simple "ça va?". Elles ne ressentaient aucune colère, ni aucune amertume dans l'esprit de la jeune demi-elfe, seulement de l'interrogation, sauf Forjia qui ne partageait pas leur lien.
Arrivée devant la porte de la taverne, Méliane ouvrit la porte de celle-ci et se dirigea d'emblée vers la première table libre de la grande salle, s'assit et héla une serveuse pour commander à boire. D'abord hésitantes, ses compagnes la suivirent, s'installèrent à ses côtés et commandèrent également des consommations, attendant que Méliane évoque son entrevue avec Killian Kreel. Quand les boissons eussent été servies, cinq pintes de bière locale, Méliane but une grande gorgée de la sienne et dit un bref "Bon, parlons" avant de poser sa pinte sur la table.
En fin de compte Numési s'enquit d'un "Ca va?", faute d'avoir trouvé mieux.
Méliane, les yeux fixés sur sa chopine, haussa les épaules et répondit:

"Je crois, Harald n'avait pas tort finalement, ça aurait pu être pire, mais ça aurait pu aller mieux."
"Quelle a été sa réaction?"
"Surpris d'avoir un enfant mais d'un autre côté il s'attendait à une telle visite un jour ou l'autre, je crois que sa jeunesse a été féconde en rencontres amoureuses."
"On se demande pourquoi il a choisi de servir Loviatar plutôt que Sunie"

Cette remarque arracha un sourire à Méliane qui en pouffa même, elle reprit une gorgée de sa bière puis dit:

"Sunie est une amante exigeante, pas facile pour un mâle de tenir la distance"
"Regardez l'autre qui en parle comme si elle le faisait tout les jours."
"Qui parlent tout le temps de leurs frasques sexuelles avec tous les mâles de la région." dit-elle en appuyant sa phrase du regard vers Shennesta et Erin.
"Un point pour elle" commenta Numési, soulagée que la situation se détende d'elle même, mais qui demanda:

"Et maintenant? Tu comptes en rester là ou essayer d'approfondir avec lui?"
"Je ne sais pas trop, je voudrais le connaitre un peu mieux avant de prendre ma décision, mais son choix de vie ne m'enthousiasme pas beaucoup."
"Voit le bon côté des choses, il aurait pu vénérer un dieu mâle"
"Vois tu, j'aurais quand même préféré avoir pour père un paladin de Tyr ou de Torm plutôt qu'un gars cagoulé qui manie le fouet"

Méliane s'interrompit les yeux dans le vague pour visualiser l'image puis reprit sur un ton faussement menaçant:

"Je couperai la langue de la première qui en parlera à notre retour chez nous."
"Ho j'ai peur"
"Non pitié"

Les trois jeunes femmes partirent dans un grand éclat de rire, accompagnées de manière plus mesurée par Numési et Forjia, Numési tempéra l'hilarité générale pour demander:

"Vous êtes convenus de vous revoir?"
"Oui, je lui ait donné rendez-vous ici à 19 heures."
"Dans deux heures? Nous aurions intérêt à envisager de souper plus tôt. Il faudrait juste savoir où est Harald?"

Forjia, discrète jusqu'à là, leva la main:

"Je m'en occupe"

Elle attrapa une serveuse qui passait par là:

"Pardon mademoiselle, auriez-vous un jeune garçon entrer ici comme si il était poursuivi par une horde de fantômes."
"Le garçon qui vous accompagnait au diner, il est monté à l'étage il y a une heure."
"Je vais le chercher" dit Numési en se levant. Elle se dirigea vers l'escalier quand un homme accoudé au comptoir l'interpella en lui faisant un petit signe discret de la main.

[Ugo]

Numési s'arrêta et dévisagea l'homme avec suspicion, de race halfeline et de longs cheveux noirs réunis en queue de cheval dans le dos, celui-ci était vêtu d'un simple pantalon de tissu noir et d'une chemise en coton blanc. Il ne semblait présenter aucune menace dans l'immédiat, aussi la jeune femme rejoignit-elle l'homme intriguée de savoir ce qu'il voulait. Arrivée à ses côtés, il glissa devant elle une chope de bière sans dire un mot. Considérant la chope avec curiosité, Numési se demandait où l'halfelin voulait en venir, une âme solitaire qui avait envie de compagnie peut-être. La cylon allait mettre les choses au point immédiatement quand l'homme dit à voix contenue:

"Je m'appelle Ulblyn Blackalbuck et j'ai peut-être un travail à vous confier. Intéressé?"

Numési inspecta discrètement la salle, son interlocuteur parlait de manière audible mais sans que personne d'autre ne puisse écouter sans se montrer indiscret. L'identité de l'halfelin ne lui était pas inconnue mais elle le tint pour elle pour l'instant, attendant de savoir ce qu'il attendait d'elle exactement.
Utilisant le même ton détaché que Ulblyn, elle répondit évasiment:

"Ca dépend, encore faut-il savoir pourquoi un parfait inconnu aborde une parfaite inconnue pour lui proposer on ne sait quoi."

L'homme reposa son broc sur le comptoir après avoir ingurgité une lampée et dit avec une pointe d'exaspération dans la voix:

"Si on commence à jouer à ce petit jeu, on ne va pas beaucoup avancer.Bon, J'ai des yeux et des oreilles où il faut dans cette ville et je suis au courant de votre rôle dans l'affaire de Turok le Rouge. Vos compétences m'intéresse au plus haut point et je voudrais que vous les mettiez à mon service pour quelques jours."

Nous y voilà pensa Numési, elle se doutait bien que leur histoire fasse le tour de la ville et qu'il y ait des retombées, mais elle s'attendait à une possible tentative de représailles d'amis de Turok pas à une offre d'engagement.

"Nous n'avons fait que défendre nos vies face à des pirates qui nous auraient passé par le fil de l'épée si nous les avions laissé faire. Désolée, mais je dois décliner votre offre nous ne sommes pas des mercenaires vendus au plus offrant mais de simples aventuriers qui tracent leur propre route."

L'halfelin rendit son sourire à celui de Numési et fit mine d'applaudir des deux mains tout en commentant:

"Beau discours, vraiment, qui doit suffire en général à faire passer leur chemin aux solliciteurs de toutes sortes, mais je ne suis pas de ce bois là. Je sais également pour les esclaves libérés sur le navire de Turok et je me disais que détruire cette filière pourrait vous intéresser. Si je ne m'abuse, lutter contre l'esclavage est un des rares points communs de nos deux organisations."

Numési s'étrangla de surprise, avant de partir elle avait pris soin de s'enquérir sur tout ce qu'il y avait à savoir sur le contexte actuel de la Mer de Lune, et savait ainsi que son vis-à-vis était le chef de la cellule des Ménestrels de Melvonte mais ne s'attendait pas à ce qu'il soit lui-même au courant. Malgré la somme versée pour leur silence, le capitaine de la Sirène Rougissante ou un de ses hommes avait du en raconter trop, et un agent comme Ulblyn en tirer les conclusions logiques.
Se raclant la gorge elle demanda:

"Admettons que vous êtes ce que je crois et que nous sommes ce que vous pensez que nous soyons, si vous développiez."
"Voyez-vous, les esclaves aux étranges tatouages que vous avez libéré ne sont pas les seuls qui soient arrivés à Melvonte ces dernières semaines. Récemment, un groupe d'aventuriers que j'ai engagé pour enquêter sur une taverne dans le quartier pauvre à l'ouest de la ville, la Taverne du Feu de Diable, ont découvert un complexe de tunnels qui reliait les caves de la taverne à la mer, éliminé les pirates présents et libéré une douzaine d'esclaves détenus là-bas. Quand j'ai récupéré les esclaves, ceux-ci m'ont dit que quatre des leurs avaient été vendus deux jours avant à un mystérieux homme en robes noires que je n'ai pas pu identifier. Il y a plusieurs jours, des rumeurs qui me sont parvenues concernant un magicien nain, nommé Théodorus, vivant en ermite dans sa tour qui aurait eu des problèmes avec un sceau magique identique aux tatouages que portent les esclaves aux chevilles. J'ai alors envoyé le groupe en question enquêter, il en est ressorti que Théodorus est un agent des Magiciens Rouges et qu'il gagne sa vie en enchantant des armes et des armures pour les forgerons locaux et que l'un d'eux a eu des soucis avec des objets enchantés avec un sceau particulier, celui des esclaves. Ceux qui ont revêtu ou manié ces objets sont tombés morts."
"Et vous pensez que les Magiciens Rouges sont derrière cette filière d'esclaves, à cause des tatouages et d'un agent sur place? C'est plutôt maigre."
"Et à cause des assassins envoyés contre les aventuriers que je mandatais après leur raid sur la cache des pirates, qui se sont heureusement montrés inefficaces et plutôt loquaces quand ils ont été interrogés par leurs soins."
"Envoyés par les Magiciens Rouges?"
"En urgence semble t-il, ce qui expliquerais le manque de résultat."
"Je vois mal les Magiciens Rouges se lancer dans le commerce d'esclaves en sous-main, ils le pratiquent ouvertement et non pas besoin de se cacher."
"Il y a plusieurs puissances qui cherchent à dominer la région et les Magiciens Rouges n'en sont qu'une parmi d'autres, il y a certainement un plan plus important derrière ça que nous ne voyons pas encore mais je n'ai pas les moyens d'engager mes propres hommes à enquêter la-dessus."
"Et vos aventuriers?"
"Ils ont été mis à mal durant leurs incursions précédentes, et pour tout vous dire, je doute qu'ils aient les épaules assez solides pour supporter pareille mission. Vous par contre."

Numési plissa les yeux en considérant Ulblyn, le challenge était intéressant et pouvait être une source d'expérience intéressante pour ses protégées. De plus, contrer une opération des Magiciens Rouges sur place ne pouvait qu'être bénéfique pour les Soeurs du Premier Sang. En revanche, il n'était pas question d'être le bras armé des Ménestrels parce que ceux-ci étaient trop couards ou n'avaient pas les moyens de remplir leur mission. Elle regarda le halfelin dans les yeux:

"Je vais y réfléchir, je passerai vous apporter ma réponse demain matin à votre magasin ainsi que mes conditions. D'ailleurs voilà la première, si j'accepte nous ne travaillerons pas POUR vous, mais AVEC vous."

Sur ces mots, elle le salua d'un signe de tête et monta chercher Harald à l'étage pour le souper.

[Ugo]

Numési et Harald revinrent dans la grande salle moins de dix minutes plus tard. La cylon fit signe aux quatre autres membres du groupe d'aller à une autre table située dans un coin plus à l'écart d'un signe impérieux de l'index. Une fois qu'ils furent tous installés, Numési donna un anneau de laiton à Harald et Forjia en ordonnant:

"Enfilez ça"

Si Harald s'exécuta en bon mâle obéissant, Forjia inspecta le sien attentivement allant jusqu'à mordre dedans. Jugeant qu'elle ne risquait rien, elle le glissa à son doigt, non sans une moue suspicieuse. Secouant la tête, Numési commença à utiliser ses mains pour entamer la discussion en employant le langage des signes des Soeurs du Premier Sang:

"Maintenant que la princesse a fini son cinéma, nous pouvons commencer."
"Eh, j'ai compris ce que tu as dit." l'interrompit Forjia à haute voix, ce qui eut pour effet de déclencher un regard exaspéré chez Numési et plusieurs sourires chez les autres.
"C'est l'anneau de compréhension mineure que tu as au doigt, idiote, il te permet aussi d'utiliser la gestuelle pour t'exprimer sans que personne ne puisse comprendre ce qui se dit entre nous. Alors UTILISE LE ET PLUS UN MOT" L'adolescente se rendit compte que lorsque les gestes étaient très secs, ils traduisaient une certaine tension, elle signa "ok" comme si cela lui était inné.
Se calmant quelque peu Numési, leur résuma sa rencontre avec Ulblyn Blackalbuck et son offre de travail. Méliane réagit la première:

"Pourquoi on irait s'associer avec les Ménestrels, ils sont loin d'être nos alliés à ce que je sache."
"Non, mais ici nous avons une affinité commune, dirons-nous. Et puis, nous avons encore deux ans et demi à tirer avant de rentrer chez nous. Tu veux les passer ici à discuter des mille et une façons de se flageller avec ton géniteur, très peu pour moi."
"Umph"
"Et pourquoi pas le Marteau de Vorbyx?"
"Le Marteau de qui?"
"Vorbyx, selon les légendes c'est un puissant roi ogre qui unifia toutes les tribus humanoïdes du Thar voici plusieurs siècles. Le symbole de son pouvoir était un marteau magique de grand pouvoir qui n'a jamais été retrouvé depuis. Ce serait un défi intéressant."
"On ne l'a pas déjà trouvé ce truc?"
"Si, je crois qu'un de nos groupes l'a trouvé il y a une dizaine d'années."
"Désolée Forjia, mais il te faudra trouver une autre grande quête à accomplir."
"Mais c'est malhonnête ça, chaque année ils sont des dizaines à partir à sa recherche pour quoi? Pour rien."
"Pas pour rien, chaque fois que nous récupérons un ancien artéfact, nous le remplaçons par une copie avec les mêmes pouvoirs. Sauf, si cet artéfact représente une menace trop importante à nos yeux. Donc tous tes pauvres petits aventuriers ont quelque chose à trouver, ils sont juste trop bêtes pour chercher où il faut."
"Ceci dit, nous n'avons jamais su l'identité réelle de Vorbyx. Cela pourrait être une quête intéressante."
"A voir, à voir, mais pour le moment concentrons nous sur l'offre de Blackalbuck. Au moins nous sommes en terrain plus connu et cela vous sera plus profitable."
"D'accord, faisons comme ça, de toute façon éliminer des esclavagistes ne peut que plaire à la Déesse."
"Vous savez que vous êtes des gens bizarres?"

[Ugo]

Ils débattirent du sujet pendant encore une dizaine de minutes après la décision de rencontrer le halfelin le lendemain. Quand on commença à apporter leur repas, la conversation redevint orale et se cantonna alors à quelques vagues sujets sans importance. Enfin Méliane, qui épiait l'entrée de l'auberge depuis un quelques minutes, déposa ses couverts, s'essuya la bouche avec une serviette et se leva en disant aux autres:

"Je vous laisse"

Tous les regards se dirigèrent vers l'entrée que venait de passer un nouvel arrivant, le père de Méliane. Celui-ci s'était changé depuis leur dernière entrevue, passant des vêtements plus adaptés à la vie extérieure que ses effets sacerdotaux. Il portait un pantalon bleu, une chemise blanche, un gilet noir boutonné par dessus et des bottes brunes, le tout semblait un peu passé mais assez loin des moyens financiers du quidam moyen. Quand la demi-elfe passa à côté d'elle, Erin lui saisit la main et la serra en signe d'encouragement, Méliane la remercia d'un léger sourire et alla accueillir Killian.
Leur face à face sembla commencer comme une comédie burlesque tant le père et la fille semblaient gênés d'être là. Ils se décidèrent à briser la glace en même temps, Killian avançant la main pour poignée et Méliane avançant le buste pour une bise sur la joue, interrompant leur mouvement en constatant leur désynchronisation, pour finalement se serrer maladroitement l'un et l'autre avant de se séparer comme deux amants surpris en flirt. Killian indiqua enfin une table libre à leur droite où ils s'installèrent tous les deux mais sans s'engager dans une grande discussion, semblant plutôt s'immerger dans la contemplation du plancher et du plafond.
La venue d'une servante qui leur demanda s'ils désiraient consommer servit de déclencheur bienvenu quand le prêtre de Loviatar demanda une bière légère et expliqua à Méliane quand la femme s'en fut retourné au comptoir:

"L'alcool me monte vite à la tête."

Cet aveu suffit à faire s'envoler la chape de plomb qui recouvrait leur table, la jeune femme ne se rappelant que trop bien la soirée trop arrosée à Scornubel.

"Cela nous fait au moins un point en commun, moi non plus je n'ai pas intérêt à en abuser."

Ils sourirent tous les deux, et commencèrent enfin à parler bien que ne parlant que de choses banales durant un bon quart d'heure avant que Méliane n'entame un sujet plus sérieux:

"Comment un fils de noble famille devient prêtre d'une divinité comme Loviatar?"

La mâchoire de Killian se crispa légèrement à cette question, il posa lentement sa chope sur la table avant de réunir ses deux mains sur lesquelles il posa son menton, tapotant l'extrémité de ses deux indexs. Il réfléchit longuement à ce qu'il allait dire et puis parla:

"Comment Killian Nanther, le fils prodigue, est devenu Killian Kreel, le paria? Il faut remonter loin pour cela, à l'époque où l'on me considérait comme une des étoiles montantes de la famille. Mon avenir était déjà tout écrit quand j'étais enfant sans que l'on ne me demande mon avis, ma belle gueule et mon sens des chiffres allaient faire de moi un des futurs dirigeants de la cité. Dès que j'eus l'âge requis, on me confia la direction d'une petite affaire que je développa rapidement au-delà de toutes les attentes. Cela m'était facile, je n'avais aucun scrupule à séduire les femmes ou les filles de mes concurrents et ainsi acquérir les renseignements nécessaires pour les écraser ensuite comme des moucherons ou à leur souffler les bonnes affaires sous leur nez.
Mais tout petit déjà j'avais un vice caché, vice que ma famille n'a jamais découvert l'existence, une attirance pour infliger la douleur à autrui ou à moi-même. Mais à l'adolescence j'imposais le silence à cette pulsion qui ne m'apportais plus aucune satisfaction, jusqu'à ce jour où j'effectuais une reconnaissance de propriété. J'errais jusqu'au Repos du Fouet, et attiré comme le fer par un aimant j'entrais à l'intérieur du bâtiment et là, je découvris ma vraie voie, j'abandonnais tout et je désormais je consacre ma vie à Loviatar."

Reprenant son souffle après son monologue, Killian avait les yeux fiévreux d'un fanatique. Ce qui inquiéta Méliane, se méfiant des réactions que pouvait avoir ce genre de personnage, même si il s'agissait de son père. Se rendant compte que Méliane était sur la défensive, il se reprit et questionna sa fille:

"Tu n'es pas une admiratrice de Loviatar, je me trompes?"
"Je n'ai aucune attirance pour son dogme mais je respecte ton choix car comme Illmater a dit un jour, ne juge pas si tu ne veux pas être jugé."
"Ne me dis pas que tu es une adepte d'Illmater."

La réaction horrifiée de Killian fit sourire Méliane, pour un adorateur de Loviatar, Illmater était l'équivalent du croque-mitaine.

"Non je ne suis pas une adoratrice d'Illmater, ma ferveur va ailleurs."
"Ah bon, tant mieux, enfin tu adores qui tu veux, hein?"
"Et, tu vas te consacrer à Loviatar jusqu'au terme de ton existence?"
"Oui je crois, on ne choisit pas une religion par simple caprice puis changer pour une autre parce que l'herbe est plus verte ailleurs."
"Juste."

La discussion se poursuivit durant une bonne partie de la nuit, Killian lui raconta quelques anecdotes sur la famille Nanther, l'éclaira sur quelques caractéristiques et coutumes locales, lui décrivit sa vie au service de Loviatar en dissimulant les passages les plus sombres et les plus choquants, n'avait que de vagues souvenirs de sa mère mais fut malgré tout peiné d'apprendre sa mort. Méliane quand à elle, fut plus vague, elle ne pouvait révéler son appartenance aux Soeurs du Premier Sang à son père, et dut donc occulter une grande partie de sa vie derrière un écran de fumée. Elle lui raconta une enfance fictive au sein du clan de sa mère dans la Haute-Forêt, une adhésion à un groupe d'aventuriers pour découvrir le monde et l'envie de profiter de son passage dans la région pour découvrir son père.
Ils évoquèrent aussi l'avenir, elle ne sachant encore ce qu'elle voulait, lui ne s'inquiétant que de l'ascension d'un de ses condisciples nommé Jonah Strake qui venait de se voir accorder une aile entière du temple pour mener des expériences sur des esclaves tatoués achetés il y a peu. Méliane ne montra rien, mais cette information allait certainement intéresser Numési.

[Ugo]

INTERLUDE

Les membres du Conseil se tenaient sur le promontoire rocheux et observaient le champ de bataille en contrebas d'un oeil critique. Les jumelles Volaren étaient présentes également mais leur visage était fermé. Zarra se tourna vers elles:

"Notre victoire est totale, tous nos ennemis sont morts et nous ne déplorons aucune perte de notre côté."
"Umph, pour avoir des pertes encore faudrait-il qu'il y ait combat."

C'était Unnal qui venait de s'exprimer dans ces propos négatifs, ce qui doucha l'exaltation de la drow zélée. En tant que responsable des forces armées des Soeurs du Premier Sang, la guerrière naine n'approuvait pas la manière dont les choses s'étaient déroulées mais lors du vote du Conseil, son point de vue avait été minoritaire.
Ignorant ce qui les attendaient, les Soeurs avaient décidé de jouer la carte de la prudence. A l'aube, tout ce que la communauté comptait comme lanceuses sorts expérimentées encerclait le campement ennemi à bonne distance et déclencha ses sorts les plus meurtriers. Ses occupants furent brutalement réveillés par les tremblements de terre et la pluie de feu qui s'abattit sur eux. Ceux qui survécurent à la fureur des énergies magiques furent massacrés par les dizaines d'extérieurs convoqués dans la foulée du déchaînement élémentaire.
Maintenant plusieurs heures après, les restes du camp étaient fouillés par des dizaines de femmes qui cherchaient à retrouver ce qui pouvait être récupéré mais à part des restes tellement calcinés qu'on ne pouvait dire avec certitude si ils avaient appartenu à un être vivant ou non, il n'y avait plus rien à trouver.
Zarra répliqua à Unnal:

"Ce qui compte au final, c'est le résultat pas la manière. Nous avons gagné, une fois de plus."
"N'en sois pas si sûre."

Tous les regards se tournèrent sur Kyriel, l'interrogea silencieusement du regard, celle-ci continua:

"Cela a été trop facile, je mettrais ma main au feu que les décideurs n'étaient pas présents et ne sont même jamais passés ici. Ce n'est pas fini."

[Ugo]

CHAPITRE 14: DANS L’ENTREPÔT

1373, Flammeneige 4: Melvonte

Ulblyn était couché sur une couverture posée sur le sol d'un immense champ vert s'étendant à perte de vue. Le panier de pique-nique duquel il tirait nourriture et boisson semblait ne jamais se vider, les mains croisées derrière le crâne, le halfelin profitait de la douce température, de la chaleur du soleil et du ciel bleu sans nuage. Le seul désagrément dans cette situation idyllique était un moucheron tenace qui ne cessait de l'asticoter depuis plusieurs minutes, et qui ne tenait en aucun cas compte des tentatives désordonnées de sa victime pour l'éloigner.
Curieusement il se mit à entendre des chuchotements et, lui sembla-t-il des gloussements alors que, lui hormis, il n'y avait pas âme qui vive aussi loin que portait son regard. Soudain tous les sens en alerte, il se réveilla en surtout tandis que sa main fila par réflexe inconscient vers sa dague cachée entre le matelas et le côté du lit. Malheureusement pour lui, son arme n'était plus à sa place et la panique allait le gagner quand une voix qu'il connaissait dit en même temps que la lumière inonda sa chambre:

"C'est ceci que tu cherches?".

Il battit les paupières le temps pour ses yeux de s'habituer à la soudaine clarté et quand cela fut fait analysa la scène. Sa fenêtre donnait sur une rue animée et était orienté à l'est, or les rayons du soleil ne rentraient pas encore dans la pièce et il faisait bien trop calme dehors, il estima qu'il n'était pas plus de 5 heure du matin. Les six membres du groupe des Soeurs du Premier Sang qu'il avait approché la veille étaient tous dans sa chambre. La demi-elfe était assise sur la tête de son lit tout en mâchonnant une brindille de graminée, certainement le moucheron qui l'avait harcelé dans son rêve. La rousse se tenait près de la fenêtre, c'est elle qui avait dut ouvrir la tenture. La blonde avait la main posée sur le bras de la frêle adolescente qui s'intéressait de trop près à un tiroir fermé de son bureau, le seul homme du groupe était adossé contre la porte les bras croisés sur la poitrine et la meneuse avec qui il avait discuté était assise au pied du lit jouant avec sa dague. tous étaient vêtus de combinaisons noires en cuir souple. Peu habitué à ce genre de surprise il marmonna:

"Je peux savoir ce que vous faites ici?"

Il n'essayait même pas de savoir comment elles avaient passé ses pièges et alarmes magiques, il allait devoir les renforcer un point c'est tout. En signe de d'apaisement, Numési lui rendit son poignard en le tenant par la lame, et lui répondit:

"Nous avions convenu de nous revoir aujourd'hui il me semble."

Le ton faussement innocent de la cylon irrita l'halfelin qui avait bien saisi le message dès son réveil et qui n'avait pas besoin que l'on enfonce le clou, ses "invitées" étaient une force avec qui il fallait compter.

"Vous n'étiez pas obligée de débarquer si tôt, j'étais dans un rêve plutôt agréable voyez-vous."
"Je n'en doute pas, vous aviez l'air si apaisé dans votre sommeil que nous avons hésité sur la manière de vous ramener du pays des songes."
"Humph, pourriez vous sortir de ma chambre et m'attendre en bas, maintenant que je suis levé j'aimerais m'habiller."
"On vous attend."

Dès que la porte se fut refermée sur la dernière visiteuse, Ulblyn alla à son armoire à vêtements et s'habilla en vitesse, il inspecta rapidement sa chambre au cas où on aurait pris quelque chose durant son sommeil.
"Pour un responsable local de cellule, j'ai décidément le sommeil trop lourd" marmonna t-il avant de sortir de sa chambre et de descendre l'escalier.
Arrivé en bas, il trouva les six intrus installés dans sa cuisine, au moins avaient ils eu l'obligeance de ne pas ponctionner dans ses réserves alimentaires. Avant de s’asseoir il leur demanda par acquis si ils voulaient boire quelque chose mais tout le monde refusa poliment.
Il alla à un meuble, prit un parchemin enroulé et alla s'asseoir à table, à côté de Numési et dit en déployant son papier:

"voici notre cible, l'entrepôt de Ganza."

[Ugo]

Ulblyn résuma alors la tâche qu'il contait leur confier:

"Notre ami Ganza est un forgeron reconnu qui sous-loue son entrepôt à plusieurs de ses confrères et qui tous utilisaient les services d'un magicien nain appelé Théodorus pour enchanter une partie de leur production. Jusque il y a peu, le travail de l'enchanteur était apprécié mais celui-ci voulut utiliser un nouveau sceau magique qu'il avait découvert récemment. Ce sceau était en tout point identique aux étranges tatouages présents sur les membres de certains esclaves arrivés en ville ces dernières semaines, dont ceux que vous avez libérés sur le navire du pirate Turok le Rouge. Nous ignorons comment il a pu découvrir que ces tatouages étaient en réalité des sceaux magiques et quel est leur fonction exactement, toujours est-il que Théodorus l'a apposé sur plusieurs armes et armures d'une commande de Ganza.
Plusieurs jours plus tard, un des forgerons qui partage ce bâtiment se fait éjecter avec plusieurs de ses camarades de beuverie de plusieurs tavernes et n'en trouvant plus aucune d'ouverte décident de terminer la nuit à l'entrepôt avec les dernières bouteilles qu'ils leur restent. Sur place un des fêtards ouvre une caisse, prend une épée et met au défi ses compagnons. Par jeu, trois autres font de même et enfilent une armure ou prennent une arme. Dans la seconde suivante les quatre hommes tombent par terre, morts. Les armes et armures qu'ils ont utilisé portaient toutes le fameux sceau. Depuis, personne n'a osé pénétrer dans cet entrepôt craignant q'une malédiction ou une maladie n'ai empoisonné l'endroit, et Ganza cherche activement mais discrètement quelqu'un pour mettre un terme à ce problème et lui permettre de récupérer ses marchandises."

Conclua t-il en se frottant le pouce et l'index, et en faisant un clin d'oeil appuyé pour bien marquer que la situation lésait financièrement Ganza. Numési demanda à l'halfelin:

"Pourquoi ne fait-il pas tout simplement appel aux autorités?"
"Parce qu'il n'a pas envie de voir son bien le plus précieux disparaître en fumée. Les responsables de la milice ne sont pas vraiment renommés pour leur vision d'esprit, si ils pensent que l'endroit est maudit ou contaminé, le feu réglera tout." ironisa t-il avec un grand sourire.

"Qu'attend-tu exactement de notre association petit mâle?"
"Que vous récupériez les corps et les éléments portant les sceaux pour qu'ils puissent être étudiés. Il est important de découvrir pourquoi et comment ces sceaux ont provoqué la mort de ces hommes alors que les esclaves tatoués survivent avec." répliqua Ulblyn, piqué au vif par le "petit mâle".
"Et comment sommes nous censées manipuler un de ces éléments sans en subir leur petit effet désagréable?"
"Tout porte à croire que ces objets sont en quelque sorte maudits, donc si vous ne les touchez pas directement, vous ne devriez pas avoir de problèmes. Ceux qui ont porté les caisses les contenant n'en sont pas morts."
"Ceux qui sont morts ne sont décédés qu'une fois l'arme en main ou l'armure enfilée, il y a peut-être un temps minimum avant que la malédiction ne s'enclenche" hasarda Erin, mais son hypothèse ne rencontra pas l’unanimité, chez Méliane en particulier:

"Ne comptez pas sur moi pour tester cette théorie."

Numési tapa plusieurs fois sur la table avec le plat de la main pour ramener le silence avant que l'on parte dans un débat stérile. Elle se tourna vers Ulblyn, l'interrogeant du regard ; peut-être le Ménestrel avait il une solution à leur proposer. L'halfelin se dirigea vers un coffre et en sortit quelques parchemins roulés qu'il donna à Numési:

"Ces parchemins de main de mage devraient vous aider à manipuler ces équipements sans danger jusqu'à ce que vous les mettiez dans un coffre. C'est tout ce que j'ai à vous offrir."

Numési prit les rouleaux et se leva en déclarant:

"On s'en contentera, nous ne sommes de toute façon pas dépourvues de ressources."
"Cela veut-il dire que vous acceptez ce travail?"
"Oui, je suis sure que nos érudites s'intéresseront aussi à ces sceaux magiques...en même temps que vous bien sûr." corrigea t-elle en voyant l'halfelin froncer les sourcils.
"Hum mouais, bien sûr. Pour bien faire, il faudrait aller à l'entrepôt le plus vite possible."
"Dans une heure nous y serons."
"Bien, j'attendrai votre retour dans mon échoppe. Bonne chance."
"C'est cela oui, à bientôt petit mâle"

Une fois le "clic" du pêne de la porte entendu, Ulblyn alla dans une armoire, y prit une bouteille d'alcool qu'il déboucha avec un "plop" sonore et but une grande lampée à même le goulot, avant de se laisser aller comme une poupée de chiffon sur sa chaise et de murmurer comme si les ombres avaient des oreilles:

"J'espère que je n'ai pas conclu un pacte avec le diable."

[Ugo]

Ganza avait l'allure générale d'un forgeron, des avants-bras musculeux habitués à manier le marteau et la pince et une peau séchée par la chaleur des fourneaux. Il avait les cheveux longs réunis en une queue de cheval, le nez de travers de ceux qui se sont pris un bon coup de poing dessus, des yeux enfoncés dans les orbites et une barbe taillée assez courte pour ne pas se prendre dans les outils mais assez touffue pour récolter assez de miettes pour nourrir une colonie de fourmis si elle s'installait dedans. Alors que l'arrivée d'un groupe destiné à lui permettre de rouvrir son entrepôt aurait du le réjouir, Ganza semblait au contraire gêné et renâclait à ouvrir les portes. Après quelques palabres et le reflet menaçant d'une lame, l'homme finit par avouer dans un souffle:

"Les cadavres ne sont plus là, je les ai vendus."

En tant que meneuse du groupe c'était à Numési de mener la discussion, cette information ne l'étonnait pas outre mesure. Il aurait été étonnant que chez le propriétaire le manque à gagner ne finisse pas par l'emporter sur la crainte de ce qu'il y avait dedans. Elle chercha d'abord à en savoir plus:

"A qui?"
"A un prêtre de Loviatar, je sais qu'ils recherchent parfois ce genre de marchandises. Inutile de me regarder comme ça ma petite dame, ils sont morts de toute façon, que voulez-vous que ça leur fasse."
"Ce n'est pas mon problème de toute façon, je suis avant tout là pour retrouver certains objets enchantés par Théodorus. Sont ils toujours dans ce bâtiment?"
"Evidemment, je n'ai pas envie qu'ils se perdent dans la nature et que l'on vienne me réclamer des comptes plus tard."

Cette réponse apporta quelques sourires narquois et autres ricanements contenus, rapace mais pas sot pour autant. Numési demanda:

"Certains des morts portaient des armures, vous avez donc du les toucher pour les enlever, ça n'a pas causé de problèmes supplémentaires?"
"Non..." Ganza hésita, puis continua "... j'ai engagé quelques mendiants pour s'en occuper, ils ont prestement jeté les objets dans un caisse et sont toujours vivants...je crois."
"mm, vous croyez."

La cylon ne fit aucun effort pour dissimuler son mépris envers l'homme, qui de son côté haussa les épaules, la région est rude, les plus forts survivent et les plus faibles meurent, c'est comme ça.
Ganza défit le cadenas qui fermait les portes de l'entrepôt et dit:

"Voilà, la caisse se trouve dans la pièce au fond à droite, Attention la porte est conçue pour se refermer si elle n'est pas calée et on ne sait pas l'ouvrir de l'intérieur. Je ferme les portes principales derrière vous, quand vous voudrez sortir, frappez contre et je vous ouvrirais, en attendant je reste ici."
"Prudent, hein? Bon, en avant mauvaise troupe, allons-y"
"Attends Numési, j'ai une question à poser" Méliane s'adressa alors à Ganza "Qui est l'homme qui est venu racheter les corps"

Le forgeron se caressa la barbe pendant qu'il recherchait la réponse:

"Jonah Struck, Strike, Strake, voilà c'est ça Jonah Strake, pourquoi voulez-vous le savoir?"
"Pour rien, je suis curieuse de nature" dit-elle en échangeant un regard entendu avec Numési. Cela faisait deux fois que ce personnage intervenait dans cette affaire.

Par sécurité Numési laissa Harald et Shennesta en compagnie de Ganza, des ouvertures dans le haut des murs laissait passer assez de lumière pour pouvoir se passer de torches. L'entrepôt était constitué d'une grande pièce, et de quatre autres plus petites dans le fond à en croire les quatre portes de bois sur le mur. Un éboulement dans le mur de droite permettait de voir une caverne naturelle, Ganza n'avait jamais fait réparer le mur puisque la caverne lui fournissait un endroit de stockage supplémentaire. Une trappe au milieu de la pièce où se trouvaient les quatre femmes devait mener à une cave. Elles se dirigèrent donc vers l'endroit indiqué par Ganza, Numési déclarant:

"On trouve cette caisse et on sort d'ici, cet endroit ne me plait guère"

Arrivée près de la porte, Numési hésita quand elle approcha la main de la poignée qui permettait d'ouvrir celle-ci. Son instinct lui disait de se méfier de ce qui pouvait se trouver derrière. Furieuse contre elle-même, elle secoua la tête, qu'est-ce qu'elle avait à craindre à ouvrir la porte d'un débarras, elle saisit donc la poignée et tira dessus.
Elle eut juste le temps de se dire qu'elle aurait du écouter son instinct quand la porte fut violemment repoussée et qu'un humanoïde se jeta sur elle. La figure à moins de 5 centimètres de son visage avait la peau desséchée et tendue sur les os, une bouche aux dents particulièrement pointues essayait de lui dévorer le visage. La jeune femme reconnut un nécrophage et avait toutes les peines du monde à repousser le mort-vivant, se demandant pourquoi ses trois compagnes n'intervenaient pas. La créature hurla soudain de douleur, alors que sa peau commença à fumer. Profitant de l'occasion inespéré, Numési parvint à repousser son adversaire et à se dégager, ce qui lui permit de se rendre compte de la situation présente. Tout à sa lutte avec le nécrophage, elle ne s'était pas rendu compte qu'il n'était pas le seul adversaire présent, deux créatures vermiformes avec quatre tentacules à la tête étaient également sorties de la pièce et combattaient Méliane et Forjia pendant qu'Erin armée de son talisman religieux repoussait le mort-vivant.
Méliane et Forjia arrivaient à contenir les assauts des gricks, alors que la jeune prêtresse commençait à éprouver des difficultés à lutter contre le nécrophage qui représentait la menace la plus importante, Numési le considéra comme la priorité. Dégainant son épée longue, elle s'élança contre la créature lui lacérant le torse d'un coup bien placé. Cette attaque surprit le mort-vivant qui arrêta de lutter contre Erin qui pu reprendre le dessus. Le combat fut bref, gêné par l'énergie divine projeté par la prêtresse, le nécrophage ne fut pas en mesure de se défendre efficacement face aux assauts de Numési et tomba rapidement.
Méliane se débarrassa rapidement du grick qu'elle affrontait de trois coups de cimeterres bien placés et acheva la créature qui attaquait Forjia par une frappe précise qui lui sectionna la colonne vertébrale au niveau de la tête.
Une fois la bataille finie, les quatre femmes inspectèrent les environs à la recherche d'un éventuel danger supplémentaire mais ne trouvèrent rien d'autre. Rassurées, elles se réunirent:

"Qu'est ce que ces bestioles foutaient là" explosa Numési, persuadée que le forgeron leur avait tendu un piège.
"D'après les traces, les gricks sont venus de là" dit Méliane en désignant la caverne, il y a un tunnel fraîchement creusé dans une des parois."L'odeur des corps a du les attirer mais ils ont du arriver trop tard pour s'en nourrir".
Erin montra les restes du nécrophage "Cet homme présente des traces de morsure qui correspondent aux becs des gricks."
"Ils ne mangent pas la chair des morts-vivants, il devait donc être humain il y a peu encore."

Forjia qui s'était éloigné revint avec une sacoche à la main:

"J'ai trouvé ça sur le sol de la pièce, à côté d'une épée longue portant le sceau."

Numési prit la sacoche l'ouvrit pour inspecter le contenu, et en sortit une bourse de pièces d'or, une figurine en chrysolite en forme de hibou, deux potions et un note. La cylon prit cette dernière et la lut à haute voix:

"Pénétrez dans l'entrepôt les Quatre Quartiers et cherchez une caisse dans laquelle vous devriez trouver quatre objets portant une marque identique à celle situé au bas de cette page - une épée longue, une armure de cuir clouté, une chemise de mailles, et une dague. Apportez les moi au temple. - J.S."

Remisant la note dans la sacoche, elle demanda:

"Combien y a t'il de J.S. dans un temple dans cette ville?"
"Au moins un."
"Nous devrions rendre visite à ce cher Jonah, mais grâce à lui on peut au moins émettre une hypothèse sur ce qui s'est passé ici. Cet homme a été envoyé ici pour la même chose que nous, pour une raison ou une autre s'est retrouvé face aux gricks, s'est emparé de l'épée pour se défendre, a succombé à la malédiction et est mort."
"Et s'est relevé en tant que nécrophage, il y a vraiment quelque chose qui nous dépasse pour le moment."
"On prend la caisse, on la ramène à Blackalbuck et on va rendre une petite visite à ce Jonah Strake, il pourrait nous apprendre une chose ou l'autre que nous ignorons."

[Ugo]

Ulblyn était à table quand Harald et Méliane firent de la place pour le coffre qu'ils déposèrent lourdement devant lui. Délaissant la cuisse de poulet grillé qui était resté bloquée à deux doigts de sa bouche ouverte qu'il reposa finalement dans son assiette, l'halfelin se tourna vers Numési un sourire forcé plaqué sur la figure:

"Je présume que vous avez accompli le travail dont nous étions convenu?"

En raison des évènements survenus à l'entrepôt, la jeune femme n'avait aucun remord à interrompre le petit homme dans une de ses activités favorites, Ulblyn n'était certainement pas au courant des conséquences secondaires résultant de l'utilisation des objets maudits mais pour l'instant elle n'avait que lui sous la main pour passer sa contrariété:

"En effet, tous les objets que Théodorus a marqué du sceau qui nous intéresse sont dans ce coffre."

Comme le coffre en question était sous son nez, Ulblyn put l'examiner de près et vit que la serrure était bouchée avec de la cire où une rune qu'il ne connaissait pas était gravée, fronçant les sourcils il demanda:

"Qu'est ce que c'est ça?"
"Une petite précaution pour vous respectiez l'accord verbal de ce matin, vous ou un de vos agents accompagnerez ce coffre jusqu'à Phlan. Une fois sur place, il faudra aller à l'auberge du Troubadour et demander si le père de la tenancière est revenu de son voyage commercial en Sembie, comme la réponse sera non vous lui donnerez cette lettre.." qui était également scellée d'un cachet de cire avec une rune identique "..qui contient mes instructions. Là, vous attendrez qu'une ou plusieurs de nos Soeurs versées dans l'Art vienne examiner les objets en partenariat avec votre organisation. les runes seront brisées à ce moment là"
"Ce n'est pas comme ça que ça devait se passer."

Le ton de l'halfelin était devenu froid et sec, à la limite menaçant. Malheureusement pour lui, ses interlocutrices en avaient vu d'autres car ce n'est même pas son homologue d'en face qui lui répondit avec une ironie non feinte:

"Si cela ne vous va pas, allez vous plaindre à Bâton Noir."

La seule réaction du chef de la cellule locale des Ménestrels fut une contraction des mâchoires, la défection de l'archimage d'Eauprofonde et d'une partie des cadres pour créer une faction dissidente était une plaie encore vive dans les mémoires des Ménestrels. Mais cela faisait des années qu'il évitait les ennuis directs dans cette ville, ce n'était pas pour commencer à un contre six en étant désarmé. Il inspira lentement avant de lâcher un soupir de soumission:

"D'accord, vous avez les cartes en main pour le moment, nous ferons comme cela. Mais à la moindre enterloupe, nous n'aurons de cesse de vous poursuivre pour vous le faire payer."

Numési avança le bras et saisi le col de l'halfelin, plantant son regard dans le sien elle dit d'un ton dépourvu de toute chaleur:

"Comme vous le dites si bien, NOUS avons les cartes en main et si notre désir était que le contenu de ce coffre ne vous arrive jamais dans les mains, il n'y a rien que vous puissiez contre cela. Si notre désir était d'éliminer votre organisation et d'en effacer toute trace dans les mémoires et l'histoire, il n'y a rien que vous puissiez contre cela. Mettez vous bien cette idée dans le crâne une bonne fois pour toutes."

Ulblyn se racla la gorge, la situation devenait tendue et à cette allure il allait être responsable d'une lutte à mort entre les deux organisations. Il fallait désamorcer la bombe prête à exploser, il dit:

"Inutile de s'énerver, nous sommes entre gens de bonne composition, l'accord me convient parfaitement tel qui l'est."

Numési lâcha le petit homme, et saisissant une chaise s'assit en face de lui

"Bien, passons à autre chose en relation avec notre affaire. L'affaire de l'entrepôt n'est pas tout à fait terminée, que pouvez-nous dire sur un certain Jonah Strake."

[Ugo]

INTERLUDE

1373, Flammeneige 5: Citadelle de la Lune.

Le liquide ambré remplit la coupe en cristal doucement comme si il ne voulait pas abîmer le travail de l'artisan qui l'avait façonné. Rikta remisa la bouteille de vin des halfelins de la Luiren dans son armoire à boissons et tendit la coupe à Calandra qui la remercia d'un hochement de tête. La vieille gnome faisait son âge avancé, la peau tellement ridée que si on l'observait de trop près on avait presque l'impression de voir une terre craquelée de profondes gorges, mais son regard malicieux et pétillant était celui d'une jeune fille de 20 ans. Pourtant aujourd'hui, elle paraissait apeurée, lasse, comme si le poids des ans l'avait soudainement rattrapé, et laissant paraître une vulnérabilité que jamais les jumelles n'avaient pu apercevoir depuis le temps qu'elles connaissaient la magicienne.
Celle-ci, tenait sa coupe à deux mains et ne buvait que par petites gorgées comme pour se donner le courage de parler, ce qu'elle fit enfin:

"Vous vous demandez pourquoi j'ai demandé cette entrevue entre nous trois?"

Assise dans le siège en face d'elle à côté de sa soeur, Kyriel hocha imperceptiblement la tête pour approuver, Calandra poursuivit:

"Comme vous avez du vous interroger sur mon absence à la fin de notre expédition sur le camp adverse il y a deux jours. Ces dernières 48 heures j'étais enfermée dans ma chambre pour étudier le livre qui a été trouvé dans la cache où trois de nos soeurs disparues ont été retrouvées."

Kyriel l'interrompit, les sourcils froncés:

"Ce livre n'avait-il pas été confié à nos soeurs de la bibliothèque?"
"Oui, mais quand je suis passé voir où en était la traduction je me suis rendue compte que la jeune femme assigné à cette tâche rencontrait beaucoup de difficultés. Et pour cause, en le feuilletant j'ai tout de suite reconnu le style de mon ancien maître, Ioulaum, qui était très doué pour semer le chaos dans ses notes tout en arrivant à s'y retrouver sans aucun problème. Il était bien le seul d'ailleurs, même après plusieurs années la plupart de ses apprentis se trompaient la majorité du temps excepté l'un ou l'autre, dont moi."

Les jumelles se regardèrent interloquées, elles savaient que la vénérable gnome était très âgée et était une des plus puissantes magiciennes de Toril, même si elle-même reconnaissait qu'elle n'arrivait pas à la taille d'un Elminster ou d'un Khelben, mais de là à être âgée en millénaires plutôt qu'en siècles, c'est un pari qu'aucune des deux n'aurait jamais tenté.

"Comme beaucoup le savent, Ioulaum fut à l'origine de l'Age d'Or de Néthéril puisque c'est lui qui créa les mythallars, ces puissants artefacts magiques qui permirent l'envol des cités flottantes de l'Empire. En revanche peu savent que les phaerrims provoquèrent la chute de deux de ces cités dans leur guerre contre les néthérisses avant que ceux-ci ne trouvent la parade. Or en traduisant ce fameux carnet j'ai trouvé ce que personne ne savait, moi y compris, c'est que Ioulaum chercha à anticiper les prochaines attaques que pourraient inventer les phaerrims. On dirait qu'il s'est posé la question de savoir si un mythallar pouvait être détruit, et plus grave, d'avoir trouvé le moyen de le faire. Seulement, les rares annotations à ce sujet sont trop vagues pour que j'arrive à déterminer lequel, et si il y a moyen de le contrer."

les jumelles absorbèrent ces informations tentant de comprendre en quoi cela inquiétait Calandra, Rikta écarquilla les yeux avant de lâcher l'évidence:

"La source d'énergie de notre mythal est un mythallar."
"Et si quelqu'un le détruit, nous perdons notre principale protection" termina Kyriel.
"C'est un avertissement, je crois que quelqu'un s'est arrangé pour que nous trouvions ce livre et découvrions ce qui nous attend."
Que la Déesse nous protège, si notre mythal tombe, nous devenons aussi vulnérables que n'importe quelle place forte."

[Ugo]

CHAPITRE 15: DANS L'ANTRE DU FOUET

1373, Flammeneige 6: Melvonte, aux environs du Repos du Fouet

Le soir venant, l'obscurité commençait à tomber. Les six membres du groupe attendaient que la nuit soit définitivement installée pour mettre leur plan à exécution.

Les malencontreuses surprises rencontrées lors de leur escapade dans l'entrepôt avaient convaincu Numési que les derniers jours avaient été considéré un peu trop à la légère. La première chose à faire était de recueillir un maximum de renseignements sur le temple, les défenses en place et sur leur cible principale, le nommé Strake. Malgré les années passées dans la cité Forjia ne put pas leur apporter grand chose, le temple avait mauvaise réputation auprès des voleurs locaux après la disparition des rares qui avaient tenté de pénétrer à l'intérieur et ainsi ils restaient à bonne distance de celui-ci. Tout ce qu'elle put leur apprendre c'est que le personnel clérical comprenait une dizaines de membres, dont un ou deux prêtres assez puissants et qu'il y avait un nombre équivalent de gardes. Elle ignorait tout de la disposition du temple et quelles défenses le protégeaient, même si Erin en tant que prêtresse avait une bonne idée de ce qu'elles risquaient de trouver - en général les prêtres manquent d'imagination pour ces choses-là, et n'avait jamais entendu parler de Jonah Strake.
La jeune roublarde aurait pu aller aux nouvelles auprès de certains de ses relations, mais Numési ne pouvait prendre le risque d'alerter le clergé de Loviatar d'une manière ou d'une autre. Il y avait bien un autre moyen, mais cela demandait une grande prudence et l'assentiment de Méliane - impliquer Killian Kreel. Le second point ne présenta pas de difficulté, Méliane n'avait aucun problème à faire passer le bien de la communauté avant son géniteur. En revanche, interroger Killian sans que celui-ci n'avertisse ses supérieurs et ne fasse capoter l'opération était une autre paire de manche.
Contrairement à leurs craintes cela s'avéra plus facile que prévu, quand Méliane qui avait fait venir son père pour continuer leur discussion l'orienta vers ses relations avec ce prêtre qui avait les faveurs de leur hiérarchie l'homme devient soudain bien prolixe. Il s'avéra ainsi que Jonah s'était vu attribuer toute l'aile droite du temple et que lui seul avait le droit d'y pénétrer, même les gardes en faction devant les portes ne les franchissaient jamais. La voix de Killian était tellement remplie d'amertume et de ressentiment quand il parla de Jonah que Méliane, saisie d'une intuition subite, lui demanda si cela l'intéresserait qu'un accident arrive à son rival. Après un long silence pesant et s'être assuré que personne ne l'entendrait, le père de Méliane ne se montra pas réfractaire à cette idée. Après quelques minutes, il fut même enthousiaste à l'éventualité de voir un rival mordre la poussière et lui donna volontiers des informations pour pénétrer discrètement dans le temple et arriver jusqu'à Strake mais à la seule condition qu'il soit le seul membre du temple à succomber.

Une fois la surprise passée, Erin vérifia par la divination la véracité des informations de Kreel qui s'avérèrent justes. La haine du prêtre envers Jonah Strake était si grande qu'elle surpassait même sa loyauté envers son culte. Rassurée, Numési mit en place la seconde partie de l'opération - préparer l'équipement et le matériel adéquat. Il y aurait surement des morts-vivants à affronter, au minimum un prêtre, des protections divines et maléfiques, ainsi que la possibilité de rencontrer l'un ou l'autre garde qu'il ne faudrait pas tuer si possible, la routine en somme.
Le cas des morts-vivants était le simple à régler, des armes spécialement ensorcelées pour ce genre de créatures suffiraient. Pour contrer les prêtres, elle choisit quelques baguettes et parchemins de sorts incapacitants et entravant. Pour les protections, elle prit quelques babioles à porter - anneaux, pendentifs ou amulettes. Pour terminer, elle enfourna dans son sac quelques fioles de poison soporifique à enduire sur des lames ou des pointes de flèches ou de carreaux.

Après plusieurs passages en revue du rôle de chacun, le groupe se mit en route. Et maintenant, ils attendaient le moment propice pour passer à l'action.

[Ugo]

Avec leurs armures noircies et les capacités nocturnes de leurs masques, les membres du groupe se fondaient dans les ombres de la nuit aussi facilement que des spectres. Harald et Forjia s'étaient vus dotés de loups qui leur permettaient de voir dans le noir comme leurs compagnes. Arrivé au pied d'un mur extérieur de cinq mètres de haut, Méliane qui avait la meilleure ouïe du groupe écouta attentivement les bruits environnants pour s'assurer que la voie était libre, à part un grillon mâle qui émettait sa stridulation nuptiale dans le but d'attirer une femelle rien n'indiquait un possible danger. Rassurée, elle brandit son pouce pour signaler que la voie était dégagée, quand Numési passa à côté de la demi-elfe elle murmura:

"Espérons que ton géniteur ne nous ait pas trahi, sinon cette sortie risque de faire du bruit."

Collant la paume de sa main sur le mur, elle testa l'adhérence de celle-ci avant de commencer à grimper sur le mur comme le ferait une araignée suivie par les autres à une intervalle de deux secondes. Arrivée au faite du mur, elle jeta un oeil pour discerner une présence éventuelle mais la petite cour aménagée en jardin aromatique était vide. Elle enjamba le mur et se reçut lestement sur le sol, elle dégaina son arbalète de poing, alla jusqu'à un arbre où elle fit le guet en attendant que les autres l'ait rejointe. Le jardin faisait huit mètres sur huit et embaumait de diverses odeurs aromatiques comme le thym, la sarriette, l'origan, et d'autres plantes odorantes utilisées par le cuisinier pour assaisonner les repas des prêtres ou pour divers rituels religieux. Une porte sur le mur orienté à l'est était la seule sortie possible.

Sur un signe de Numési, Forjia s'approcha de la serrure qu'elle inspecta attentivement pendant que Méliane l'oreille collée à la porte était à l'écoute de ce qui se passait de l'autre côté. D'après Killian, cette porte fermée à clé n'était jamais gardée mais sa serrure était piégée par sécurité. La jeune adolescente, farfouilla dans sa sacoche et choisit un crochet spécifique qu'elle introduisit dans la serrure. Tout à son ouvrage, elle commentait à voix basse, plus pour elle-même que pour ses compagnons:

"Nous avons de la chance, ils sont en pleine confiance, assurés que leur réputation écarte les intrus et leur sécurité s'en ressent, ce qui me facilite la tâche."

Le cliquetis annonçant à la fois l'ouverture de la serrure et la mise hors-service du piège ponctua sa tirade. Numési entrouvrit la porte pour jeter un oeil, elle vit un couloir vide éclairé par quelques torches. Augmentant l'écart, elle passa la tête et satisfaite pénétra dans le couloir qui était limité par deux portes à ses extrémités. A en croire les informations en leur possession, elles devaient se diriger vers la porte de droite pour accéder à l'aile où Jonah Strake opérait. Par gestes, Numési imposa l'emploi du langage des signes à partir de cet instant, pendant ce temps Forjia s'était approchée de la prochaine porte et après un rapide examen indiqua d'un geste qu'elle ne présentait pas de danger mais invita Numési à jeter un coup oeil par la serrure. La jeune femme s'exécuta et vit un second couloir plus large et aux murs plus ouvragés qui se terminait par une double-porte devant laquelle se tenait deux gardes. Les choses sérieuses allaient commencer.

Chaque membre du commando savait quel était son rôle et s'était préparé, Erin commençait à incanter tandis que la jeune Cylon posait sa main sur la poignée de la porte et la manœuvrait lentement pour n'alerter les gardes qu'au dernier moment. Quand le pêne eu glissé sans bruit dans sa gâche, la jeune femme remercia mentalement au passage l'homme qui huilait consciencieusement tous les mécanismes du temple, elle ouvrit la porte en grand et décocha son carreau empoisonné qui s'enfonça dans le bras du premier garde. Dans le même mouvement, elle s'était accroupie dégageant la vue pour Erin qui lança son sort sur le second homme. Les effets de la magie et du poison firent effets presque simultanément et les deux hommes d'armes tombèrent dans l'inconscience leurs cris d'alarme bloqués dans la gorge. Bien que les gardes ne devraient pas réveiller avant de longues heures, ils furent promptement ligotés et bâillonnés en cas de retour prématuré à la réalité, sans compter que leur ballade pouvait s'éterniser plus longtemps que prévu au départ.

La double-porte n'était pas verrouillée et s'ouvrit sans bruit, la pièce dans laquelle pénétrèrent les membres du groupe ressemblait à un temple miniature, une chapelle certainement. Il n'y avait aucun mobilier, seuls des nattes ensanglantées où des suppliants se faisaient fouetter en temps normal et des tapisseries murales représentant Loviatar dans toute sa décadence apportaient un semblant de décoration à l'endroit. Deux portes, l'une à gauche et l'autre dans le fond, communiquent avec les autres pièces de cette aile du temple. La porte de gauche ne révéla rien d'intéressant, une pièce de quatre mètres sur cinq avec une table de bois, quelques chaises et un bureau en mauvais état, cela devait être une salle de réunion. La seconde porte en revanche se révéla plus intéressante, la serrure n'était pas compliquée mais Forjia décela un puissant glyphe de garde la protégeant et eut besoin de la magie d'Erin pour finalement en venir à bout, preuve qu'elles touchaient au but.
Elles pénétrèrent dans ce qui devait être la chambre de Jonah Strake, manifestement le style spartiate des pièces précédentes ne s'adressait pas au prêtre de la Vierge de la Souffrance. Tout dans cette pièce était de qualité supérieure, du lit finement ouvragé jusqu'à une magnifique étagère incrustée d'ivoire en passant par une lourde armoire en bois exotique des jungles de Mhair à côté d'une porte en bois de chêne pour sortir de la pièce. Elles prirent le temps de fouiller la pièce pour découvrir des éléments pouvant les aider, mais à part un faux compartiment dans l'étagère qui contenait une dague ouvragée ornée de joyaux, plusieurs pierres précieuses et deux ou trois potions de soins, il n'y avait rien à trouver, sauf pour Forjia qui empocha les gemmes avec avidité.

Passé la porte, elles arrivèrent à un petit couloir qui comptait trois portes.

[Ugo]

La porte de gauche donnait sur une petite pièce qui servait de morgue au vu des corps étendus sur des tables en pierre qui se trouvaient dedans. Le compte donna quatre hommes en parfait état et un cinquième corps mutilé mais qui portait les fameux tatouages. Curieusement l'endroit était parfaitement propre, si on exceptait le corps mutilé, et même l'odeur pestilentielle de ce genre d'endroit était absente, à vrai-dire il flottait dans l'air une odeur incongrue de jasmin et de lavande. Un rapide examen des corps révéla que ceux-ci étaient préservés par magie et devaient servir de terrain d'expérimentation pour Jonah Strake.

La porte de droite donnait sur une prison sommaire. Elle comportait huit cellules de dimensions réduites où un humain de taille normale n'avait même pas la place pour s'allonger, deux d'entre elles étaient occupées par des prisonniers, des esclaves tatoués. Ces derniers étaient trop faibles pour réagir quand le commando les libéra, ce qui arrangea Numési quand elle les interrogea à voix basse pour ne pas risquer d'alerter un tiers indésirable comme le prêtre de Loviatar.

"Ne craignez rien.." dit-elle quand l'homme à qui elle venait de prendre la main frissonna de terreur "..nous sommes là pour vous aider". Pendant qu'elle offrit sa gourde aux prisonniers, Méliane et Shennesta montaient la garde dans le couloir. Quand, l'homme eut pris quelques gorgées, Numési lui demanda:

"Pouvez-vous me dire comment vous êtes arrivés ici mon ami."

Elle dut presque coller son oreille aux lèvres de l'homme pour entendre ce qu'il disait:

"Je ne sais pas ... un moment j'étais tranquillement ... en train de me promener dans Mulmastre ... et l'instant d'après ... je me trouvais sur ... dans la cale d'un navire pirate ... avec d'autres prisonniers. Quelques jours plus tard ... nous étions dans une grotte ... où un homme nous ... avons été emmenés moi et ... d'autres prisonniers par un homme."

Son histoire concordait avec celle des prisonniers libérés sur le navire de Turok le Rouge et les éléments recueillis par Ulblyn. Elle essaya d'en savoir un peu plus, désignant les tatouages sur les chevilles de l'homme elle continua:

"Dites moi, avez-vous une idée d'où proviennent vos tatouages?"

L'homme secoua faiblement la tête:

"Non ... à mon réveil sur le bateau des .. pirates ... ils étaient ... là ... ils intéressent ... notre geôlier car ... ils perturbent ... sa magie."

Voilà qui était nouveau, elle posa une dernière question:

"Où est il?"
"Je ne sais pas, il a emmené un prisonnier il y a quelques minutes."

Quelques minutes? Si elles n'avaient pas croisé Strake auparavant c'est qu'il avait du emprunter la troisième porte, le temps pressait. Après qu'Erin ait administré les premiers soins pour soulager les deux hommes, Numési donna l'ordre de se mettre en route. Elles laissèrent les deux prisonniers en arrière, les prendre avec constituerait un handicap tant que le cas de Jonah Stake n'était pas réglé.

Forjia s'approcha de la porte pour s'apercevoir qu'elle n'était pas fermée à clef, elle l’entrouvrit et aussitôt une voix masculine psalmodiant se fit entendre. Numési jeta un coup d'oeil par l’entrebâillement, la pièce était nue à l'exception d'un autel dédié à Loviatar et d'une grande statue en pierre représentant la déesse, un grand rideau pourpre cachait la moitié de la pièce. Elle eut une moue de dépit en voyant le corps de l'esclave sur l'autel dont du sang coulait encore, l'homme venait d'être tué. Devant l'autel, un homme en tenue de prêtre tournait le dos à la porte et officiait à un quelconque rituel macabre. Tout occupé à son office, il ne se rendit pas compte que des intrus venait de pénétrer dans la pièce jusqu'à ce qu'une voix féminine l'interpelle:

"Jonah Strake, nous avons des questions à vous poser."

Le prêtre n'eut pas la réaction attendue, il plongea vers le rideau et tira dessus énergiquement révélant ainsi la partie dissimulée de la pièce et quatre cadavres décomposés debout. Dès qu'ils virent les membres du groupe, les morts-vivants se lancèrent à l'attaque avec une célérité qui n'était pas celle de simples zombies. Les membres du groupe reconnurent sans peine le même genre de nécrophages qu'elles avaient du affronter dans l'entrepôt visité auparavant, mais elles étaient prêtes à les recevoir.
Shennesta décocha sa première flèche avec une précision infaillible, elle transperça le genou de la jambe d'appui de la première créature qui trébucha entraînant celle qui suivait juste derrière et qui ne put l'éviter. Numési qui avait tiré sur Strake pendant son plongeon sans résultat, tira son épée et chargea pour intercepter le troisième nécrophage. Erin fit appel à la puissance divine de la Déesse pour détruire leurs adversaires mais elle ne réussit même pas à en repousser un seul, "sanctification" cria t-elle pour alerter son entourage que ces nécrophages étaient plus puissants que la normale. Méliane l'avait déjà compris quand le quatrième évita son attaque et répliqua d'un coup qui lui aurait emporté la tête si elle ne s'était pas baissée in extremis. Forjia dont la dague ne serait pas d'une grande utilité, tenta de contourner discrètement les belligérants pour s'occuper du prêtre. Harald profita des effets de l'attaque de Shennesta pour porter une attaque sur l'un des nécrophages emmêlés qui ne put parer l'arme, le coup causa une profonde entaille sur le torse du mort-vivant qui commença à grésiller. Celui-ci, répliqua par un coup que le jeune homme para de son bouclier mais qui grimaça sous la force de l'impact. Il dut même reculer quand le second nécrophage se remit debout et s'avança vers lui en clopinant pendant que l'autre tentait de forcer la défense du bouclier pour plonger ses dents acérées dans le cou d'Harald qui ne parvenait pas à trouver le bon angle pour frapper tout occupé qu'il était à rester en vie. Heureusement, Shennesta le soulagea en concentrant son tir sur le second adversaire dont le torse reçut trois projectiles saints à la suite qui stoppait la marche en avant de la créature tout en la blessant un peu plus à chaque impact.

Pour une fois, Numési se retrouva en mauvaise posture, l'adversaire qu'elle s'était choisi avait bloqué sa première tentative et maintenait la main tenant l'épée d'une poigne de fer tandis que l'autre serrait le cou de la cylon tentant de l'étrangler malgré la protection de l'armure. Numési tentait de dénouer la prise de sa main libre, mais la force du nécrophage était bien supérieure à la sienne et elle ne trouvait aucun moyen pour s'en sortir. Méliane, avait presque l'impression de combattre Turok revenu d'entre les morts tant son adversaire alliait puissance et agilité, le combat était presque à sens unique - la demi-elfe esquivant les coups de son adversaire tout en plaçant de rares contre-attaques qui ne brassaient que du vent. Elle était bien consciente que Numési était en situation critique mais si elle se portait à son aide, elle se mettrait elle-même dans une position défavorable. Erin jugea qu'il valait mieux concentrer ses efforts sur le nécrophage diminué par sa soeur, elle incanta et orienta les paumes vers sa cible dirigeant l'effet du sort sur le mort-vivant. Nimbé d'une lueur bleuâtre, celui-ci émit un horrible cri strident avant de s'écrouler pour ne plus se relever. Prenant une nouvelle flèche dans le carquois, Shennesta lui cria un "bien joué" auquel la prêtresse marmonna "j'espère bien, c'était mon plus puissant sort de guérison", elle chercha dans son répertoire un sort qui pourrait contrecarrer l'effet qui augmentait la force des morts-vivants. Pendant que ses séides combattaient les intrus, le prêtre de Loviatar chercha à donner l'avantage à ses troupes, l'archère en retrait représentait à ses yeux la plus grande menace. En appelant à sa sombre divinité, il lança un sort sur Shennesta qui sembla porter ses fruits quand il vit qu'elle ne bougeait plus. Il allait lancer un sort qui allait affaiblir ses ennemis quand il perçut un mouvement derrière lui, il esquiva l'attaque de Forjia mais pas suffisamment vite pour éviter de ressentir une douleur dans le flanc, déconcentré son sort fut perdu.

Erin remarqua l'action du prêtre sur sa soeur et dut modifier la sienne en conséquence, elle lança un sort de silence sur le prêtre adverse et constata avec satisfaction l'air surpris de celui-ci, signe que cela avait marché. Elle incanta ensuite pour augmenter sa force, et dégainant son épée chargea le nécrophage qui était en train de broyer les os de sa meneuse. De son côté, Méliane avait modifié sa tactique défensive, au lieu d'esquiver elle tentait de parer avec le tranchant de ses cimeterres pour que son adversaire se blesse sur ses attaques et les avants-bras de la créature d’outre monde commençaient à se couvrir d'estafilades grésillantes. Numési sentait bien qu'elle n'arriverait à rien dans sa situation, surtout depuis que ses vertèbres cervicales commençaient à craquer sous la pression de son adversaire, lâchant le poignet de celui-ci elle saisit une baguette à sa ceinture et la braqua à bout portant sur le visage du monstre en ignorant l'effet que cela aurait. La langue de feu qui en jaillit brûla gravement le nécrophage qui ne lâcha pas pour autant mais desserra son étreinte sous l'effet de la surprise. La lame d'Erin qui s'enfonça dans son dos eut un effet plus dévastateur. Le sort d'Erin sur Strake avantagea Forjia qui profita du flottement de son opposant pour lui plonger sa dague dans la jointure de l'épaule de son armure. Aussitôt du sang coula à gros bouillon de la blessure.

La charge d'Erin permit à Numési de repousser son adversaire, et aidée de la prêtresse vint enfin à bout du nécrophage en quelques coups bien placés. Quelques instants plus tard, les deux derniers morts-vivants succombèrent sous le nombre.

[Ugo]

La destruction de ses séides et sa blessure à l'épaule avaient ôté toute velléité de résistance à Jonah Strake. Le prêtre de Loviatar étreignait toujours son épaule pour éviter de se vider de son sang sous la garde attentive de Forjia quand Numési s'approcha de lui. La voix un peu rauque d'avoir eu la gorge serrée de trop durant la bagarre, elle questionna d'un ton peu amène:

"Toi, que fabriquait-tu ici?"

L'homme releva la tête, une lueur sauvage dans les yeux:

"A ton avis femme, je levais une armée pour la plus grande gloire de Loviatar."
"Magnifique, encore un fanatique" soupira la cylon pour elle-même, avant de continuer à interroger Strake "Ces créatures? Etaient-ce les quatre hommes morts dans l'entrepôt?"

Le prêtre la regarda d'un oeil soupçonneux, avant de répondre d'un ton méfiant:

"En effet, j'avais acquis ces quatre corps pour en faire des zombies pour ma future armée sainte, mais quelle ne fut pas ma surprise de voir que plusieurs heures après leur arrivée, ils s'étaient relevés bien plus forts et puissants que si je m'en étais occupé moi-même."

Les éléments du puzzle s'assemblaient les uns dans les autres avec une régulière facilité, Numési compléta le récit de Strake:

"Vous vous êtes demandé quelle était la raison de ce phénomène, en avez conclu que la réponse se trouvait à l'entrepôt où ces hommes étaient décédés, en l’occurrence les objets marqués de ce sceau..." dit-elle en désignant le corps de l'esclave sur l'autel "...et engagé quelqu'un pour aller les récupérer. Sauf que vous n'aviez pas prévenu votre homme de main des dangers à manipuler ces objets et qu'il n'est jamais revenu."

L'homme ne répondit rien, mais son air pincé montrait que Numési avait vu juste. Elle demanda:

"Avez vous découvert quelque chose sur ces tatouages que nous ne sachions déjà?"

La réponse de Jonah Strake n'apporta rien de neuf, des personnes présentes c'était lui qui finalement en savait le moins sur le sujet. Jugeant qu'il n'y avait plus rien à apprendre Numési déclara:

"Bien, nous en avons terminé, remballez vos affaires nous partons."

La jeune femme avait dit cela avec une telle désinvolture que cela piqua la fierté du prisonnier, il éructa:

"Vous profanez un temple sacré de Loviatar, vous attaquez ses sujets, vous me ridiculisez et vous croyez que vous allez partir comme ça?!"

La rage de l'homme baissa d'un cran face au léger sourire de Numési, elle fit mine de réfléchir et dit d'un ton léger:

"Partir comme si de rien n'était, mmh qu'en pense tu Méliane? le Pouvons-nous?"

La demi-elfe se caressa machinalement le menton en réfléchissant à la question, puis répondit avec la même insouciance que son aînée:

"Le pouvons-nous? Oui. Forjia?"

La jeune Melvontienne comprit de suite le message sous-jacent et sans laisser le temps à Strake de comprendre ce qui lui arrivait lui trancha la gorge d'un geste vif. Il porta ses mains à la gorge dans un geste dérisoire pour tenter d'arrêter le sang qui jaillissait à flots de la blessure à chaque battement de coeur, il tomba à genoux et tenta d'invoquer l'aide de sa déesse mais ne réussit à émettre qu'un immonde gargouillis avant de s'affaler sur le sol où son corps eut encore quelques soubresauts avant de s'immobiliser. Avant de plonger dans le néant, l'homme eut un dernier regret de ne pas voir ses rêves de grandeur aboutir.
Aucun autre écueil ne se présenta sur leur route et le commando repartit par où il était venu, avec les deux esclaves libérés en plus. Deux heures plus tard, les Soeurs du Premier Sang étaient chez Ulblyn Blackalbuck qui fut ravit de pouvoir accueillir deux rescapés de plus avant que son organisation ne s'occupe de leur rapatriement. Une fois seul avec les cinq femmes et Harald, l'halfelin entama la conversation:

"Et maintenant que comptez-vous faire?"
"On dirait que vous êtes pressé de nous voir partir."
"Vous avez énervé les pirates locaux, investi le temple d'une divinité revancharde pour y foutre le souk et tuer un de ses prêtres. Vous avez désormais une cible en plein milieu du front et tout ceux qui vous approcheront de trop près le feront à leurs risques et périls. Alors oui, vous faire oublier quelques mois loin de Melvonte serait avisé."
"Vu sous cet angle, je comprend ton raisonnement. Mais je devine à ton air rusé, Ménestrel, que tu as une idée de destination pour nous"
"Eh bien, vous n'en apprendrez pas plus sur les esclaves tatoués en restant ici, il se pourrait donc que j'ai une piste pour vous."

[Ugo]

CHAPITRE 16: CORMANTHOR

1373, Eleinte 8: nord de la forêt de Cormanthor au sud de Montéloy

Lentement les battements de coeur de Méliane redescendaient à leur rythme habituel, blottie dans les bras puissants de son amante elle récupérait de leur étreinte passionnée. Nonchalamment Numési caressait du bout des doigts l'avant bras de la demi-elfe posé sur son sein pendant que son regard était perdu dans la contemplation de la voûte étoilée, en cette nuit sans nuage les étoiles se démarquaient profondément. Méliane se rendit compte de l'attitude distante de la cylon et releva un peu la tête pour tenter de saisir son regard.

"Encore perdue dans tes pensées?"

La jeune fille savait bien à quoi pensait son aînée même si elle avait encore du mal à saisir certains concepts. Dès leur troisième nuit Numési avait répondu à ses questions et tenté de lui expliquer les principaux fondements de l'univers. Si Méliane avait rapidement compris que les étoiles qui s'allumaient le soir venu étaient des soleils éloignés autour desquels des mondes comme Toril gravitaient, elle avait toujours du mal à imaginer la taille réelle et les distances considérables à laquelle se trouvaient ces astres. Si à partir d'un certain rang beaucoup de Soeurs du Premier Sang intégraient sans problème la cosmologie de base, peu d'entre elles arrivaient à comprendre dès que l'on parlait de mécanique quantique ou de physique des particules et Méliane entrait dans ce moule aussi Numési n'avait pas insisté sur ce sujet. Elle lui avait confirmé les rumeurs qui courraient à son sujet (elle ne voyait pas l'utilité de le cacher), qu'une expédition l'avait trouvée dans une citadelle métallique en ruines perdue au milieu des glaces. Que cette "citadelle" (elle ne voyait pas de terme plus adéquat) servait à voyager dans le vide spatial et s'était écrasée il y a avait surement très longtemps sur Toril pour une raison inconnue.

"Je me disais que je sais ce que sont ces lumières dans le ciel, mais je n'ai pourtant pas l'impression d'en avoir observé de près pour autant."

Méliane reposa sa tête sur l'épaule de Numési, en haussant les siennes

"Un des nombreux pans manquants de ta mémoire."
"Je ne sais pas, ce n'est qu'une impression pourtant je la ressens comme une certitude."

La jeune femme était frustrée, elle avait fini par s'habituer à ses souvenirs disparus mais cette nouvelle sensation diffuse risquait de rouvrir ses vieilles blessures. Un raclement de gorge discret de l'autre côté des sombres fourrés arriva heureusement au bon moment pour détourner son attention de ces sombres pensées. La voix de Forjia se fit entendre:

"Nos ... hôtes nous attendent à la tente principale."

La jeune femme avait toujours du mal à s'habituer à leur étrange voisinage, Méliane et Numési se relevèrent en soupirant, s'habillèrent rapidement et replièrent la couverture qui avait supporté leurs ébats les deux heures précédentes. Méliane se remémora les événements qui s'étaient déroulés depuis leur sortie au temple de Loviatar deux mois auparavant. Numési avait bien l'intention de suivre les conseils d'Ulblyn Blackalbuck de se faire oublier durant quelques temps, mais pas avant d'avoir permis à ses troupes de souffler un peu. Ainsi, la nuit suivante le groupe se retrouva dans un établissement discret dont peu connaissait l'existence y compris Forjia, un petit cercle privé réservé à l'élite de la cité. La fête avait duré toute la nuit, l'alcool coulé à flots et le réveil fut rude pour certains, voire surprenant pour quelques uns ... dont Méliane. Elle s'était réveillée nue, les poignets attachés aux montants supérieurs du lit et en compagnie d'une femme et d'un homme nus également. Son cri d'horreur s'était entendu à quelques kilomètres à la ronde, et fait venir Numési dans la chambre. Après avoir congédié les deux étrangers, celle-ci se contenta de dire à la demi-elfe que désormais elle satisfesait aux conditions pour partager sa couche. Elle attendit trois heures que la rage de Méliane soit suffisamment calmée avant de la libérer de ses liens, et un mois entier avant qu'elle ne se décide enfin à venir à elle une nuit. Méliane sourit à l'évocation de cette nuit là, Numési s'était ramassée la plus grande claque de sa vie avant que la jeune femme ne se jette sur elle pour l'embrasser fougueusement.
Le groupe avait quitté Melvonte la nuit suivant la "fête", et traversé la Mer de Lune dans l'autre sens, sans rencontrer de pirates cette fois-ci. Abordant la forêt de Cormanthor, l'ancienne nation elfe, elles s'étaient dirigées vers l'ouest en direction de Montéloy sans savoir comment y pénétrer, jusqu'à une rencontre de hasard avec des occupants de la forêt un peu spéciaux.

[Ugo]

Sortant des fourrés, les deux femmes retrouvèrent la jeune melvontienne qui scrutait nerveusement les ombres de la nuit à la recherche d'un danger hypothétique la main triturant nerveusement le pommeau de la dague qu'elle portait à la ceinture, la lueur de plusieurs feux indiquaient la présence d'un campement à environ 200 mètres de là. La nervosité de Forjia fit sourire Méliane bien qu'elle en comprenait parfaitement la raison, la jeune humaine était une pure citadine habituée à parcourir les rues, les toits ou les égouts en se faisant discrète, alors qu'ici dans une épaisse forêt elle perdait tous ses repères. Pour Méliane c'était le contraire, comme rôdeuse la forêt était son domaine, elle pouvait interpréter le moindre bruissement de feuille ou craquement de branche sans sursauter à chaque fois dans la crainte d'un ennemi caché derrière chaque tronc.

C'est justement la demi-elfe qui la première "sentit" la présence d'intrus autour d'elles - des étrangers à la forêt qui les hébergeaient pour le moment, c'était il y a trois semaines. Que les intrus en question se révèlent être des drows fut une mauvaise surprise, qu'ils soient d'un clan vénérant Vhaeraun - l'équivalent drow de Mask - fut plus heureux car au moins ils posaient les questions en premier avant de frapper au contraire de leurs compatriotes vénérant Lolth. Fort heureusement, les deux parties s'accordèrent assez vite sur la futilité d'un affrontement. Les échanges commerciaux entre les Soeurs du Premier Sang et le clergé de Vhaeraun, bien qu'occasionnels, suffisaient à créer un début de négociation en cas de rencontres inopinées. Le groupe drow était conscient que même victorieux ses pertes seraient trop importantes pour en valoir la peine, et en face Numési et ses trois compagnes savaient que Harald et Forjia ne survivraient pas à la confrontation. Aussi, ils trouvèrent un terrain d'entente. Depuis le groupe occupait une tente dans le campement des elfes noirs, sous la surveillance discrète mais efficiente de ces derniers.

Les trois femmes revinrent au camp, Forjia toujours nerveuse à l'idée des présences tapies dans l'ombre. Des six membres du groupe, elle était la seule à ne pas avoir été en contact avec cette race et malgré les dires apaisants de ses compagnons, elle ne pouvait faire abstraction de toutes les légendes terrifiantes qui couraient sur les elfes à la peau sombre qui vivaient dans les profondeurs de l'Outreterre. Elles pénétrèrent enfin dans le cercle de lumière des feux, ceux-ci étaient disposés à égale distance les uns des autres pour assurer une luminosité homogène. Le but n'étant pas de procurer de la lumière à des créatures qui voyaient dans le noir, mais de créer un appât pour d'éventuels intrus passant dans les parages. Ceux qui s'approchaient étant repérés par l'infravision des sentinelles postées à l'extérieur du camp et accueillis comme la situation l'exigeait. Il était venu aux oreilles de Méliane, que quelques membres du clan s'étaient plaint de ne pouvoir remplir leur tour de garde de manière efficace, distraits par deux des "invitées" qui s'adonnaient chaque nuit à des activités perturbantes, et cela parfois à quelques mètres d'eux. Cela amusait particulièrement Numési, et même Méliane s'était rendu compte que cela ne la gênait pas plus que ça, fréquenter Erin et Shennesta au jour le jour l'influençait plus qu'elle ne le pensait.

Le camp lui.même était constitué d'une trentaine de tentes en toiles blanches, sans le moindre rameau ou brin d'herbe pour les camoufler. Plusieurs plateformes étaient disséminées dans la canopée au-dessus du camp accessibles en quelques instants, plusieurs tunnels dissimulés en des endroits dispersés permettaient à ses occupants d'évacuer le campement en quelques secondes pour rejoindre un réseau de souterrains qui débouchaient autour du camp. Ainsi, quiconque envahissait le camp le trouvait non seulement vide mais se retrouvait également à découvert.
Au centre du camp, se tenait le lieu où se rendaient les trois femmes, un édifice plus imposant, la tente du chef. Deux mâles drows en armure de cuir et une rapière au fourreau montaient la garde à l'entrée. Une femme drow attendait devant la tente en compagnie de leurs trois autres compagnons que le trio arrive.
Quand elles arrivèrent à quelques mètres la drow, leur fit signe d'entrer dans la tente.

[Ugo]

Le groupe pénétra dans la structure où se trouvaient déjà quelques elfes noirs, debouts autour d'une table sur laquelle plusieurs cartes étaient étalées. Le mobilier comprenait en plus, un lit à une place dans un coin reculé, deux coffres en bois au pied et à la tête de celui-ci, deux tabourets et une table de nuit. Seuls les deux coffres étaient un travail recherché qui avait du prendre plusieurs semaines à faire, le reste des meubles étaient de fabrication grossière destinés à être laissé sur place en cas de repli urgent. Quand on détaillait un peu plus l'ensemble, on distinguait une petite statue de Vhaeraun posée sur un billot de bois dans le coin le plus sombre de la tente et qui servait d'autel portable pour les prières. Harald trébucha sur une bosse du sol, s'attirant des regards moqueurs des propriétaires du lieu, il n'y avait que deux chandelles pour assurer l'éclairage intérieur et l'humain avait donc du mal à distinguer les détails. Forjia avait pour elle son instinct et ses sens de roublard, quand à Numési...eh bien pas besoin d'explication quand on commande cette équipe, non mais.
Il y avait cinq drows présents, dont trois maintenant bien connus par les membres du groupe, en plus de deux guerriers destinés à assurer la sécurité il y avait Valas - Premier Mage de la maison Jaerle, un grand échalas de 1,80 m ; Ginafae - Première Eclaireuse de la maison Jaerle, une roublarde agée de 300 ans qui s'occupait des missions de reconnaissance dont le visage s'ornait d'une longue estafilade sur la joue, souvenir d'une rencontre récente avec le Rouge Plumet - la milice de Montéloy. Malheureusement pour le milicien, la blessure ne fut pas le seul souvenir du combat comme en témoignait la longue plume rouge qui pendait en compagnie de six autres à la ceinture de la drow et qui démontrait sa redoutable efficacité, d'habitude les guerriers du camp ne possédaient en moyenne que une ou deux plumes en guise de trophées récupérés sur les cadavres de leurs ennemis. La cinquième personne présente était un mâle de taille normale, les cheveux courts, vêtu d'une armure en cuir et équipé d'une semelle orthopédique spéciale au pied droit - souvenir d'une rencontre avec une ombre des roches. Reconnu comme étant particulièrement rusé, Jezz l'Estropié était considéré comme le chef du clan Jaerle. Il s'adressa à son vis-à-vis, d'un ton légèrement agacé:

"Encore en train de troubler le travail de mes sentinelles, je vous rapelle qu'il y a des tentes libres pour faire ça plus discrètement. Mais je ne vous ai pas fait venir pour ça, mes conseillers et moi-même sommes tombés d'accord à votre propos, nous pouvons suffisament vous faire confiance pour vous demander de remplir un travail pour nous en payement de notre gracieuse hospitalité."

Numési haussa les sourcils, en voilà un qui ne manquait pas d'air, elle ne fit aucun effort pour camoufler le sarcasme dans sa réponse:

"En plus de tout l'or que nous vous versons pour chaque jour passé ici? Ce travail doit être drôlement dangereux pour que vous le proposiez à des inconnus?"
"Deux des notres, ont été capturé trois jours avant votre arrivée par les hommes de Malthiir, et sont tourjours détenus dans la cité"
"Je vois, si il est évident que vos troupes ne feraient pas deux pas dans la cité avant d'être repérées, j'ai un peu du mal à comprendre pourquoi vous voulez entreprendre une action pour sauver seulement deux de vos hommes, ce n'est pas dans les habitudes de votre race de prendre des risques supérieurs aux gains potentiels."

Jezz hocha la tête:

"Vous avez raison, en temps normal quand un des notres est capturé il est considéré comme perdu, mais Drisinil et Sorn ne sont pas de simples combattants. La première est la grande prêtresse du clan et Vhaeraun nous considérerait d'un mauvais oeil si nous la laissions là-bas sans rien tenter, et bien que le jeune Sorn ne soit pas important à mes yeux Drisinil a pour lui une affection qui ne m'autorise pas à le laisser tomber."
"Et vous pensez que mon groupe aurait plus de chance de réussir là où vous ne pouvez rien faire, vous êtes sérieux" dit-elle en désignant ses compagnons du bras, à part Forjia et Harald, les oreilles pointues de Méliane et les ailes d'Erin et Shennesta ne passeront pas inaperçues dans les rues de la xénophobe Montéloy où seuls les humains étaient acceptés.
"Vous êtes trois humains en plus que nous, ce qui augmentent grandement vos chances par rapport à nous."

Numési n'était pas d'accord avec le marché de dupes que le chef drow tentait de lui mettre en main, la négociation allait s'avérer rude, pourtant en son for intérieur la jeune femme avait déjà accepté de libérer les deux prisonniers. Le défi à relever était intéressant et constituerait une épreuve enrichissante pour ses compagnons, du moins ceux qui survivraient.

[Ugo]

CHAPITRE 17: MONTELOY

1373, Eleinte 9: devant les portes de la ville

"Je persiste à dire que c'est une mauvaise idée"
"crie-le à tue tête, comme ça tu peux être sûre que notre plan tombera à l'eau avant même d'être commencé" murmura Numési les dents serrées.

L'inquiétude de Numési était compréhensible, si jamais les gardes se rendaient compte de la supercherie toute l'opération tombait à l'eau. La veille, après plusieurs heures de palabres en plus, il avait été décidé que Numési et Harald se feraient passer pour des chasseurs de primes amenant une prisonnière, Méliane, pour les jeux de l'arène pendant que Forjia pénétrerait dans la cité en se s'incrustant à une des nombreuses caravanes marchandes entrant dans Montéloy. Shennesta et Erin restaient en arrière à la lisière de la forêt pour une intervention aérienne la nuit tombée, à condition que le plan mis au point initialement marche correctement. Que la force censée couvrir leur retraite promis par Jezz soit bien à sa place était un autre facteur hasardeux, mais Numési considérait une défection des drows fort improbable car les prisonniers étaient trop importants pour eux et ils n'allaient pas laisser une bonne occasion de faire couler le sang des miliciens locaux. Pour le groupe des Soeurs, il s'agissait d'une bonne occasion de s'introduire dans l'enclave des Magiciens Rouges et de permettre une possible avancée sur l'enquête concernant les esclaves tatoués.

Méliane était loin d'aimer ce plan dans la mesure où elle se retrouvait désarmée, seulement vêtue d'une tunique de paysan et les mains attachées. Il y avait cinq gardes à l'entrée choisie par le groupe, protégés par une cuirasse, des jambières, un écu et un casque surmonté par une grande plume rouge. Trois étaient équipés d'une lance, les deux autres plus en retrait avaient un arc long à la main. Tous les cinq étaient armés d'une épée longue portée à la ceinture.
L'un deux portant des insignes de sous-officier pointa sa lance en direction du groupe en lançant un "HALTE!" autoritaire. Examinant attentivement les trois nouveaux arrivants, l'homme interrogea Numési qui a ses yeux semblait être la meneuse:

"Que venez-vous faire avec ça à Montéloy" en désignant la demi-elfe de sa lance.
"Moi et mon jeune frère sommes tombés sur cette créature non loin d'ici et avons pensé qu'une "oreille pointue" de plus dans votre arène apporterait une contribution supplémentaire dans l'éradication de cette engeance". Déclara Numési, un sourire entendu aux lèvres. Elle fit un pas pour murmurer à l'oreille de l'homme "Je pensais également qu'elle suffirait comme taxe d'entrée, non?"

Le regard de l'homme se fit plus scrutateur pendant qu'il examinait Méliane des pieds à la tête, ce ne serait pas la première fois qu'il laisserait passer quelqu'un gratuitement (la taxe d'entrée était importante il est vrai) en échange d'une prise qu'il livrait ensuite aux geoles de l'arène, ce qui le faisait bien voir de ses supérieurs et lui avait permis de gagner ses galons de sergents. En plus son instinct lui disait que la prisonnière serait une recrue de choix pour les combats de l'arène, de quoi gravir quelques marches de plus dans l'estime de ses chefs ce qui tombait bien, une place s'était libérée récemment à la suite de la mort d'un lieutenant lors d'un accrochage récent entre une patrouille du Rouge Plumet et une autre de Château-Zenthil dans le village de Yulash que se disputait les deux cités.
Jetant un bref coup d'oeil derrière lui, il saisit Méliane par un bras et dit:

"C'est bon, vous pouvez passer"

Gratifiant le garde d'un grand sourire, Numési et Harald avancèrent et pénètrèrent dans la cité, pendant que l'homme confiait leur infortunée compagne à deux gardes pour l'emmener aux cachots de l'arène.
Quand ils furent hors de portée de voix, Harald demanda d'un ton inquiet:

"Est-il sage de laisser Méliane seule avec eux?"
"Elle ne court aucun risque dans l'immédiat, Maalthiir a tellement endoctriné ses mercenaires qu'aucun d'entre eux n'oserait se souiller avec une race qu'ils considèrent comme impure, et les autres savent quel châtiment ils risquent en cas de transgession. Nous avons deux ou trois jours devant nous avant qu'ils ne la forcent à combattre dans leurs jeux de cirques, notre première priorité est de trouver Forjia."
"Et après?"
"Après? On verra bien."
"Dans ce cas, voyons dès maintenant" dit-il en désignant du menton une porte cochère où Forjia leur faisait discrètement signe.

[Ugo]

Vérifiant que personne ne faisait attention à eux, les deux compagnons rejoignirent la jeune roublarde qui s'était déjà fondue dans l'ombre de la porte cochère qui marquait l'entrée d'une venelle étroite. Celle-ci serpentait sur environ 50 mètres avant de rejoindre une petite cour d'où partaient trois autres ruelles, les façades qui flanquaient les côtés de la venelle étaient décrépies et peu entrentenues, cela et les rares portes en bois au vernis usé indiquaient qu'ils s'agissaient d'arrière de bâtiments dont les devantures devaient se trouver sur des rues parallèles plus larges et plus fréquentables. Une eau pas très claire s'écoulait paresseusement dans une rigole au centre de le la petite ruelle, Numési fronça le nez car le liquide ne sentait pas la rose, un des mauvais côtés de la civilisation.
Après s'être avancés vers la moitié de la venelle et assurés qu'ils étaient hors d'atteinte d'oreilles indiscrètes, les trois amis commencèrent à discuter:

"Alors "Chef" maintenant que nous sommes dans la place que faisons nous maintenant?" demanda Forjia avec la pointe de sarcasme qui la caractérisait. Après avoir fusillé l'adolescente du regard, bien que le sarcasme était justifié dans la mesure où la cylon échafaudait les suites de leur plan au fur et à mesure, Numési répondit: "dans un premier temps, il faut receuillir un maximum de renseignements sur l'Arène, l'enclave des Magiciens Rouges de cette ville et l'organisation générale de la milice locale, et rapidement si possible rendez-vous à midi dans la taverne avec le heaume rouillé que l'on aperçoit à gauche dès que l'on passe l'entrée que nous avons emprunté."
L'idée de leur meneuse n'enchantait pas Forjia et Harald, et ce dernier ne se gêna pas pour donner son avis: "nous séparer dans une ville inconnue et hostile est une mauvaise option, et comment allons récolter suffisamment d'informations en moins de trois heures."
La jeune femme ne se démonta pas, il lui en fallait en plus heureusement d'ailleurs, et clôtura calmement la conversation par ces termes: "personne dans cette ville n'a pour le moment de raison pour nous considérez comme une menace, nous allons commencer tout simplement en visitant cette cité en ouvrant grand nos yeux et en laissant trainer nos oreilles. Le simple brouhaha de la rue est souvent le bout du fil qui permet de remonter une piste." Ce dernier argument sembla vaincre les réticences des deux jeunes gens car ils se contentèrent de hocher la tête silencieusement, peu de temps après ils se séparèrent, Forjia et Harald retournèrent sur leur pas et revinrent dans la grand-rue, la roublarde comptant jusqu'à dix avant de suivre les pas d'Harald. Numési quand à elle continua jusqu'à la bifurcation et d'opter pour la ruelle de droite, pareille à celle qu'elle venait de quitter, environ deux cents mètres plus loin elle déboucha dans une rue commerçante sans avoir recontré âme qui vive. Elle tourna la tête de gauche et à droite hésitant sur la direction où se diriger, finalement elle se décida pour la seconde option - il y avait plus de monde par là. Elle déambula parmi les étals en prenant son temps, si ses calculs étaient justes à cette allure et en suivant la même direction elle arriverait à son point de départ vers la bonne heure.

Repérant deux hommes en armes vêtus à la mode thayenne, la jeune femme se rapprocha subrepticement d'eux mais trop affairés à marchander avec un vendeur d'épices ils ne risquaient pas de la repérer. Pendant qu'elle examinait les marchandises proposées, diverses épices et condiments venus des quatres coins du continent voire d'au delà, elle tendit l'oreille pour tenter d'entendre les mots échangés entre les trois hommes.

"Tu te fous de notre trogne Valkhur!" s'exclama l'un des deux thayens "le prix a doublé depuis la dernière fois, Tola Vrass va être furieuse."
Devant le ton menaçant du garde, le marchand se recroquevilla en couinant: "Comprenez-moi les gars, le Poivre de Wa vient de très loin et il faut six mois de voyage pour arriver jusqu'ici, ce n'est pas moi qui fixe les prix d'achat et si ils augmentent je dois répercuter le prix pour gagner ma vie."
Le second garde posa une main apaisante sur l'avant-bras de son collègue qui venait d'empoigner la tunique du marchand: "calme-toi Turk, nous ne sommes pas sur un territoire thayen, moleste cet homme et le Rouge Plumet t'enverras au cachot où tu resteras jusqu'à ce que Vrass daigne s'intéresser à ton cas, et tu la connais ça risque de durer longtemps."
Le dénommé Turk lâcha le marchand qui poussa intérieurement un ouf de soulagement, depuis qu'ils avaient installé leur enclave dans la ville certains des thayens se croyaient en terrain conquis. Il se baissa et farfouilla quelques secondes sous étal avant de se redresser avec deux bouteilles en terre cuite et leur dit:
"Ecoutez les gars, voici deux bouteilles d'eau-de-vie du Turmish distillée dans les caves du monastère du Dragon d'Or, je vous les donne en plus gratuitement mais je ne baisserais pas mon prix. Alors, marché conclu?"
Les deux soldats regardèrent les deux bouteilles avec envie, une seule d'entre elles valait 200 pièces d'or au bas mot et ce breuvage était très recherché, autant pour la faible production consentie par les moines que pour la qualité de l'alcool. Après quelques secondes d'hésitation, Turk s'empara des deux bouteilles et les fit prestement disparaître sous ses vêtements en grognant:
"C'est bon pour cette fois, mais que cela n'arrive pas trop souvent." Ils allaient se prendre un sale quart d'heure dans la figure mais l'alcool du Turmish était une compensation suffisante à leurs yeux.

Numési attendit encore deux minutes après que les deux hommes soient partis puis se dirigea vers l'étal du marchand. Elle échangea quelques banalités avec le vendeur, demandant le prix de telle ou telle marchandise avant d'acheter une fiole d'huile végétale destinée à assaisonner les salades. Elle en profita pour entrer dans le vif du sujet:
"Vos précédents clients étaient bien énervés il me semble, c'est toujours aussi tendu par ici?"
Habitué à faire la conversation avec ses clients l'homme ne se fit pas prier pour répondre:
"C'est toujours comme ça avec eux, depuis qu'ils se sont installés à Montéloy les thayens se prennent pour les maîtres de la cité. D'habitude ce sont des bons clients, mais Tola Vrass est loin d'être quelqu'un d'apprécié. Ils se libèrent parfois de la pression qu'elle leur met sur les épaules sur les gens, tant qu'ils payent."
La jeune femme s'était renseignée auparavant et savait donc que Tola Vrass était une puissante magicienne qui dirigeait l'enclave thayenne locale, qui avait la réputation d'être une femme intelligente, autoritaire et stricte mais qui privilégiait la discussion avant la violence. Essayer d'en apprendre plus risquait d'attirer inutilement les soupçons.
Il était temps de retourner au lieu du rendez-vous pour retrouver les autres, Numési espérait qu'ils auraient recueilli plus de renseignements qu'elle.

[Ugo]

Numési arriva au lieu de rendez-vous cinq minutes plus tard mais seulement pour constater qu'elle était la première à arriver en face du bâtiment, se tournant vers celui-ci elle se dit que peut-être les autres étaient rentrés à l'intérieur pour l'attendre, et dans le cas contraire elle attendrait les fesses posées sur un siège à l'intérieur plutôt que de faire le poireau dehors. Une fois passée la porte elle regretta aussitôt son idée, elle avait certainement la taverne la plus insalubre de la cité si pas de la région. Des légions de cafards couraient au sol, des escadrilles de mouches patrouillaient la zone proche du plafond et des couinements suspects sortaient des ombres. Le mobilier était vermoulu et proche de tomber en poussière, quand à la matrone au comptoir qui se grattait le dessous de bras tout en se curant les narines avec application, elle souleva le coeur de la jeune femme qui sentit son déjeuner remonter lentement dans son œsophage Mais au moment où elle allait s'en aller, elle aperçut Forjia dans un coin que l'état général du bâtiment ne semblait pas incommoder, tout comme une dizaine de clients présents. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur Numési se dirigea vers la table de l'adolescente et le regretta aussitôt, la semelle d'une de ses bottes marcha dans un truc mou indéfinissable qui émit un bruit écœurant, serrant les dents elle continua n'osant pas regarder le sol. L'air indifférent qu'elle arborait était trop crispé et sa démarche trop raide pour tromper Forjia:

"Parfait exemple d'un cul de basse-fosse, n'est-ce pas?" lança t-elle d'un ton malicieux quand Numési s'assit à côté d'elle. Oubliant un instant l'endroit où elle se trouvait, elle jaugea la place que la roublarde avait choisi et dut bien convenir qu'elle s'était placée comme il fallait - Dos au mur, dissimulée mais offrant une vision globale de l'ensemble, il s'agissait d'une bonne place. La cylon se contenta de remarquer:

"Je vois que Harald n'est toujours pas là, j'espère qu'il ne restera pas dehors à nous attendre, les mâles sont tellement sots en général"

Heureusement pour lui Harald était moins sot que ne le pensait la jeune femme, car ne voyant personne il vérifia par acquis de conscience à l'intérieur et voyant ses compagnes, entra. Dès la porte refermée, le visage du garçon devint lentement vert avant de passer au gris cendré, devant le spectacle Forjia dut se retenir pour ne pas éclater de rire et ainsi attirer l'attention sur eux, même Numési oublia son propre inconfort et se pinça les lèvres pour ne pas montrer son amusement. En fin de compte Harald réussit à ne pas rendre son déjeuner et d'une démarche aussi raide que celle d'un golem de pierre arriva à la table choisie par ses compagnes qu'il salua d'un hochement du menton.
Avant de commencer, Numési fit signe à une serveuse qui avait connu des jours meilleurs pour passer commande.

"Bonjour, mes deux compagnons et moi avons soif, qu'avez-vous à nous proposer?"
"La bière du cru à 8 pièces de cuivre la pinte ou de l'eau du puits à 2 Pièces de cuivre"
"Nous prendrons 3 pintes de bière"

Dit-elle en tendant la somme demandée, elle n'eut pas besoin de consulter harald et Forjia pour savoir que eux n'ont plus n'avaient aucune confiance dans la qualité de l'eau du puits. Elle attendit que la serveuse soit proche du bar pour murmurer:

"Pour manger, nous irons ailleurs, je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire que c'est une sage précaution"

tous deux opinèrent du chef. Et ils commencèrent à discuter de ce qu'ils avaient appris:

"A en croire une vieille connaissance, la guilde des voleurs locale à maille à partir avec des rats-garous qui chercheraient à les évincer du sommet de la mafia locale"
"Pourquoi des lycanthropes voudraient s'implanter dans une ville aussi xénophobe que Montéloy? Tu es bien sure de ta source?"
"En général ses informations sont toujours vérifiées."
"Si cela se vérifie nous avons là le moyen de nous faire des alliés intéressants dans cette ville, le tout est de voir quel parti prendre"
"Moi d'après une charmante créature rencontrée en rue et qui livre de temps en temps des vivres à la cuisine de l'enclave thayenne, le dirigeant de la cité ferait la cour à Tola Vrass la meneuse de l'enclave."
"Et cela nous apporte quoi?"
"Eh bien que ... ces deux là ont d'autres préoccupations que nous."
"..."
"..."
"Et aussi que j'ai appris comment on pouvait entrer discrètement dans l'enclave"
"Ta charmante créature, elle n'a pas les yeux bruns, des cheveux blonds comme les blés, une légère cicatrice au-dessus de l'oeil et un décolleté ravageur souligné par un collier en argent serti d'une opale noire?"
"Euh ... oui"
"On peut laisser tomber le bon plan d'Harald, c'est un agent thayen qui incite les nouveaux venus à tenter un mauvais coup, pour qu'ils se fassent capturer et finissent on ne sait trop comment."
"..."
"Nous devrions aussi envisager d'approcher la Guilde des Magiciens, je suis certaine que la dirigeante acceptera de nous fournir de l'aide"
"Tu as l'air bien sure de toi"
"J'ai mes raisons"
"Tu as vraiment besoin d'avoir des informations que tu ne garde que pour toi?"
"Privilège du chef"
"soupir, ce soir je dois revoir ma source, elle me fournira un plan de l'arène"
"C'est une bonne chose, rien d'autres?"

Et comme il n' y avait rien d'autres, ils trempèrent leur lèvres dans leur pinte et constatant que la bière était à l'image du bâtiment, se levèrent et allèrent chercher un bon endroit où manger sans risquer d'attraper la fièvre des marais ou autre maladie pire encore.

[Ugo]

Les gardes menèrent Méliane jusqu'à un petit bâtiment circulaire de deux mètres de haut et fait de briques, une porte en fer permettait d'y pénétrer. Arrivé devant la porte, un des gardes se saisit d'une clé qui pendait à sa ceinture et s'en servit pour faire jouer la serrure qui claqua avec un bruit sinistre. Une fois déverrouillé, le battant s'ouvrit vers l'extérieur et les deux hommes firent entrer Méliane à l'intérieur avec rudesse, elle n'eut que le temps de jeter un dernier regard vers le ciel bleu avant que les ténèbres ne l'engloutissent, le temps seulement que l'un des gardes allume une torche accrochée au mur.
Malgré la confiance que la demi-elfe plaçait dans ses compagnons, la peur enserrait son coeur comme une serre de rapace. Pendant le trajet de la porte d'entrée de la ville jusqu'à ce tunnel, elle avait tenté d'accrocher le regard des passants qui croisaient leur chemin mais mis à part des regards haineux ou suspicieux de la part des personnes ouvertement hostiles aux non-humains tout le monde détournait la tête, il n'y avait donc aucun secours à attendre de ce côté là.

La distance ainsi parcourue lui sembla durer des heures mais le trajet dura à peine une demi-heure avant d'arriver à une grille de fer fermée, derrière laquelle deux autres gardes jouaient aux osselets sur une table en bois. Accaparés par leur partie, ils s'aperçurent de l'arrivée des nouveaux venus quand ceux si s'arrêtèrent devant la grille et que l'un d'eux se racla la gorge pour attirer leur attention. Interrompant leur activité ludique avec regret, l'un des hommes de faction se leva et ouvrit la grille après avoir retiré le verrou permettant aux deux gardes de la porte et à leur prisonnière de pénétrer dans la pièce. Celui qui dirigeait la manœuvre lança à ses deux collègues d'un ton railleur:

"Heureusement que vous ne montez pas la garde sur le périmètre extérieur, toute l'armée de Château-Zhentil pourrait passer devant vous sans que vous ne voyiez rien."
"Peuh!" répliqua l'un des deux gardes du sas piqué au vif "qu'est ce que tu veux qu'il arrive ici, il ne se passe jamais rien à part les prisonniers que vous nous amenez, une nouvelle arrivée?" demanda t-il.
"Oui, une combattante de plus pour l'arène, ça tombe bien je crois savoir que karos a un peu fait le vide autour de lui ces derniers temps."
"Mmh, c'est pas avec des poids plumes de ce gabarit que cela va changer" lâcha dédaigneusement l'homme.

les deux gardes de la porte remirent Méliane à leurs collègues puis reprirent le chemin inverse, pendant que la jeune fille était emmenée dans les profondeurs de la ville. L'odeur qui imprégnait l'atmosphère lui fit venir la bile à la bouche, un mélange de sueur, d'urine, d'excrément, de sang mais par-dessus tout ça ... la peur. La peur et la souffrance étaient tellement présentes que toutes les pierres en étaient imprégnées et que l'on pouvaient les ressentir n'importe où on se dirigeait.
Malgré son appréhension, Méliane tentait de se faire une idée de la configuration de l'endroit mais elle perdit vite le fil, tout n'était qu'une succession de cellules où des silhouettes anonymes avachies semblaient attendre la mort, de corps de gardes où quelques gardes débraillés baillaient aux corneilles, d'armureries, de réserves et de grilles fermant des couloirs qui menaient à d'autres zones des souterrains de la cité.
les gardes s'arrêtèrent enfin devant une cellule dans lequel ils jetèrent Méliane après lui avoir enlevé ses liens, la jeune fille tomba lourdement sur le sol. Pendant qu'elle se redressait, la porte se referma dans un claquement sec qui se répercuta dans tout le complexe et sur un dernier "bienvenue dans notre palace." lancé par un des deux gardes qui s'en allèrent en riant de leur bonne blague. Inspectant sa prison, Méliane constata qu'elle n'était constitué que de barreaux ce qui excluait toute intimité. De la paille dans un coin constituait la seule commodité présente, pas même un pot de chambre ou un trou pour les besoins intimes, la demi-elfe était au bord de céder au désespoir car tout montrait que les propriétaires se fichaient du bien-être de leurs "invités" puisque ceux-ci ne restaient pas pour longtemps. Sentant que ses compagnes pouvaient arriver trop tard, Méliane se laissa tomber au sol et ne put s'empêcher de laisser quelques larmes couler sur ses joues. Alors qu'elle pouvait mourir, ses pensées allaient d'abord vers Numési qu'elle venait seulement de conquérir, son père avec qui elle aurait pu encore avoir des discussions et sa mère qu'elle allait retrouver plus vite que prévu.
Alors qu'elle en était à ses réflexions nihilistes, un mouvement attira son attention dans la cellule contiguë à la sienne. Avec le faible éclairage ambiant, elle n'avait pas remarqué qu'elle n'était pas seule. Essuyant ses larmes et reniflant, elle tenta de percer les ombres pour distinguer son voisin qui rampa vers elle et attrapa les barreaux pour se relever. Méliane vit alors que la main était aussi sombre que la nuit et que les yeux de l'autre prisonnier rougeoyait dans la pénombre signe qu'il utilisait la vision dans le noir, la providence avait voulu qu'elle retrouve une des personnes qu'elle et ses compagnons étaient venus libérer. Malheureusement, c'était assez mal parti pour l'instant.

[Ugo]

CHAPITRE 18: L'ARENE

1373, Eleinte 9: sous l'arène

Le regard de l'elfe noire semblait considérer Méliane avec mépris, ce qui n'était pas étonnant pensa t-elle elfes de la surface et demi-elfes n'étant jamais que des cancrelats aux yeux de leurs cousins à la peau foncée. L'obscurité n'aidait pas Méliane mais elle conclut malgré tout qu'elle devait se trouver en présence d'une femme, elle murmura:

"Drisinil?"

Quand la drow eut un léger recul de la tête, la demi-elfe sut qu'elle était tombée juste et qu'elle était en présence de la prêtresse qu'elle était venue chercher. Cette dernière plissa les yeux et collant son visage contre les barreaux de la cage siffla:

"Comment connais-tu mon nom? Qui es tu?

Ce fut au tour de Méliane de reculer face à l'agressivité contenue dans le ton de Drisinil, celle devait croire qu'il y avait un traquenard caché dans la venue de la jeune femme qui tenta d'apaiser les craintes de la prêtresse:

"Je m'appelle Méliane, j'ai été envoyé par ton clan pour vous sortir de là, toi et Sorn"

Méliane s'attendait à une réplique moqueuse de la drow mais pas aussi blessante, elle envisagea de laisser cette pimbêche croupir dans sa cage quand celle-ci répliqua:

"Une bâtarde à la peau claire!? C'est tout ce qu'ils ont trouvé pour nous sortir de là, ils sont restés trop longtemps au soleil oui, et pourquoi pas demander à des kobolds tant qu'on y est"
"M'insulter ne t'aidera pas à sortir. Moi oui."

La jeune femme mourrait d'envie d'arracher les yeux à l'ingrate mais trouvait le calme nécessaire pour ne pas s'emporter en pensant à des poneys multicolores gambadant dans des prairies vertes sous un ciel bleu dans lequel s'épanouissaient des arcs-en-ciel.

"Et comment? tu as la clé qui ouvre ces cages sur toi? Tu as des pouvoirs magiques insoupçonnés qui vont nous téléporter d'un claquement de doigt? Tu es un dragon déguisé qu va étendre ses ailes et raser cet endroit? Si tu n'as rien de tout ça, tu es autant dans la mouise que moi."
"Je ne suis pas seule, des complices sont à l'extérieur en train d'échafauder un plan pour vous faire évader toi et ton compagnon, où est il d'ailleurs?"
"Ils nous ont séparé dès notre arrivée dans les tunnels, ils séparent les hommes des femmes je pense, et je ne l'ai plus revu depuis. Il est peut-être mort que je n'en sais rien."

Sa voix se brisa sur cette dernière phrase, elle ne pouvait cacher qu'elle avait des sentiments vraiment très forts pour Sorn, attachement très rare chez les drows même chez ceux ne vénérant pas Lolth. Méliane leva les yeux au ciel, enfin dans les ombres du plafond, elle ne pouvait pas en vouloir à cette femme maintenant qu'elle avait montré qu'elle avait un coeur. Revenant à la dure réalité elle interrogea Drisinil:

"Que peux tu me dire de cet endroit, tout ce que tu pourras me révéler aura son importance, comme les rondes des gardes par exemple. Et garde espoir, nous serons bientôt tous sortis d'ici."
"A part cette cage je n'ai pas la moindre idée de l'agencement des lieux, j'ai vite perdu le fil c'est un vrai labyrinthe. Quand aux gardes, j'ai l'impression qu'une patrouille de 4 hommes passe toutes les heures environ mais ici je n'ai pas la notion du temps. Le seul point correct, c'est la nourriture, oh bien sur pas des mets de roi mais ils veulent que nous soyons en forme pour assurer un beau spectacle dans l'arène alors ils nous nourrissent convenablement." Puis avec de l'espoir dans sa voix "toi et tes amis, avez un plan?"

Méliane ne voulait pas souffler l'étincelle qu'elle venait d'allumer dans le coeur de sa codétenue, elle ne savait absolument si ses compagnons avaient fini par échafauder une suite au plan mis en place. Autant ne pas s'épancher trop sur le sujet:

"Ils travaillent dessus, la première partie était de s'infiltrer dans la place et de vous retrouver. C'est en partie réussi puisque je suis avec toi, la seconde c'est de sortir tous de ce trou à rats"

Les sourcils de Drisnil se froncèrent légèrement, les explications de Méliane n'étaient pas si convaincantes que ça finalement. Elle demanda:

"Comment vont-ils nous sortir d'ici? Une troupe armée qui envahirait ces souterrains serait repérée à coup sur, et attirerait tous les gardes en quelques instants"

L'elfe noire savait évaluer la situation rapidement et de fait se rendait compte des lacunes de l'opération de sauvetage, ça pesa même sur le moral de Méliane qui se rendait compte que le seul endroit où il serait le plus facile de les localiser serait l'arène elle-même. Dans un premier temps l'idée était d'utiliser le lien empathique que partagent les Sœurs du Premier Sang pour pouvoir localiser Méliane de la surface et opérer discrètement pour la sortir de là avec les prisonniers qu'elles étaient venus chercher. Mais maintenant elle craignait d'être beaucoup trop loin sous la surface pour pouvoir être localisée de cette manière.

[Ugo]

Un silence gêné s'était installé entre les deux jeunes femmes, chez Méliane parce qu'elle était consciente des lacunes de plus en plus évidente de leur plan, et Drisnil qui ressentait le manque de confiance de sa libératrice. Le silence fut alors brisé par un bruit de bottes qui se rapprochait, bientôt les deux prisonnières purent se rendre compte qu'il y avait plusieurs personnes et qui marchaient à un pas vaguement cadencé, une patrouille. La drow murmura si bas que Méliane faillit ne pas entendre ce que dit Drisnil, elle en remercia ses ancêtres elfes qui lui avait légué une partie de leur fine ouïe:

"Garde la tête baissée"

Méliane allait demander pourquoi avant de se raviser et de s'exécuter, les gardes devaient considérer qu'une attitude résignée chez les prisonniers signifiaient qu'ils étaient soumis. Le bruit s'intensifia se rapprocha pour finalement s'interrompre devant leurs cellules, signe que les gardes venaient de s'arrêter à leurs côtés. La rôdeuse hésita sur la conduite à tenir, continuer à être amorphe ou non? Une voix masculine grave et impérieuse décida pour elle.

"Vous deux, regardez moi!"

Méliane leva lentement la tête, il y avait devant elle et Drisnil six hommes. Cinq soldats du Rouge Plumet en pied et en cap qui se tenaient au garde à vous et un humain d'âge mur, vêtu de riches atours, sec, le crâne dégarni, de gros yeux globuleux bruns qui détaillaient les deux prisonnières avec attention et une bouche aux lèvres si fines qu'on avait l'impression qu'elle avait été taillée dans sa figure d'un coup de dague. Un personnage avec quelque importance à ce qu'il semblait.

"Une demi-elfe? J'aurai préféré un représentant au sang pur et pas une bâtarde mais tant pis on fera avec. Cette infection de l'Outreterre qu'est ta voisine de cellule ne doit pas faire de différence de toute façon."

A ces mots Drisnil releva la tête, un éclat meurtrier dans le regard, pour recevoir immédiatement un coup de hampe dans le ventre décoché par un des gardes. Sous l'impact la femelle drow se plia en deux le souffle coupé, se dégonflant comme une baudruche. Le garde se remit au garde à vous affichant la même mine impassible que lors de sa sanction.

"Toujours combative la noiraude, tant mieux car demain toi et l'autre oreille pointue allez faire équipe dans l'arène, voir deux représentantes de races qui se détestent devoir s'aider mutuellement pour rester en vie devrait être intéressant au plus haut point."

Demain! Voilà qui allait compliquer la bonne marche du plan, jamais ses compagnons n'auront le temps de mettre un plan sur pied en si peu de temps. Elle devait faire tout son possible pour reculer l'échéance:

"Mais je ne suis qu'une humble paysanne, comAHHH!"

Elle s'y attendait mais fut surprise de la vitesse à laquelle les gardes pouvaient frapper les prisonniers, question d'habitude sans doute.

"Vous avez de bons réflexes pour une simple paysanne" remarqua le chauve avec ironie, "mon garde aurait été plus lent et vous auriez pu éviter ce coup. Élever des vaches est donc si dangereux?"

Méliane serra les dents, elle avait à peine accompagné le coup par simple réflexe mais cela avait suffit pour que l'oeil exercé du sinistre personnage s'en aperçoive.

"Inutile de répondre, si vous voulez apprendre à coordonner vos mouvements pour vivre quelques minutes de plus, on vous laissera une heure ou deux dans la salle d'entrainement, le public appréciera d'autant plus le spectacle si celui-ci dure plus longtemps"

La demi-elfe, tout en se tenant le ventre, se mit à haïr cet homme qui usait de la vie d'autrui avec une telle indifférence. Elle fit le serment qu'elle le tuerait avant de quitter la cité si l'occasion s'en présentait. Ce dernier dans l'ignorance des intentions meurtrières de la jeune femme, ou alors complètement indifférent à ce genre de réaction qui devait être monnaie courante chez ceux qui croisaient sa route. Il se tourna à droite pour s'adresser à un de ses gardes:

"Prévenez le responsable de cette section que ces deux femelles reçoivent une bonne ration ce soir et demain matin, nous ne voudrions pas que le spectacle soit gâché parce qu'elles tiendraient à peine debout. Et que l'on veille aussi à leur accorder un peu d'entrainement, leur combat est programmé en milieu d'après-midi."

Et sans accorder le moindre regard aux deux prisonnières, il partit par où ils étaient venus suivis par ses gardes à l'exception d'un homme qui alla dans une direction différente. Certainement celui qui avait été chargé de transmettre les instructions du sinistre chauve, les deux femmes se retrouvèrent de nouveau seules.

"Quel imbécile, tous les humains sont des imbéciles, sous prétexte que je suis drow ils pensent que je suis une adoratrice de Lolth mais contrairement à elle Vhaeraun ne prône pas la haine contre les elfes de la surface, on en a dans notre clergé...parfois." siffla haineusement Drisnil qui se tenait le ventre elle aussi. "Cela fait partie de votre plan, où on peut déjà remettre notre destinée aux mains de nos dieux?"

Méliane baissa les yeux et dut reconnaître piteusement que non, elle releva la tête regardant dans la direction où le groupe était parti et demanda:

"Qui était cet homme?"

Suivant son regard Drisnil répondit toujours avec toujours autant de haine dans la voix:

"Il s'agit de Benspac Bollore, le responsable des arènes. Si il s'est déplacé jusqu'ici c'est que nous allons être un des clous du spectacle. Nous allons certainement nous retrouver face à Taurok."
"Taurok?"