[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Hubert de Maleval]

Avant de sortir, Hubert retourna vers Robert.
" Une dernière chose, peut-être... Nous sommes arrivés avec trois chevaux, et je pense qu'Albérich n'aura nul désir d'être en selle pendant le trajet, aussi vous pouvez considérer que nos deux bêtes excédentaires sont à votre disposition. J'imagine que vous les aviez déjà comptées, mais je voulais m'en assurer."

[Taliesin]

-Nous ne nous serions jamais permis de compter sur vos chevaux sans vous en avoir au préalable demandé la permission, et ce d'autant moins que vous avez vos propres bagages à transporter. Alors, je vous sais gré de votre offre : plus nous aurons de cavaliers pour patrouiller le long de la colonne, mieux ce sera. Et évidemment, nous nous chargerons de vos affaires... Vous serait-il juste possible de demander à Albérich avec qui il souhaite voyager ? Pour être sûrs que personne ne manque à l'appel, nous avons établi différentes listes, dont une précisant qui exactement se trouve dans quel chariot...

[Hubert de Maleval]

" Je peux lui demander mais je doute qu'il soit très difficile... Pour autant qu'il ne se retrouve pas dans un chariot de grands anxieux..."
En réalité, Hubert avait surtout envie que le chariot du Luménien soit dans le secteur qu'il superviserait, mais il ne voyait pas bien comment en faire la demande à Robert sans que celui-ci ne trouve la chose bizarre et ne suppute que le paladin ne faisait pas confiance aux autres officiers. Il renonça donc à en parler, tout en sachant qu'il s'en voudrait de s'être tu, et qu'il ne serait pas tranquille. Mais il fallait qu'il puisse s'intégrer à la communauté, entièrement, sans estimer sans cesse qu'il était la personne la plus qualifiée... l'unique personne qualifiée, en fait, pour veiller sur le Luménien. C'était difficile. Albérich, lui, ne s'offusquerait de rien.
" Je vous tiens au courant. Merci encore pour la confiance que vous me témoignez, je m'efforcerai de ne pas la décevoir."

[Taliesin]

-C'est moi qui vous remercie, Hubert, pour avoir accepté de mettre vos compétences et votre expérience au service de la communauté. Pour être franc, je suis moins inquiet, à présent que je sais avoir à mes côtés quelqu'un comme vous.
Il parut sur le point d'ajouter quelque chose mais, apparemment, changea d'idée au dernier moment.
-Je tenais également à vous remercié pour l'armure et pour avoir accepté qu'Alban reste avec vous à la forge. Il a son statut d'écuyer tellement à cœur que c'est la croix et la bannière pour le convaincre de prendre quelques moments de détente, alors qu'il en a besoin. Cette petite excursion lui a donc fait du bien.

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit.
" Je suis ravi si j'ai pu lui changer les idées un moment. C'est un bon garçon, et je suis certain qu'il fera un chevalier hors pair." dit le paladin, sincère.
Il faillit ajouter qu'il était heureux qu'ils aient pu se trouver, l'un et l'autre, mais sans doute la remarque paraîtrait-elle déplacée. Robert ne savait pas que Marthe et Edgar avaient éventé, chacun de leur côté, un peu de leurs passés douloureux.
" Je vais vous laisser... A bientôt..."
Sur un sourire, il s'inclina poliment puis gagna l'extérieur. Ces quelques mots échangés sur Alban lui rappelaient Ruth et il réalisait qu'il avait bien fait de ne pas encore lui parler de ses projets. Il n'allait jamais parvenir à la caser dans les journées à venir. Cela l'emplit d'une légère déception, mais la sécurité de la communauté devait primer dans un premier temps. Il aviserait en fonction des premiers jours. Il mit donc le cap sur la plage où devait se trouver, sans doute, le Luménien, pour l'avertir des derniers développements.

[Taliesin]

Mais il n'avait pas fait trois pas dans cette direction qu'Edgar, qui l'avait guetté, l'abordait.
-Toujours tenté par un bain chaud ? Ted et les autres en ont fini avec ceux des éclaireurs et de la plupart des instructeurs. Le moment est donc venu pour Robert, toi, moi, et Albérich d'en profiter ! A moins que tu ne préfères que nous fassions semblant d'avoir oublié pour le leur rappeler juste après l'assemblée, alors qu'ils croiront leur calvaire terminé ?

[Hubert de Maleval]

" Non, non, non, Edgar ! Nous ne pouvons pas prendre un tel risque ! s'exclama Hubert. J'arrive tout de suite ! Je vais chercher... des vêtements propres... et Albérich !"
Sans attendre la réponse de l'instructeur, Hubert fila entre les tentes, jusqu'à la plage. Il scruta un moment les dunes, repéra la petite tache sombre qu'il cherchait et débarqua, joyeux, devant le Luménien. Celui-ci releva des yeux interdits de son livre.
" Ah, Hubert... Ruth et sa mère sont...
— Pas le temps. Lève-toi. Va chercher des vêtements de rechange.
— Des quoi ?
— C'est l'heure du bain chaud, Albérich ! Tu ne voudrais pas manger ton dernier bain chaud avant l'année prochaine !
— Oh mais tu es réconfortant, dis donc !
— C'est pour que tu mesures mieux ta chance !"
Le Luménien eut une grimace interloquée, mais finit par se lever. Hubert l'attrapa aussitôt par le bras et l'entraîna vers leur tente.
Trois minutes plus tard, ils avaient rejoint Edgar.
" Nous sommes parés !"

[Taliesin]

-Alors aidez moi à le convaincre d'accepter cette aubaine ! fit l'instructeur en désignant Robert, avec lequel il s'entretenait au moment de leur arrivée.
-C'est peine perdue, fit l'intéressé, amusé. Je refuse de pactiser avec l'ennemi et de participer à l'exploitation sauvage, abusive et inqualifiable de mes rares fidèles. Je ne leur faillirai point, ce serait contraire à mes vœux de chevalier. Et je crois qu'il serait, au contraire, juste et légitime que je leur prépare moi-même un bain, pour leur remercier de leur indéfectible loyauté.

[Galathée]

Albérich regarda Edgar et Robert sans réellement comprendre : il ne savait toujours pas exactement de quoi il retournait, hormis qu'il y aurait de l'eau chaude et que c'était lié au tournoi de la veille. Lui qui n'avait combattu contre personne ne voyait pas très bien ce qu'il venait faire là-dedans.
" Ecoutez, Robert, j'ai une proposition, dit alors Hubert. Je m'occuperai personnellement de votre bain. Comme ça, vous n'exploiterez pas vos fidèles, et ça me permettra de me faire pardonner pour le combat d'hier... Une manière de... réparer le grand équilibre cosmique, quelque chose comme ça !"

[Taliesin]

Il le dévisagea un moment, très sérieux.
-Nous avons déjà rétabli l'équilibre cosmique, Hubert. Je crois même que vous en avez trop fait... Si vous continuez sur cette voie, je serais obligé d'organiser, dès demain, non pas un, mais deux tournois qui se solderont à nouveau par ma défaite. Et encore, les choses seraient à peine redevenues équitables... Or, nous ne pouvons pas nous permettre ce surcroît d'organisation, surtout avec la grande soirée de départ...
L'instant suivant, il se penchait et lui soufflait à l'oreille.
-En réalité, j'ai encore des obligations. Mais chut ! C'est une cause de refus moins noble...
Pendant ce temps, Edgar s'était tourné vers Albérich.
-Je vous assure qu'ils n'ont rien bu durant la réunion, et qu'ils n'ont pas, non plus, emprunté à Maître Giovanni de ce chanvre qu'il aime fumer... Vous croyez que c'est le "sire" qu'on doit rajouter avant leur nom qui a des effets secondaires ?

[Galathée]

Albérich ne comprenait rien à cette histoire d'équilibre cosmique, mais il commençait à être un peu gêné d'être associé à ce qui paraissait être une affaire bien étrange. Il sourit cependant à Edgar.
" Je ne dis jamais Sire à Hubert, et il se comporte quand même comme ça, dit-il. Je crois que c'est sa manière d'être naturelle.
— Ne médis pas, Megrall, je t'entends !
— Je ne médisais pas. Pas un instant."
Il revint à Edgar.
" Mais je suis un peu embarrassé... Je n'ai combattu personne hier... et j'entends qu'on parle d'exploiter les fidèles de Sire Robert... Je ne voudrais surtout pas donner un surcroît de travail à des personnes qui en ont déjà eu beaucoup aujourd'hui... Si j'ai bien compris, tous les éclaireurs sont déjà passés dans ces bains chauds..."

[Taliesin]

-En fait, à chaque fois qu'on s'entraîne les uns face aux autres, on prend des paris. Pour le tournoi, on a décidé de maintenir la tradition, mais également de parier sur Hubert et Robert. Et les termes étaient très clairs : les perdants devraient un bain chaud à tous les instructeurs et à leur entourage. Bon, concernant les éclaireurs, comme ça n'était pas prévu, et comme... hum... moi-même et d'autres avions pronostiqué la victoire de Ruth... nous avons décidé de leur filer un coup de main. En somme, vous n'avez vraiment pas à culpabiliser !
Et d'ajouter, à voix basse :
-Concernant Robert, ça ne lui ressemble pas, cette attitude. Il n'est comme ça que depuis très peu de temps. Au début, on pensait que c'était l'influence de son écuyer, mais ce gosse est tellement sérieux... Maintenant, on commence à soupçonner que c'est celle d'Hubert qui, au moins, accélère la métamorphose. Ne dit-on pas que les paladins ont une aura qui a des effets sur ceux qui les approchent ?

[Galathée]

Albérich trouva comique d'appartenir à "l'entourage" du paladin. Même s'il savait que ce n'était pas ce que suggérait Edgar, ça lui donnait l'impression d'être une sorte de courtisan, tapi dans l'ombre du chevalier pour l'abreuver de conseils et de compliments. Il ne put s'empêcher de sourire. Il songea aussi à Ruth et sa mère, courant vers la mer froide pour se laver. Elles auraient davantage mérité de se plonger dans l'eau chaude, assurément, compte tenu de ce qu'elles avaient fait pour Hubert la veille. Le paladin n'y avait même pas songé, apparemment, à moins que les termes d'entourage n'aient été définis précisément par les parieurs.
" Je n'avais jamais noté cet effet de son aura, dit Albérich avec un haussement d'épaules. Mais peut-être est-il différent en fonction des besoins de chacun ? Nous verrons aussi si les choses s'aggravent au fil du temps... Il sera peut-être possible alors de les séparer avant qu'il ne soit trop tard pour Sire Robert."

De son côté, Hubert tentait toujours de convaincre son interlocuteur.
" Peut-être pouvez-vous vous réserver pour après l'assemblée ? dit-il au chevalier. Vous avez mérité de vous délasser quelque peu, et les veilles à venir seront rudes pour nous tous. Si vous ne revenez pas vers moi, je reviendrai vers vous."
Il n'avait pas manqué la référence à la "grande soirée du départ", non plus... mais ce serait assurément pour le lendemain. Il aurait sans doute dû s'offusquer qu'une fête soit organisée la veille d'un jour critique, mais ce genre de grommellements était la marque de fabrique d'Albérich. De son côté, il avait une soirée à rattraper... pour autant qu'on ne lui invente pas qu'il était privé de réjouissances pour une raison farfelue ou une autre.

[Taliesin]

-D'accord, je promets d'y songer une fois l'assemblée terminée, répondit finalement Robert. Après tout, rien de tel qu'un bon bain chaud pour bien dormir... Mais, pour l'heure, je dois aller trouver Ignace : il faut procéder à l'inventaire final de l'armurerie, car si des achats sont encore nécessaires, il ne reste plus que demain pour y procéder.
-Encore une victoire d'Hubert... commenta Edgar, admiratif, quand le chevalier se fut éloigné. J'ai l'impression que rien n'y personne ne peut te résister !

[Galathée]

" C'est une question d'aura, fit le paladin avec un clin d'oeil, corroborant par là la discussion qu'Edgar et Albérich avaient eue à son insu. Et puis je crois qu'au fond de lui, Robert a quand même besoin de me faire payer mon impudence !"
Il se frotta les mains, manifestement très satisfait de lui-même.
" Bon, ça se passe où ? Albérich commence à sentir ses rhumatismes et comme il ne s'est pas lavé depuis —
— Ça suffit !"

[Taliesin]

-Quoi ?! Vous n'avez pas pris de bain de mer ? Vous n'avez pas souhaité partager ce grand moment de la vie collective de notre communauté ? Pardonnez-moi, messire, mais je pense que vous avez eu tort, d'autant que tout ceux qui y ont goûté ne peuvent désormais plus s'en passer. Enfin, si on excepte les personnes qui, hum... refroidies par leur première expérience, ont décidé de se rendre discrètement en ville pour s'y laver à l'eau chaude....
L'instructeur les conduisit alors jusqu'à une tente qui, quelle qu'aient été sa fonction première, s'était vue transformer en sommaire salle de bain. Le groupe ne disposant pas de baignoires à part entière, les parieurs malheureux avaient dû se servir de ce qu'ils avaient pu trouver : on remarquait ainsi un tonneau, de grands baquets sans doute utilisés pour la vaisselle ou la lessive...
Ted et Poil de Carotte semblaient tout juste revenus sur les lieux : ils venaient de déposer par terre des seaux d'eau fumante.
-Trois seulement ? s'exclama l'homme qui supervisait l'entraînement des enfants. Ouf ! J'ai eu peur que vous ne rameniez de faux cousins, de vieux amis rencontrés par hasard ou que sais-je encore...
-J'y ai songé, répondit Edgard, mutin.
-Et tu as finalement eu pitié, crapule ? Il était temps... Mais je note que tu t'es bien gardé de prévenir Robert.
-Médisant ! Bien sûr que si, je l'ai prévenu, mais il était fermement décidé à ne pas aggraver le sort de ses dernières fidèles... Jusqu'à ce qu'Hubert le persuade d'y songer lorsque l'assemblée serait terminée.
-Hein ?! Vous voulez nous obliger à nous coucher hyper tard, c'est ça ? Les dieux m'en soient témoins, nous nous vengerons ! Je ne sais pas encore quand, ni comment, mais nous nous vengerons !
-Allez ! Si tu continues à faire ta mauvaise tête, je ressors et ramène une vingtaine de personnes supplémentaires...

[Galathée]

" J'ai dit à Robert que je me chargerais de son bain, et c'est ce que je ferai. Il a à coeur d'épargner ceux qui l'ont soutenu, aussi refusera-t-il de se laver si vous êtes de garde, fit Hubert avec le sourire. Soyez donc sans crainte."
Le paladin entreprit aussitôt de se déshabiller et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il s'était installé dans le récipient le plus proche de lui.
" Tu n'as pas peur de finir par fondre, à force de te laver trois fois par jour ? demanda Albérich en se dévêtant à son tour.
— Je reprendrai du volume dans les veilles à venir.
— Moi qui croyais les paladins immunisés à la crasse."

[Taliesin]

-On vous laisse, histoire que vous puissiez en profiter bien tranquille, fit Ted en se dirigeant vers la porte. Et puis, faut qu'on aille chercher toutes ces dames qui nous ont graissé la patte pour qu'on les prévienne quand il y aurait moyen de se rincer l’œil. Oh, et Maître Giovanni, aussi, qui a hâte de dessiner ses premières esquisses... Il tient vraiment beaucoup à son projet de portraits !
Les trois hommes se retrouvèrent bientôt seuls. Edgar barbotait déjà comme un bienheureux, sifflotant, peut-être sans en avoir conscience, un air qui ressemblait fort à celui d'une chanson paillarde.

[Galathée]

Albérich était bien décidé à profiter de son bain, même s'il ne doutait pas, dans les conditions dans lesquelles ils étaient, qu'il refroidirait beaucoup plus vite que dans une chambre d'auberge. Il se demanda si les rumeurs sur les sources d'eau chaude qu'on trouvait aux abords des Rocheuses du Dragon étaient fondées. Il s'interrogea aussi sur la véracité des paroles de Ted. Qui était ce Giovanni et de quels portraits parlait-on ?
De son côté, Hubert mitonnait tranquillement, exactement comme il l'avait fait chaque jour à Solarcis, après leurs entraînements. Les yeux mi-clos, silencieux, immobile, il sortirait le dernier de l'eau, le Luménien était prêt à le parier. C'était probablement un rituel qu'il observait depuis des années et Albérich le suspectait d'en profiter pour prier Lathandre, ou quelque chose comme ça.

[Taliesin]

Ils ne virent surgir ni cohorte de femmes curieuses, ni mystérieux Maître Giovanni et purent donc savourer leur bain en toute quiétude. Malheureusement, comme l'avait prévu Albérich, l'eau ne tarda guère à passer de chaude à tiède, puis à fraîche... Cela ne manqua pas d'arracher un soupir désolé à Edgar.
-Ils auraient quand même pu nous rapporter de l'eau chaude... Franchement, ils exagèrent !
Il se leva, se sécha, s'habilla promptement.
-Bon, maintenant, ripaille ! A plus tard !
Et de quitter la tente, essayant de faire en sorte que le moins possible d'air glacé ne s'y engouffre.

[Galathée]

Albérich frissonna. Comme prévu, Hubert ne bougeait pas d’un pouce.
« Comment fais-tu pour résister à cette eau glacée ? demanda le Luménien en émergeant à son tour.
— Momie, goule, zombie, répondit Hubert dans un souffle. Momie, goule, zombie, momie, goule, zombie. »
Albérich grimaça et sortit du baquet, avant de s’approcher de celui d’Hubert.
« Qu’est-ce que tu dis ?
— Rien, rien, je révise. Rhabille-toi, tu vas prendre froid.
— Tu révises tes morts-vivants ?!
— C’est approprié, non ?
— Dans ton bain ?!
— Pourquoi pas ?
— Tu es fou. »
Une seconde, Albérich inspecta son côté droit et la marque blanche que la morsure de loup de l’hiver précédent y avait laissée.
« Momie, goule, zombie. » fit Hubert en fermant les yeux.
Le Luménien lui jeta un regard décontenancé puis haussa les épaules et attrapa une serviette. Il se sécha et se rhabilla. Hubert était toujours dans l’eau et il rouvrit un œil.
« Albérich, penses-tu que tu pourrais… heu… aller me chercher… une chemise ? J’ai oublié de prendre une chemise.
— Non, elle est là, ta chemise.
— Ah… mais… C’est une chemise qui gratte. »
L’ancien clerc lui jeta un regard soupçonneux.
« Une chemise qui gratte ?
— Une chemise qui gratte.
— Et tu en veux une autre ?
— C’est ça.
— Hubert, ça va bien ?
— Très bien. Je crois que je vais encore rester un moment. Tu peux partir. Je te retrouve plus tard.
— L’eau chaude te monte à la tête.
— Mais non, allez, va t’en. »
Albérich croisa les bras.
« Et la chemise ?
— Laisse tomber la chemise. Va nous réserver une table quelque part, je ne sais pas, moi… J’arrive. »
En fait, réalisa Albérich, Hubert était pudique, et il n’en avait jamais pris conscience. Le paladin était toujours le premier dans les bains à Solarcis, toujours le dernier à en sortir. Il ne se lavait jamais dans le petit ruisseau au bord de la route. Il se changeait toujours en quatrième vitesse dans la chambre, dans la pénombre de préférence, et avait même gardé sa chemise pour aller dans la mer. Peut-être même était-il gêné de la nudité des autres, chose à laquelle Albérich n'avait jamais pris garde... Il se sentit bête de ne pas l’avoir compris plus tôt et eut un sourire embarrassé.
« D’accord, à tout de suite. »
Récupérant ses vêtements sales, et ceux du paladin, il quitta les lieux, dans l’idée de faire un crochet par leur tente puis de gagner la cantine.

[Taliesin]

Lorsqu'il parvint près de cette dernière, le Luménien constata qu'on s'affairait déjà sur la place attenante : ceux qui avaient déjà mangé - ou qui attendaient encore de pouvoir se restaurer - entassaient du bois pour un feu destiné à fournir sinon de la chaleur, au moins de la lumière. Pour les bancs, il faudrait attendre la fin du repas avant d'avoir le loisir de les installer. Quant à la petite estrade où s'était tenue Frida et où monteraient les orateurs, elle n'avait pas été démontée.
La cantine elle-même était bondée. Mais les convives se hâtaient manifestement d'avaler leur dîner et quelques places ne tardèrent pas à se libérer.

[Galathée]

Hubert fit son apparition quelques minutes plus tard, aussi détendu que d'ordinaire, sans faire la moindre référence aux zombies ou aux chemises qui grattent. Albérich se garda bien de revenir sur l'épisode et ils mangèrent rapidement, conscients de l'impatience qui régnait autour d'eux. Le Luménien était vraiment curieux de voir comment se déroulerait cette assemblée. Les conseillers seraient-ils les seuls à parler ou les autres oseraient-ils aussi prendre la parole ? Comment seraient prises les décisions ? Comment seraient gérées les oppositions ? La charte était belle et bien pensée, les principes solides, mais leur mise en pratique était toujours une autre paire de manches... Dès qu'ils eurent terminé, les deux amis aidèrent à débarrasser et à installer les bancs. Ils prirent ensuite place et attendirent que les choses sérieuses commencent...

[Taliesin]

Lorsque l'assemblée fut au grand complet - il ne manquait que les quelques gardes de faction, et les deux amis apprirent qu'ils avaient fait des procurations dans l'éventualité d'un vote -, Marthe monta sur l'estrade, remercia l'assistance pour sa présence puis exposa le programme de la réunion :
-En premier lieu, Frida va nous donner un compte-rendu plus détaillé de la reconnaissance le long de la vieille route, et elle répondra bien sûr à toutes les questions que vous souhaiterez lui poser. Chacun ayant connaissance de ces importants éléments, possibilité sera offerte à ceux qui le désireraient de demander un vote sur la poursuite ou la non poursuite de notre expédition. Ensuite, et à moins qu'une majorité d'entre nous se soit prononcée contre le départ, Ignace viendra parler des préparatifs, des ultimes achats de matériel et du démontage du camp. Enfin, Robert évoquera la manière dont nous nous organiserons au cours du voyage. Si d'autres personnes veulent alors prendre la parole, elles le pourront évidemment et, de manière générale, sentez-vous libres d'intervenir à tout moment.
A la juge succéda la rôdeuse, qui fit part à la communauté des informations qu'elle avait déjà délivrées, dans l'après-midi, aux officiers. Son exposé fut suivi d'une série de questions touchant aux morts-vivants, à l'état et à la largeur de la route, aux lieux de bivouac ou encore à la présence de sources d'eau potable et, à chaque fois, elle s'efforça de répondre avec le plus de précision possible.

[Galathée]

Albérich et Hubert écoutèrent avec attention le récit de la rôdeuse, sans pour autant intervenir. Les questions posées paraissaient pertinentes, les réponses réfléchies, le Luménien essayait de tempérer ses propres inquiétudes en scrutant les visages tranquilles autour de lui. La présence du paladin, son air concentré, son léger sourire, son aura formidable, l'aidaient bien, il fallait l'avouer. Après le combat de la veille, il l'imaginait sans difficultés affronter une goule dans le marais et avoir le dessus. Bien sûr, Lathandre l'épaulerait, et il en serait encore plus redoutable, libéré des contraintes d'un duel humain, investi de toute sa puissance de frappe et d'annihilation. Albérich détecta son impatience muselée, surtout quand Frida mentionna les tumulus en bordure de route. Autant ce qu'elle racontait lui faisait prendre conscience qu'il ne serait qu'un poids mort pendant tout ce périple, qu'un individu coincé dans un chariot, attendant que le temps passe en croisant les doigts pour que rien de fâcheux n'arrive, autant il réalisait qu'avec un peu de chance, Hubert aurait toute la latitude de se réaliser, de retrouver son élan, d'être le paladin qu'il croyait avoir perdu dans les rues de Solarcis. Il ne pouvait que s'en réjouir : c'était la raison pour laquelle il avait accepté de l'accompagner.

[Taliesin]

Lorsqu'il n'y eut plus de questions, Marthe revint sur l'estrade et demanda si quelqu'un, dans l'assistance, trouvait que ces nouvelles remettaient en cause la pertinence de leur expédition et souhaitait que l'on procède à un vote. Nul voix ne s'éleva en se sens, uniquement des murmures enthousiastes laissant entendre qu'on pouvait passer au sujet suivant.
Ignace lui succéda alors afin d'évoquer des sujets qui, pour être peu palpitants, ne s'en avéraient pas moins incontournables. Il commença par inviter les membres de la communauté à procéder à un inventaire de leurs possessions et à lui signaler au plus tôt, le lendemain matin, s'il leur manquait quoi que ce soit : ainsi pourrait-on procéder à des achats de dernière minute sans que le départ ne soit retardé par les délais de livraison. L'intendant décrivit ensuite la manière dont on procéderait aux préparatifs - ce faisant, il s'adressa surtout à ceux qui avait rejoint le groupe depuis qu'il s'était établi près de Grand Estuaire : chacun devait emballer les affaires dont il n'avait pas immédiatement besoin et les charger dans le chariot où il prendrait place. Au cours de la journée à venir, on démonterait les installations dont la présence n'était pas absolument nécessaire. Quand aux tentes d'habitation, à la cantine, à la cuisine et aux écuries, elles ne seraient repliées que le surlendemain, à l'aube.

[Galathée]

Albérich n'avait aucune idée du chariot dans lequel il était censé prendre place et se promit d'interroger Ignace sitôt la fin de l'assemblée. Il devinait que leurs chevaux seraient réquisitionnés par l'équipe de sécurité — ce qui n'était pas pour lui déplaire —, il faudrait donc qu'ils stockent une partie de leur matériel ailleurs. Grand Vent conserverait ses fontes, et Albérich emporterait le reste, plus que probablement. Il devrait aussi poser des questions pour savoir quoi faire de sa masse, de son bouclier et de sa cotte de mailles, peut-être pas à Hubert dont il pouvait deviner d'avance la réponse scandalisée. Il croisa d'ailleurs le regard du paladin qui lui décocha un calme sourire, parfaitement satisfait de tout ce qui s'était raconté jusque là.

[Taliesin]

Le discours de l'intendant, clair et précis, ne suscita guère d'interventions de la part de l'assistance. En fait, il n'y en eut qu'une seule, laquelle porta sur l'organisation de la fameuse soirée de départ. Amusé, Ignace répondit qu'afin que ces réjouissances ne soient pas trop raccourcies par la nécessité de prendre une bonne nuit de repos avant de se mettre en route, elles débuteraient au coucher du soleil. La nouvelle fut accueillie par des applaudissements.
Ce fut enfin au tour de Robert de prendre la parole. Pour le paladin comme pour ses collègues officiers, il n'y eu aucune découverte. Mais, en vérité, il n'y en eut pas beaucoup non plus pour les autres membres de la communauté, qui avaient déjà dû être informés des mesures envisagées lors d'une précédente assemblée. La principale décision de la réunion d'état-major s'étant déroulée en fin d'après-midi, à savoir le recours à des civils pour monter la garde, ne suscita aucune opposition. Au contraire : apprenant qu'ils seraient mobilisés, les enfants poussèrent de joyeuses acclamations, et il sembla à Hubert reconnaître celles de Ruth, particulièrement bruyantes - quoiqu'elle ne fut pas dotée d'infravision et donc, normalement, pas immédiatement concernée.

[Galathée]

Albérich ne partageait pas l'enthousiasme des enfants à l'idée que ces derniers soient impliqués dans les tours de garde, et il ne put s'empêcher de regarder Hubert avec une grimace. Ce dernier haussa les épaules, un peu embarrassé.
" Il s'agit juste de surveiller la nuit quelques heures, Albérich... Ils auront toute la journée pour récupérer, et en cas de grabuge, tous les soldats seront sur pied en quelques minutes..." souffla-t-il à voix basse.
Le Luménien ne lui répondit pas mais lui laissa bien comprendre, à son expression, qu'il n'était que semi-convaincu. Le paladin parut sur le point d'ajouter quelque chose, aussi adoucit-il son mécontentement d'un sourire en secouant la tête. Hubert soupira et reporta son attention sur ce qu'annonçait Robert, et notamment leur plan de tester d'éventuels volontaires, le soir-même, afin de renforcer les effectifs.

[Taliesin]

Cette nouvelle-là suscita quelques protestation, certains arguant que l'heure était un peu tardive pour procéder à de telles opérations. Toutefois, il s'agissait d'une indignation feinte : d'abord parce que très peu de monde était concerné, ensuite parce qu'être nommé auxiliaire de la garde était certes une contrainte, mais surtout un honneur et une reconnaissance.
Quand Robert en eut terminé, personne ne souhaita prendre la parole, et la réunion fut close. Il n'y avait eu guère de débats, guère d'opposition, mais il avait avant tout s'agit d'une assemblée vouée à l'information. Nul doute qu'il en irait autrement lorsqu'il serait question de prendre de grandes décisions ou de trouver des solutions à des problèmes majeurs.