[Haute-Forêt] Quête : Racines

[Voyageuse]

Si la voix du rôdeur manquait de naturel, Tilmandil ne le releva pas. Il eut une grimace de dégoût en apercevant le serpent, comme il pénétrait dans la pièce.
- Tu es sûr que ça se mange ?
- Oui, répliqua Sylvia, et c'est même fameux !
Venant de quelqu'un soi-disant réputé pour sa tourte aux champignons et framboises, la recommandation n'était pas forcément très crédible. Mais Tilmandil parut s'en contenter, et haussa les épaules.
- Vous avez été voir là-haut ?, demanda-t-il en désignant l'escalier. De dehors, les murs ont l'air défoncés, mais le toit semblait tenir... Si ça se trouve on peut espérer un véritable hôtel avec deux chambres ce soir. Celle des filles et celle des gars, ajouta-t-il innocemment, avant de se corriger : Enfin, bon, si vous y tenez, je peux supporter de dormir avec Eärundra et Léo... De toute façon je suis sensé l'aider à le soigner ce soir...
Kasumi aurait juré voir, l'espace d'un instant, le visage de Sylvia s'illuminer à cette idée. Avant qu'elle ne reprenne très vite le contrôle de ses émotions.

[Kasumi]

Kasumi était confus de n’avoir pas même songé à explorer le reste de la tour, bien trop facilement déconcentré qu’il était par d’autres considérations impérieuses. Alors, en un rare moment de lucidité et de sagesse, il se fit le reproche de ne pas être plus attentif à leur mission, à leur sécurité, à la nécessité de rester sur ses gardes en ces terres dangereuses. Il avait été prêt à se laisser surprendre par le serpent et ce n’était là qu’un péril de moindre importance en comparaison de ce qui les attendait plus loin dans les marais. S’il ne faisait pas un effort pour garder davantage le contrôle, l’un d’eux pourrait être mis en danger pas sa faute. Sylvia pourrait en être victime et comment pourrait-il alors se le pardonner ? Il faudrait qu’ils en parlent en privé, pour qu’elle comprenne que faire attention ne remettait rien en cause de ce qu’il ressentait pour elle, qu’il souhaitait toujours autant profiter des moments propices… Il répliqua d’un ton songeur :

- Non, nous n’en avons pas encore eu le temps. Mais je vais remédier à ça pendant que vous vous occupez du campement et de l’ancien occupant des lieux.

Il adressa un regard désolé à la rôdeuse avant de s’éloigner. Décidant qu’un peu de lumière ne nuirait pas à l’opération, il décida de recourir au pouvoir d’Etincelle pour tenter de mettre en lumière les dangers éventuels dans l’escalier dont il avait l’intention de tester soigneusement toutes les marches avant de se risquer à monter vers la trappe.

Kasumi -> Lumière -> Etincelle

[Voyageuse]

La lumière de l'épée illumina l'escalier de bois, ne révélant aucun autre serpent ni même la moindre araignée venimeuse. Les marches, en revanche, paraissaient passablement vermoulues.
Sylvia regarda l'épée avec stupéfaction.
- Tu as une épée... magique ?
Tilmandil, lui, n'était pas autrement surpris.
- Et... Tu comptes jouer les explorateurs tout seul ? Tu n'aurais pas oublié, par hasard, que je suis une rôdeuse aussi expérimentée que toi ?
- Heu... je pense surtout qu'il me sait parfaitement incapable de préparer... ça, intervint Tilmandil en désignant le serpent.
- "Ca" peut attendre... Kasumi, en compte pas sur moi pour te laisser prendre tous les risques. Tu passes devant, puisque tu as la lumière, mais je te couvre !
Et c'était un ton qui n'admettait pas de réplique.

[Kasumi]

Kasumi n’avait pas l’intention de contredire Sylvia bien qu’il doutât que la précaution s’avère nécessaire. Mais il n’était pas non plus dupe que la remarque concernant les risques à prendre était bien plus large que la simple exploration du deuxième étage de la tour en ruines. Il répliqua d'un ton contrit en comprenant qu'il avait peut-être vexé la rôdeuse en cherchant inconsciemment à la ménager :

- Très bien, si ça te rassure. Mais fais bien attention à marcher dans mes pas, ces escaliers ne m’inspirent qu’une confiance des plus limitées.

Ce faisant, il grimpa prudemment, ne prenant appui sur une marche qu’après l’avoir testée du bout du pied. Il en évita une ou deux et les marqua de la pointe de son épée quand elles ne lui paraissaient pas sûres. Puis, arrivant à la trappe, il l’observa un moment à la lumière de son épée puis tenterait de faire pression dessous pour la soulever si rien ne l’en empêchait.

[Voyageuse]

La trappe était un panneau de chêne, épais et lourd, fermé par un loquet qui joua en grinçant lorsqu'il fit appuya dessus. Il eut quelques difficultés à ouvrir la trappe, qui n'avait visiblement pas servi depuis des années... ou peut-être des décennies.
Au-delà se trouvait une pièce identique à la précédente, mais colonisée par les mousses et même un peu de végétation. Tout un pan de mur, à l'ouest, s'était écroulé, laissant un jour béant. Au-dessus de sa tête, un autre plafond de bois tombait en ruine, abritant néanmoins encore la moitié de la pièce. Les derniers rayons du soleil couchant entraient à flot, illuminant l'ensemble d'une lumière mordorée. Il put voir que l'escalier qui menait à une autre trappe identique, donnant sur le dernier étage de la tour, était impraticable.
Il fut accueillit par l'envol d'un groupe de mouettes, qui avaient apparemment colonisé les lieux vu le nombre de déjections au sol.
- Alors, tu me laisses passer ?

[Kasumi]

Le rôdeur s’engagea prudemment dans la pièce pour libérer le passage à sa compagne. Il lui souffla néanmoins quelques conseils de prudence pour qu’elle patiente encore quelques instants en haut des marches pendant qu’il commençait à tester la solidité du plancher.

- Apparemment, il n’y a rien de venimeux ici mais je préfère tester le sol et la solidité du plafond avant de rendre mon verdict. Je ne recommanderai pas cette halte dans un guide de voyageur mais j’ai connu pire, bien pire. Et toi aussi d’ailleurs, si je me souviens bien ! Comme cette grotte près de la falaise aux fées. Enfin, ce splendide terrier de lapins que tu nous avais dégoté pendant l’orage. Nous étions trempés comme des soupes et à demi couverts de boue. Tu t’en souviens ? Moi oui en tous cas…

Il ajouta un ton plus bas pour être sûr que Tilmandil n’entendrait pas la suite :

- J’ai honte à l’admettre parce que je n’étais pas censé regarder dans ta direction même s’il faisait très sombre là-dessous mais comment pouvais-je fermer les yeux ? Je crois que j'en avais pas dormi de la nuit. Ni la suivante d'ailleurs.

Il rougit furieusement en songeant à ce souvenir d'adolescent et surtout en livrant cet aveu mais il continua vaillamment son inspection par le plafond, cherchant à déterminer s’il y avait un risque qu’il s’effondre.

[Voyageuse]

Il sentit des bras enlacer sa taille, des lèvres frôler son cou en un baiser très doux.
- Je m'en souviens, souffla la rôdeuse à son oreille. Mais j'avoue que j'ai dormi comme un loir cette nuit-là. Je me sentais en sécurité avec toi pour me protéger...
Elle poursuivit, sur un ton plus audible.
- Tu as raison, ici c'est un palace à côté de cette minuscule grotte.
Une dernière mouette s'envola en poussant quelques cris de colère, frôlant la tête de Kasumi.

Le sol était suffisamment solide pour supporter leur poids, à condition qu'ils ne se mettent pas en tête de danser une gigue endiablée ou de s'entraîner au combat au corps à corps. Le plafond ne couvrait que la moitié est de la pièce, mais il semblait être dans cet état depuis des lustres et il était peu probable qu'il s'écroule ce soir-là. Ils s'y sentiraient sans doute moins en sécurité qu'à l'étage en-dessous, qui, une fois la porte fermée, s'apparentait à une véritable forteresse, mais c'était tout de même un abri acceptable.

[Kasumi]

Toute la tension accumulée pendant la journée s’échappa en quelques secondes quand Sylvia l’enlaça en un geste tendre et simple mais pourtant si intime. Quand elle lui murmura des paroles affectueuses, il posa ses mains avec douceur sur celles de la rôdeuse juste pour les sentir quelque temps contre les siennes et autour de sa taille et poussa un soupir d’aise. Il murmura pour qu’elle soit la seule à entendre sa réponse :

- C’est cette nuit-là que j’ai commencé à comprendre je crois. En veillant sur ton sommeil, en te voyant sous un jour vulnérable. Que tu n’étais plus seulement ma partenaire plus mature et toujours en avance et plus forte que moi dans la plupart des domaines. C’est à ce moment que je t’ai vu comme une magnifique jeune femme et non plus qu’une simple amie et camarade d’entraînement.

[Voyageuse]

La pièce où ils se trouvaient était trop bien éclairée pour que Sylvia puisse dissimuler la rougeur qui envahissait ses joues. Elle s'était avancée à son tour dans la pièce, à ses côtés, et gardait les yeux baissés, comme intimidée.
- Je... je ne savais pas. Si tu m'avais dit, à l'époque... J'aurais pu te suivre lorsque tu es parti. Mais je n'ai pas osé. Tu me taquinais tellement souvent, je croyais que tu ne me considérais que comme une bonne camarade...
Elle leva les yeux vers lui, un regard brillant d'émotion.

[Kasumi]

Kasumi était tout aussi intimidé que Sylvia et attendit dans l’expectative qu’elle recroise son regard pour le contempler à nouveau, n’osant pas prendre d’initiatives en cet instant de confidences. Il répondit alors en baissant à son tour les yeux et en adoptant un ton doux où transparaissait une pointe d’excuse et de regrets :

[color=#9900000]- Je t’ai certainement paru distant à cette époque, fuyant les moments où nous aurions pu nous retrouver tous les deux. Et quand c’était le cas, je prenais le parti de la dérision pour masquer ce que je brûlais de te dire réellement. Ce que je n’avais pas le courage de t’avouer. Chaque fois, cela me faisait mal d’être si malhonnête envers toi. Mais j’étais tellement intimidé. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’une femme telle que toi puisse s’intéresser à l’adolescent immature et rêveur que j’étais à l’époque. J’avais peur que mes doux rêves soient brisés si jamais je les avouais…[/color]

Il s’interrompit pour planter à nouveau son regard dans le sien et lui adressa un pauvre sourire avant de poursuivre d’un ton bien plus joyeux :

- Mais nous étions jeunes et même si je regrette aujourd’hui ces années perdues, mes mauvais choix, que la situation n’est plus aussi simple, je n’ai envie de penser qu’au bonheur de t’avoir retrouvée. Encore plus belle que dans mes souvenirs.

[Voyageuse]

Sylvia secoua la tête, l'air un peu éberluée.
- Je n'arrive toujours pas à y croire... J'en avais rêvé, bien sûr, mais j'avais fini par me persuader que ça n'arriverait plus que tu ne reviendrais jamais... Et pourtant, tu es là, en chair et en os. Enfin, je crois...
Elle tendit la main pour lui frôler le visage avec un sourire malicieux qui démentait son apparente concentration.
- Tu es sûr que ce n'est pas un rêve dont je vais me réveiller ? Tu es vraiment là, avec moi ? Et... je... je n'arrive pas à me dire que cette fois, peut-être tu ne partiras pas sans moi... Je n'ose pas y croire...
Elle rougit.
- Enfin, je ne devrais peut-être pas parler de ça, tout cela est si soudain... C'est peut-être trop tôt encore, pardonne-moi... Moi-même je n'arrive pas à m'habituer à ce doux rêve, j'imagine que tu en es au même point...

[Kasumi]

Kasumi commença par sourire quand Sylvia lui passa une main sur le visage. Mais le reste de ses paroles exprimait clairement des angoisses qui ne prêtaient pas à la plaisanterie. Plutôt que de répliquer par la première réponse qui lui venait en tête, il prit le temps de la serrer dans bras, cherchant lui-même à prendre la mesure de cette réalité inattendue qui les avait surpris l’un et l’autre. Tout en lui caressant tendrement le dos, le rôdeur répondit enfin :

- Il n’y a rien à pardonner. Aujourd’hui, je ne sais plus de quoi l’avenir sera fait. Au temps pour les certitudes dont je te parlais hier. Tu as raison : c’est sans doute trop tôt encore pour que nous le décidions, tous les deux. Je ne peux rien te promettre de ce que sera demain, ce serait malhonnête. Tout ce que je sais, c’est que je suis avec toi, en cet instant. Et que j’espère qu’il en sera de même demain et le lendemain encore et aussi loin que j’ai envie de me projeter pour le moment. Sois assurée que je n’ai aucune envie de partir sans toi, qu’elle qu’en soient les conséquences. Et je ne fuirai plus comme je l’ai fait dans le passé. Cela, je te le promets.

[Voyageuse]

Cette réponse parut soulager Sylvia, dont le visage s'illumina d'un sourire. Elle se blottit contre lui quelques instants, savourant ce tête à tête inespéré.
- Bon, les rôdeurs... Vous êtes là-haut ou bien vous avez été dévorés par les mouettes ? Ou par je-ne-sais quel autre monstre... Et c'est comment, là-haut ? Habitable ?
La voix de Tilmandil, résonnant contre les pierres des murs, les ramena brutalement à la réalité, et Sylvia se détacha de lui à regret, les yeux fixés sur l'escalier où il risquait d'apparaître sous peu.
- Est-ce que... Est-ce que tu crois qu'on pourra dormir tous les deux cette nuit ? lui souffla-t-elle néanmoins à voix basse.

[Kasumi]

La voix de son demi-frère fit quelque peu sursauter Kasumi et il adressa un pauvre sourire à sa compagne pour s’en excuser. Après une seconde néanmoins, il répondit au barde à voix haute tout en adressant un regard pétillant de joie à sa compagne :

- On vient de finir d’inspecter tout ce qui reste ici : ça a l’air de tenir même si ce n’est pas un palace de grand luxe comme tu en as l’habitude !

Puis, profitant sans doute des dernières secondes d’intimité avec Sylvia, il ajouta beaucoup plus bas :

- Dormir ? C’est vraiment ce que tu as en tête ? Mmmh, dommage ! Nous avons grand besoin d’un peu de repos, c’est vrai. Mais ce n’est peut-être pas très prudent de nous séparer, qu’en penses-tu ?

[Voyageuse]

- Et bien... Tu n'as pas forcément tort, ce serait plus prudent de rester ensemble... mais d'un autre côté, Eärundra a l'air de taille à se défendre et à protéger Tilmandil...
Elle grimaça et finit par avouer.
- Bon, c'est juste que j'en ai très envie... et je me fiche que ce soit prudent ou non !
Les pas de Tilmandil résonnaient sur les marches. Très vite, Sylvia posa ses lèvres sur celles de son compagnon, une dernière fois, en un baiser plein de promesses, avant de s'écarter avec un haussement d'épaule de regrets. Le barde parut la seconde d'après -du moins sa tête et ses épaules qui s'encadrèrent dans le vide de la trappe.
- Beurk, fit-il en découvrant l'amoncellement de déjections de mouettes. Bon, c'est vrai que vous avez vue sur un magnifique coucher de soleil, mais... Non, vous dormez où vous voulez, mais moi je reste en bas, j'aurais trop peur avec cette paroi ouverte à tous les vents !
Et il commença aussitôt à redescendre, en leur lançant :
- Et... vous comptez m'aider, pour les bagages ?

[Kasumi]

Kasumi devait bien avouer que lui aussi avait envie de s’isoler pour la nuit avec Sylvia mais il fallait aussi qu’ils se montrent raisonnables : et le pourraient-ils s’ils n’avaient pas à composer avec les deux elfes ? Sans doute que non alors que manquer une nouvelle nuit de sommeil n’était certainement pas l’idée la plus brillante : ils ne vaudraient alors pas grand-chose, l’un et l’autre, en cas de danger. Alors qu’ils allaient s’engager dans les marais le lendemain et devoir manier ce maudit radeau. Rien qu’à cette idée, l’élancement dans les épaules du rôdeur lui arracha une grimace de douleur. Mais il fit contre mauvaise fortune bon cœur, ses belles résolutions facilement étouffées par le baiser rapide mais prometteur de Sylvia puis par le regard qu’il ne put s’empêcher de laisser traîner sur sa silhouette élancée quand il la laissa passer devant pour rejoindre le rez-de-chaussée. Il se rendit compte qu’il n’avait répondu ni à la jeune femme, ni à Tilmandil et entreprit de se rattraper à voix basse pour la rôdeuse d'abord :

- Tiens, il a raison pour le coucher de soleil mais je ne l'avais même pas remarqué. Il faut croire qu'il y avait bien plus beau à regarder...

Puis il ajouta rapidement à voix haute pour être entendu des deux :

Bien sûr qu’on va t’aider ! Pour qui nous prends-tu ? Je vais m’en charger pendant que tu t’occupes de notre dîner ! Tu veux bien l’aider, Sylvia ? Ensuite, nous pourrons, aménager un peu notre étage…

[Voyageuse]

Le regard de Sylvia s'illumina en entendant ces derniers mots. Elle lui adressa un large sourire, cependant que Tilmandil, inconscient peut-être du sous-entendu des paroles de Kasumi, ou trop concentré sur l'instant présent pour y prêter attention, répondait :
- Je préfère t'aider pour les bagages... parce que ce truc gluant et puant, là, par terre... C'est pas vraiment mon domaine, tu vois.
Il désignait la dépouille du serpent, toujours là.
- C'est comme vous voulez, répondit Sylvia, conciliante. Je vais m'en charger... Mais ensuite, j'espère bien compter sur de l'aide pour l'épluchage des légumes !
- Oh... je ne suis pas très efficace là non plus... Bon, d'accord, je plaisante, je vous aiderai. Une fois qu'on aura ramené les bagages ! Tu viens, Kasumi ? conclut-il en se tournant vers son demi-frère.
Il était déjà sur le pas de la porte. La rivière était toute proche, à moins d'une centaine de mètres en contrebas, et leur radeau clairement visible, solidement amarré. Le terrain dégagé ne semblait receler aucune surprise, même si on n'était jamais à l'abri de la présence de serpents.

[Kasumi]

Kasumi s’empressa de passer devant son demi-frère, les sens aux aguets pour ne pas se laisser surprendre par la faune rampante qui devait infester ces lieux. Il était aussi attentif à chercher le meilleur chemin qui n’imposerait pas trop de détours tout en garantissant à Tilmandil un trajet sans anicroches. Marcher ainsi dans les herbes hautes pour probablement plus d’un aller-retour leur laissait l’opportunité de bavarder un peu alors que la journée avait privé le barde de ce plaisir. C’est cependant le rôdeur qui prit l’initiative de lancer une conversation en sourdine :

- Pas trop fatigué par cette première journée ? Moi, j’ai les bras en compote, je l’avoue. On pourra peut-être s’octroyer un dernier bain dans la rivière si ça te dit de te délasser quelques minutes. A partir de demain, les eaux des marais ne devraient plus nous le permettre.

[Voyageuse]

Par chance, les herbes hautes ne dissimulaient nul piège traître. Kasumi évita soigneusement les ronces et autres épineux qui parsemaient le terrain, ne s'approcha pas trop des quelques rochers qui pouvaient servir de refuge à des serpents, et, au final, ils parvinrent au radeau sans la moindre anicroche.
Le barde avait déjà descendu une partie des bagages -les plus légers-, mais leurs provisions étaient encore à bord.

Tilmandil acquiesça aux paroles du rôdeur.
- Un bain ne serait pas de refus... Et j'ai les bras en compote... Tu as peut-être des onguents pour les muscles endoloris ? Parce qu'à te voir diriger le radeau, ça parait tout simple, mais quand on essaie... Et bien il faut avoir une sacré force. Que je n'ai pas, je dois bien admettre... Je ne sais pas comment vous faites, tous les trois, pour savoir naviguer sans jamais avoir appris. Je ne suis décidément pas fait pour cela... je ferais mieux de rester assis tranquillement à l'arrière à composer des odes aux courageux marins d'eau douce...
Il eut un sourire un brin grimaçant, et Kasumi nota qu'il avait les traits tirés. Son épuisement n'était pas feint.

[Kasumi]

Kasumi compatissait sincèrement avec son demi-frère, sans doute peu habitué à des randonnées aussi physiques que celle qu’il subissait depuis leur arrivée en Haute-Forêt. Il lui rendit son sourire en grimpant sur le radeau pour y récupérer les plus gros des sacs à commencer par celui contenant les vivres confiés par Gwenaël. Son intention était de ménager le barde de ce nouvel effort sans toutefois le laisser pour compte :

- Bah, ça nous donnerait certainement du cœur à l'ouvrage et naviguer sur un fleuve n’est pas si évident que dans mes souvenirs, tu l’as bien vu : tout le monde est épuisé. Sauf peut-être Eärundra mais je ne sais pas comment elle fait. Elle a sans doute un secret druidique ! Alors je ne te conseillerais pas de lui proposer un massage pour la détendre mais peut-être que si tu lui en réclame un, avec tes talents musicaux et ton charme hors pair, elle acceptera sans doute. Dans le cas contraire, je dois avoir dans mon sac un baume qui t’apaisera. Mais on va devoir faire un dernier effort et remonter ça avant tout. Je suis certain que notre idée de bain sera favorablement accueillie ensuite.

[Voyageuse]

Tilmandil se chargea de deux des sacs, évitant soigneusement les plus lourds, et emboîta le pas à son demi-frère. Ils ne pouvaient guère transporter qu'une bonne moitié du chargement : deux voyages seraient indispensables.
- Je ne sais pas si nos compagnes vont accepter de se baigner avec nous à proximité... Il faudrait peut-être proposer un tour de rôle ? Quoique, j'imagine que vous ne faites pas tant de manières, vous autres. Après tout, c'est la nature... J'ai tendance à prendre mes propres coutumes pour universelles, un grave défaut pour un barde...
Il rit.
- Mais je ne demanderai pas le moindre massage à Eärundra. Oh, être massé par ce genre de créature divinement belle est tentant, bien sûr, mais je sais d'avance qu'elle tournerait ça en dérision et que je me ridiculiserais ! Non, vraiment, je préfère ton baume...

A l'intérieur, Sylvia leur tournait le dos, s'affairant à découper le serpent en tranches. Elle se retourna à leur entrée et sourit à kasumi, avant d'en montrer fièrement un morceau ensanglanté à Tilmandil, un brin provocante.
- Vous verrez, ça a un peu le goût du poisson... Et rassurez-vous, j'ai ôté le venin, on va le ramener au campement pour en faire des potions de soin... il faudra juste ne pas le confondre avec la délicieuse liqueur de poire que je vous ai amenée...

[Kasumi]

Kasumi sourit joyeusement des taquineries de Sylvia envers son demi-frère avant de poser son premier chargement à l’abri dans la tour. La rôdeuse avait travaillé efficacement et avait presque achevé le dépeçage, il ne pouvait que le reconnaître non sans un zeste de fierté :

- C’est en effet très bon et ça redonne du tonus, surtout quand c’est préparé avec de bonnes épices.

Il ne put s’empêcher d’adresser un clin d’œil provoquant à la jeune femme au moment d’évoquer les soi-disant propriétés de la viande de serpent.

- On doit avoir ce qu’il faut pour ça, vous m’en donnerez des nouvelles. Mais viens Tilmandil, il faut nous dépêcher de finir de ramener les bagages ou il ne nous restera plus qu’à déguster notre dîner à notre retour.

Une fois dehors, le demi-elfe prit le temps de répondre aux questions soulevées par le barde lors du premier voyage :

- Non, je ne pense pas qu’elles accepteraient et ça vaut bien mieux sinon c’est nous deux qui serions tournés en dérision ! Nous n’aurons qu’à organiser deux tours de bain. Cela dit, je ne suis pas certain que ce soit non plus une excellente idée de les laisser seules. Toi qui es un fin analyste des caractères, tu n’auras pas manqué de constater une certaine tension entre elles, non ? A moins que je me sois fait des idées… Je dois dire que cela me tracasse car nous aurons très vite à faire face à des situations périlleuses.

[Voyageuse]

Tilmandil sourit, espiègle.
- Et bien, comment te dire... je ne sais pas si tu as remarqué, mais Eärundra est rudement... pas mal on va dire. Avec toute la grâce elfique en plus. Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, hein, les humaines peuvent être bien aussi... mais bref. Elles ont un peu les mêmes yeux verts, elles tressent toutes les deux leurs cheveux un peu pareil, l'une blonde aux reflets dorés, l'autre rousse aux reflets cuivrés. Toutes les deux filles des bois.... Bref, tu es devant une situation de concurrence caractérisée entre deux femelles ! Et Sylvia craint sans doute qu'Eärundra ne puisse te séduire. Avoue, tu la trouvais pas mal, l'elfe, avant de retrouver l'humaine de ta jeunesse ?

[Kasumi]

Kasumi vira à une jolie teinte pivoine, signe que son demi-frère avait une nouvelle fois frappé juste. A moins qu’il n’ait à nouveau proféré une telle hypothèse juste pour jauger sa réaction et tenter de forcer le rôdeur à des confidences. Exactement comme il avait manœuvré concernant Sylvia à bien y réfléchir ! Décidément, avoir un barde dans sa famille n’était pas de tout repos ! Il tenta de bafouiller des dénégations peu crédibles avant de se reprendre, sincère :

- Quoi !? Mais qu’est-ce que tu vas imaginer encore… Bon… Bon, oui, c’est vrai qu’elle a beaucoup de charme. Mais elles sont très différentes. Sylvia n’a aucun souci à se faire même si je me garderai bien sagement de le lui annoncer aussi directement ! Eärundra ne recherche pas du tout quelqu’un comme moi. Plutôt un charmant et séduisant barde qui ne fera pas trop de difficultés à s’en aller voir ailleurs quand elle l’aura décidé !

[Voyageuse]

Tilmandil rit.
- Je ne connais aucun barde qui accepterais de partager sa vie dans les montagnes au-delà de quelques jours... Beurk, tu imagines, dormir dans une caverne, avec les odeurs du fauve à proximité...?
Il était clair que ce n'était absolument pas le genre de vie qu'il envisageait.
- Heu, bon, je sais que tu dois imaginer sans peine en fait. Après tout, rôdeur ou druide c'est quasi du pareil au même... Non ? Même mode de vie, même goût pour les bestioles en tout genre...

[Kasumi]

Cette fois, ce fut au rôdeur de rire franchement et il répondit d’un ton léger tout en s’emparant de la plupart des sacs restants :

- Oh, les rôdeurs ont plus la bougeotte que les druides mais ce n’est qu’une généralité. Moi-même, je passe aussi beaucoup de temps en ville : je me suis fait à certaines commodités dont il m’est difficile de me priver plus de quelques semaines. Cela ne plaisait pas à Astrée je crois… Peut-être ne suis-je pas un rôdeur très typique tout compte fait ! Cela dit, quand le jeu en vaut la chandelle, il faut savoir faire des concessions. Et j’adore les voyages donc la fameuse grotte n’est pas la même tous les soirs ! C’est même parfois une ancienne tour infestée de mouettes ! Et que de mystères à découvrir à chaque halte ! N’est-ce pas un peu la vie que tu mènes quand tu cherches l’inspiration pour de nouvelles histoires merveilleuses ?

Le demi-elfe avait marqué un temps d’hésitation en songeant à Astrée et qu’il s’agissait de la première fois qu’il évoquait son nom. Aurait-il osé en faire de même devant Sylvia ? Non, il était bien trop tôt pour cela… Et cela lui faisait un pincement au cœur de l’évoquer ainsi au passé. De songer à la tristesse et à la colère qu’elle ressentirait à son retour. De songer avec peine à la tendresse qu’il éprouvait encore pour elle, malgré Sylvia, malgré son amour sincère pour elle. Et par dessus tout, ses choix de vie conviendrait-il à Sylvia si elle décidait de le suivre ? Etait-il capable de la rendre heureuse ? Avait-il même le droit de lui proposer cette vie à des lieues de ce qu'elle connaissait ? Sans plus de trace de joie dans la voix, il rompit le silence qui venait de s’installer :

- Mais on devrait rentrer ou on va passer pour les deux pipelettes du groupe !

[Voyageuse]

- Moi, c'est normal, un barde c'est bavard, tout le monde sait ça. Toi... et bien tu es aussi bavard qu'un barde finalement. Ca doit être de famille ! Tu es sûr que tu n'es pas barde quelque part ? Ca fait quand même deux fois aujourd'hui que je me pose la question, ça devient troublant, avoue...
Puis prenant conscience du changement d'humeur de son demi-frère, il ajouta avec une petite tape sur l'épaule.
- Et ne te fais donc pas de souci comme ça... Enfin, je ne sais pas exactement ce qui t'inquiète mais... je pense qu'une bonne nuit de sommeil, vu notre état de fatigue générale, nous fera à tous le plus grand bien !

Leur second chargement était plus léger que le premier, et ils eurent tôt fait de le ramener à l'intérieur. Sylvia avait terminé de préparer le serpent, et attaqué les légumes. Elle les accueillit en leur tendant à chacun un oignon à éplucher.
Eärundra fit son apparition sur ces entrefaites, les bras chargés d'une brassée de bois qu'elle déposa au sol, souriante et fraîche comme s'ils ne venaient pas de passer une journée entière à diriger un radeau récalcitrant.
- Je vous laisse allumer le feu, il me semble qu'il y a une espèce de vieillle cheminée contre le mur nord, là-bas. Je reviens avec un peu de bois en plus...

[Kasumi]

Le rôdeur avait préféré ne pas s’étendre sur ses tracas mais le geste simple affectueux du barde à son égard suffit à lui arracher un sourire. Il songea, qu’en effet, une nuit de sommeil lui serait des plus profitables et pourrait sans doute lui permettre de remettre un peu d’ordre dans ses idées et dans des événements sur lesquels il avait eu l’impression de perdre le contrôle. Non pas que c’eut été toujours désagréable, songea-t-il en retrouvant Sylvia dans la tour. Il s’empara du légume que lui tendait la rôdeuse en lui dédiant un sourire et en lançant une remarque taquine :

- Oh, méfie-toi, Tilmandil ! Fini de nous la couler douce ! Je m'occuperai du feu si tu veux bien me délester de ces légumes qui font pleurer. Au temps pour nos projets de bain et de massage ! Bah, affrontons bravement cette épreuve mon frère et retiens tes larmes malgré les oignons !

[Voyageuse]

- Des projets de bain et de massage ? réagit Sylvia. Ma foi, voilà qui est prometteur... Nous aurons largement le temps pendant que la soupe cuira, du moins si vous vous dépêchez de m'aider...
Kasumi et son demi-frère purent constater qu'elle ne pleurait pas, malgré les oignons. Et pour cause : elle s'était bien gardée d'en éplucher.
Tilmandil jeta un regard grimaçant sur l'oignon que lui tendait son frère, et secoua la tête.
- Pas question de me laisser avoir comme ça ! Je ne veux pas être le seul à me mettre à pleurer stupidement ! Non, mon vieux, on en épluche chacun un.
- Et de toute façon c'est moi qui m'occupe du feu, lança Sylvia. J'ai largement préparé ma part du repas, c'est votre tour ! Et promis, dès que vous avez fini, tout le monde au bain... Heu, non, peut-être pas tout le monde... Les filles d'abord, ça vous va ?

[Kasumi]

Cette fois, c’est bel et bien Kasumi qui eut l’impression de se faire avoir. Mais comment résister à la volonté féminine ? C’était sagesse que de ne pas s’y risquer ! Le demi-elfe ne pouvait néanmoins pas se laisser battre ainsi à plate couture aussi répliqua-t-il d’un ton faussement sérieux :

- Très bien, puisqu’il faut se sacrifier. Je me consolerai en sachant que Sylvia sera préservée des effets de ces oignons. Elle est encore bien plus belle quand elle sourit ! Et nous vous laisserons évidemment le premier tour : galanterie oblige. J’espère juste que vous n’épuiserez pas toute l’eau chaude !

Tout en débitant ses idioties, le rôdeur s’était mis vaillamment à la tâche, essayant de tenir l’oignon à distance pour éviter de trop pleurer.