[MP] Histoire : Ailyn

[Smidge]

Nils ne répondit pas tout de suite. A vrai dire, il ne répondit pas du tout, vraisemblablement dépité du peu d'enthousiasme qu'elle avait mis dans sa réponse. Ils avancèrent ensuite quelques banalités de plus, qui n'appelaient pas à des réponses particulières, et que Sofia ne releva pas.

Émile sortit de la cuisine, où s'affairait sans doute toujours l'inspectrice, puis passa en trombe en direction du hall. Cela signifiait-il quelque chose ? Était-elle parvenue à... une conclusion ? Une boule d'angoisse se forma au creux de l'estomac de Sofia, qui fit tout son possible pour l'apaiser par une respiration lente et régulière.

"... je vous promets que vous ne serez pas déçue !", perçut-elle tout à coup.

Elle manqua de sursauter, puis leva une nouvelle fois les yeux en direction de Nils, qui revenait à la charge.

"Ces statues ont vraiment... quelque chose. Presque de surnaturel. Je suis sûr qu'avec votre expérience, vous pourriez nous en dire plus."

Quelques secondes plus tard, le majordome franchissait les portes de la salle à manger un manteau sur le bras, et s'avançait dans leur direction, coupant bienheureusement la conversation.

"Tout va bien, messieurs dames ?", s'enquit-il d'une petite voix.

Il toussota.

"Veuillez m'excusez, mais auriez-vous vu Marjorie ? Je la cherche depuis tout à l'heure."

[Ailyn]

Les statues intéressaient pour l'heure assez peu Sofia. D'autant plus que, souhaitant s'inscrire comme victime de la situation, elle ne savait pas si aller se promener dans cette hostile maison serait judicieux aux yeux de l'inspectrice... Et puis, elle était victime, oui. Une des multiples victimes de Lucien, semblait-il. Et encore... elle n'avait pas subi le pire, apparemment.

L'évocation de Marjorie la fit sortir d'une partie de sa torpeur. Où était-elle ? Là, elle avait de véritables raisons de s'inquiéter.

"Marjorie ?! s'exclama-t-elle d'une voix légèrement suraiguë. Elle devait monter préparer la chambre en face de la vôtre pour que nous puissions y dormir ce soir."

[Smidge]

Émile poussa un soupir de soulagement.

Les deux de la troupe de théâtre, visiblement aussi agacé par l'arrivée d’Émile qu'elle en était soulagée, se mirent quelque peu en retrait.

Maître Marquand s'avança alors dans leur direction, et s'adressa au majordome.

"Excusez-moi, Émile... Pensez-vous qu'il soit pertinent que je propose à notre... charmante demoiselle chargée de mener l'enquête de... dévoiler le testament de Lucien ?"

Il marqua un temps d'hésitation, et murmura quelque chose à son oreille - que Sofia ne perçut pas - en inclinant la tête.

[Ailyn]

Sofia se sentait au bord de la nausée. Il n'y avait pas grand choses auxquelles se raccrocher sur l'instant, et Marjorie étant absente, elle sentait le malaise grandir de seconde en seconde.
Elle avait très envie de demander à Emile d'aller chercher Marjorie. Tant pis, elle installerait les draps avec elle, mais elle avait besoin d'elle, elle se sentait à la limite de la suffocation. La sueur commença à perler à son front. L'angoisse menaçait terriblement.

"Emile ! appela-t-elle d'une voix faible. S'il vous plaît Emile... Pourriez-vous demander à Marjorie de redescendre ? Je l'aiderai à s'occuper du couchage, ou bien si elle préfère, je peux l'aider maintenant..."

Sofia sentit des fourmillements arpenter ses jambes et ses bras. Elle essaya de prendre une grande inspiration, mais sa respiration se bloqua tout à coup et elle fut prise d'une violente quinte de toux.

[Smidge]

"Euh, oui bien sûr mademoiselle, répondit-il après une seconde d'hésitation, je peux toujours m'en occuper... Si vous avez besoin de quelque chose de particulier n'hésitez pas..."

Il se tourna ensuite en direction du notaire.

"Écoutez maître, je peux toujours essayez de lui en toucher un mot. Après, rien ne dit qu'elle acceptera, et elle semble bien décidée à nous garder ici le temps qu'il faudra..."

Il plissa malicieusement ses lèvres, puis ajouta avec un petit rire.

"A moins qu'avec votre verve habituel vous trouviez un moyen de lui faire pensez autrement..."

Pris entre deux feux, Émile regarda alternativement Sofia et le notaire d'un air interrogatif.

[Ailyn]

La crise d'angoisse ne la quittait pas et Sofia avait l'impression d'avoir de plus en plus chaud. La sueur roulait dans son cou et eut soudain une violente nausée. Elle voulut se mettre debout, réclamant encore d'une voix assez faible Marjorie avant se laisser retomber lamentablement dans le fauteuil, mal à l'aise.

Elle aurait voulu se rouler en boule, se couvrir, se cacher, et disparaître dans un sommeil sans rêve... Mais c'était impossible.

Les yeux fous ne la quittaient plus.

[Smidge]

Sofia sentit le visage d’Émile se décomposer à sa demande, visiblement ému de sa détresse.

"Oui, bien sûr mademoiselle, la rassura-t-il aussitôt. Je vous prie de m'excuser je m'y rends de suite."

Sur ces paroles, il se dirigea en direction des portes du salon derrière lesquelles il disparut.

Sofia poussa un long soupir de lassitude. Elle balaya la salle du regard. Tous semblaient l'avoir oubliée, et vaquaient à leurs occupations, suspendus aux injonctions de cette enquêtrice.

Il était toujours possible de tenter de immiscer dans une conversation, ou encore d'aller explorer un peu plus en avant sa future chambre... Ou plus simplement de rester là, et de laisser les évènements se dérouler d'eux-mêmes.

[Ailyn]

Sofia se sentait au bord de l'asphyxie et n'avait aucune envie de se mêler aux différentes conversations. Elle voulait que quelqu'un qui faisait attention à elle revienne, que Marjorie revienne. Et c'était pour l'instant tout ce qui comptait.

Il fallait patienter encore, rester tranquille, garder le silence. C'était bien plus avisé pour l'image qu'elle cherchait à donner de son traumatisme. D'une manière ou d'une autre, elle n'avait pas très envie de parler, ni de bouger, ni de quoi que ce soit. Ses jambes avaient le plus grand mal à la soutenir et la fatigue était bien présente. Et très envahissante.

Elle se doutait bien que l'inspectrice allait revenir. Elle savait qu'il faudrait répondre à de nombreuses questions. Il fallait prendre des forces en attendant son heure. Des crises d'angoisse menaçaient : il fallait rester dans la plus grande sérénité. A l'image des statuettes représentant le Bouddha qu'elle avait eu la chance d'admirer à Paris, quelques années auparavant.

Paix intérieure...

[Smidge]

Un temps qui lui parut incroyablement long s'écoula dans une cacophonie anesthésiante de paroles indistinctes, lorsque les portes du salon s'ouvrirent tout à coup. Sofia sursauta, et un sourire de soulagement illumina son visage. Marjorie était revenu, et lui adressa une discrète salutation en lui désignant une pile de draps qu'elle transportait pliés sur son bras.

[Ailyn]

Sofia adressa un signe de tête à Marjorie à son tour. Elle était heureuse de la voir revenir. Emile l'avait inutilement inquiétée en hurlant partout qu'il la cherchait... Mais quel gaffeur pour un majordome !

La jeune femme ne bougea cependant pas. Elle se devait de jouer son rôle jusqu'au bout et se laisser aller à toute légèreté superflue risquait de compromettre ses menus mensonges.

[Smidge]

Marjorie se faufila parmi les invités, et se fraya un passage jusqu'au petit couloir derrière elle où se situait vraisemblablement leur future chambre. Sofia la suivit du regard, et la vit disparaître derrière la porte qu'elle referma discrètement.

Un temps passablement long s'écoula dans un calme relatif, ce qui convenait parfaitement à la jeune femme. Elle se laissa bercer par les conversations sans y être personnellement impliquée. Pas de stress, pas de justifications. Pas de Lucien. Et pour le moment, c'était tout ce dont elle avait besoin.

Tout à coup, l'inspectrice fit irruption à la porte de la cuisine, et balaya la salle d'un regard furieux. Sofia retint sa respiration, et s'enfonça autant que possible dans son fauteuil. Avait-elle découvert quelque chose ?... Elle repensa brièvement au hachoir, à ses manches tâchées... puis elle chassa rapidement ces pensées parasites de son esprit, pour se focaliser sur détail absolument insignifiant d'un trophée de chasse suspendu au mur.

[Ailyn]

Sofia était mal à l'aise, mais il fallait maîtriser l'angoisse. Mais voir des gens s'affairer autour de la porte de la cuisine l'amenaient à revoir les images qu'elles voulaient oublier et le regard fou de Lucien avant de... trépasser oui, il fallait bien appeler ça par son nom. Elle l'avait tué. Il était mort. En pièce. A cause d'elle. Mais personne ne devait le savoir. pas même l'inspectrice. Elle serait inflexible.

Elle n'attendait plus que les questions. Elle savait qu'elles viendraient.

L'impatience commençait à la gagner. Plus vite elle répondrait aux interrogations, plus vite elle serait dehors. Plus vite elle pourrait partir loin, avec son fils. Plus personne ne leur ferait de mal. Jamais.

[Smidge]

Sofia releva discrètement la tête, presque surprise de ne pas encore être passée à l'interrogatoire. L'inspectrice échangeait quelques mots avec le notaire, et semblait passablement agacée.

Tout à coup, les portes du salon s'ouvrirent. Émile était de retour.

"Bien, il semblerait que nous allons finalement réussir à régler ça avant demain matin.", lança-t-elle en apercevant le majordome d'un ton agacé.

Elle s'approcha de lui, et récupéra un long manteau qu’Émile lui tendait.

"Je suis vraiment désolé, lieutenant, s'excusa-t-il en s'inclinant, ma présence était requise ailleurs et je me suis quelque peu attardé..."
"Ça ira, le coupa-t-elle d'un ton abrupt. Je disais justement à Monsieur Marquand que nous devrions procéder à la lecture du testament."

Le testament ? Sofia tendit l'oreille. Elle était soudainement véritablement curieuse de savoir comment Lucien avait prévu de léguer ses innombrables biens. Si elle ne se trompait pas, elle ne lui connaissait pas d'enfants. Du moins d'autres que le leur... Et aucune conversation de la soirée ne lui avait permis de penser le contraire.

"La lecture du testament ?, répondit Émile. Oui, bien sûr... Je suppose que si un tel document se trouve quelque part, nous le trouverons probablement dans son bureau..."

Il balaya soudainement la pièce du regard, avant d'ajouter.

"Est-ce que mademoiselle Stoän est dans les parages...?"

Sofia sursauta.

Non, elle n'avait pas rêvé. Il avait bien prononcé son nom. Mais pour quelle raison... ?

Au même moment, Marjorie sortait du couloir, d'où elle venait vraisemblablement de terminer de préparer leur chambre. Elle s'approcha d'elle discrètement, et lui murmura quelques mots à l'oreille.

"Madame, notre chambre est prête. J'espère que cela vous plaira !"

Mais Sofia ne l'écoutait que d'une oreille distraite. Elle lui répondit d'un bref signe de tête agrémenté d'un sourire, puis se concentra sur la suite de la conversation entre Émile et l'inspectrice, que le notaire avait rejoints. Marjorie se retira peu après, rejoignant les autres invités.

"...pourrait trouver un tel document à son bureau ? reprit l'inspectrice, qui avait allumé une cigarette. Si vous parlez du bureau à côté de la bibliothèque, j'y suis déjà allée. Il était sans dessus dessous, comme si quelqu'un avait été pressé de mettre la main sur quelque chose en particulier."

[Ailyn]

La curiosité de Sofia n'était pas le moins du monde émoussée. Et pour cause : elle était dans un état de nerf indescriptible et craignait pour sa sécurité et ses possibilités de revoir son fils. Elle se demandait quel genre d'embrouilles supplémentaires avaient bien pu apparaître tout à coup. La mort de Lucien n'était-elle pas suffisante pour cette soirée ? Pour toute une vie même...

Elle se dandina un peu dans son fauteuil avant de se décider à interpeler Emile, maladroitement, comme il convenait de faire lorsqu'on était une victime.

"Vous m'avez appelée, Émile ? lança-t-elle d'une voix faible du côté du majordome. Je peux vous aider d'une quelconque façon ?"

Sofia renifla, se moucha, puis redressa ses lunettes sur son nez pour faire bonne mesure.

[Smidge]

"En réalité, répondit le le majordome à l'inspectrice, je faisais référence au bureau du maître, le bureau que vous évoquez n'est qu'un bureau annexe. Il y régnait un certain désordre en effet mais très honnêtement je vois mal ce qu'on aurais pu vouloir y trouver, et avec toute cette agitation il est vrai que je n'y ai pas trop porté attention sur le moment. Il y avait tant d'autres choses à penser..."

Le bureau de Lucien ? Ce détail attisa la curiosité de Sofia. Elle l'avait peut-être fait passer de vie à trépas, mais son objectif premier n'était toujours pas atteint. Ivan était son héritier légitime, et en tant que tel, sa famille devait recevoir une bonne partie de sa fortune. De quoi cesser de vivre dans la peur et l'incertitude du lendemain. Après tout ce qu'il lui avait fait subir de son vivant - et même de sa mort !, il leur devait bien ça...

Émile s'approcha ensuite d'elle, un sourire bienveillant sur le visage.

"Mademoiselle..., entama-t-il en s'inclinant. Je me demandais juste si vous aviez besoin de quelque chose. Un petit remontant peut-être, un rafraîchissement, ou quelque chose de sucré ?"

[Ailyn]

Sofia tâcha de sourire à Emile. C'était difficile. Elle voulait sortir d'ici. Elle voulait fuir. Elle ne savait plus si cet argent l'intéressait ou non finalement. Tendre l'oreille, oui, voir ce qui peut être fait pourquoi pas mais... Sortir de ce guêpier, à tout prix. Pour retrouver Ivan. Et fuir loin, très loin. La jeune femme se sentait lourde, très lourde de trop de pensées.

"Oh, Emile, vous êtes bien aimable... souffla-t-elle. Je... ce que vous voudrez... tout ce que je peux vous dire, c'est que j'aurai les plus grandes peines à manger quoi que ce soit..."

[Smidge]

L'inspectrice n'attendit pas la réponse du majordome, et s'approcha d'elle, avant de lui adresser d'un ton sec.

"Vous semblez aller mieux. Peut-être pourriez-vous répondre à quelques questions ?"

Elle s'interrompit à la fin de sa phrase, et Sofia sentit qu'elle avait été plus véhémente qu'elle ne l'aurait voulu.

"Bien sûr, ajouta-t-elle, cela peut attendre demain, si vous préférez prendre un peu de repos..."

Elle lui laissait apparemment le choix, ce qui était presque inattendu. Cependant, c'était aussi une occasion d'être débarrassée de cette épée de Damoclès... Pour un temps, du moins.

[Ailyn]

Mais elle avait raison d'être sèche ! Cela secouait Sofia de l'intérieur et lui redonnait envie de pleurer... Voilà qui allait bien arranger ses affaires...
Sofia sentit son coeur s'accélérer. C'était le moment d'entrer en scène. Maintenant ou plus tard, cela ne faisait aucune différence. Si il y allait maintenant, elle pourrait peut être tirer plus vite sa révérence pour aller retrouver enfin son fils...

"Je... euh, je oui, puisque vous avez des questions... Posez-les, après tout..."

Sofia devint toute blême. Les yeux fous. Ils étaient toujours là. Cachés, à attendre... La hanteraient-ils à jamais ?

[Smidge]

"Merci de m'accorder quelques minutes, ce ne sera pas très long..."

L’inspectrice s'interrompit soudainement, ferma les yeux, et poussa un long soupir de lassitude.

"Monsieur Marquand !, s'écria-t-elle tout à coup d'une voix forte, qui ne manqua pas de faire sursauter Sofia. Peut-être pourriez-vous aider Émile à mettre la main sur ce document ? Vous ne serez sûrement pas trop de deux..."

Elle se racla discrètement la gorge, et la prit délicatement par le bras.

"Si vous voulez bien me suivre, nous serons moins gênées pour discuter sans autant de monde autour..."

Elle la conduisit près de l'une des cheminées, à l'écart des discussions.

"Bien, voyons..., commença-t-elle. Tout d'abord, j'aimerais savoir quels étaient vos rapports avec la victime. Je veux dire... le Comte de Rochebois."

[Ailyn]

Sofia frissonna à l'évocation de Lucien comme étant une victime. Non, il n'était pas une victime. En revanche, elle, elle l'était. Et il n'était pas question qu'elle passe pour autre chose.

Jouer cartes sur tables ou pas... Telle était la cruelle question. Sofia ne savait pas comment s'y prendre. Elle savait qu'elle aurait à répondre à ce genre de questions tôt ou tard. Voilà que le moment fatidique était venu. Comment allait-il s'en sortir ? Il fallait en dire le moins possible. Peut être laisser l'inspectrice poser des questions.

Sofia prit sa respiration et dit simplement :

"Nous nous entendions assez bien. Parfois, la tension était importante entre nous, mais rien de méchant, vous savez."

[Smidge]

L'inspectrice regarda autour d'elle un instant.

"Vous connaissez bien les autres invités ?"

[Ailyn]

Sofia se borna à continuer sur le même ton qu'auparavant, faisant de ses réponses des phrases les plus minimales qu'elle ait jamais prononcée :

"En dehors du Docteur Dupré, je ne connais les autres que de vue. J'ai fait leur connaissance pour la première fois ce soir."

[Smidge]

L'inspectrice tira un petit carnet de sa poche, sur lequel elle griffonna quelques mots.

Sofia se sentait scrutée, détaillée, de pied en cap. Cette femme, ou la situation irréelle de la soirée, la mettait plus que mal à l'aise.

Après un court silence, le verdict tomba tout à coup, implacable.

"Ces tâches sur votre robe, d'où viennent-elles ?", demanda-t-elle.

[Ailyn]

Non, Sofia n'allait pas vraiment mentir. Elle le savait. Mais ce qu'elle allait dire lui coutait.

C'était comme si les yeux fous de Lucien de l'observaient avec un air moqueur. Elle sentait petite, si petite, si insignifiante en cet instant... Précisément comme lorsque Lucien avait voulu la frapper. Et qu'elle ne l'avait pas laissé faire.

Sa voix se brisa alors :

"Je.. là, quand je l'ai vu... Je l'ai touché, vous savez, j'ai cru..."

Elle avala difficilement sa salive, et repensa aux raisons de sa visite ce soir, et combien tout cela avait été terriblement vain.

"... J'ai... cru... qu'il y avait quelque chose à faire..."

[Smidge]

Derrière son interlocutrice, Sofia distingua une silhouette familière sortir des cuisines, et s'avancer dans leur direction.

Émile saisit avec toute la discrétion possible une courte pause dans leur entretien pour lui tendre un petit verre rempli d'une liqueur orangée, dont Sofia reconnu aussitôt l’arôme astringent et alcoolisé.

"Votre remontant, mademoiselle ?"

[Ailyn]

Sofia renifla piteusement, à nouveau secouée de sanglots qu'elle tâchait de réprimer. Lentement, elle tendit une main blême et tremblante vers le verre tendu par Emile, articluant un faible : "merci" qui eut les plus grandes peines à s'extirper de sa gorge nouée.
Elle serra le verre contre elle, à deux mains prostrées. Au bout de quelques secondes, elle tâcha d'avaler une gorgée avec laquelle elle s'étouffa.
Sa gorge prit soudainement feu et elle fit prise d'une quinte de toux. Les joues rosies, elle tâcha de reporter son attention sur l'inspectrice, mais ce n'était pas ses traits qu'elle voyait, mais ceux de Lucien prêt à la supprimer pour qu'elle se taise.

[Smidge]

La policière ignora superbement ce pauvre Émile, et poursuivit son interrogatoire.

"Je vois... Et que faisiez-vous sur les lieux du crime au juste ?"

[Ailyn]

Expliquer... Oui, expliquer, c'était facile, c'était très facile, ça n'était pas mentir... Ou si peu... si peu...

"Je... J'ai entendu du bruit... dans l'escalier... pendant la pièce de théâtre... J'ai cru que quelqu'un faisait un malaise, vous savez ? Alors... je suis descendue, mais je n'ai vu personne... J'ai entendu... à nouveau, du bruit dans la cuisine... j'y suis allée, et là..."

Sa gorge se noua si fort que Sofia fut incapable d'émettre un son de plus. Ce qu'il s'était passé, ce n'était pas qu'elle avait découvert le corps de Lucien. Non, c'était ce gros porc qui s'en prenait à quelqu'un, à une femme... et qui avait voulu lui faire du mal, à elle, elle, la mère de son enfant. Elle, l'immigrée qu'il avait bien eu, lorsqu'elle vivait encore à Paris...
Sofia était submergée de sentiments, envahie par la terreur que lui inspirait le souvenir des yeux fous de Lucien, mais aussi amère de tout ce qu'elle avait pu lui donner si facilement... Elle avait la sensation d'avoir été salie et trahie.

Sofia serra le verre plus fort contre elle, les yeux à nouveau baignés de larmes.

[Smidge]

"Je vois, répéta-t-elle de nouveau. Si je comprends bien, le meurtre a eu lieu pendant cette pièce de théâtre, c'est bien ça ?"

Elle plissa des yeux un instant, pensive, puis ajouta.

"Savez-vous pourquoi le comte n'assistait pas à la pièce ? Et vous rappelez-vous si d'autres invités n'étaient pas présents ?"

Et avant même qu'elle ne réponde, un carillon puissant retentit dans la pièce. Puis un autre, puis encore un autre. Douze coups résonnèrent à la suite, couvrant momentanément toutes les conversations.

"L'heure du crime...", ironisa Nils d'un grand éclat de rire, qu'il ravala une fraction de seconde trop tard...

Sofia ne put réprimer un bâillement. Il était tard, et il lui fallait lutter contre la fatigue en plus de tout le reste.

[Ailyn]

Sofia se concentra, cherchant dans ses souvenirs... Mais elle ne revoyait que la pénombre de la salle dans laquelle avait eu lieu la pièce, quelques éclats de voix, mais rien de probants...

"Je... je ne sais plus... Il faisait sombre, très sombre... et je ne vois pas très bien, vous comprenez ?" dit-elle en remontant ses lunettes sur son nez.