[Quête] Le Refuge de Solossë

[Galathée]

Trent prit donc la tête de leur trio pour gagner l'intérieur de la Maison de Vie. Sa démarche était loin d'être assurée mais il se reposait légèrement sur Taliesin. Kerun, à leurs côtés, demeurait aux aguets, lorgnant l'environnement, puis l'assistant, avec une vigilance sans failles. Ils entrèrent dans le dispensaire endormi, dont les couloirs demeuraient éclairés de quelques lampes éparses. On entendait très clairement les coups frappés contre la porte de la réserve et les exclamations scandalisées des prisonnières. Kerun eut un haussement d'épaules embarrassé avant de leur ouvrir. Aussitôt, une elfe de la lune armée d'un tabouret fit son apparition, revancharde, pour piler sec devant l'assistant déstabilisé.
" Trent... Vous aussi..." fit-elle, abattue.
Derrière elle, deux autres jeunes femmes aux cheveux sombres et aux yeux clairs le dévisagèrent avec épouvante.
" Ce qu'il vous a dit... Je ne sais pas ce qu'il vous a dit... souffla-t-il, avant de soupirer, accablé. Mais c'est vrai."
Elles demeurèrent silencieuses, comme frappées par la foudre, et Taliesin réalisa que l'une d'entre elles allait défaillir.
" Ce n'est pas possible, dit simplement celle qui tenait un tabouret, comme si c'était une évidence et qu'elle mettait quiconque au défi de la réfuter.
— Si.
— Vous avez trahi maître Maebryn, fit une autre, la voix vibrante de colère.
— Non, c'est lui qui vous a trahies. Vous et tous les autres."
La jeune femme lâcha son tabouret mais, dans un geste réflexe, lui asséna une gifle retentissante et il se recroquevilla sur lui-même.

[Taliesin]

Taliesin, qui n'était pas parvenu à empêcher le geste de la soignante, serra un peu plus fort le bras de l'assistant.
-Pardonne-moi, Trent, je n'avais pas enticipé. Je serai plus vigilant à l'avenir, tu as ma parole.
Puis il se tourna vers les elfes.
-Écoutez... Je mesure fort bien à quel point vous êtes choquées, et je sais que vous auriez besoin de temps pour vous remettre. Malheureusement, du temps, nous n'en avons guère. Quand l'aube viendra, quand Verrarc comprendra ce qui se trame, il donnera l'ordre aux garde de tuer tous ceux qui savent la vérité, pour que le piège sordide élaboré par Maebryn puisse continuer, comme avant, à engloutir sans espoir de salut des centaines, des milliers de vies. C'est pourquoi nous devons profiter des dernières heures de la nuit pour nous préparer, pour mettre à l'abri un maximum de personnes. Nous avons choisi de commencer par les plus vulnérables, c'est-à-dire par les malades dont vous avez la garde. Mais, pour les transporter, nous aurons besoin d'aide. De votre aide.
Il les dévisagea tour à tour.
-Je vous implore de nous l'accorder, au nom de tous ces malheureux que la mort guette Mais ni Calanon ni moi ne vous contraindrons. Vous êtes maîtresses de vos choix, et nous les respecterons, quels qu'ils soient. Je dirais seulement que celles qui nous prêteront main forte auront des preuves tangibles de ce que nous affirmons.
Il jeta un bref coup d’œil au demi-elfe.
-Et, je vous en prie... N'ayez nulle colère envers Trent. Lui aussi est une victime de Maebryn. Il a été en partie complice de ses crimes, oui, mais en partie seulement, car il s'est toujours refusé à perpétrer le pire. De plus, se rebeller contre son père réclamait un courage immense... et pourtant, il l'a fait dès qu'il en a eu l'opportunité. Si nous avons désormais une chance de réussir, c'est en bonne partie grâce à lui.

[Galathée]

L'assistant était passé derrière Taliesin et Kerun le réceptionna d'une main ferme sur l'épaule. Le barde eut la sensation, furtive, que s'ils ne le gardaient pas près d'eux, il finirait par s'enfuir ou se cacher quelque part, peut-être à son corps défendant, tant son angoisse était profonde. Les elfes écoutèrent ses paroles avec épouvante. L'une d'entre elles s'était rattrapée à l'étagère qui la jouxtait, une autre s'assit sur le tabouret abandonné, la troisième demeura défiante.
" Comment pouvez-vous être sûr que ce ne sont pas des mensonges ? demanda-t-elle, coléreuse.
— Je viens de passer plusieurs jours à l'extraction, dans un endroit où on dépèce des elfes, petit à petit, en tâchant de les maintenir vivants le plus longtemps possible... Je les ai entendus hurler, supplier, gémir et crever. On commence par le visage, on prélève tout, yeux, oreilles, nez, dents, langue, lèvres, on ouvre les chairs pour extraire les os, on les écorche...
— Taisez-vous !"
Kerun haussa les épaules.
" Pourquoi faire une chose pareille ? demanda une autre. Pourquoi ?
— Parce que les organes prélevés à vif sont vendus plus cher, murmura Trent. Parce qu'ils gardent davantage leurs vertus...
— Diablerie...
— Nous vous aiderons. Où devons-nous emmener les malades ?"

[Taliesin]

Taliesin ne poussa aucun soupir de soulagement, car il se demandait bien comment elles allaient réagir lorsqu'elles connaîtraient leur destination...
-Là où se pratiquaient les extractions, avoua-t-il. Je sais que cela peut paraître choquant mais, d'un point de vue pragmatique... C'est le seul secteur que nous contrôlons entièrement, pour l'heure, et il est défendable, à l'inverse des enclaves qui sont de pures prisons, qui sont bâties de manière à faciliter la surveillance des prisonniers et les assauts des geôliers. De plus, agir ainsi est symbolique. C'est même plus que cela, en fait. Je crois... Je crois que transformer ce lieu de torture en lieu de soins, ce lieu de mort en lieu de vie, constitue le meilleur moyen de purifier le Refuge, de modifier réellement sa nature profonde.

[Galathée]

Mais celle qui avait décidé de les aider ne s'offusqua en rien de la destination. Comme ses deux compagnes oscillaient entre révolte et désespoir, elle prit un moment pour leur parler, tentant de les convaincre.
" Nous avons un besoin criant d'alliés, lui dit alors Kerun à l'oreille. Transporter les malades va prendre un temps dingue, il y a ce Cullyn qui reste une menace, même saucissonné, et Trent n'est pas fiable. Penses-tu pouvoir te rendre à l'enclave des elfes du soleil sans moi ? Le temps passe et nous avançons peu. Je crains que le jour ne nous surprenne alors que nous n'en sommes encore nulle part..."
Il eut un sourire ironique.
" Pour un Luménien, ce serait le comble."

[Taliesin]

-Malheureusement, l'enclave des solaires est surveillée. J'arriverai probablement à m'y faufiler avec Trent sans être repéré, d'autant que je dispose d'une issue secrète. Mais ressortir ni vu ni connu en compagnie des prisonniers... Impossible. Capturer ou éliminer les gardes sera donc nécessaire. Le faire à l'aller, à moi seul, je n'en suis pas capable. Le tenter au retour, avec des alliés, est déjà plus envisageable, mais... Je doute que nous puissions empêcher certains ennemis de fuir et de donner l'alerte.

[Galathée]

" D'accord, je viens. Laissons les malades ici en attendant, nous les transporterons en revenant de l'enclave des solaires. Les elfes valides pourront nous aider. Il faut qu'on décide pour ce Cullyn. Tu as l'air de le penser pourri jusqu'à la moelle... Je ne sais pas sur quoi tu te bases ? Les soignantes sont trop fragiles pour que nous prenions le risque de le laisser avec elles, mais je peux éventuellement aller l'attacher dans un arbre, à l'extérieur. C'est aussi le moment de faire des réserves de matériel... Je n'ai rien vu de bien tranchant, à nouveau, mais Cullyn avait son matériel avec lui."

[Taliesin]

-Il me semble que le rôle de Cullyn était de détecter et de signaler les profils sortant de l'ordinaire afin qu'on les envoie directement à la mort. Il a ainsi remarqué que j'avais de bonnes capacités respiratoires, et j'aurais fini à l'extraction si je n'avais pas bluffé en prétendant que j'étais un simple professeur... Quoi qu'il en soit, l'attacher hors d'atteinte des soignantes me paraît une bonne solution. En attendant ton retour, je leur parlerai, pour m'assurer qu'elles ne feront rien d'irréfléchi. Ensuite, nous partirons pour l'enclave : si nous parvenons à mettre tous les gardes hors d'état de nuire avant d'entrer, tu pourras revenir ici et superviser le transfert des malades. Je te rejoindrai avec les solaires. Enfin, avec ceux qui accepteront de nous écouter.

[Galathée]

Kerun sourit.
" Ils accepteront tous de t'écouter, Taliesin, fit-il en posant une main sur son épaule. Tu t'en défends, mais tu as gardé ça en toi. Pour notre bien à tous."
Puis il fit volte-face, pressa le bras de Trent qui s'était assis contre un mur, et remonta le couloir de son pas alerte, laissant le barde aux prises avec les trois elfes. La discussion semblait ne pas vouloir en finir, l'une d'entre elles pleurait à présent, le visage dans ses mains, et les deux autres s'invectivaient avec virulence.

[Taliesin]

Se demandant si les amener à collaborer toutes les trois ne serait pas chose impossible, au final, le barde s'approcha des soignantes.
-Veuillez m'excuser... commença-t-il d'une voix douce. Quand Calanon sera de retour, d'ici quelques minutes, nous partirons avec Trent pour libérer les solaires. D'ici là, pensez-vous pouvoir rassembler les réserves d'antidote et préparer le transfert de vos patients ? Rassurez-vous, vous ne serez pas seules très longtemps : Calanon reviendra vite vous aider, avant que Trent et moi-même ne le fassions de même avec mes congénères. Cependant, plus rapide sera le déplacement des malades, mieux ce sera car, les sachant en sûreté, nous serons plus libres pour tenter de sauver les autres captifs. Bref, il est donc impératif de commencer, dès à présent, à préparer l'opération.

[Galathée]

Une des elfes obtempéra aussitôt, entraînant sa consoeur éplorée sur ses pas, et elles s'engouffrèrent dans une pièce voisine. La troisième semblait ne pouvoir se remettre de son indignation.
" Je ne vous crois pas ! s'exclama-t-elle à nouveau. Je ne le crois pas non plus !"
Elle désignait Trent qui, les yeux fermés, demeurait prostré contre le mur.
" Qu'avez-vous fait de Cullyn ?! Je travaille avec lui depuis des années ! Je sais à qui va ma confiance, ma loyauté ! Vous n'êtes qu'un menteur, un envoyé des Mélandiens qui veulent détruire ce havre et nous récupérer tous !"

[Taliesin]

-Cullyn est et restera en vie jusqu'à ce que tout cela soit terminé. Ensuite, ce seront les prisonniers qui décideront de son sort. Ils pourront juger en toute conscience, puisqu'ils connaîtront alors la vérité.
Il soupira.
-Je comprends que vous refusiez de la croire. Moi-même, malgré mes soupçons, je n'ai pu l'admettre qu'après avoir eu les preuves sous les yeux. Je pourrais vous les décrire par le menu, mais je n'en ai pas le temps. Il me faut pallier au plus urgent, mettre un maximum d'elfes à l'abri avant que ne pointe le jour.
Il la regarda bien en face.
-Comme je l'ai dit, je respecte votre décision. Cependant, je ne peux prendre le risque de vous laisser en liberté : si vous prévenez les sbires de Maebryn, ce seront des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants que les gardes passeront par le fil de l'épée. Aussi, et croyez bien que j'en suis désolé, je vais devoir vous enfermer. Cela ne sera pas long, toutefois : dès mon retour, je vous libérerai et vous nous accompagnerez jusqu'à l'extraction. Quand vous aurez vu ces sinistres installations... j'espère que vous nous croirez enfin. Mais, même si ce n'était pas le cas, vous n'auriez à redouter aucun mauvais traitement : nous ne sommes pas des bourreaux.

[Galathée]

La colère déforma ses traits.
" Vous n'oseriez pas, infâme traître !" glapit-elle en faisant un pas en arrière dans la réserve.
En une seconde, elle s'était saisie du tabouret abandonné et, avec conviction, elle tenta d'en asséner un coup à Taliesin, de toutes ses forces.

[Taliesin]

Le barde, qui se tenait sur ses gardes, parvint à éviter lestement le furieux assaut.
-Vous devriez cesser, madame, dit-il, apparemment tranquille, après avoir reculé hors de portée. Parce que quand vous comprendrez votre erreur, vous regretterez sans doute d'avoir gaspillé vos forces au profit de nos bourreaux et, par conséquent, d'être trop fatiguée pour pouvoir soulager et soigner tous ceux qui en auront besoin.
Sans relâcher sa vigilance, il croisa les bras.
-Je pourrais vous contraindre par la force ou par la magie. Mais je m'y refuse. Nous le libérons pas le Refuge pour y instaurer une nouvelle tyrannie semblable à celle de Maebryn. Nous continuerons donc ce petit jeu jusqu'à ce que vous soyez épuisée, jusqu'à ce que je puisse vous prendre par la main et vous conduire dans la pièce où vous devrez attendre une heure tout au plus.

[Galathée]

Mais elle se refusait à pareille capitulation. Elle lâcha donc le tabouret et se rua vers lui, avec la ferme intention de le bousculer pour filer ensuite dans le couloir, le plus loin possible, le plus vite possible, au dehors, sans doute pour aller chercher de l'aide. Taliesin n'était pas sans ressources mais elle était vive et déterminée et elle tenta de le marteler de ses poings.

[Taliesin]

L'elfe fit tout son possible pour l'empêcher de passer, pour lui saisir les mains et, plus difficile encore, pour en garder la maîtrise, le tout en restant parfaitement calme. Mais sur ce dernier point, il échoua : que ce soit à cause des coups reçus ou de la nécessité d'agir vite, il sortit de ses gonds, resserra sa prise sur les poignets de la femme en se moquant bien de lui faire mal puis reprit la parole en haussant sensiblement le ton :
-Ça suffit ! gronda-t-il. Que vous ne me croyez pas, soit. Mais que vous me preniez pour un Mélandien, je ne saurais l'accepter ! Êtes-vous complètement demeurée ou bien n'en avez-vous jamais croisés de toute votre vie ? Ne comprenez-vous pas que, si j'en étais un, je vous aurais étalée au sol d'un bon coup de poing puis violée séance tenante, pendant que mon ami ferait de même avec vos consœurs ou égorgerait vos patients ? Servez-vous un peu de votre cervelle, bons dieux !

[Galathée]

" Je les connais, les Mélandiens, leurs beaux discours, leurs mensonges ! Je n'y retournerai jamais, vous m'entendez, jamais, ordure !"
Elle tenta cette fois de lui flanquer un coup de genou dans un endroit extrêmement sensible de son anatomie et il n'y échappa que parce qu'elle fut gênée par ses propres jupes. Puis elle se mit à hurler à pleins poumons. Kerun survint en bout de couloir et s'approcha au pas de course. Tandis que Taliesin tenait toujours les poignets de la jeune femme, il la bâillonna d'une main.
" Un souci ?"

[Taliesin]

-Elle est devenue folle furieuse. Impossible de la raisonner par des mots, et comme je n'ai pas pu me résoudre à employer la manière forte... A mon avis, Cullyn est son amant, ce qui explique son attitude. Enfin, je me trompe peut-être. En tout cas, on doit s'attendre à rencontrer pas mal d'elfes refusant obstinément de croire la vérité. Maebryn et ses séides ont tellement bien échafaudé leur plan, ils ont tellement bien profité du besoin qu'ont ces gens de penser qu'ils sont en lieu sûr...
Il posa sur la soignante un regard où la colère avait cédé la place à la pitié.
-Désolé, madame, mais vous ne nous avez pas laissé le choix. J'espère que vous tiendrez le coup, quand vous comprendrez enfin que nous ne sommes pas des menteurs. Parce que nous aurons besoin de toutes les volontés pour éviter un massacre.

[Galathée]

Kerun grimaça puis prit une bande de tissu dans sa poche —il avait manifestement fait des stocks— et bâillonna la jeune femme. Elle ouvrit des yeux ronds d'outrage mais ne put pas se défendre lorsqu'il lui lia ensuite les poignets dans le dos et les chevilles. Il la prit ensuite dans ses bras, comme une jeune mariée, et soupira. Elle essaya de lui donner des coups de pied, mais il la changea de position pour l'empêcher de l'atteindre.
" Bon, je vais l'attacher dehors, elle aussi. Ses amies auront vite fait de la libérer si nous les laissons ensemble. Il faudra qu'on garde le compte des gens qu'on laisse dans les arbres, sinon on risque d'en oublier."
Il eut un léger sourire, qui disparut aussitôt.
" Pendant ce temps, je te suggère de retrouver rapidement Trent."
L'assistant avait effectivement abandonné son coin de mur.

[Taliesin]

-Bordel... lâcha-t-il, la mine déconfite, avant de se reprendre. Bon, s'il était sorti, tu l'aurais vu ou entendu passer. Il doit donc être encore à l'intérieur...
Et de se lancer aussitôt aux trousses de l'assistant, croisant les doigts pour qu'il n'ait pas pris la fuite, pour qu'ils n'aient pas commis une grave erreur en lui accordant, au moins en partie, leur confiance. Sans son aide, la suite promettait d'être bien plus ardue... Sans parler de ce qui se produirait s'il donnait l'alarme.

[Galathée]

Il ne fut pas difficile à Taliesin de pister l'assistant en fuite : il avait marché pieds nus dans la forêt et laissé des traces d'humus brun sombre dans les couloirs de l'hospice. Celles-ci s'interrompaient devant une porte entrouverte, que le barde put pousser, surprenant Trent qui poussa un cri de surprise angoissé. Il ne fallut qu'une seconde à Taliesin pour réaliser que le demi-elfe s'était profondément entaillé le bras gauche à l'aide d'un stylet qu'il avait sans doute trouvé dans la pièce où il se trouvait. Il fit un pas en arrière, le visage décomposé par la peur, et laissa tomber son semblant d'arme. Le sang dégouttait sur le sol, lentement.

[Taliesin]

-Trent... souffla Taliesin, complètement pris au dépourvu.
Il songea à avancer pour lui prendre le bras, pour le soigner. Il n'en fit rien.
-Trent... répéta-t-il, d'une voix un peu plus forte. Je comprends que tu souhaites en finir. Les dieux m'en soient témoins, je comprends mieux que tu ne saurais l'imaginer. Mais... On a besoin de toi. Tu peux nous aider à convaincre les prisonniers, comme tu l'as fait, ici, avec les Soignantes. Tu peux nous aider à les mettre à l'abri, aussi, à les protéger, à les sauver...
Il chercha le regard de l'assistant.
-Que tu t'infliges une telle fin... Je trouverais cela horrible. Horrible et immérité. Cependant, si tel est ton choix, je le respecterai. Je te demande juste d'attendre que nous ayons libéré le Refuge. Ensuite, si tu n'es pas revenu sur ta décision... Je te laisserai libre de partir. Je t'en fais le serment.

[Galathée]

L'assistant regarda son bras, le levant devant ses yeux, lentement, puis se mit à gémir. Il se laissa tomber lourdement sur le sol, et demeura assis, secoué par des sanglots silencieux. Taliesin le vit crisper le poing droit, convulsivement, tandis que le sang continuait à s'écouler de son bras gauche. Il était à mille lieues de l'homme sûr de lui, un peu provocateur, que le barde avait côtoyé dans l'enclave des solaires, quelques heures plus tôt. Quelque chose avait l'air de s'être cassé à l'intérieur de lui.
" Tu l'as trouvé ? demanda Kerun, derrière lui, avant de passer la tête par-dessus son épaule. Ah bouse."

[Taliesin]

-Tu veux bien m'aider à lui faire un garrot ? Ensuite, je crois que je devrai lui lancer un sort de soin : on ne peut pas le laisser dans cet état...
Il s'assit près de l'assistant et, spontanément, lui passa un bras réconfortant autour des épaules. Certes, ils devaient le remettre sur pied, pour qu'il soit en mesure de les aider, pour que les elfes ne croient pas qu'ils l'aient torturé. Mais son geste était motivé par autre chose que l'urgence, par autre chose que le pragmatisme. Car il croyait parfaitement savoir ce qu'éprouvait le demi-elfe. Entre monstres repentis, l'on se comprend. Même si, à son avis, Trent n'avait jamais été aussi monstrueux que lui-même...

[Galathée]

Kerun intervint avec les gestes calmes et précis de celui qui a déjà fait la chose mille fois au cours d'interventions avortées. Taliesin put ensuite incanter et la blessure qui avait maculé l'avant-bras du demi-elfe disparut.
" Je vais lui trouver quelque chose pour le requinquer. Mettez-vous en route, déjà, je vous rattraperai. Nous ne pouvons plus perdre de temps."
Le Luménien quitta la petite pièce. Trent se remit debout en s'appuyant sur le barde et le suivit docilement tandis qu'il le guidait vers l'extérieur.
" Je suis vraiment désolé..." souffla-t-il lorsqu'ils franchirent la porte pour rejoindre la nuit.

HRP : tu peux les emmener jusqu'à la première enceinte...

[Taliesin]

-Tu ne dois pas l'être. Quand je t'ai dit que je comprenais ce que tu ressens... Ce n'était pas des paroles en l'air, crois moi. Je te comprends vraiment.
Il observa le chemin qui s'étendait devant eux, désert, comme tous les autres. Ils leur fallait impérativement profiter de la nuit au maximum car, le jour venu, circuler entre les différents secteurs du Refuge n'aurait plus rien d'une promenade de santé.
-Voilà ce que nous allons faire, reprit-il en accélérant légèrement le pas. Calanon et moi irons nous occuper des gardes. Puis nous reviendrons te chercher et nous entrerons ensemble dans l'enclave. Vous m'attendrez non loin des portes pendant que je gagnerai le village pour parler au solaire à qui j'ai promis de rapporter des preuves. Je lui dirai que j'ai trouvé un témoin, sans te nommer, lui ferai jurer de ne pas s'en prendre à lui. Enfin, je vous l'amènerai. Quoi qu'il advienne ensuite, Trent, tu n'auras rien à craindre : nous te protégerons, dussions-nous repousser les plus vindicatifs en agitant nos armes sous leur nez.
Quelques minutes plus tard, ils s'immobilisèrent : la première enceinte était en vue. A présent, les choses sérieuses allaient vraiment commencer.

[Galathée]

Kerun revint peu après et tendit une flasque à Trent.
" Cullyn a mauvais goût, mais ça devrait te requinquer."
L'assistant huma le breuvage, en prit une gorgée et se mit à tousser. L'elfe des bois lui asséna quelques tapes amicales dans le dos puis se tourna vers Taliesin.
" Je vais l'attacher. Je suis désolé, je sais que tu n'approuves pas, mais si je ne le fais pas, nous ne savons pas ce qui peut survenir."
Il décrocha une longue lanière de cuir de sa ceinture et la présenta à l'assistant, sans attendre la réaction du barde.
" Trent, je vais devoir t'entraver. Je ne le fais pas de gaieté de coeur, crois-moi."
Le demi-elfe parut surpris, presque choqué, et son regard inquiet se planta dans celui de Taliesin.

[Taliesin]

Le barde soupira.
-Je suis désolé, Trent, mais... Je pense que c'est mieux. Dans ton état, tu pourrais vouloir à nouveau... Enfin, tu vois. Or, on a vraiment besoin de toi. Tous les prisonniers ont besoin de toi.
Il lui adressa un sourire navré, lui serra l'épaule puis ajouta :
-Mais aucun garde ne passera par ici et, de toute façon, nous serons vite de retour. Là encore, je te donne ma parole : on ne va pas te laisser tomber.
Puis il s'écarta pour laisser faire Kerun, non sans jeter à ce dernier un regard vaguement courroucé. Car il avait menti : il ne pensait pas que l'assistant aurait à nouveau tenté de se supprimer. Il ne croyait pas, non plus, qu'il aurait essayé de donner l'alerte. Cependant, se disputer avec le Luménien n'était sans doute pas une bonne idée...

[Galathée]

Kerun accepta la remontrance muette sans se formaliser. Il entraîna Trent à l'écart pour ne pas que Taliesin ait à assister à la scène et pendant un moment, le barde resta seul entre les arbres, seul avec le vent et la nuit, et la multitude de choses qu'ils devaient encore faire avant le lever du soleil. Puis le Luménien revint, parut sur le point de dire quelque chose et renonça, et entraîna le barde vers l'enceinte.
" Nous devons nous assurer que la voie est complètement libre. Il faudra que nous interrogions le chef de cette bande pour être certains que nous les avons tous. Ils risquent d'être un peu plus coriaces que Trent..."
Sa voix s'infléchit sur ces derniers mots et il parut désolé, un instant. Puis son expression se fit grave, puis elle s'éclaira.
" Changement de programme." annonça-t-il et il retourna dans les bois.
Il revint avec l'assistant, qui paraissait complètement éberlué.
" Bon. Trent va retourner vers l'enclave avec toi. Les gardes penseront que tu as été sorti avant le changement d'équipe. Ils se poseront peut-être des questions mais Trent est irréprochable, comme il l'a dit, et peut donc agir à sa guise. Combien sont-ils à l'enceinte extérieure ?
— Six, normalement. Deux sont aux tours, deux au sol, et deux patrouillent.
— Bon, dans ce cas, vous allez occuper ceux au sol pendant que je m'occupe des deux qui sont perchés. Ensuite, vous avancerez vers la seconde enceinte pendant que je cherche les patrouilleurs."
Il se tourna vers Taliesin.
" Ça te parait jouable ?"

[Taliesin]

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'intéressé ne paraissait guère enthousiaste.
-J'avais imaginé que nous procéderions comme à l'extraction... Mais effectivement, si quelque chose clochait, les gardes de la deuxième enceinte s'en rendraient compte, laisseraient la grille close et seraient fichus d'aller prendre des otages. Alors d'accord, procédons ainsi.
Sur un soupire, il tira son épée.
-Il vaut mieux que tu la prennes, Calanon. Aux baraquements, l'extracteur était trop ivre pour la remarquer, mais ici... Elle ne passerait pas inaperçue.