[Quête] Un vieux temple et beaucoup de sable

[Galathée]

Ils finirent par l'asseoir contre le mur. Des doigts s'enfoncèrent dans ses joues, comme l'un d'entre eux l'examinait de plus près.
" Un joli garçon propre sur lui... Il n'a pas l'air de crever de faim..." dit-il, lui éructant une haleine infâme en plein visage.
Il la renversa sur un de ses genoux, lui tritura les doigts jusqu'à lui retirer son anneau.
" Tu crois que ça vaut quelque chose, cette breloque ?"
Remise contre le mur, à nouveau.
" Bah, tu peux toujours l'ajouter dans le butin, je suppose."
Claris entendit distinctement que son bijou était posé sur la table, quelque part devant elle.
" Bon, on va le ramener parmi nous et lui poser quelques questions.
— Puis je l'étripe.
— Chaque chose en son temps. Je veux savoir qui c'est, d'abord."
L'homme s'écarta une seconde, puis Claris reçut un liquide nauséabond et tiède dans le visage, lancé manifestement pour la ramener parmi les vivants. C'était ignoble comme une vieille bière éventée. Ce que c'était, probablement.

[Claris de Corvimande]

Berk.

Bon, faire semblant ne rimait plus à rien. Ça n'aurait pas servi à grand chose, finalement… si ce n'est qu'ils sur-estimaient peut-être son état d'épuisement. Assez curieusement, malgré la douleur résiduelle des coups encaissés, la fatigue qui s'était faite sentir un peu plus tôt semblait s'être envolée. L'effet de l'adrénaline, peut-être.

Claris ouvrit les yeux, lentement, tentant autant que possible de les tromper sur son état. Puis fit mine de tenter – vainement – de se détacher.

« Libérez-moi. Ou il vous en cuira. »

Sa voix était fatiguée, mais néanmoins pleine de morgue et d'assurance.

[Galathée]

Cette déclaration ne manqua pas de faire rire deux des brigands. Un troisième s'approcha, plus petit, plus jeune, le visage vilainement marqué d'une balafre disgracieuse, et il leva la main. Leur chef, accroupi devant Claris, lui barra le passage d'un bras. C'était un homme d'une quarantaine d'années, relativement soigné et pas dépourvu de charme. Il avait une barbe blonde coupée court, un regard très bleu, inquisiteur.
" Oh... Il nous en cuira, dis-tu ? Et peux-tu me dire en quoi il nous en cuira ? Parce que tu vois, tu viens de liquider trois de mes hommes, sans raison apparente, sinon de dérouiller ton épée... Et je ne peux pas dire que ça me mette dans de très bonnes dispositions à ton égard..."

[Claris de Corvimande]

Claris le toisa d'un regard fier.

« Ce temple appartient à Seth, et le Dieu Serpent n'apprécie pas que vous souilliez sa demeure. Il m'a envoyé vous avertir – si les têtes de vos camarades ne redescendent pas avec moi très bientôt, je serai le cadet de vos soucis. »

Claris faisait de son mieux pour paraître toujours épuisée, mais néanmoins parler en toute assurance.

« Vous devriez fuir pendant qu'il est encore temps – sauf si vous aimez beaucoup les morsures »

Les derniers mots furent accompagnés d'un petit mouvement de langue rappelant celui d'un serpent. Tant qu'à jouer pleinement les envoyés de Seth, autant y mettre les formes.

[Galathée]

Le discours de la jeune fille parut saisir l'un des bandits.
" Oh bouse... On a réveillé quelque chose... Je le savais... Je le sentais... Ce temple, il était pas net...
— C'est la sixième fois qu'on l'occupe, on a jamais gêné personne..."
Le chef de la bande observait la Mélandienne avec circonspection.
" Tu dis qu'il y a un dieu mort là-dessous... et je devrais te croire ?"
Sans prévenir, il lui asséna une gifle.
" Vous auriez pas dû faire ça, chef... souffla un jeune brigand, les yeux exorbités.
— Tais-toi. Il se fout de nous.
— Mais il est vraiment venu d'en bas.
— Et alors ? Ça prouve quoi ?
— Y'avait un serpent qui se battait avec lui, c'est vrai, Harold l'a dit !
— Un serpent jaune, bizarre.
— Vous délirez..."

[Claris de Corvimande]

La gifle lui provoqua un sursaut – mais guère plus. Claris s'efforçait de conserver son calme et sa maîtrise de soi. Il finirait bien par le payer.

« Descendez voir, si vous ne me croyez pas… mais ne vous attendez pas à remonter. En fait, vous avez le choix : soit vous mettez les voiles dès maintenant, soit vous signez votre arrêt de mort. Toute personne que vous laisserez en arrière servira d'offrande à Seth avant la prochaine aube. »

Gérold mis à part, fallait-il espérer – mais les brigands l'ignoraient. Dans l'immédiat, Claris espérait vivement que le serpent jaune en question finisse par se montrer. Avec quelques uns de ses camarades, si la chose était possible. Mais c'était sans doute trop demander…

[Galathée]

Le bandit sortit alors sa dague et la fit danser un instant sous les yeux de la jeune fille. Ensuite, il en appuya la pointe juste sous son menton.
" Ecoute-moi bien, mon grand. Ton dieu Serpent, là, je connais pas. Ce temple, j'y suis déjà venu dix fois, et j'ai jamais vu la moindre bestiole que je sois incapable d'écraser sous mon talon y traîner. Alors tu vas gentiment me dire qui tu es, ou bien je vais t'extirper ça à l'ancienne...
— Vous devriez vraiment pas faire ça, chef.
— Alors ?
— Honnêtement, y'avait vraiment un serpent.
— Un serpent jaune.
— On peut embarquer Vainevie et partir. Ça ne coûte rien.
— Dès que les autres reviennent avec le paiement...
— Ton nom." répéta le brigand.

[Claris de Corvimande]

« Je suis le messager de Seth. »

Claris adressa au chef des bandits un regard fier. Bien sûr, il n'y avait presque aucune chance de le convaincre lui – mais plus les autres pouvaient avoir peur, meilleur ce serait pour la suite.

Bon, évidemment, ses paroles seules ne suffiraient sans doute pas ; Claris croisait intérieurement les doigts pour voir Sissi arriver. S'il fallait faire sans, eh bien… le chef des bandits s'énerverait sans doute. Ce qui serait douloureux. Mais Claris s'apprêtait à y faire face.

[Galathée]

Le chef grogna et lui asséna une nouvelle gifle, plus douloureuse que la première.
" Chef, honnêtement...
— Ça suffit ! Montez-moi ce merdeux à la surface. On va voir si un petit séjour en plein soleil le laisse toujours aussi fier de son dieu stupide."
Le bandit qui avait porté Claris quelques minutes plus tôt la souleva par les épaules, manquant déchirer ses vêtements, puis la reprit aussi cavalièrement qu'auparavant. Il semblait cependant moins à l'aise. Le chef des bandits attrapa ensuite la jeune Mélandienne par les cheveux, l'obligeant à lever les yeux.
" T'aurais pas dû tuer mes gars, mon ami. Et si je dois foutre le feu à ton temple, je foutrai le feu à ton temple."
Un cri retentit alors, depuis le couloir.
" C'est le... le... le serpent ! Je l'ai vu ! glapit l'un des bandits.
— Un serpent, bon sang, mais vous vous croyez où ? Qui m'a foutu ces crétins !"
Il s'écarta alors et prit la tête de la petite colonne qui s'engouffra dans le couloir d'un pas plutôt rapide. Sissi n'était manifestement pas très loin.

[Claris de Corvimande]

La seconde gifle parvint tout de même à attirer un grognement à Claris. Il le paierait, c'était sûr. Son regard se plongea droit dans les yeux de celui de son adversaire.

« Tu seras mort bien avant que ce temple ne brûle. »

Bon. Évidemment, Claris n'avait pas eu l'occasion de s'emparer de sa dague.
Maintenant qu'il n'y avait plus besoin de faire semblant d'avoir perdu conscience, cependant, quelques mouvements ne surprendraient personnes – ils croiraient que la peur lui faisait essayer de se débattre, sans soupçonner que son objectif était faire jouer la dague à ses chevilles contre ses liens.

Sissi était tout prêt… il fournirait sans doute une occasion. Claris n'avait aucune idée de la façon dont les choses s'enchaîneraient, mais improviser ne lui avait jamais posé problème. Tout ce qu'il fallait, c'était réussir à récupérer le contrôle de ses jambes…

[Galathée]

La jeune fille sentit jouer la dague contre les cordes, mais il lui faudrait un certain temps pour traverser la toile de ses chausses puis le chanvre qui la retenait. Entretemps, les bandits s'étaient engagés dans l'escalier et ils gagnèrent bientôt le grand hall du temple, désormais débarrassé de ses fauves. Au dehors, le soleil avait décliné et la nuit semblait sur le point d'envahir la mer de sable.
" Chef, je crois qu'il ne fait plus assez chaud... fit l'un d'entre eux, hésitant.
— Alors ce sera le froid. Peu importe. Et puis... le matin viendra bien assez tôt."
Il alla relever la tête de la jeune fille, se saisissant à nouveau de ses cheveux.
" On fait moins le malin, hein ?
— Chef, deux cavaliers approchent."
Le brigand releva les yeux.
" Voilà enfin notre commanditaire. Vous deux, allez chercher le petit mage. Quant à toi, tu ne paies rien pour attendre. Dépose-le là."
Claris fut adossée contre le mur du hall. Le bandit qui l'avait portée resta à proximité, tout comme le dénommé Harold, dont le bandage à l'épaule était déjà rougi, et qui lui lançait des regards à la fois inquiets et meurtriers. Le chef sortit sur les marches avec la sentinelle tandis que les deux derniers redescendaient dans le ventre du temple.

[Claris de Corvimande]

Sitôt qu'il n'y eut plus que deux ennemis pour l'entourer, Claris se détendit quelque peu ; et adressa à son précédent adversaire un sourire moqueur.

« Comment va cette épaule ? Tu aurais du rester, tu sais : quand Seth aura décidé d'en finir, tu regretteras que je ne t'aies pas achevé comme les autres. »

À quoi mènerait cette provocation ? À rien, sans doute – pire, cela lui risquait fort de lui amener quelques coups. Mais venant d'un gamin entravé et qui semblait de toute façon hors d'état de combattre même si les liens ne l'avaient pas retenu – c'est, du moins, ce à quoi Claris affectait de ressembler –, une telle assurance les troublerait peut-être d'autant plus.

Ils allaient désormais se rendre compte de la disparition de Gérold. Peut-être voudraient-ils l'interroger à ce sujet. Que répondre ? Pas la moindre idée, pour l'instant – s'il y avait possibilité de faire en sorte d'avoir déjà prit le large quand les questions arriveraient, ce serait idéal.
Peu probable, cependant : trancher les cordes sans le secours de ses mains serait long – et sans doute douloureux, une telle opération risquant de lui entailler la jambe autant que les chausses –, et y mettre les mains avec deux gorilles pour l'observer signifierait à coup sûr se faire confisquer sa dernière arme.

Le froid qui commençait à tomber ne dérangeait guère Claris, après celui qui avait régné dans les profondeurs. En fait, les bandits devaient sûrement être plus dérangés que ne l'était leur otage. Y aurait-il moyen d'en tirer profit ? Peut-être, mais la façon de faire semblait bien mystérieuse. Néanmoins, l'enfant de Reuel tenta de simuler un tremblement – plus ces rustres l'imaginaient faible, plus sa riposte les prendrait de court.
Dans l'immédiat, il ne fallait sans doute compter que sur sa rhétorique ou sur une intervention providentielle de Sissi. Fallait-il chercher à appeler le serpent, au risque de mettre la puce à l'oreille aux bandits ?

[Galathée]

Claris n'eut pas besoin d'appeler le serpent : elle le vit se glisser le long du mur opposé à celui où elle était appuyée, reflet jaune ondulant sur les monceaux de sable que le vent avait poussés à l'intérieur de l'édifice, puis disparaître derrière une statue. L'homme qu'elle avait provoqué ne réagit cependant pas, se contentant de hausser les épaules en lui décochant un regard noir. Il caressa ensuite le manche de son arme du pouce, comme une promesse. Un juron ne tarda pas à retentir et les deux brigands qui étaient descendus remontèrent.
" Le mage n'est plus là, murmura le premier.
— Quoi ? Vous êtes sûrs ?
— Ben oui... Ses liens sont défaits et il a disparu.
— Il ne peut pas être loin. Fouillez toutes les pièces, je vais prévenir le chef."
Le dénommé Harold fila au dehors, et Claris demeura cette fois avec un seul et unique brigand, qui semblait avoir peur d'elle.

[Claris de Corvimande]

Bon, voilà qui commençait à se présenter un peu mieux. Avec le recul, libérer Gérold avait sans doute été la meilleure idée que Claris avait eu depuis le début… le récupérer pourrait d'ailleurs en être une bonne, également. Et la choses ne pourrait sans doute se tenter que très bientôt, ou jamais.

S'étirant, puis repliant les jambes, Claris vint poser ses mains sur ses chevilles, comme pour les masser. Bien sûr, son véritable objectif était de récupérer sa dague, mais cela pouvait aisément passer pour une tentative désespérée de soulager l'inconfort de ses liens.

« Au fait, vous aimez les serpents ? »

Son ton et son expression avaient juste ce qu'il fallait de faussement innocent. Si Sissi scie six cyprès… hum, pardon Si Sissi choisissait le bon moment pour se montrer, ce type aurait sans doute la peur de sa vie…

[Galathée]

" J'aime pas les serpents, non... Ramène tes pieds devant toi, tu veux ? fit alors le jeune homme, nerveux. Je n'ai jamais aimé les serpents. Tu connais beaucoup de gens qui aiment les serpents ? Ramène tes pieds, j'te dis, sinon je viens les chercher moi-même... Faut être un peu timbré pour aimer ces bestioles... Leur tête déjà... Ces yeux fendus... Puis la petite langue..."
Il s'était approché d'un pas.
" Faut que je te le dise dans quelle langue ?"
Sissi surgit alors, escaladant crânement l'épaule de Claris. Le bandit changea de couleur.
" Bouse..." souffla-t-il.
Il leva son gourdin. Pour la peine, il avait l'air prêt à l'écraser sur la bestiole, et tant pis pour la charmante Mélandienne en dessous.

[Claris de Corvimande]

Claris avait réussi à récupérer sa dague… elle serait beaucoup plus efficace entre ses mains qu'à sa cheville, sans doute. Le geste suivant fut de retendre ses jambes docilement, s'efforçant de garder la dague dissimulée aux regards de son dernier geolier.

« Moi j'adore les serpents. Celui-là, c'est un de mes préférés, bien sûr, mais il y a tous les autres. Vous finirez bien par les rencontrer aussi, ils viennent toujours me chercher quand je m'absente trop longtemps. »

Et, avec un petit sourire en coin,

« Vous savez, vos camarades sont condamnés à mort, mais si vous filez assez rapidement, vous avez encore une petite chance de vous en sortir… sauf si vous préférez les morsures, bien entendu. »

[Galathée]

Le jeune brigand resta immobile un instant, puis ferma les yeux, et asséna un brusque coup de gourdin en direction du serpent. Sissi disparut et Claris eut tout juste le temps de basculer sur le côté pour éviter le coup, qui lui heurta quand même méchamment le bras. Réalisant qu'il avait manqué le reptile, le bandit ouvrit des yeux exorbités et poussa un cri, avant de s'enfuir par la grande porte, vers le désert. Claris était désormais endolorie mais seule. Le petit serpent jaune rampa sur le sol devant elle et s'installa en rond, comme si elle attendait que sa compagne se délivre et la suive. Il restait encore deux bandits dans les sous-sols et rien n'indiquait que ceux qui étaient à l'extérieur ne reviendraient pas très bientôt, à la poursuite de Gérold.

[Claris de Corvimande]

Humpf. Celui-la aurait de la chance s'il s'en sortait. S'il se trouvait de nouveau sur le chemin de Claris, il passerait un mauvais quart d'heure.

Mais pour l'heure, mieux valait ignorer la douleur et se dépêcher. Claris s'empressa de revenir couper les cordes enserrant ses pieds – celles des mains pourraient attendre, cela ne l'empêcherait pas de courir.

Avec un peu de chance, le fuyard foncerait dans l'un de ceux situés à l'extérieur, et les explications qui s'en suivraient, non contentes de le retenir à portée de vengeance, retarderaient le retour de ses camarades. Pour les bandits encore à l'intérieur du temple, il faudrait aviser… l'escalier vers les profondeurs n'était pas loin.

[Galathée]

La jeune fille parvint à se débarrasser des liens qui retenaient ses chevilles juste au moment où des voix énervées retentissaient à l'extérieur : on était en train de gravir les marches monumentales du temple et on n'était pas content du tout. Sissi se glissa autour de sa taille, l'enserrant légèrement, comme elle l'avait déjà fait plus tôt. Pour les poignets, il faudrait effectivement attendre, à moins qu'elle ne prenne le risque de se retrouver nez à nez avec au moins... quatre personnes différentes, à en percevoir les timbres. Elle se dirigea donc vivement vers l'escalier qui regagnait les profondeurs du temple.
" Là ! Il se fait la malle, fiente de bouc !" s'exclama Harold derrière elle, comme elle disparaissait tout juste de leur champ de vision.

[Claris de Corvimande]

C'était moins une. Claris dévala l'escalier aussi vite que possible, espérant que ses poursuivants ne seraient pas aussi rapides.

Sa meilleure chance était de rejoindre l'autre escalier aussi vite que possible. S'ils osaient l'y suivre, les autres serpents leur régleraient leur compte une fois en bas.

Bien sûr, récupérer son anneau aurait sans doute été utile, mais le bureau du chef était trop loin, et ne comptait aucune issue : s'y rendre aurait été pure folie. Ses armes, en revanche… si elles étaient encore là où on les lui avait prises, il pourrait être intéressant de les reprendre. Cela ne prendrait guère de temps, et l'épée, au minimum, serait toujours plus efficace qu'une petite dague de jet. Pour ce qui était des cadavres… l'on aviserait plus tard.

Descendant aussi vite que ses jambes le lui permettaient, serrant les dents sous la douleur des coups reçus, Claris priait pour qu'aucun bandit ne vienne lui couper la route…

Récupérer l'épée, si possible. Descendre dans l'autre escalier. Si les bandits ne suivaient pas, prendre le temps de libérer ses poignets, et aviser. Tymora…

[Galathée]

Claris déboula donc à l'étage inférieur, surprenant un des bandits qui sursauta avec un grand cri et tomba sur son séant. Elle put se glisser entre les rochers et dévaler une dizaine de marches avant de s'arrêter pour reprendre son souffle.
" C'est quand même incroyable ! éructa la voix du chef, arrivé peu après dans le petit hall. Vous l'avez fouillé ou quoi ?! Mais qui m'a foutu ces incapables !
— Qui est-ce ?"
Ce timbre-là, Claris ne l'avait pas encore entendu. Il dénotait parmi les brigands, plus posé, plus agréable, peut-être plus aristocratique.
" Nous ne savons pas. Un genre de démon surgit des profondeurs...
— Un aventurier en goguette qui aura repéré le campement. Sans doute un pilleur de tombes."
Entre temps, la jeune fille avait pu libérer ses poignets. Son bras meurtri l'élançait au rythme des pulsations de son coeur emballé.
" Intéressant."

[Claris de Corvimande]

Tant pis pour l'épée. La récupérer avec ce bandit juste à côté aurait signifié perdre sa courte avance. L'avoir ainsi fait chuter était déjà suffisamment appréciable.

Claris se retrouvait donc dans les marches, tentant de reprendre son souffle, et s'empressant de libérer ses mains – ce serait toujours ça. Son bras était douloureux… et si ce n'était que cela : les gifles, la chute, et les deux autres coups de gourdins se manifestaient encore, même si pas autant dans son corps que dans sa fierté. Il faudrait se venger… plus tard…

Dans l'immédiat, que faire ? Les corps étant restés en haut, redescendre se ferait les mains vides. Comment le reptilien réagirait-il ? D'un autre côté, impossible de remonter dans l'immédiat.
Dos au mur, tentant de récupérer, Claris conserva son attention pour les sons venus d'au dessus. S'il s'avérait que les brigands, ou le mystérieux commanditaire – était-il lui-même un noble mélandien ? Sans doute, pour oser un coup comme celui-ci, mais qui en voulait à la famille de Gérold ? Son père, assez au fait des intrigues, auraient peut-être pu lui répondre, mais Claris l'ignorait. – faisaient mine de descendre, la route était toute tracée.
S'ils s'éloignaient, au contraire, remonter pourrait être intéressant, mais les chances que cela se produisent étaient bien minces. S'ils ne bougeaient pas… il faudrait se décider. Les créatures, en bas, devaient s'impatienter…

Sa main vint caresser le serpent, doucement.

« Tu en dis quoi, toi ? On attend, ou on descend ? »

[Galathée]

" Allez prévenir mon garde du corps que je l'attends, dit alors la nouvelle voix.
— Mais, messire...
— Nous allons descendre. C'était mon intention depuis le début, de toute façon.
— Descendre là-dedans ?!
— Quoi ? Vous avez peur des serpents ?"
Il rit, méprisant.
" Le jeune Vainevie est probablement en bas, cet imbécile. Et même si ce n'était pas le cas, notre nouvel ami fera tout aussi bien l'affaire.
— L'affaire ?
— Cela ne vous concerne pas."
Il y eut un peu de mouvement sur le palier, hors de vue.
" Et pour le paiement ?
— Quel paiement ? Je vous ai demandé de me livrer Gérold, et je ne le vois point."
Sissi sifflait, comme attentive, mais elle ne fournit évidemment pas de réponse à Claris.

[Claris de Corvimande]

Eh bien, vue la tournure des événements… ils ne semblaient pas vouloir décrocher de là avant de commencer leur descente ; et Claris ne serait sans doute pas plus en sécurité avec eux qu'en revenant auprès des serpents les mains vides. Le plus sage était donc de descendre, sans doute. Et puis… après avoir défié les brigands de descendre, et leur avoir promis la colère de Seth, il pourrait être une idée de s'assurer que celle-ci s'abatte bien sûr eux.

Claris descendit l'escalier, moins prestement que le précédent n'avait été dévalé – ses muscles douloureux freinaient quelque peu son ardeur. L'hésitation se fit sentir une fois parvenue devant la porte de la grande salle, cependant : entrer sans ses trophées, c'était reconnaître avoir failli à sa mission. Son honneur s'y refusait.
Ce fut donc depuis l'autre pièce que sa voix s'éleva, quelque peu fatiguée, mais surtout plus humble que face aux brigands.

« Vos têtes sont prêtes, là haut, il ne reste plus qu'à les trancher – Sissi peut en témoigner. Mais avant que je ne m'y emploie, il m'a semblé important de vous prévenir qu'un autre type est arrivé, qu'il a l'air plus puissant que les précédents, et qu'il semble vouloir les envoyer s'en prendre à vous. Je ne pourrai pas les retenir tous sans aide – mais, si vous le souhaitez, ce sera pour mon compagnon et moi-même un plaisir de combattre aux côtés de vos serpents, et d'apprendre à ces lâches ce qu'il en coût de défier Seth. »

Son message délivré, prenant bien garde à ne pas pénétrer dans la pièce, Claris attendit la réaction du reptilien. Compte tenu des circonstances, il lui était difficile de faire mieux.

[Galathée]

Pendant un long moment, Claris n'entendit que le silence. Puis il lui sembla entendre une sorte de glissement sur la roche, le crissement du sable froissé, puis elle devina l'ombre de la créature dans l'embrasure des portes. Celles-ci étaient cependant trop peu écartées pour que l'homme-serpent puisse se glisser dans l'ouverture.
" Humain échouer ? demanda le reptile, en claquant sa lance sur le sol. Mauvais. Nouveau visiteur peut-être réussir."

[Claris de Corvimande]

« Je n'ai pas échoué ! »

Le rouge monta aux joues de Claris. C'était une question d'honneur, tout de même.

« Trois des intrus sont morts. Je souhaitais simplement vous avertir avant de prendre le temps de leur trancher la tête. Le nouveau visiteur est notre ennemi… l'ennemi de Seth. Il nous faudra le combattre. »

Si, comme le soupçon lui en était venu, le commanditaire était un autre noble mélandien en rivalité avec les de Vainevie, il y avait fort à parier qu'il disposerait de pouvoirs magiques suffisant pour faire face à l'homme-serpent. Mais comment le faire comprendre ?
Claris hésita un instant, puis s'inclina devant la créature.

« Je ne faillirai pas dans ma tâche. Je le dois à Seth, et je tiendrai parole. Mais je devais vous prévenir. »

Puis, l'air décidé, l'enfant de Reuel fit demi-tour en direction de l'escalier, espérant avoir convaincu le reptilien, et que celui-ci se déciderait à faire quelque chose de plus utile.

[Galathée]

Alors que Claris reprenait, vaille que vaille, l'ascension vertigineuse des mille marches menant aux caves du Temple, elle entendit soudain un son étouffé, irrégulier, venant du haut. Ce n'étaient pas des pas, mais ça se rapprochait, petit à petit, de plus en plus vite. Elle se prépara à recevoir la chose, quelle qu'elle soit, mais il faisait bien trop sombre pour qu'elle puisse en distinguer les contours, car sans son anneau, elle n'était plus éclairée que par la lumière de la grande salle, loin dans son dos.
Quelque chose qui dévalait les escaliers, rebondissant sur les marches avec un bruit... un bruit douteux.
L'objet survint soudain, descendit encore trois marches, et se bloqua dans ses jambes. Elle n'eut qu'à baisser la main et l'effleurer du bout des doigts pour l'identifier : c'était une tête.
Et il en venait au moins une autre, si elle devait se fier à son ouïe...

[Claris de Corvimande]

Qu'est-ce que c'était que… qui pouvait avoir eu l'idée saugrenue de balancer ainsi les têtes ? Claris demeura un instant à contempler – si l'on pouvait dire, dans ces ténèbres – ce qui venait de lui arriver. Puis l'idée se forma dans sa tête.

Gérold avait été en mesure de reconnaître la marque de Seth sur les murs du temple ; et le sujet avait, bien sûr, été évoqué devant les brigands. Le commanditaire avait, sans doute, au moins autant de connaissance à ce sujet : le fait d'apporter trois têtes était peut-être une sorte de rituel récurrent, et il espérait ainsi apaiser le dieu et se présenter comme un allié. En profitant de son travail.
Dommage pour lui, il n'avait semble-t-il pas anticipé que Claris se trouverait sur place pour récupérer ce qui lui était dû. Ou bien, peut-être, pensait-il que Claris était le prêtre de ce temple, plutôt que le reptilien ? Ou, plus saugrenu encore, quelqu'un parmi les brigands souhaitait-il lui venir en aide ? Qu'importe ? Dans tous les cas, les choses semblaient mieux parties.

Claris caressa la tête de Sissi.

« Tu peux aller lui dire que j'arrive avec ses têtes, si tu veux. Et qu'il ferait mieux de se préparer, parce qu'ils vont venir aussi, et qu'ils seront moins amicaux que moi. »

[Galathée]

Sissi s'enroula un moment autour du bras de la jeune fille puis elle la sentit glisser et descendre jusqu'au sol, enfin disparaître. La seconde tête venait de faire son apparition et Claris put la bloquer du pied. Il manquait la dernière, qui rebondissait encore quelque part dans les hauteurs. Elle distingua aussi une vague lueur, indiquant qu'on avait commencé à descendre les escaliers. Dans un choc spongieux des plus délicats, le dernier trophée vint heurter les jambes de la Mélandienne. Il ne lui restait plus qu'à se baisser pour récolter les fruits de son labeur.

[Claris de Corvimande]

Inutile d'attendre pour faire semblant d'avoir personnellement découpé les têtes ; de toute façon, Sissi serait témoin – de même que du plus important : c'est Claris, et non le nouveau venu, qui avait tué les hommes dont provenaient ces têtes.

Si les bandits arrivaient, mieux valait dévaler l'escalier aussi vite que possible, emportant ses trophées, en espérant que son excès de loyauté précédent n'ait pas été préjudiciable – vouloir considérer comme un échec le fait de retarder un succès pour prévenir d'une menace… ces serpents avaient une logique toute particulière.

Têtes en mains, Claris s'efforça donc de rejoindre la salle, et y pénétra cette fois sans l'ombre d'une hésitation.

« Mes excuses pour le contretemps. Mais ils sont sur mes talons. »