[Quête] Dans la Campagne du Soleil

[Galathée]

L'impression globale du Luménien était plutôt positive, même s'il était conscient de n'avoir pas assisté à une assemblée critique. Les colons semblaient avoir bien assimilé les principes généraux du système, toutes sortes de gens s'étaient exprimés, avaient été écoutés avec respect par le groupe, avaient trouvé réponses à leurs questions. La communauté avait des bases saines, de bons conseillers, un projet dément, mais ils étaient probablement armés pour y faire face. Aussi bien que possible, du moins. Il en était heureux pour eux, même si cela le replaçait face à son sentiment de n'avoir pas grand chose à leur apporter. De toute façon, ils n'avaient pas prévu de rester, c'était donc tout aussi bien.
Hubert s'était levé et se tourna vers lui.
" Bon, ma soirée n'est pas finie. Je dois mettre Robert dans un bain, et je dois voir si certains humains ont de bons yeux... Ne m'attends pas pour aller dormir.
— Je voudrais savoir dans quel chariot je vais me trouver. Je vais aller voir Ignace. Et puis j'irai sans doute me coucher, oui."
Albérich avait la sensation de n'avoir rien fait de sa journée, mais cela ne l'en rendait pas moins fatigué, curieusement. Sans doute les effets secondaires du bain chaud, de la nourriture, et d'une angoisse insidieuse qui lui avait rongé les entrailles toute la journée.
" Je ne ferai pas de bruit en rentrant." promit le paladin, avant de le saluer, puis de filer.
Albérich chercha aussitôt l'intendant des yeux.

[Taliesin]

Il le repéra sans mal : les traits tirés, Ignace s'éloignait à petits pas, sans doute pour regagner sa tente. Lorsqu'il le rejoignit et lui posa sa question, l'homme parut décontenancé, et lui répondit qu'aucune place n'était déterminée à l'avance, qu'il pouvait s'installer avec qui bon lui semblait.

***

Quant au paladin, il était sur le point d'atteindre Robert lorsque, slalomant à travers la foule, Ruth se rua vers lui.
-Bonjour, messire Hubert ! lança-t-elle. Dites, je pourrais être sentinelle ? S'il vous plait ! Il paraît que j'ai d'aussi bons yeux que ma mère ! Elle, elle s'en sert pour broder des trucs super petits et super compliqués, mais moi, je préfère de loin les utiliser pour repérer des monstres !
Du coin de l’œil, il remarqua qu'Alban s'était également approché de son maître - un peu plus respectueusement que la petite fille, il fallait l'avouer -, apparemment pour lui poser une question. Sans doute était-elle identique à celle à laquelle lui-même devait faire face...

[Hubert de Maleval]

Hubert ne put s'empêcher de d'ébouriffer les cheveux de la gamine d'un geste amical, avant de lui sourire. Il se sentit aussitôt envahi d'une bouffée de honte à l'idée de ce qu'il avait imaginé lui proposer au petit matin et qu'il était contraint de postposer, probablement définitivement, au vu des jours à venir. Heureusement, heureusement, qu'il n'avait pas eu le temps d'aller lui en parler.
" Ecoute... Si ta mère est d'accord, il n'y a pas de raison que tu ne puisses pas participer au petit exercice que nous allons organiser ce soir, je suppose..."
Il essaya d'attraper le regard de Robert, par-dessus la tête de la petite fille, espérant y lire une consigne quelconque.
" Mais avoir de bons yeux n'est pas tout... Il faut aussi supporter l'ennui sans s'endormir... être capable de rester en place sans faire de bruit... et ne pas imaginer que le moindre croassement, la moindre branche qui bouge, est un zombie en maraude..."

[Taliesin]

-Ça, ça risque pas d'm'arriver ! J'crois même que ça sera plutôt l'inverse, mon problème, me dire que certains bruits, ils sont peut-être pas naturels... Pour rester éveillée, aucun souci. Et pour rester tranquille...
Elle grimaça.
-J'suis sûre que je peux faire un effort ! Bon, je vais demander la permission à ma mère, je reviens tout d'suite !
Son écuyer sur les talons, Robert le rejoignit comme la gamine détalait.
-Et bien, si tout le monde manifestait autant d'enthousiasme que ces deux-là, le recrutement serait aisé, fit-il.

[Hubert de Maleval]

" J'imagine qu'il serait temps d'imaginer en quoi cette épreuve va consister... murmura le paladin. Je ne sais pas de combien de paires d'yeux nous manquons, sans doute pas beaucoup, en réalité, si toutes les personnes dotées d'infravision sont sur le pont... Mais certaines d'entre elles seront déjà mises à contribution en journée... Je me représente mal la situation."
Il soupira, lorgnant la foule qui se dispersait peu à peu autour d'eux.
" Mais je ne veux pas que vous dérogiez à votre bain. Comment allons-nous nous organiser ? Je suis prêt à me charger de ce recrutement seul, une fois que vous mitonnez, si vous me donnez vos directives."

[Taliesin]

-Je ne commencerai à songer à l'éventualité de ce bain qu'une fois le travail achevé, répondit-il, souriant. Pour le reste, j'ai tendance à penser que plus il y aura de sentinelles, mieux ce sera : ainsi pourrons-nous mieux surveiller le camp sur toute sa surface et pallier à d'éventuels endormissements... Quant à la manière de procéder, je n'ai guère d'idées précises. En fait, je comptais sur vous, je me disais que vous aviez peut-être, à Solarcis, des techniques pour détecter quels gardes étaient les plus indiqués pour officier de nuit. Les rues principales sont éclairées, mais il subsiste bien des zones d'ombre...

[Hubert de Maleval]

" Je dois avouer que tous les hommes du Rayon sont obligés de participer aux patrouilles de nuit, quelle que soit leur acuité visuelle ou auditive... L'ouïe est d'ailleurs souvent plus utile que la vue, pour un humain, dans les ténèbres, mais je crains que les marais ne regorgent de sons nouveaux et inquiétants, qui rendront nos sentinelles comme sourdes... Je crois que la vigilance et le sang froid sont les deux qualités primordiales que nous devons rechercher chez nos futurs gardes..."
Il hésita.
" Peut-être pourrions-nous d'abord voir combien nous avons de volontaires... Ensuite, nous pouvons probablement disperser la première moitié et leur demander de surveiller l'environnement, tandis que l'autre moitié tente une approche discrète... Quelque chose comme ça. On verra qui s'endort, qui repère un adversaire, qui repère n'importe quoi."

[Taliesin]

-Je crains que si deux dames de ma connaissance ont vent de votre idée, elles ne vous recrutent aussitôt, car c'est typiquement le genre d'activité susceptible d'occuper une foule de gosses durant d'innombrables heures, souffla le chevalier. Mais comme cette technique me paraît excellente, je me vois contraint de la retenir. Croyez bien, cependant, que je croise les doigts pour que vous n'ayez pas à subir, à cause d'elles, de regrettables retombées...
Les volontaires, une petite trentaine, commençaient à s'assembler non loin d'eux. Il y avait là un nombre non négligeable d'enfants, beaucoup d'adolescents et quelques hommes et femmes. Que davantage d'adultes ne se soient pas proposés pouvait surprendre, mais sans doute avaient-ils peur de ne pas être à la hauteur, peur que les plus jeunes, portés par leur enthousiasme, éprouvaient peut-être moins aisément.

[Hubert de Maleval]

" Robert, si je décidais de rester dans la communauté une fois arrivé à bon port, je ferai ajouter une clause dans mon contrat !" dit le paladin avec un clin d'oeil.
Il s'avança ensuite vers le petit groupe rassemblé.
" Tout d'abord, merci à vous tous d'être venus. Avant de commencer, je voudrais peut-être vous donner une occasion de changer d'avis. Je ne veux pas vous mentir : la tâche pour laquelle vous vous portez volontaires ce soir est à la fois cruciale, mortellement ennuyeuse et solitaire. Elle aura lieu de nuit, dans le froid, vous serez probablement fatigués et à quelques mètres seulement, derrière vous, résonneront les ronflements tranquilles de toute la communauté. C'est un boulot ingrat mais indispensable. Il consistera à monter la garde autour du campement, à la nuit tombée, pendant plusieurs heures, heures que vous devrez récupérer en dormant dans les chariots le lendemain. Réfléchissez-y une seconde. Il n'y a pas de honte à reculer maintenant, ce sera plus difficile une fois que nous compterons sur vous."

[Taliesin]

Peut-être avaient-ils tous mûrement réfléchi leur décision. Peut-être certains la regrettaient-ils déjà mais n'osaient l'avouer, malgré les paroles du paladin, et songeaient à rater volontairement l'épreuve pour pouvoir se retirer d'une manière un peu moins honteuse. Quoi qu'il en soit, aucun des volontaires ne se désista, et ils reçurent même un renfort en la personne de Ruth qui, accourant, vint se placer près d'eux. Elle avait dû obtenir l'autorisation maternelle...

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit en voyant débarquant sa pétillante acolyte, puis reprit la parole.
" Très bien. Je vais vous séparer en deux équipes..."
Il les répartit rapidement, essayant d'avoir des grands et des petits dans chacun des deux groupes.
" Bon... Nous allons imaginer que le terrain d'entraînement constitue le campement à protéger. Au centre... Sire Robert, auquel rien ne doit arriver. Le groupe de... Béatrice, vous serez les défenseurs pour la première manche. Vous allez vous répartir sur le pourtour du terrain, à distance égale les uns des autres. Avec l'autre groupe, nous irons à la plage pour préparer notre approche. Le principe est simple. Quand vous pensez avoir vu ou entendu quelque chose, vous criez. Tout le monde arrête de bouger, y compris les gens en approche. Vous désignez l'endroit où se trouve ce que vous avez vu, Sire Robert ou moi-même viendront vérifier, et si c'est juste... c'est bien. Si ce n'est pas juste... c'est plus ennuyeux. Si une des personnes en approche parvient à toucher un défenseur ou à franchir la ligne imaginaire qui les relie sans avoir été repérée... C'est nettement plus ennuyeux. Attention, pas d'attaque, le but n'est pas de se battre dans la boue. La première approche durera une demi-heure. Ce n'est rien par rapport à la durée d'un tour de garde réel, mais ce sera un bon début. Ensuite, nous intervertirons les rôles. Des questions ?"

[Taliesin]

Les candidats secouèrent la tête : apparemment, tout était très clair. Cependant, Ruth finit par intervenir :
-Messire, est-ce que, si on réussit à surprendre les guetteurs, on aura le droit de devenir éclaireurs ? s'enquit-elle.
Sa question lui valut, à l'exception des adultes peut-être - et encore -, des regards non réprobateurs mais bien approbateurs. Nombre des postulants avaient dû se poser cette question sans oser la formuler, contrairement à la fillette...

[Hubert de Maleval]

" Heu... Ne brûlons pas les étapes. Surprendre un être humain non entraîné lors d'un jeu est une chose... pister et espionner une créature dangereuse en pleine nature en est une autre... Mais il est certain que ceux et celles qui s'illustreront dans cet exercice, que ce soit au poste de guetteur ou en approche, ne manqueront pas de retenir notre attention... Donc, Ruth, ça vaut de toute façon la peine de faire de ton mieux."
Il se tourna vers Robert.
" Bon, s'il n'y a pas d'autres questions, je vais emmener ce groupe-ci sur la plage pour préparer l'assaut. Je vous rejoins dès qu'ils sont en mouvement."

[Taliesin]

Il n'y eut pas d'autres questions, et les quinze personnes qu'il avait désignées pour jouer d'abord les assaillants - Ruth était du nombre - le suivirent. La grève était évidemment déserte : qui aurait songé à se baigner à une heure pareille, alors que nul, pour l'instant, ne c'était livré à des activités particulièrement salissantes ? C'est donc au seul son des vagues léchant les galets qu'ils attendirent les instruction du paladin. Le ciel n'étant qu'à demi couvert, les étoiles projetaient un semblant de luminosité, ce qui ne rendrait qu'à peine moins difficile la tâche de les repérer, voire, simplement, celle de se déplacer sans faire de bruit.

[Hubert de Maleval]

" Bien, reprit le paladin. Contrairement à ce que certains croient peut-être, votre objectif n'est pas de gagner. Nous cherchons des sentinelles, pas des goules en maraude, et nous allons donc organiser votre approche pour qu'elle soit le plus productive en terme d'informations."
Il chercha les regards dans le noir, y compris celui des enfants.
" Nous allons étaler notre approche sur toute la demi-heure de l'exercice, en ménageant de longs moments où il ne se passera rien, et en attaquant par tous les côtés. Cela veut dire que certains d'entre vous auront la relative facilité d'approcher par le bois, mais d'autres devront passer par le camp. Certains auront la consigne d'avancer vite et en ligne droite, comme un animal qui charge, d'autres de faire un pas tous les vingt battements de coeur. Vous pouvez utiliser l'environnement autour de vous pour induire les gardes en erreur, mais pas à outrance. Lancer un caillou pour détourner l'attention, agiter un arbre, soit... mais pas de manière systématique. Vous verrez que de toute façon, une demi-heure, ce n'est pas si long pour parvenir jusque là. Avant que nous en passions aux aspects très pratiques, est-ce qu'il y a des questions ?"

[Taliesin]

-Messire, pour que le test soit plus réaliste, ne devrait-on pas essayer d'imiter les ennemis que nous risquons d'affronter ?
-Si on se met à marmonner "Cerveau !" comme les zombies, on sera repérés tout de suite...
-Peut-être que c'est une légende, ça. Peut-être qu'ils ne marmonnent rien du tout.
-Et les goules ? Ça doit faire des bruits dégoûtants, les goules.
-Mais pas les squelettes : ils n'ont plus de langue, plus de cordes vocales...
-Ben, il y a quand même leurs os qui s'entrechoquent...
-Il ne faut pas non plus oublier les Paludiers. Il existe des tribus de cannibales... Et Varamyr nous a expliqué que s'ils battent du tambour avant de partir en guerre ou en chasse, ils sont extrêmement silencieux une fois lancés...

[Hubert de Maleval]

" Non, non, ne vous mettez pas à imiter n'importe quoi ! s'exclama Hubert. Nous ne sommes pas en train d'effectuer une simulation..."
Il songea à la chose sans pouvoir s'empêcher de sourire. Il aurait été plutôt drôle d'aller capturer une goule dans le marais et de l'utiliser comme cible d'entraînement. Mais il pouvait sans peine imaginer le scandale que cela aurait créé...
" Bon. Je vais vous répartir les directions et le moment où vous partirez. Interdiction de réveiller les gens qui dorment déjà, rappelez-vous que nous sommes loin du terrain et que ça ne sert à rien de commencer à ramper ou à vous cacher avant d'être à proximité. Vous trois, vous partirez les premiers, vous par l'arrière, vous par la droite, vous par la gauche. Ensuite, vous deux. On laisse passer cinq bonnes minutes, et puis vous et vous... Ça fait déjà sept. On laisse passer dix minutes et vous quatre, vous y allez, ensuite un toutes les minutes environ. Répartissez-vous les angles d'approche. Je vous fais confiance. Je vais retourner près de Robert pour juger de nos guetteurs. Est-ce que tout le monde est au clair ?"

[Taliesin]

Il eut un acquiescement général. Puis...
-Ramper ? On va devoir ramper ?
-Ben, c'est une technique d'approche discrète !
-Mais c'est tout boueux !
-Justement, c'est parfait, ça nous prépare aux marais !
-Mais...
-Je ne crois pas que messire Hubert ait dit qu'il était obligatoire de ramper.
-C'est vrai.
-Mais c'es quand même plus drôle, non ?
-Carrément !
-Ecoutez, on a nos consignes. Du moment qu'on les respecte, chacun peut choisir la technique qu'il veut.
Nouvel acquiescement, puis le silence. Les assaillants avaient bien compris leur mission et, apparemment, pour la majorité d'entre eux du moins, hâte de l'accomplir.

[Hubert de Maleval]

Hubert les abandonna donc pour regagner le terrain d'entraînement. Il aurait mieux fait de ne pas mentionner la possibilité de ramper : il était persuadé que les enfants allaient se vautrer avec plaisir dans la boue, Ruth en tête, et qu'ils passeraient ensuite la moitié de la nuit à se décrasser. Bah... Il y aurait sûrement moyen de mettre trois gosses dans le même baquet... Il avait dit à Robert qu'il n'avait pas besoin de beaucoup de sommeil, c'était l'occasion de le lui prouver.
" C'est parti !" annonça-t-il en arrivant dans la zone à protéger.

[Taliesin]

Quelqu'un avait crié lorsqu'il s'était approché, s'attirant d'amicales moqueries de la part de ses camarades, puisque l'épreuve n'avait pas encore commencé et que le paladin n'avait fait aucun effort afin de se dissimuler. Pour le reste, les aspirants sentinelles étaient positionnés comme il l'avait demandé. Il remarqua Alban, concentré, la main "posée" sur la garde d'une épée imaginaire, et Gustave, assis en tailleur, qui donnait l'impression de somnoler.
-C'est ce moment que choisit une cohorte de non-morts pour se faufiler subrepticement hors des landes et s'approcher du campement, dit doucement Robert. Et ainsi la communauté fut-elle sauvée de l'anéantissement parce qui ne devait être, originellement, qu'un simple test...

[Hubert de Maleval]

" J'ai l'impression que les morts-vivants seraient presque préférables à ce qui va déferler sur ce carré de terre dans les minutes qui viennent, souffla Hubert avec le sourire. Mais je dois dire que les assaillants, en tout cas, n'ont pas l'air très effrayés à la perspective d'en croiser... Je ne sais pas si c'est parce qu'ils sont blasés ou parce qu'ils n'en ont jamais vu... Sans doute l'histoire de certains nous renseignerait-elle déjà sur leur sang-froid..."

[Taliesin]

La première vague fut aisément détectée : l'exercice venait à peine de commencer, les guetteurs étaient vigilants et les assaillants ne brillèrent pas par leur discrétion. Les deux qui suivirent furent plus doués en la matière, ce qui n'empêcha pas Gustave de noter l'approche de l'un, tandis que l'autre trébucha légèrement, ce qui lui valut d'être aussitôt démasqué par la jeune femme qu'il tentait de surprendre.
Intervinrent alors les cinq minutes de pause, au cours desquels un enfant tendu donna une fausse alerte avant de se confondre en excuses.
La troisième vague vit le premier échec des défenseurs, puisque l'un des deux arrivants, un adolescent s'étant coulé comme une ombre entre leurs positions, terrifia l'un de ses homologues en lui posant une main sur l'épaule.
Une nouvelle pause. La plus longue. Les minutes s'égrenèrent dans un silence absolu. Puis il y eut un signalement erronés. Un second.
Encore un peu de temps, et quatre "ennemis" allaient approcher...

[Hubert de Maleval]

Hubert était à l'affut, lui aussi, se prenant au jeu malgré lui. Evidemment, il savait approximativement d'où viendraient les assaillants, il avait donc une petite longueur d'avance sur les guetteurs, mais il constatait néanmoins qu'il jouissait d'une acuité particulièrement fine. Il essaya de moins lorgner les ténèbres et d'observer davantage les sentinelles, repérant celles qui paraissaient sur le point de s'assoupir, celles qui semblaient beaucoup trop tendues, enfin celles qui, vigilantes et concentrées, scrutaient la nuit avec une attention égale depuis le début de l'exercice. Le hasard ne permettrait pas de comparer les individus, mais leur attitude était déterminante, plus, peut-être, que de savoir s'ils avaient ou pas détecté quelqu'un.

[Taliesin]

Si aucun des guetteurs ne s'endormit, cela n'avait rien de très significatif, car leur journée n'avait guère été épuisante et ils savaient tous que l'exercice serait relativement bref. Concernant la nervosité, en revanche, les observations du paladin furent davantage probantes : il nota ainsi que l'enfant qui avait déjà commis une erreur était si anxieux, voire si effrayé, qu'il semblait sur le point de crier ou de mouiller ses chausses au moindre craquement. L'adolescent qui s'était fait surprendre, lui aussi, n'en menait pas large, mais c'était peut-être du à son précédent échec. De manière générale, la majeure partie du groupe était tendue et, par conséquent, ceux qui échappaient à la règle ne sortaient que mieux du lot. D'entre tous, Gustave s'avéra le plus paisible : pas une fois il ne sursauta, pas une fois il ne se laissa prendre aux manœuvres dont usaient les assaillants pour essayer de le tromper - une pierre lancée ne l'abusa ainsi en rien et, au contraire, il identifia aussitôt celui qui l'avait projetée. La jeune femme ayant bénéficié un peu plus tôt d'un faux pas d'un "ennemi" se révéla également assez paisible. Quant à Alban, ce n'est pas tant la situation qui paraissait l'inquiéter que la crainte de commettre une bévue : Hubert put ainsi noter que le petit garçon tarda à donner l'alerte alors même qu'il avait pris conscience de sons inquiétants depuis une bonne minute. Il finit par le faire, néanmoins, et un assaillant fut ainsi démasqué.
Ce succès, comme celui de l'ancien aubergiste, eut lieu lors de la quatrième vague qui succéda à la longue pause. La concernant, l'autre fait marquant fut le triomphe de Ruth qui, ayant bien évidemment choisi de ramper, prit au dépourvu l'une des sentinelles. S'ensuivirent les quatre arrivées consécutives d'"ennemis" : alors que la tension était à son comble, les guetteurs en interceptèrent deux, tandis que deux autres, dont un second gamin rampant, parvinrent à leurs fins.
On dénombrait donc, au total, quatre échecs et cinq fausses alertes.

[Hubert de Maleval]

Le moment était venu d'intervertir les deux groupes, et Hubert ne leur laissa pas le temps de discuter de leurs prouesses et manquements respectifs. Il félicita tout le monde, s'efforçant de mémoriser le visage des personnes qui lui avaient fait la meilleure impression dans l'équipe des guetteurs, puis les emmena vers la plage, laissant Robert organiser le positionnement des autres.
Il n'organisa évidemment pas la vague d'approche de la même manière, car il se doutait que les petits malins du premier groupe se souviendraient du rythme des départs. Au contraire, il décida de n'envoyer personne dans les dix premières minutes, puis la presque totalité des attaquants sur les dix minutes suivantes, enfin les cinq derniers dans le tiers final de l'exercice. Il était un peu ennuyé par le caractère prévisible du nombre d'assaillants, aussi décida-t-il que certains des premiers arrivés seraient renvoyés en approche pour une seconde salve, tandis que les autres iraient préparer du thé pour tout le monde.
Il regagna ensuite le terrain d'entraînement et déclara la deuxième épreuve ouverte.

[Taliesin]

Le fait qu'aucun ennemi ne se présente durant les premières minutes n'aida pas les nouvelles sentinelles à entrer dans leur rôle : brusquement contraintes à l'inactivité, quelques-unes parurent somnoler, tandis que beaucoup d'autres ne pouvaient s'empêcher de faire les cent pas ; Ruth, surtout, semblait avoir de grosses difficultés à rester en place.
L'arrivée du premier adversaire, qui se soldat par l'échec retentissant du guetteur qui aurait dû le remarquer, changea considérablement la donne. Dès lors, la plus extrême des attentions fut de mise, si bien que, pendant un long moment, les défenseurs repérèrent tous ceux qui apparurent. Il faut dire qu'ils bénéficiaient d'un avantage : ayant eux-même dû s'approcher, ils s'étaient familiarisés avec les bruits produits et avec les diverses techniques utilisées - qu'un ennemi puisse ramper, par exemple, n'était pas en mesure de les prendre au dépourvu.
Malheureusement, grisés par leurs réussites successives, déconcentrés par leur excitation latente, ils se montrèrent moins efficaces durant le dernier tiers de l'épreuve, multipliant en particulier les fausses alertes, ce qui sema la confusion et permis à quatre assaillants de franchir les défenses du camp imaginaire.
Cette ultime vague triomphante était surtout composée d'enfants et d'adolescents. En effet, aux deux d'emblée désignés par Hubert pour intervenir à la fin du test s'en étaient ajouté d'autres, les seuls a avoir accepté - avec joie ! - de remettre le couvert, tandis que les adultes avaient préféré, et de loin, aller préparer du thé. Alban était du nombre des volontaires : mortifié d'avoir été repéré par Ruth alors même qu'il ne s'était pas privé de se vautrer dans la boue, il jubila littéralement quand, au second essai, il parvint à déjouer sa vigilance.
Quand vint l'heure des bilans, cette deuxième manche s'avéra plus décevante que la première : cinq échecs et huit fausses alertes.

[Hubert de Maleval]

Hubert félicita tout le monde avec le même enthousiasme que lors de la première manche, puis dirigea tout le troupeau des valeureux vers la cantine tandis qu'il restait en arrière avec Robert.
" Bon, ce n'est pas facile de juger sur un seul exercice, évidemment, fit le paladin, songeur. Je pense que les plus nerveux sont à éliminer d'emblée, on connait tous l'histoire de l'enfant qui criait au loup... Pour le reste... Je ne sais pas si vous avez repéré certaines personnes... et combien nous devrions en garder. Qu'en avez-vous pensé ?"

[Taliesin]

--Que c'était extrêmement instructif, et que je regrette amèrement que nous n'ayons pas pensé à organiser plus tôt de tels exercices, répondit-il après avoir poussé un profond soupir. Enfin, c'est déjà bien de l'avoir fait ce soir, d'autant que nous avons malgré tout avancé. Comme vous, je pense que les plus nerveux sont à écarter, ce qui fait, en visant large, une petite dizaine d'éléments. A l'inverse, il me semble que nous pouvons dès à présent compter sur des personnes telles que Gustave, Claire, Joseph... Pour les autres, le mieux serait sans doute de les mettre à l'épreuve durant nos deux premières nuits dans les marais, alors que nous nous trouverons encore dans des zones relativement peu dangereuses. Je reste en effet convaincu qu'il nous faut placer un maximum de sentinelles. De surcroit, nous pourrons organiser des rondes, menées par des individus expérimentés, qui veilleront à ce qu'elles ne s'endorment pas, qui leur demanderont si elles ont noté quoi que ce soit les ayant alertées...

[Hubert de Maleval]

" Je pense que ce sont d'excellentes idées, dit Hubert. A présent, peut-être faut-il laisser la possibilité aux personnes qui n'ont pas trouvé leurs marques de renoncer d'elles-mêmes, discrètement, en venant nous parler... Quant aux autres, nous ne sommes pas obligés d'annoncer tout de suite nos décisions... Nous pourrions simplement les prévenir individuellement, au jour le jour, en fonction des besoins, et voir comment les choses évoluent après les premières nuits... De plus, si la colonne est étalée sur toute sa longueur, nous aurons besoin de toutes les bonnes volontés, même les plus maladroites."

[Taliesin]

-Je suis d'accord sur ce point, comme sur les autres. Procédons donc de la sorte.
Sur la place et à l'intérieur de la cantine, ils croisèrent d'autres colons qui ne manquèrent pas de les observer et de murmurer sur leur passage : le spectacle qu'ils offraient, particulièrement les plus jeunes, leur valut des souries amusés mais aussi quelques grimaces.
Ceux qui avaient quitté en premier le terrain d'entraînement n'étaient pas restés inactifs : du thé bien chaud les attendait, ainsi que des biscuits et, surtout, un baquet dans lequel laver les mains boueuses avant de songer à se restaurer, ce qui s'avérait tout bonnement indispensable pour nombre d'entre eux.