[Quête] Montequine

[Galathée]

" Alors tu es restée."
Il faisait jour. Du pollen dansait dans les rayons de soleil qui perçaient la canopée des arbres. Les oiseaux rivalisaient d'ardeur. L'air était tiède, presque chaud, agréable, et transportait mille senteurs, parfum profond de l'humus, effluves délicats des fleurs nouvelles, odeur d'herbe humide, terre, urine, champignons, sueur, écorce pourrissante, musc animal, relents de la nature révélée, sauvage, impériale.
" Humaine."
La voix, féminine mais un peu rauque, venait d'au-dessus d'elle et quand elle leva les yeux, elle vit un visage l'épier depuis les branches du chêne. A moins que le visage n'en fasse partie. Il était brun bois, percé de deux yeux verts, timides, et les feuilles formaient comme une chevelure autour de traits fins mais marqués, pas tout à fait humains. La créature bougea, descendant un peu plus bas, toujours circonspecte, puis sourit de ses lèvres sombres.
" Je peux peut-être t'aider à les aider."

[Voyageuse]

Astrée mit quelque instants à réaliser qu'on s'adressait à elle. Et que ce n'était nullement la voix enfantine du petit faune. Clignant des yeux dans la lumière un peu éblouissante du matin, elle se redressa doucement, cherchant du regard la provenance de la voix. Elle venait de l'arbre. Le chêne... lui parlait ? Était-elle en train de rêver ?
Stupéfaite, elle resta un moment sans voix. Elle avait dormi au pied d'un arbre vivant... Qui non seulement ne s'était pas offusqué de sa présence, mais qui lui proposait son aide ! Était-ce cela, un sylvanien ? Ou était-ce autre chose ? Pourquoi ne s'était-elle rendu compte de rien hier ?
Un sourire plein d'espoir illumina ses traits. Le bosquet avait entendu sa prière. Et la bienveillante puissance qui avait accepté de l'accueillir cette nuit lui proposait son aide. C'était magique, féérique. Incroyable...

Elle se releva, à la fois émerveillée et intimidée, et leva les yeux vers l'étrange être qui lui parlait.
- Je... Ce serait merveilleux si vous pouviez m'aider... balbutia-t-elle. Mais... Qui êtes vous ?

[Galathée]

Le visage descendit encore le long du tronc puis se plissa en une expression concentrée, et s'extirpa lentement de l'écorce. Une tête entière, couronnée de feuilles délicates, sortit de l'arbre, puis un cou gracile, des épaules, une poitrine, et dans un dernier effort, la créature s'arracha au chêne. C'était une jeune femme mince, à la peau brune marquée de stries régulières, qui ne semblait ni complètement animale, ni complètement végétale, c'était une dryade. Elle sourit à Astrée sans pour autant s'approcher trop près d'elle et la dévisagea, manifestement curieuse.
" Je suis la résidente du bosquet, fit-elle de sa voix étrange. Mielikki t'a observée et accueillie. Je suis l'amie de la forêt. Tu n'es pas d'ici mais ton coeur peut aider à restaurer la paix en ces lieux."
Elle s'assit dans l'herbe et aussitôt, des fleurs et des petits champignons blancs poussèrent autour d'elle, tandis qu'une mésange venait se poser sur son épaule.

[Voyageuse]

Astrée ouvrit des yeux stupéfaits. Une dryade... Et tout cet enchantement qui l'accompagnait, ces fleurs, ces oiseaux posés sur elle. C'était un lieu féérique. Et si loin de toute la violence de Montequine.
Elle hocha la tête, mais mit quelques instants à retrouver l'usage de la parole, trop impressionnée. Mielikki l'avait entendue... Elle se sentait indigne d'une telle attention. Et pourtant... elle avait tant besoin de son aide...
- J'aimerais aider à restaurer la paix par ici. Il y a tant de violence... J'aimerais que les villageois libèrent les centaures, et que cette guerre entre eux cesse, qu'ils parviennent à cohabiter. Mais je ne sais pas comment m'y prendre... Et je ne sais même pas si c'est possible.
Ils ne l'écouteraient pas. Ni les uns, ni les autres... Et elle ne saurait pas comment les convaincre : il y avait trop de haine et de rancoeur accumulée. Il faudrait parvenir à les y obliger peut-être... ou qu'ils comprennent que leur intérêt était d'éviter toutes ces morts inutiles... Mais comment ?

[Galathée]

La dryade sourit doucement. C'était un sourire douloureux, Astrée pouvait le lire sur ses traits de bois.
" C'est un conflit ancien, aujourd'hui. Ce n'est pas à moi de t'en compter l'histoire."
Elle secoua la tête, agitant les feuilles qui formaient sa chevelure. Un papillon vint s'y poser, déployant le dessin noir de ses ailes rouge sang.
" La nature recherche l'équilibre, mais parfois l'équilibre doit se passer d'un élément perturbateur. Il n'est pas toujours possible de ménager l'écureuil et le gland."
La dryade ferma un instant les yeux.
" Si tu ne fais rien, le problème se résoudra de lui-même. Les centaures ne sont plus assez nombreux. Les derniers seront pris, tués, ou contraints. La lutte cessera. La violence disparaîtra. Déjà, certains oublient ce qu'ils ont été."
Elle rouvrit les yeux et fixa la rôdeuse.
" Cette solution te convient-elle ?

[Voyageuse]

Astrée secoua vivement la tête
- Non ! répondit-elle spontanément.
Elle sentait bien que c'était ce que voulaient les montequins. Comme ils avaient, par le passé, guerroyé contre d'autre races et les avaient vaincues.
Elle tenta d'expliquer un peu mieux son sentiment.
- Ce ne serait.. pas juste. Les centaures ne sont pas des bêtes de somme. Ils sont fait pour être libres... Et asservir ainsi des créatures intelligentes, c'est... presque de l'esclavagisme, quelque part. En même temps, j'ai vu la haine dans les yeux des centaures, je sais que les villageois n'imaginent pas d'autre solution que les tuer ou les capturer, je vois bien qu'ils les considèrent comme des créatures sauvages et hargneuses qu'il faut dompter ou détruire pour que leur village puisse être en sécurité. Ils ne voient pas d'autre solution... ou refusent de voir peut-être. Mais les centaures ne sont pas tous plein de haine, pourtant. Celui que j'ai soigné était différent... Il ne mérite ni la mort ni la captivité, et... j'aimerais tant pouvoir le sortir de là.
Elle grimaça.
- Et puis, même ceux qui sont plein de rage ne méritent pas d'être ainsi asservis. C'est trop cruel... Et je comprends mieux leur haine maintenant que j'ai vu le sort qu'on leur réserve. Mais je comprends aussi que les villageois en aient peur. C'est un cercle vicieux.
Réalisant qu'elle était restée debout, elle s'assit à son tour.
- Je ne sais pas quoi faire... Je sais juste que cette situation est mauvaise et injuste, et je voudrais agir, mais je ne sais pas comment. Les villageois ne m'écouteront pas, ils me considèrent comme une étrangère qui ne comprend rien à la situation... Et pourtant, ils savent que ce qu'ils font est mal puisqu'ils le cachent. Mais ils n'accepteront pas de changer leur vision des choses. Ils veulent que leur village prospère à l'abri des dangers... à n'importe quel prix... Enfin, c'est comme cela que j'ai ressenti la situation, je peux me tromper.
Elle soupira. La situation lui apparaissait inextricable.

[Galathée]

" Il n'y a pas de haine, chez les centaures, il y a juste la terreur, désormais, dit la dryade dans un soupir. Je me souviens du temps où les poulains venaient galoper dans la clairière, boire à la source, parler aux arbres. Ils étaient si beaux, si braves, si naïfs, aussi... Et maintenant leur peuple va disparaître des montagnes, car l'être humain s'étend et se croit supérieur."
Elle secoua la tête.
" Il n'y a qu'un être qui soit capable de tant de destruction et de tant de vilénie. Il les pare toujours de morale, curieusement. Si les centaures étaient asservis par des gobelins ou des orques, aurais-tu les mêmes scrupules ?"

[Voyageuse]

La question était loin d'être anodine... Et la réponse n'était pas si simple. Les humains étaient son peuple, après tout. Était-ce pour cela qu'elle s'efforçait de les comprendre et non simplement les condamner ? Aurait-elle aussi cherché à comprendre des orques ? Il lui semblait que oui... Toutes les races avaient sans doute plus ou moins le même objectif : protéger voire agrandir leur territoire... Aurait-elle été parasitée, peut-être, par la réputation des orques, par l'image de brutalité qu'elle en avait ?
- Je crois... Je suis humaine, donc peut-être que cela m'influence un peu, parfois, admit-t-elle. Mais là, en l'occurrence, que les centaures soient asservis par des humains ou des orques importe peu : ils n'ont pas à être asservis, ni exterminés, et ceux qui le font commettent... un crime. Qu'ils soient humains ou orques ou gobelins. Aucune race ne devrait se croire le droit de dominer les autres : je suis sûre qu'il doit être possible pour chacune de coexister, en respectant le territoire de l'autre, sans s’entre-tuer, sans asservir l'autre... Enfin, c'est ce que je voudrais... Mais je vois bien que les humains d'ici veulent tout contrôler, tout dominer. Et... quand je vois ce que mes semblables font ici, je... j'ai honte, conclut-elle avec un soupir. C'est peut-être aussi pour cela que je voudrais pouvoir réparer les dégâts qu'ils ont causé...
Elle ne comprenait pas comment ils pouvaient être à ce point aveugles. Elle les sentait enfermés dans un mode de pensée qui n'était pas le bon, mais elle ne voyait pas comment le changer. Y avait-il parmi leurs responsables des personnes assoiffées de domination, qui influençaient les autres ? Ou était-ce simplement une attitude ancrée en eux par l'éducation, au fil des générations ? C'était plus probablement ça...
Et la dryade disait que les centaures avaient peur... Oui, sans doute, elle l'avait lu dans les yeux du gris. Mais cette peur les rendait fous de rage, pour certains. Pourtant, la description qu'elle en faisait était tellement belle... Il fallait que les centaures retrouvent cette paix, cette harmonie avec la nature.

[Galathée]

La dryade l'avait écoutée attentivement puis elle secoua sa chevelure verdoyante, en chassant une souris qui descendit le long de son épaule de bois pour aller se perdre dans l'herbe.
" Beaucoup de mots et d'interrogations, humaine... Mais chaque minute qui passe, des espoirs s'amenuisent. Il faut que tu décides de ta voie... Je n'ai pas de solution, mais je peux t'aider si tu décides d'aller au devant des étrangers qui ne sont pas de ton espèce. Toi seule peut affronter les tiens, en revanche. Ils ne m'écouteront pas davantage que le vent."

[Voyageuse]

Astrée grimaça.
- Je n'ai pas l'impression que les villageois m'écouteront beaucoup, hélas... Et pourtant il faudrait....
Maintenant qu'elle avait fui, ce serait sans doute plus compliqué que si elle était restée. Et Reynald lui disait d'aller voir les centaures. Mais quelle aide pourraient-ils lui apporter ? La dryade disait qu'ils devenaient trop peu nombreux.
- J'aimerais... faire savoir aux centaures que je veux les aider. Me rendre compte de leur état d'esprit, aussi. Mais je ne sais pas où les trouver, et j'ai peur d'être accueillie par une flèche avant même d'avoir pu leur parler. J'ai peur aussi qu'ils ne me croient pas. Si j'avais pu libérer l'un ces centaures, celui que j'ai soigné, cela aurait été plus simple, ils m'auraient bien accueillie... Et peut-être que c'est par cela qu'il faudrait commencer, mais je ne sais pas si c'est réalisable.
Elle soupira.
- En fait... je sais ce qui me tracasse et m'empêche de réfléchir sereinement : j'ai peur, si je vais seule au-devant des centaures, de ne pas être revenue à temps pour sauver le centaure gris que j'avais soigné... Ce n'est pas rationnel, d'autant qu'il n'est sans doute pas en danger immédiat. Enfin, je l'espère. C'est juste que je me sens... le devoir de le sauver absolument, de voler à son secours aussi vite que possible. Parce que je me sens responsable de sa capture, je pense.
Oui, c'était sans doute cela qui faisait que son esprit revenait, inlassablement, vers ce centaure. Certes, elle voulait tous les sauver. Mais aussi lui en particulier... et elle avait le sentiment de risquer de le perdre en allant au-devant des centaures. Elle aurait vraiment dû s'obstiner et partir à sa recherche l'autre nuit...
Elle secoua la tête.
- Mais vous dites que vous pouvez m'aider à aller à la rencontre des centaures... Vous sauriez comment faire en sorte qu'ils ne me considèrent pas d'emblée comme une ennemie à abattre?

[Galathée]

" Les centaures ne sont pas humains, cela est vrai. Leurs manières sont parfois incompréhensibles pour les autres peuples et ils sont sujets à la violence. Mais une harde équilibrée contrôle ces aspects en les ritualisant... Il est des individus plus sensés que d'autres dans le groupe... Comme dans un village humain. Il est vrai que les approcher pourrait être dangereux, cependant. Sans leur chef, je ne sais pas comment ils vont s'organiser... Ils sont si loin de moi."
Elle soupira et hésita.
" Tu pourrais retourner dans le village des humains. Ils ne penseront jamais que tu as pu franchir la falaise sans passer par leur porte... Ils ont muré la dernière faille il y a peu de temps, c'est ce qui a séparé le groupe. Moi je peux te faire passer au travers de la roche. Mais ensuite, tu devras te débrouiller pour retrouver la harde ou gagner le village. Tu auras l'effet de surprise, de toute façon."

[Voyageuse]

Passer à travers la roche ? C'était à peine concevable... Mais puisque c'était possible, alors elle savait maintenant ce qu'elle voulait faire. Elle hocha la tête.
- Alors je pense que j'irai dans le village, de nuit, sans me faire repérer. Je vais essayer de trouver un moyen de libérer le centaure que je connais. Je suis certaine qu'il pourra m'aider à me faire entendre des autres. Il n'est pas plein de colère et de rage. Et si cela s'avère impossible, j'aviserai, j'irai sans doute rejoindre seule les centaures...
Elle se sentait soulagée, de façon incompréhensible, à l'idée de ne pas abandonner le gris. Encore fallait-il parvenir à le trouver...
- Mais.. il y a une chose que je comprends mal... Les autres centaures et le village sont tous les deux de l'autre côté de la faille, alors ? Cela veut dire que les villageois les traquent aussi de l'autre côté ? J'avais cru, je ne sais pas pourquoi, qu'ils avaient tout muré pour protéger leur village de tout danger, et qu'ils ne chassaient les centaures que de ce côté-ci...
Madeleine avait dit que les centaures les attaquaient davantage quand la faille était ouverte. Mais s'ils étaient du côté du village, ils devaient continuer à les attaquer... Était-ce pour cela qu'ils exposaient ainsi leur chef ? Pour leur faire savoir qu'il était vaincu et les démoraliser ? N'imaginaient-ils pas que cela pouvait encore aggraver leur haine ? Ils s'en moquaient probablement puisqu'ils étaient plus forts... Et le fait voir les centaures plein de haine renforçait encore leur idée que ce n'étaient que des bêtes sauvages

[Galathée]

" Les centaures vivaient autrefois hors de la muraille et en son sein. Ce sont eux qui ont montré la vallée cachée aux hommes, en des temps où leurs deux espèces imaginaient encore cohabiter. Il y a très longtemps, avant la naissance de ceux qui ont mis au monde ceux qui habitent le village aujourd'hui. Mais les hommes ont décidé de fermer les failles, petit à petit, pour davantage contrôler ce havre secret. La harde a mis du temps à comprendre et c'était alors trop tard... La dernière faille est fermée, désormais, et tous les survivants sont coincés à l'intérieur. La vallée est vaste et la forêt dense, mais un enclos reste un enclos."

[Voyageuse]

- Je comprends...
Astrée hocha la tête.
- Il va falloir les convaincre de rouvrir les failles... Ou au moins de laisser passer tous les centaures de ce côté-ci pour qu'ils retrouvent leur liberté...
Le plus dur serait de les convaincre de libérer leurs esclaves. Elle aurait bien voulu comprendre pourquoi la confiance qui avait existé, au début, entre humains et centaures, avait dégénéré ainsi. Mais la dryade lui avait dit que ce n'était pas à elle de lui en conter l'histoire...
- Avant de passer de l'autre côté, j'aimerais pouvoir attendre le retour de mon familier. Il va s'inquiéter s'il ne peut pas me rejoindre, et moi aussi d'ailleurs. Je ne sais pas s'il est loin. Je vais essayer de le contacter.
S'il était vraiment trop loin, elle ne pourrait pas l'attendre. Mais il trouverait sans doute un moyen de la rejoindre. Sous forme d'écureuil, ou d'abeille, pourrait-il passer la muraille ? Sans doute par le village, s'ils ouvraient la porte... Et s'ils ne l'ouvraient pas ? Non, ils continueraient certainement à y passer, ils n'allaient tout de même pas s'enfermer exclusivement de l'autre côté ?
Elle se concentra, cherchant à percevoir Prince, à lui dire de se hâter, de se faire cheval pour galoper vers elle, mais loin de la route.

[Galathée]

La dryade parut sur le point de dire quelque chose... puis se retint, se contentant d'un sourire tranquille.
" Je vais me retirer. Tu peux profiter du bosquet, tu y seras en sécurité même s'ils te cherchent. Ton familier m'est étranger, imbu d'autre chose, je le sens... mais il te trouvera."
Elle se leva, fit quelques pas dans l'herbe, puis toucha le tronc du chêne et petit à petit, s'y fondit, jusqu'à disparaître intégralement, ne laissant qu'un noeud dans l'écorce, là où elle était entrée.
Astrée, de son côté, ne perçut pas l'esprit du petit cheval. Peut-être était-il trop loin, peut-être le pouvoir du bosquet l'en empêchait-il... Mais la quiétude des lieux lui parlait de confiance, de patience, aucune raison de s'inquiéter.

[Voyageuse]

Astrée faillit demander ce que la dryade entendait pas "imbu d'autre chose", mais cela n'avait guère d'importance après tout. Elle ne posa donc aucune question, se contentant de se concentrer encore et encore, sans succès. Mais l'atmosphère des lieux l'incitait à la confiance, à la patience, à l'optimisme. Certes, une fois passée de l'autre côté, elle y serait aussi prisonnière que les centaures, mais elle trouverait un moyen de réussir. Et Prince ne tarderait guère. Il la trouverait, où qu'elle aille, elle en était sûre. Et tout allait bien pour lui, il était simplement trop loin. L'esprit apaisé, tranquille, elle resta un moment au milieu des fleurs printanières, profitant simplement de la quiétude de l'endroit.

Elle finit cependant par se lever. Elle avait beau se sentir parfaitement en confiance et en sécurité ici, elle ne devait pas perdre de vue qu'elle avait une expédition à préparer... et un organisme à nourrir. Elle quitta le bosquet en silence, discrète, longeant le ruisseau comme la veille. Elle ne s'éloignerait pas, mais il fallait qu'elle amasse quelques provisions, les rares fruits de la saison, des légumes sauvages, et surtout qu'elle chasse et fasse un feu pour cuire sa viande. Mieux valait qu'elle en prévoie en quantité suffisante pour le lendemain au moins, au cas où elle n'ait pas le loisir de cuisiner là-bas. Et puis, il y avait ce souci de corde. Peut-être pourrait-elle s'introduire dans le village pendant la journée, en franchissant tout simplement les portes, capuchon baissé, mais on risquait de remarquer une étrangère : les villageois devaient se connaître au moins de vue. Et si elle voulait y pénétrer de nuit, il lui faudrait une corde. La sienne étant resté accrochée au mur de Montequine, de ce côté-ci, peut-être pourrait-elle trouver, dans cette partie de la forêt ancienne et luxuriante, des lianes solides ou quelque chose d'approchant, pour se confectionner de quoi escalader un mur ?
Elle avait du pain sur la planche. Et elle ne devait pas perdre de vue que, peut-être, il pouvait y avoir des Montequins dans les parages, ou des créatures dangereuses : elle devait rester attentive au moindre signe de présence, et se réfugier rapidement au bosquet si elle devinait le moindre danger. Néanmoins, la première chose qu'elle fit, une fois suffisamment éloignée du bosquet, fut de chercher à contacter à nouveau Prince. Peut-être, d'ici, le percevrait-elle mieux...

[Galathée]

Elle finit par percevoir le petit cheval en début d'après-midi. Elle avait eu le temps de trouver des tubercules comestibles, des fraises des bois, des salades sauvages, aussi, feuilles de bette, de pissenlit. Elle avait réussi à chasser un beau lapin de garenne, trouvé le nid d'une bécasse, et déniché une vigne sauvage offrant de belles torsades, solides. Cela ne remplacerait cependant pas une véritable corde et sans doute devrait-elle s'en passer un moment...
Prince déboula donc entre les arbres, alors que le soleil était au zénith, luttant contre quelques nuages sombres qui présageaient d'un rafraichissement prochain. Le petit cheval était en pleine forme et lorsqu'Astrée l'interrogea sur ses pérégrinations, il ne lui refléta aucune crainte et aucun incident. Les Montequins ne l'avaient manifestement pas vu.

[Voyageuse]

Astrée caressa longuement son petit étalon, le félicitant pour sa bravoure, pour son intelligence, pour sa rapidité aussi. Elle tenta de lui expliquer qu'elle avait trouver de l'aide, et qu'ils allaient traverser la roche... mais comment expliquer ce qu'elle-même ne parvenait pas à comprendre ? Il verrait bien par lui-même.
Son seul regret était de n'avoir rien trouvé ressemblant réellement à une corde. La bergerie était beaucoup trop loin pour qu'elle prenne le temps de s'y rendre... Ou bien devait-elle y aller tout de même, quitte à perdre une ou deux journées de plus ? Elle ne savait pas trop. La dryade avait laissé entendre qu'il ne fallait pas trop traîner, disant qu'à chaque minute qui passait, des espoirs s'amenuisaient. Elle avait déjà attendu Prince longuement. Peut-être trouverait-elle quelque chose de l'autre côté ? De quoi escalader le mur ? Mais... si elle ne trouvait rien ?

Elle avait profité de son feu pour se confectionner une petite provision de galettes avec la farine qu'elle avait emportée, des oeufs et un peu d'eau. Elle empaqueta l'ensemble de ses provisions de son mieux et les glissa dans son sac. Elle était prête. A l'exception de la corde dont l'absence continuait de la préoccuper. Mais son inquiétude s'amoindrit lorsqu'elle revint vers le bosquet, suivie de Prince. L'atmosphère des lieux l'imprégnait d'une confiance sans doute trompeuse, mais si agréable. Elle se sentait moins seule face à sa mission : son étrange rencontre nocturne, et le soutien de la dryade, étaient réconfortants.
Elle s'approcha du chêne, levant les yeux vers le noeud où avait disparu la dryade.
- Je suis de retour... Et je vous présente mon ami, Prince.

[Galathée]

Depuis qu'il était entré dans le bosquet, Prince faisait l'objet d'attentions incessantes. Des papillons voletaient autour de lui puis se posaient sur son échine, un mulot lui escalada un antérieur droit avant de filer dans l'herbe, des pinsons se posèrent sur son dos, curieux, et le petit cheval se laissa examiner sans manifester trop d'impatience, sinon un coup de queue de temps en temps, qui paraissait amuser les oiseaux et les insectes.
La dryade ne tarda pas à faire son apparition, s'extirpant à nouveau du tronc, lentement, son regard vert se posant sur Astrée puis sur son compagnon.
" Etrange créature, musa-t-elle, avant de hausser les épaules. As-tu décidé ? Veux-tu franchir la muraille ?"

[Voyageuse]

Astrée eut la sensation que la dryade pouvait percevoir le secret de Prince. Cela n'était guère étonnant, après tout, et l'essentiel était que l'étalon n'en prenne pas ombrage.
Elle hocha la tête en réponse à la question de la dryade.
- Oui, je veux franchir la muraille...
Elle hésita à lui exposer son hésitation, qui devait paraître bien anodine. Mais elle finit par expliquer.
- Je n'ai qu'un regret : je n'ai pas de corde qui me permette de franchir discrètement les murs de la ville, et je ne suis pas sûre de trouver, au-delà de la faille, de quoi en fabriquer une. Je sais où m'en procurer mais cela risquerait de me retarder au moins jusqu'à demain soir je pense... Or, vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait agir vite... Mais j'ai du mal à savoir jusqu'à quel point il y a urgence...
Son problème lui semblait bien trivial, beaucoup trop sans doute pour retenir l'attention de la dryade. Et tout était si serein ici, qu'elle se demandait bien pourquoi elle persistait à s'inquiéter de la sorte. Elle trouverait certainement ce qu'il lui fallait de l'autre côté. Ou bien elle pourrait entrer tout simplement par la porte...

[Galathée]

La dryade parut interdite.
" Je ne peux pas te dire ce que tu dois faire, humaine... tes priorités... tes inquiétudes... me sont étrangères..." dit la créature.
Elle secoua la tête, agitant les feuilles de sa chevelure, puis plissa ses yeux verts.
" Dis-moi quand tu veux que j'ouvre la pierre pour toi. Pour le reste... je ne peux pas t'aider."

[Voyageuse]

Astrée hésita. Pourrait-elle se passer de corde si elle ne trouvait pas de quoi en fabriquer ? Pourrait-elle entrer par la porte ? Il y aurait des gardes, certainement, peut-être pour surveiller au loin si des centaures approchaient : elle avait vu de la lumière, l'autre jour, dans la tour. Et même s'ils ne s'inquiétaient pas des humains, le risque était trop grand qu'ils repèrent une silhouette inconnue, même dans une cité de cette taille.
"J'imagine qu'une fois là-bas, je ne pourrai plus revenir s'il me manque quelque chose, que vous ne pourrez plus m'ouvrir le passage..."
C'était une voie à sens unique, un aller sans retour... Une fois là-bas, elle n'aurait pas d'autre choix que de réussir. Elle savait qu'elle pouvait encore renoncer. Mais non, elle ne s'en sentait pas le droit. Il fallait qu'elle réussisse. Elle trouverait un moyen. Et sinon, elle pourrait toujours essayer de revenir par le village...
"Alors il vaut mieux que je prenne le temps de rassembler tout ce dont j'ai besoin. Je reviendrai demain, je pense..."
Ce serait vraiment trop bête de se retrouver bloquée faute de matériel. Un jour ou deux de plus ne comptaient sans doute pas tant que ça ? Elle l'espérait, du moins. Elle préférait ne pas imaginer combien de temps supplémentaire il lui faudrait pour retrouver ce centaure dans un village de cette taille, même avec l'aide de Prince. Peut-être n'était-ce pas la bonne stratégie. Peut-être était-ce le roux qu'il fallait libérer... mais elle n'arriverait pas à lui faire confiance : il était trop plein de rage pour l'écouter. Peut-être ferait-elle mieux d'aller à la rencontre des centaures seule, pour gagner du temps ? Non, le risque était trop grand là aussi, qu'ils l'attaquent sans la laisser parler. Ils étaient en guerre... Mais elle n'avait pas à s'en préoccuper tout de suite : elle aviserait une fois là-bas. Pour le moment, elle devait rejoindre, aussi vite que possible, la bergerie. Sans oublier de se montrer prudente lorsqu'elle approcherait des endroits fréquentés par les montequins.

[Galathée]

La dryade ne dit rien, se contentant d'acquiescer avant de disparaître à l'intérieur de son chêne. Prince lui offrit ensuite son dos et elle put repartir dans la forêt, qui retrouva son aspect plus ordinaire au fur et à mesure qu'elle s'éloignait du bosquet. Les nuages gagnèrent leur manche contre le soleil et il se mit à pleuvoir. Les bois bruissaient sous l'ondée, la rôdeuse demeurait aux aguets, et elle croisa la piste d'un groupe de sangliers, puis celle, nettement marquée, d'un carnivore de grande taille, sans doute un lion des montagnes. Il était passé peu de temps auparavant et son odeur incommoda Prince, qui devint plus nerveux. La forêt se clairsemait. A gauche de la jeune femme s'étendait la sapinière aux branches serrées, dédale obscur où se cacher serait plus facile mais se déplacer plus complexe. A droite, les feuillus paraissaient plus accueillants mais moins sûrs. Elle finirait par retrouver la tranchée des bûcherons, puis la route rouge, et beaucoup plus loin, la bergerie... Mais elle serait alors à découvert.

[Voyageuse]

Astrée hésita. La sécurité ou la rapidité... Quelles étaient les risques que les chasseurs soient par ici ? Ils n'avaient plus de centaure à chasser. Ceux qui s'étaient lancés à sa poursuite la veille devaient probablement avoir fait demi-tour et être rentrés. Ou peut-être pas, après tout. Mais tout de même, elle se trouvait loin du village, et la journée était déjà bien avancée. Sans doute n'y avait-il plus personne dans les environs. Et elle ne pouvait s'empêcher de songer qu'elle perdait peut-être trop de temps...
Elle finit par opter pour la forêt de feuillus, qui lui paraissait le chemin le plus direct. Il lui faudrait rester constamment aux aguets. Elle resterait à couvert le plus possible, et se contenterait de longer la tranchée sans s'y aventurer, puis de longer la route un peu à distance, sous le couvert des arbres aussi longtemps qu'il y en aurait. Ensuite, il lui faudrait se risquer à découvert... et galoper aussi vite que possible jusqu'à la bergerie.

[Galathée]

Prince entendit les voix avant la jeune femme. Il s'immobilisa brusquement, les oreilles dressées, comme s'il avait été paralysé par un sortilège invisible. Naseaux dilatés, il courba l'échine et Astrée sentit toute sa musculature se tendre sous elle. Il était prêt à bondir.
Alors seulement, le vent lui porta des bribes de conversation. Elle ne parvint ni à en identifier le sens, ni à en identifier la source, mais il y avait quelqu'un à l'extérieur du bois, probablement sur la route. Peut-être ne la cherchaient-ils pas, peut-être se rendaient-ils à Montequine, peut-être en partaient-ils, mais Astrée se trouvait trop près de l'orée du bois pour être parfaitement invisible si l'un d'entre eux se décidait à venir jeter un coup d'oeil entre les troncs.

[Voyageuse]

Astrée blêmit. Elle hésita un bref instant, partagée entre la curiosité et la prudence, mais ce fut cette dernière qui l'emporta. Peu importait qui était là ou ce qu'ils disaient. Il était hors de question de se faire voir. Elle espérait juste qu'ils ne repéreraient pas les empreintes de Prince... du moins pas avant qu'elle ait quitté définitivement les lieux.
Elle mit pied à terre, prit son sac et demanda à Prince de se faire écureuil ou abeille : ils seraient plus discrets ainsi s'ils s'avisaient de s'approcher. Et lentement, silencieusement, elle s'éloigna de l'orée des bois. Elle longerait la route de plus loin encore. C'était plus prudent.

[Galathée]

La pluie continuait à tomber, filtrée par la ramure des arbres, étouffant tout son dans son bruissement hypnotique. Prince menait leur périple, sous sa forme d'écureuil, bondissant d'arbre en arbre, cavalant entre cime et racines, avant de revenir un instant vers sa maîtresse, puis de repartir en éclaireur. La vitesse de progression de la jeune femme avait ralenti et elle fut forcée de tenter, de temps en temps, de retourner vers la route pour s'assurer qu'elle maintenait le bon cap. Le ciel voilé s'obscurcissait et la forêt s'éclaircissait. La nuit ne tarderait pas à tomber mais la rôdeuse arrivait à la limite du couvert des arbres. Il lui faudrait bientôt regagner l'espace découvert de la montagne si elle voulait atteindre la bergerie.

[Voyageuse]

La nuit n'allait pas tarder à tomber. C'était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle... Mais l'optimisme d'Astrée la poussa à considérer cela plutôt comme une bonne nouvelle : dans la nuit, ils risquaient encore moins de la repérer. Certes, elle non plus n'y verrait rien. Mais Prince pouvait redevenir étalon et l'emmener jusqu'à la bergerie. Il était probable, de toute façon, que les inconnus, quel qu'ils soient, s'arrêtent quelque part avant la nuit. Il fallait juste espérer qu'ils ne comptent pas eux aussi profiter de l'abri de la bergerie, mais se dirigent au contraire vers le village...
Elle écouta attentivement et observa de tous ses yeux les environs, avant de se risquer, lentement, hors du couvert des arbres. Elle laissa Prince, sous sa forme écureuil, jouer les éclaireurs tant qu'ils y voyaient suffisamment tous les deux. Elle restait pour le moment loin de la route, suivant une trajectoire aussi parallèle que possible, et se tenait prête à s'aplatir au sol à la moindre alerte. Lorsqu'il ferait plus sombre, elle pourrait rejoindre la route rouge pour avancer plus vite.

[Galathée]

Hors des bois, le terrain se modifia cependant très rapidement pour redevenir rocailleux et Astrée se souvint de la pente escarpée qu'il lui avait fallu franchir pour atteindre le plateau où se trouvait la forêt. Il serait impossible de descendre cette déclivité en dehors de la route rouge, a fortiori de nuit... Prince avait repris sa forme d'étalon et contemplait les ténèbres qui dévoraient peu à peu le paysage martelé par le crachin. Il n'y aurait sans doute pas de lune avant un certain temps, si elle parvenait même à se frayer un passage entre les nuages. L'herbe respirait, dégageant une odeur fraîche et forte, qui ne cachait qu'imparfaitement un autre parfum, plus ténu... Prince s'ébroua sous la pluie et Astrée reconnut, ténue, l'odeur du feu.

[Voyageuse]

La rôdeuse grimaça. Les inconnus ne se dirigeaient donc pas vers le village. Ils campaient dans les parages. Elle avait bien du mal à évaluer où, en revanche. Mais ils étaient probablement assez proches de la route. Elle risquait donc, en se dirigeant par là-bas, de tomber sur eux... Elle pouvait prendre le risque, peut-être. Elle les verrait leur feu bien avant qu'ils ne l'aperçoivent. Elle saurait alors où ils se trouvaient, et déterminerait si elle pouvait rejoindre ou non la route, puis la bergerie. Mais le problème se poserait à nouveau le lendemain : ils s'éloignaient de Montequine, il était donc probable qu'ils se dirigent eux aussi vers la bergerie. Et elle risquait alors de les croiser en revenant demain matin. Pouvait-elle faire l'aller-retour de nuit et regagner ensuite le couvert des bois pour y être plus en sécurité ? Elle avait du mal à évaluer la distance à laquelle la bergerie se trouvait encore, et encore plus de mal à deviner le temps qu'il lui faudrait pour faire ce trajet de nuit. Trop sans doute, sans compter le risque que la lune n'apparaisse pas : crapahuter dans l'obscurité était trop dangereux. Mieux valait, sans doute, regagner le couvert des arbres et poursuivre le lendemain.
A pas de loup, elle décida tout de même de s'approcher encore un peu, laissant Prince en arrière, courbée en deux, guettant le bruit de pas ou de conversations, cherchant surtout où se trouvait le feu. C'était par pure curiosité. Ils ne devaient pas être très loin... Elle ne s'approcherait pas pour ne pas se faire repérer, et reviendrait aussitôt vers Prince. Elle voulait juste essayer de savoir combien ils étaient. S'ils étaient trop loin pour qu'elle puisse être de retour avant que l'obscurité soit trop dense, elle renoncerait.