[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences

[Galathée]

La jeune drow leur souhaita la bonne nuit puis s'éclipsa, les laissant à nouveau entre eux. Constance se prit la tête entre les mains et soupira.
" Que feras-tu s'ils suggèrent de vendre Greta et Gauthier ? demanda alors Guéric. Vu ce qu'ils ont fait, ce serait tout à fait approprié.
— Ils me laisseront seule juge. Et je ne ferai pas une chose pareille. Je rentrerai avec eux à Luménis, en cale, et je les remettrai à Seskan. Il décidera. Il est notre chef. Et il est toujours luménien.
— Tu vas lui refiler le problème insoluble. Il les débarquera sans doute simplement en les agonissant d'une bonne bordée d'injures, rien de plus.
— Nous sommes une association clandestine. Nous ne pouvons pas punir nos propres membres par des moyens légaux. C'est ainsi. Je sais que la sentence qui a été prononcée envers les agents luméniens était cruelle, mais quelle était l'alternative ? Les tuer ? Aurait-ce été préférable ?"

[Taliesin]

-Ils auraient pu les garder prisonniers jusqu'à l'arrivée de l'un de vos navires puis les réexpédier, à leur bord, jusqu'à leurs supérieurs. Le message ainsi adressé par la Réunion aux autorités luméniennes aurait été clair : "Nous ne sommes pas vos ennemis, nous n'avons pas fait de mal à vos espions, mais fichez-nous la paix". Je n'arrive pas à comprendre qu'ils aient pu ne pas opter pour cette solution, qu'ils aient pu choisir la déclaration de guerre... C'est totalement contre-productif. C'est même carrément suicidaire.
Il regarda sans vraiment la voir la bouteille apportée par Lena.
-Quant à Greta et Gauthier, je crois que le mieux serait effectivement de les renvoyer à Luménis. Au final, leurs manigances n'ont causé aucun mal : elles ont même provoqué du bien. Rien ne justifie donc qu'ils soient asservis. D'ailleurs... Je n'ai sans doute pas mon mot à dire, mais si une telle solution était choisie, je m'y opposerai. Personne ne devrait connaître un tel destin. Personne.
Et s'il n'avait pas lamentablement échoué, personne, à Melandis, ne le connaîtrait plus, désormais.

[Galathée]

" Taliesin, je ne cautionne pas ce qui est arrivé aux deux agents luméniens... Mais je crois qu'il faut comprendre... le passif que certains ont avec les services secrets. Ceux-ci n'ont pas eu un rôle toujours très net pendant la dictature morféenne et certains des membres de la Réunion en ont directement souffert... Certains sont arrivés jusqu'ici, enchaînés, sans que personne ne bouge pour les sauver, alors même que l'information était disponible... C'est difficile... d'avoir ta bonté. Elle est ancrée dans ta nature elfique, peut-être, et la longueur de ton existence. Tu as une résilience que peu d'entre nous peuvent même concevoir."
Guéric se servit de vin de pissenlits, puis en versa à Constance et au barde.
" Reste qu'il a raison de vouloir prendre une décision.
— Guéric, tu ne peux pas le soutenir...
— Je n'ai pas d'affection particulière pour le Luménien. Bien au contraire. Je suis prêt à lui loger un carreau d'arbalète dans le front, si ça permet à Taliesin de dormir tranquille. Mais pour l'instant, ce problème va limiter notre marge de manoeuvre."

[Taliesin]

-Capitaine... Je doute fort que ma race ait un quelconque rôle dans mon comportement actuel, répondit-il au capitaine. C'est à Galathée et à Victor que je dois d'être ce que je suis aujourd'hui, que je dois d'avoir la force d'avancer sur le chemin de la rédemption... en acceptant tout ce que cela implique. Sans eux, je serais resté ce que le désespoir, la souffrance, la culpabilité et surtout la soif de vengeance avaient fait de moi. Je serais resté le Monstre et je serais mort comme tel. S'il y a une leçon à tirer de tout cela, c'est que se venger n'apporte rien de bon, jamais. En se mettant au niveau de ses ennemis, on s'avilit, on finit même par devenir pire qu'eux. Et l'on n'arrange rien, au contraire : on ne fait qu'empirer les choses... Seul le pardon et la bienveillance permettent vraiment de se relever. Et d'aider les autres à se relever.
Il prit son verre, en lorgna le contenu, décidé d'attendre encore un peu avant de le boire.
-Si j'avais le moindre espoir qu'ils épargnent Kerun, qu'ils ne l'exécutent pas sans rien m'en dire... J'attendrais, j'essayerais de les convaincre. Mais comme ce n'est pas le cas, je dois le libérer. Et, ce faisant, je sauverai peut-être la Réunion. Parce que si Kerun ne rentre pas...Certes, les Luméniens pourraient m'accuser de l'avoir tué. Mais ils pourraient aussi accuser l'organisation. Trois agents secrets disparus sans laisser de traces, alors qu'ils l'avaient infiltrée ou devaient la rejoindre... C'est quand même très louche, non ?

[Galathée]

Constance secoua la tête.
" Mais comment allons-nous faire pour sauver la soeur de Fred et George, le fils de Loukian et Noéline, le fiancé de Bérénice, si tu nous laisses ? murmura-t-elle, désoeuvrée.
— Peut-être que tu peux libérer Kerun, lui parler, puis nous revenir. Ybarra sera furieuse que tu lui aies ravi sa vengeance, mais ce sera un mieux pour nous tous, dit Guéric. Ils n'oseront pas s'en prendre à toi. L'un dans l'autre, je te suggérerais d'aller chercher tes affaires rapidement. Je t'aiderai à vous faire sortir.
— Guéric ?!
— La présence de cet agent secret est en train de mettre toute notre organisation en danger. A posteriori, je maudis le moment où j'ai proposé de l'embarquer. Mais nous devons empêcher l'escalade... et pour ça, il faut qu'il disparaisse."

[Taliesin]

-Pardon pour ce que je vais dire, mais... Je crois que l'organisation était minée avant que Kerun n'arrive en son sein. Prendre d'énormes précautions et s'adapter à Melandis pour ne pas qu'elle soit découverte, c'est absolument indispensable. Mais adopter des pratiques mélandiennes pour se débarrasser de Luméniens, fussent-ils des espions, alors qu'il existait d'autres solutions, rien ne le justifie. C'est même tout le contraire : en accomplissant cet acte, la Réunion a non seulement déclaré la guerre aux services secrets et au gouvernement, compromettant gravement son avenir, mais elle a aussi terriblement compromis sa sécurité. Que se passera-t-il, si les agents asservis dévoilent à leurs maîtres ce qui se trame ici ? Certes, des précautions ont sans doute été prises... Peut-être les clercs ou les mages du groupe leur ont ils effacé tout ou partie de leurs souvenirs... Et s'ils n'en avaient pas les moyens, peut-être leur-ont ils tout simplement tranché la langue. Dans tous les cas, est-ce qu'en arriver là n'est pas... alarmant ? Et puis, vous l'avez dit, tout le monde n'était pas d'accord avec cette décision, elle a laissé des traces...
Tout cela provoquait en lui un profond malaise et il se demandait s'il arriverait à collaborer avec ces gens. Il avait entière confiance en Constance et Guéric ; les autres, cependant... Il ne les connaissait pas, ne devait, pour l'heure, s'en remettre qu'à quelques impressions, parfois positives, et à des informations, très négatives, pour le coup.
-Je suis fatigué, éprouvé et j'ai probablement tendance à voir tout en noir, reprit-il. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas certain qu'Ybarra me pardonne ou qu'elle ne songe pas à me faire subir des représailles : pragmatique comme elle semble l'être, elle doit penser que je suis une menace, vu mon... passé. Et quand une menace potentielle se met à enfreindre les règles, à libérer des prisonniers... Enfin, peu importe : c'est elle qui m'oblige à être un parjure, ce sont ses intentions qui me contraignent à ne pas tenir parole et à sauver un ami qu'elle entend éliminer. Alors oui, je vais le libérer. Pour le reste...
Il grimaça, jeta un regard embarrassé à ses compagnons.
-Je ne sais pas si je resterai ou si je partirai. Franchement, avez-vous l'impression qu'on me laissera sortir dans Melandis, qu'on me laissera participer aux recherches, si je demeure parmi vous ? Rien ne me paraît moins sûr...

[Galathée]

" Je n'en sais rien, dit Constance. Ybarra n'est pas seule à décider, elle est pragmatique et dure, et c'est probablement ce qui a permis à la Réunion de survivre, ici, à Mélandis.
— C'est sûr que ce n'est pas avec Seskan que ça aurait pu marcher...
— Et elle est partisane de la fin justifie les moyens, c'est certain. Sedanius l'appuie généralement, et Arion, que tu ne connais pas, est un peu son bras droit.
— Ou son âme damnée.
— Mais Aliosha, Lena ou Perceval sont d'une autre trempe. Ils ont... ils ont l'enthousiasme luménien, quelque part, sans avoir été gagnés par la noirceur melandienne.
— Ce qui n'en fait pas forcément des alliés très efficaces. Perceval s'est assagi, mais ses initiatives ont parfois provoqué des catastrophes. Et Aliosha est consignée à l'intérieur, plus ou moins. Lena est la seule qui a un réel équilibre. Et puis il y a Meloenn, mais Meloenn... Elle est bizarre. Et Abel n'intervient pas souvent dehors non plus.
— Ybarra voudra te jauger, avant de décider. Elle voudra estimer si elle peut te faire confiance ou pas, si tu sais respecter des consignes, si tu t'en tiens à ce qui est décidé par le groupe... Dans ce contexte, c'est sûr que si Kerun s'évade..."
Elle secoua la tête.
" Va parler à Ybarra. Je suis certaine que tu pourras la convaincre de ne pas le tuer. Elle sera sensible à tes arguments.
— Non. Tu fais mieux de parler à Sedanius. Il pourra la cadrer. Elle est trop bouffée par son ressentiment pour écouter qui que ce soit. Mais il l'empêchera de faire une erreur, pour peu que tu le convainques."

[Taliesin]

-Je ne sais pas... murmura-t-il. Mon arrivée à Mélandis s'est soldée par la révolte des esclaves, mon débarquement à Luménis par un coup d’État puis une guerre civile, mon emprisonnement au Refuge par un soulèvement des captifs. Soit je suis, à mon insu, le champion de quelque divinité du chaos et de l'insurrection, soit une place m'attend, au panthéon. Dans tous les cas, de tels faits devraient m'inciter à ne plus intervenir, à rester les bras croisés... Malheureusement, je ne le puis pas.
Il vida son verre d'une traite. Le vin était merveilleusement bon ; cependant, c'est à peine s'il en sentit le goût.
-Si Ybarra n'est pas seule à décider, si Sedanius est susceptible de m'écouter... Alors oui, je vais aller lui parler. Je préfère ne pas, d'emblée, jeter ma promesse aux orties. Toutefois, si la diplomatie échoue, j'aiderai Kerun à fuir et je le suivrai. Peut-être nous sera-t-il possible d'aider la Réunion depuis l'extérieur. De l'aider malgré elle.

[Galathée]

Constance parut rassurée par ses propos et soupira d'aise.
" Merci, fit-elle simplement. Tu ne le regretteras pas.
— Mais tu fais bien d'aller te coucher si tu espères attraper Sedanius avant leur réunion. Tu as de la chance, les Tyrites prient à l'aube. En général, il fait ça dans la cave, je crois qu'il a un petit autel, ou quelque chose comme ça..."
Le halfelin termina son verre.
" C'est délicieux, cette petite crasse, mais c'est vraiment pour les filles."

[Taliesin]

-C'est gentil de n'avoir pas dit "pour les elfes", répondit-il en se resservant - boire un peu l'aiderait à dormir. Je t'en suis très reconnaissant, Guéric.
Cette fois, il prit le temps de siroter la liqueur.
-Si Solarcis a pour spécialité une telle boisson, il faut croire que les filles y sont particulièrement nombreuses. Il faudrait que je songe à y faire un tour, à l'occasion. En tout bien tout honneur, évidemment ! Simplement, je dois songer aux finances de ma famille, et comme j'ai bon nombre de chansons romantiques en réserve... D'accord, ça n'est pas mon seul registre, mais comme je doute qu'on me laisse encore me produire à Luménis, il faut que j'envisage d'autres options, d'autres lieux... Dire que le conseiller Megrall m'avait chargé d'animer une certaine fête officielle, à la fin de l'automne... C'était une autre époque.

[Galathée]

" Qui irait se perdre à Solarcis, franchement ? Dans le genre patelin sans intérêt, à mon avis, on ne fait pas mieux ! s'exclama Guéric.
— C'est la porte hélonnienne sur le reste de Toril, pourtant. Je suis certaine que c'est beaucoup plus cosmopolite, et donc plus intéressant, que tu le crois."
L'atmosphère s'était sensiblement détendue.
" Reste que je ne crois pas que les filles y soient plus jolies, ou plus nombreuses, qu'ailleurs ! Les Manostiennes me manquent. Elles avaient un sacré tempérament ! Les Luméniennes sont trop gentilles.
— Ce n'est pas ce que tu disais la dernière fois...
— Oui, enfin, il y a des exceptions, c'est certain. Mais la vie de marin ne permet pas les attachements durables. Et entre nous, c'est tant mieux !"

[Taliesin]

-Et les Mélandiennes, quel est ton avis à leur sujet ? s'enquit-il. Bon, d'accord, si j'ai bien compris, on ne te laisse guère sortir lors de tes escales ici. Mais justement, n'y a-t-il pas là un motif tout trouvé pour mettre fin à ton enfermement ? Demain, tu devrais proposer d'aider aux recherches en écumant les maisons de plaisir... Serait-ce si abracadabrant ? Après tout, un client peut avoir des goûts très précis et, à ce titre, s'enquérir de ce que proposent ces établissements sans éveiller les soupçons...

[Galathée]

" Mais ce ne sera pas pour moi... Avec ma jambe de bois, je suis devenu beaucoup trop identifiable. Quelque part, je me suis déjà grillé aux douanes. Je pourrais tenter la chose une fois, mais ensuite... Je pourrais en discuter avec Ybarra, c'est sûr..."
Il jeta un oeil à Constance.
" Cela dit, débusquer une petite rousse de dix-huit ans... Il doit y en avoir trois mille dans les bordels de la ville. Sans compter celles qui font ça dans la rue pour un souteneur embusqué... Ça va me prendre dix ans. D'autant qu'elle pourrait tout autant avoir été envoyée dans une autre cité, ou aux champs, ou être servante dans une belle maison. Il faudra vraiment que ton pipeau nous aide, si nous voulons la récupérer..."

[Taliesin]

-J'espère aussi... Malheureusement, l'instrument est imprévisible, surtout quand les préoccupations sont nombreuses. Qui sait s'il ne me fournira pas les moyens de sauver Kerun ou de retrouver Galathée ? Peut-être vaudrait-il mieux que ce soit quelqu'un d'autre moi qui en joue, quelqu'un dont le souci principal, au moment de la tentative, serait de retrouver Polyanna... Non que je ne veuille pas la retrouver, bien sûr. Mais comme je l'ai dit, j'ai tellement de motifs d'inquiétude... Enfin, nous verrons bien. Ce qui est sûr, c'est que nous devons avant tout compter sur nos propres ressources : si nous... si je mise tout sur le pipeau, il disparaîtra. C'est déjà arrivé.

[Galathée]

" Nous verrons bien, fit Constance. Bon, je vais vous laisser écluser la fin de la bouteille... Je suis fatiguée et... vous avez sûrement des choses à échanger, entre hommes..."
Elle les gratifia d'un clin d'oeil, l'expression un peu embarrassée, puis sortit par la porte qui donnait sur la cour. Elle allait manifestement dormir à bord de la Liberté. Guéric demeura silencieux un moment, puis resservit le barde.
" C'est un coup dur pour Constance... Gauthier est son second depuis des années, depuis bien avant la Réunion... Moi... Moi, je ne suis qu'à moitié surpris. Il y a toujours eu un fond de dureté chez ce gars-là, quelque chose d'un peu fuyant, comme s'il ne parvenait pas à être lui-même... Je pensais qu'il était timide, simplement, qu'il devait jouer un rôle pour assumer son poste de second... Mais voilà... On croit connaître les gens et puis... et puis c'est plus compliqué..."

[Taliesin]

-En même temps, il n'a pas pu jouer constamment la comédie avec toi, et encore moins avec Constance. Ce qu'il a fait ne remet pas en cause la sincérité des bons moments que vous avez passés ensemble. Et... Peut-être que vous en vivrez d'autres. Je sais, dit comme ça, ça peut paraître totalement absurde, mais... Guéric, j'ai été sauvé par Galathée, qui m'avait connu avant que je sombre et qui pensait qu'il restait du bon en mois, malgré les apparence, malgré mes crimes autrement plus odieux que ceux de Gauthier... Grâce à elle, j'ai pu revenir à la lumière, et pourtant les dieux savent à quel point j'en étais éloigné.
Il sourit au halfelin et posa une main sur son épaule.
-Gauthier a fait une énorme connerie, on est d'accord. Il vous a trahis, oui. Mais personne n'est mort par sa faute. Alors, si ses amis arrivent à lui pardonner, s'ils ont la force de lui offrir une seconde chance... Il pourrait retrouver le droit chemin, lui aussi. Ça ne marchera pas forcément, certes... Mais est-ce que ça ne vaut pas le coup d'essayer ?

[Galathée]

" Nous verrons, dit Guéric. Il faudra déjà voir comment il accepte la suite des événements... Je ne serais pas surpris qu'il s'entête... Tu dis que sa traîtrise a débouché sur des choses positives, mais c'est un hasard. Tu aurais pu être livré aux autorités mélandiennes. Tu aurais pu être torturé et exécuté. Et Gauthier le savait parfaitement au moment où il t'a vendu. Que les choses aient tourné autrement... ça ne change rien à son intention et à sa culpabilité. Et tu as le désir, que je comprends mal, certes, mais tu as le désir d'expier ce que tu as fait. A une crapule. Tu étais un héros, après Mersant. Et ça n'a rien changé. Non, Taliesin. Je ne dis pas que je lui tournerai le dos mais... après ce que nous avons traversé, toi et moi, sur cette île maudite... Je n'ai pas tellement envie de lui faire de fleurs en ce moment. Je tâcherai d'avoir ton goût pour le pardon... Mais sans vouloir te vexer... Je le trouve un peu naïf. Et un peu dangereux, aussi."

[Taliesin]

Avant de répondre, le barde contempla un moment le contenu de son verre, qu'il finit par amputer d'une longue lampée.
-Hier, j'ai vu des salles où l'on dépeçait tout vif des hommes, des femmes et des enfants. Cette nuit, j'ai vu les malheureux à qui on réservait cet ignoble destin se soulever et, aveuglés par leur soif de vengeance, massacrer non seulement leurs bourreaux, mais aussi les esclaves employés par ceux-ci, des victimes comme eux, donc. Ils ont aussi tué l'une des personnes à qui ils devaient d'avoir su la vérité : un Ilmate, le confrère d'Ombeline. Parce qu'il voulait juste... Faire ce que ça foi lui commandait. Apaiser les souffrances. Alors... Alors je suis à cran, Guéric. Et j'ai besoin de lumière. terriblement. J'en ai trouvé, ici, grâce à toi, à Constance, aux autres qui, dans l'ensemble, m'ont l'air sympathiques. Mais entre l'emprisonnement de Kerun, la vente des agents secrets...
Il soupira.
-J'ai l'impression que les ténèbres me suivent où que j'aille. Et sans doute ais-je peur que les épreuves, à force de s'accumuler, finissent par me faire sombrer à nouveau. Alors voilà, j'essaie de combattre cela par la bonté, par la bienveillance, par le pardon... Peut-être vais-je trop loin. Mais franchement, je ne vois pas quoi faire d'autre... Rassure-toi, cependant : je ne suis pas naïf. La naïveté m'a trop coûté par le passé.

[Galathée]

HRP : le dialogue impossible pour le MJ sadique

Guéric grimaça.
" Je voudrais trouver quelque chose à te dire... Je ne sais pas pourquoi le destin s'acharne sur toi de la sorte... Mais je suis certain qu'il viendra un moment où tout cela s'arrêtera. J'aurais voulu pouvoir te convaincre qu'il n'était nul besoin pour toi de retourner à Luménis. Et peut-être que quand tu auras ta compagne dans tes bras, quand tu sentiras la vie dans son ventre, juste sous la paume de ta main, tu réaliseras que tu peux remiser tes principes et te faire parjure, retourner sur Hélonna avec la Liberté pour aller enlever Victor, puis voguer vers Solarcis et de là prendre une frégate pour Féérune, et disparaître loin dans des contrées que tu connais peut-être déjà, en oubliant ces années de misère... Peut-être. Je te le souhaite. Si j'étais un barde moitié moins doué que toi, j'essaierais de te convaincre."
Il haussa les épaules.
" Maintenant, pour demain, je ne sais quoi te dire. Sois bienveillant mais lucide, peut-être. Et pense un peu à toi et aux tiens, avant de vouloir soulager tous les malheurs du monde."

[Taliesin]

-Je ne suis pas sûr que j'ai le droit de penser à moi mais... je le fais, tu sais, répondit-il avec un sourire. Si je défends Kerun à ce point, c'est parce que nous nous sommes liés, certes... Mais aussi parce que s'il lui arrive malheur, je ne m'en remettrai pas. Je ne peux plus assumer une once de culpabilité supplémentaire : j'en ai déjà assez pour remplir tout un millénaire.
Il finit son verre.
-En fait, j'aurais dû embarquer Victor avec moi. Quand il est là, je passe tellement de temps à m'inquiéter pour lui que je ne pense guère à autre chose. Ou, du moins, le reste me semble moins grave... Alors que là, et bien... Je suis obligé de prendre Kerun comme substitut !
Il les resservit tous deux.
-Ce qui me mine, en réalité, c'est de rester inactif. Quand je n'ai rien à faire, je broie du noir... Alors on va s'occuper. Une fois la bouteille terminée, je convoquerai un instrument et je chanterai à tue-tête. Les autres, furieux à cause du bruit, viendront un à un, et j'en profiterai pour les rallier à ma cause au fur et à mesure !

[Galathée]

Guéric se mit à rire.
" Tu es complètement fou !"
Son regard se fit malicieux.
" Mais si tu aimes ce genre de folie douce, je t'enjoins de te préparer à rencontrer Meloenn. Je ne sais pas si elle va te plaire... Ou plutôt si... Elle va te plaire ! Seuls les troncs d'arbre, les statues et les paladins sont indifférents à Meloenn. Un peu comme toi. Mais en féminin. Et Meloenn est du genre à chanter au coeur de la nuit. C'est d'ailleurs ce qu'elle doit être en train de faire... et si nous traînons encore un peu... Non. Elle est aussi du genre à coucher à droite à gauche. Il faudra attendre demain. Mais elle te plaira !"

[Taliesin]

-C'est impossible ! affirma-t-il, se redressant et bombant le torse. Dans ma lointaine et tumultueuse jeunesse, je ne dis pas. Mais aujourd'hui que je suis en couple, je suis pire qu'un paladin ! Les autres femmes ne comptent pas, elles sont même invisibles. Ou, plutôt, je les vois comme... Comme des hommes, voilà ! Ainsi, aussi charmante soit-elle, Meloenn me laissera-t-elle de marbre. Au mieux lui porterai-je un intérêt strictement professionnel, puisque nous partageons le même métier, et l'envisagerai-je comme un collègue de travail au sein de la Réunion. Cependant, il est plus probable que je ne la remarque même pas !

[Galathée]

" Je voudrais bien voir, ça ! s'exclama Guéric. Mais de toute façon, même si tu devais ne pas la voir, tu auras un problème... Car elle va te voir. Et elle ne va pas te rater, crois-moi. Tu n'aurais pas dû te laver. Et j'espère que tu as conservé les nippes répugnantes avec lesquelles tu es arrivé. Parce qu'elles te seront utiles. Tu devrais peut-être aussi frotter ton visage avec un vieux poisson pourri de la Houleuse. Mais ce ne sera pas suffisant non plus. Est-ce que tu veux que je te casse le nez ?"
Il voulut leur resservir un verre mais constata que la bouteille était vide et grommela, avant de descendre de sa chaise.
" Je vais aller nous chercher autre chose. D'un peu plus fort. Cette Lena est sympathique mais elle est pingre comme une naine."

[Taliesin]

-Attends...
Il avait terriblement envie de s'enivrer, mais c'était sans doute une très, très mauvaise idée.
-N'oublie pas que, demain, je dois me lever aux aurores, avant la réunion... Et vu le sommeil en retard que j'ai accumulé, j'aurai sans doute besoin de quelqu'un pour me tirer des limbes. J'aurais bien demandé à Constance mais, comme elle est partie, je dois te confier cette tâche cruciale, même si je sais que tu aimes faire la grasse matinée. Alors, il vaudrait sans doute mieux remettre notre beuverie à une autre fois, non ?

[Galathée]

" Sauf que tu seras peut-être parti demain soir..." grommela Guéric.
Il empila les verres, glissa la bouteille sous son bras, et emporta le tout vers les cuisines. Il reparut au moment où Taliesin le rejoignait dans le couloir.
" Va te mettre dans tes couvertures... Je vais piéger la porte de la chambre de Sedanius pour qu'on l'entende au moment où il la quitte... C'est le printemps, le soleil se lève de plus en plus tôt et même si on ne le voit pas souvent, avec toute cette crasse soulevée par Mélandis, Sedanius le sent dans ses tripes de clerc, lui... Donc c'est plus prudent. Je ne me fierais pas à mon sens du matin, je n'ai jamais été du matin."
Puis, sans attendre le barde, il s'engagea dans l'escalier qui menait aux chambres.

HRP : tu peux régler la nuit, si tu le désires, ou poursuivre la conversation, à ta guise Vu les récents événements, je te laisse décider de la tonalité de tes pensées et de tes rêves obscuuuuurs...

[Taliesin]

Taliesin lui emboîta le pas mais seulement jusqu'à la chambre qu'ils occupaient tous deux, désormais. Il franchit la porte, se dévêtit et se coucha sans tarder. Lorsque sa tête reposa sur l'oreiller, il comprit que sa longue sieste de l'après-midi n'avait fait qu'atténuer temporairement son épuisement, car celui-ci, sans doute aidé par l'alcool, réclama son dû avec tant d'instance que l'elfe sombra après seulement quelques minutes. Malheureusement, sa fatigue était aussi mentale que physique, si bien que son sommeil, loin d'être paisible, fut au contraire peuplé de cauchemars.
Dans l'un d'entre eux, il se réveillait trop tard, trouvait la cave déserte puis, s'étant rué vers l'entrepôt, il y découvrait Kerun mort, entouré des membres de la Réunion tenant tous une dague ensanglantée à la main...
Dans un autre, Ybarra lui expliquait que Gauthier et Greta avaient obéi aux règles de l'organisation, qu'ils avaient agi afin de la protéger ; par conséquent, le premier était nommé capitaine de la Liberté, la deuxième devenant son second ; et quand, atterré, il s'enquit de Constance et de Guéric, elle exhiba sous ses yeux leurs têtes tranchées, arguant qu'il les avait pervertis et qu'il avait donc fallu s'en débarrasser...
Dans un troisième, le conseiller Longuehune, en tenue de juge, le pointait du doigt, l'accusant d'être à la solde des Melandiens et d'avoir tué les agents secrets ; il le condamnait donc à la décapitation, tandis que tous ses complices, Victor en premier lieu, seraient vendus comme esclaves...
Enfin, dans le plus affreux, le plus ignoble de ces mauvais songes, Galathée, leur bébé dans les bras, lui apprenait que son propriétaire l'avait affranchie et épousée, avant d'adopter l'enfant ; puis elle lui intimait de partir sans tarder : "Tu apportes le malheur partout avec toi, Taliesin, et tu fais souffrir tous ceux que tu approches. Alors, si tu nous aimes vraiment, va-t-en et oublie nous. Nous avons enfin trouvé le bonheur : ne le gâche pas. Pitié, ne le gâche pas...
L'instant suivant, il s'éveillait en sursaut, le corps baigné de sueur, les joues baignées de larmes et la bouche encore ouverte sur un cri silencieux.

[Galathée]

Le ciel était encore sombre au dehors et Guéric ronflait doucement, disparaissait sous une montagne invraisemblable de couvertures. Taliesin ne parvint pas à retrouver le sommeil. Autour de lui, la vieille maison craquait, une souris passait de temps en temps sur une poutre, quelque part dans les hauteurs, et il entendait, distant, le gémissement des bateaux amarrés sur la Houleuse. Il y eut des éclats de voix dans la rue, une fois, un ivrogne chantant, une échauffourée lointaine, puis le silence à nouveau. C'était presque étrange.
Puis, alors que la lumière grisait, il y eut un fracas métallique et un juron étouffé, un peu plus loin dans le couloir.
" V'là l'clerc qui s'lève..." commenta le halfelin d'une voix pâteuse, avant de se retourner et de se rendormir aussi sec.

[Taliesin]

S'il avait su que sa nuit serait aussi affreuse, il aurait dit à Guéric de ne pas installer son piège, lequel avait dû mettre le Tyrite de très mauvaise humeur. Mais ce qui était fait... était fait.
Il se leva donc, s'habilla mais ne sortit pas immédiatement : il préférait attendre que Sedanius ait oublié sa mésaventure et qu'il soit apaisé par sa petite cérémonie matinale. Il quitterait donc la chambre dans une ou deux minutes, afin de ne pas le croiser, puis gagnerait la cave, où il ne révélerait sa présence qu'une fois la célébration terminée.

[Galathée]

Mais après une dizaine de minutes de recueillement silencieux, dans un petit espace dégagé de le cave qui n'avait pas grand chose d'une chapelle, le Tyrite sembla détecter sa présence et se retourna, lui jetant un regard incisif, puis amical. Il se releva, épousseta ses genoux poussiéreux et s'approcha du barde, curieux. Sedanius était grand et large, âgé probablement d'une quarantaine d'années, peut-être plus, et ses cheveux blonds étaient déjà striés de gris. Bien qu'il portât des vêtements ordinaires, on l'imaginait aisément en armure, sur un champ de bataille. Il dégageait une impression de solidité sévère mais bienveillante.
" Bien le bonjour. Je ne vous imagine pas en fidèle de Tyr, j'en déduis donc qu'une autre raison vous a poussé à gagner les sous-sols en cette heure matinale... Dites-moi que ce n'est pas déjà l'alcool, et que vous vouliez simplement me parler..."

[Taliesin]

-Ce n'est pas l'alcool, et je voulais simplement vous parler, répondit-il, souriant.
L'accueil du clerc l'ayant encouragé, son sourire n'avait rien de feint.
-Cependant, avant de commencer, je souhaiterais vous demander la permission de m'exprimer en toute franchise, sans détours, sans procédés rhétoriques inutiles. Pour un barde, cela peut paraître fort inhabituel, j'en conviens. Cependant, je crois préférable d'aller droit au but, au vu des circonstances, de ma nuit affreuse, du temps qui presse, de la gravité des sujets dont je compte vous entretenir... Seulement, mon but n'était pas de vous froisser, j'ai jugé important de vous en demander l'autorisation au préalable.