[Ailleurs] Le Château

[Galathée]

La porte s'ouvrit sur une forêt.
Une vraie.
L'hiver n'y avait nul droit de cité, mais on sentait aussi qu'aucun être humain ne l'avait jamais meurtrie ou exploitée, ou alors des siècles auparavant, et la forêt avait, depuis, guéri. Certains arbres étaient hauts et fiers, d'autres vivaient une enfance gracile, jetant des bourgeons et des feuilles fragiles vers le ciel. Les derniers étaient morts, gisant dans l'humus verdoyant de mousses, de fougères et de fleurs sauvages, débordant pourtant de vie, refuge des insectes, garde-manger des oiseaux, dernière étape d'un cycle en mouvement perpétuel.
Et cette forêt s'étendait loin, Angèle pouvait le deviner comme le parfum du sois-bois, un peu âcre, profondément étranger à la civilisation dont elle était issue, venait lui chatouiller les narines.
Elle vit un oiseau brun sautiller sur une branche puis s'envoler. Elle entendit le bourdonnement d'une abeille ou d'une mouche baladeuse. Elle devina l'ombre d'un chevreuil qui s'enfuit aussitôt.
De Morgan ou de Brandon, en revanche, nulle trace.

[Althéa]

Angèle passa quelques minutes à regarder la forêt. Cette vie foisonnante blottie derrière une porte, là où aucun humain ne semblait avoir mis les pieds. Pour la citadine qu'elle était, elle lui sembla magnifique mais quelque peu effrayante et peuplée de mystères. Il lui sembla qu'il serait presque sacrilège que d'avancer ne serait-ce que l'ombre d'un orteil dans ce lieu préservé. Pas de traces de Brandon Devlin ou de Morgan. Elle n'avait vraisemblablement pas choisi la bonne porte. Elle recula et ferma précautionneusement le battant.

Restaient donc trois portes et toujours les mêmes interrogations. Que trouverait-elle derrière les autres ? S'il n'était pas question de Tymora, il n'était peut-être pas question de Tyr non plus. La lumière avait éclairé le lieu. Donc c'était peut-être ce chemin qu'il fallait suivre. Elle ouvrait donc la porte au soleil.

[Galathée]

Pour trouver la nuit et le vide. Elle faillit d'ailleurs perdre l'équilibre et fit un bienheureux pas en arrière.
La porte s'ouvrait directement dans le mur de la tour, sur l'extérieur, à des dizaines de mètres du sol et de la cour en contrebas, où elle put deviner la forme grouillante d'une bande de zombies qui auraient très certainement apprécié qu'elle fasse le grand saut...
La neige était fondante, le paysage noir, et le néant partout...

[Althéa]

Elle tomba sur les fesses, les yeux écarquillés d'horreur. Un peu plus et elle serait tombée. Cela aurait-il fait du bruit s'il n'y avait eu personne pour l'entendre - les zombies ne comptaient pas vraiment, non ? Rien autour du château. Il aurait très bien pu être bâti sur du vide ou au milieu d'une mer immense. Elle n'en aurait rien su. Si elle succombait ici, personne ne le saurait jamais. Perdue à jamais. Peut-être même était-elle déjà morte. Elle secoua la tête, pour se débarrasser de ces pensées invasives et peu réjouissantes.

Une forêt derrière la porte de Tymora, rien derrière celle de Lathandre. Un pressentiment lui disait qu'il en irait de même derrière les deux autres portes. Son pointillisme voulait éprouver sa théorie. Son pragmatisme voulait qu'elle reste prudente. Aussi ouvrit-elle la porte de Sunie en prenant garde de se tenir loin du seuil.

[Galathée]

La porte de Sunie, hormis son ouverture dans une autre direction, était pareille à celle de Lathandre : elle révélait la campagne ténébreuse autour du château et, loin en bas, la cour. Mais cette fois, une bourrasque de neige fondante, malicieuse, s'engouffra par l'embrasure de la porte, secouant un moment les vêtements de la paladine, et la glaçant jusqu'aux os.
Angèle pouvait tester la porte de Tyr, à présent, mais... le vent qui sifflait sous la porte suffisait à la renseigner sur ce qu'elle trouverait derrière.

[Althéa]

Frileuse, elle serra ses bras autour d'elle pour se donner l'illusion d'un peu de chaleur. C'était donc la porte de Tymora, la forêt, le grand extérieur ... Ce n'était plus la tour. Une autre porte ouverte sur le rêve. Elle n'affectionnait pas les grands espaces hormis l'infinité d'un ciel piqueté d'étoiles. Et à part de très rares occasions, elle ne s'était jamais s'était jamais aventurée seule en forêt. Des arbres à perte de vue, des oiseaux, des animaux ... Non, encore une fois, ce n'était pas naturel. Le matin, elle aimait trouver un toit au dessus de sa tête en ouvrant les yeux et entendre résonner le bruit de ses pas sur les pavés. Certains se sentaient prisonniers dans le confinement des villes. Elle n'en faisait pas partie.

Allez, un peu de courage. Elle ouvrit de nouveau la porte de Tymora et cette fois, en franchit le seuil. Un pas après l'autre. Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour les timorées ...

[Galathée]

HRP : une paladine timorée ? Oo C'est une forêt, pas un tombeau de liche ! Sacrée Angèle

Elle entra dans la forêt et il ne se passa rien de spécial. Elle marcha dans la mousse, enjamba une branche tombée, grimpa sur un petit rocher qui affleurait. Une mouche vint tourner autour de sa tête, agaçante, puis continua sa route. Deux oiseaux bruns et bleus jacassaient dans les branches d'un pin tordu, sur sa gauche. Un petit ruisseau chantonnait un peu plus loin.
Et puis la porte claqua brusquement derrière elle, et quand elle se retourna, elle ne vit que la forêt, dans toutes les directions. S'il y avait jamais eu une sortie, elle avait disparu.

[Althéa]

Hrp : c'était pour la rime Mais comme tu as pu constater, ma paladine est plutôt urbaine. En tout cas, tu as eu le mérite de m'avoir fait sourire en arrivant au boulot.

Angèle se retourna en entendant la porte claquer. Plus de sortie de ce coté. Simplement la forêt ... Elle n'était pas spécialement effrayée, seulement résignée. Après tout, la situation évoluait, même si cela n'allait pas forcèment mieux. Morgan insistait souvent sur le fait que la vie au grand air ne pourrait lui faire que du bien. A présent qu'elle s'y trouvait, l'air de rien, elle était dubitative. Mais elle n'avait pas le choix.

Elle regarda autour d'elle espérant qu'elle pourrait voir, entre les arbres un détail pouvant la renseigner sur la présence de Brandon Devlin. Elle s'interrogea sur la symbolique de la forêt pour le tymoran. Elle l'imagina quelques secondes, sautillant entre les arbres et préféra éluder la question ...

Hrp bis : désolée pour l'humour, ça doit être le kebab.

[Galathée]

Elle ne dut pas chercher bien longtemps, car il était assis sur un tronc d'arbre, un peu plus loin dans les sous-bois. Il portait les vêtements gris et bleus qu'elle lui avait vus le premier jour, dans la rue, lorsqu'il sortait de la chapellerie, et lorgnait une épée longue posée sur ses genoux. Il l'entendit immédiatement, malgré sa discrétion, et leva les yeux dans sa direction, son visage se crispant dans une expression mécontente. Il ne dit cependant rien et ne bougea pas de son siège. Pour l'heure, Angèle n'était pas encore réellement visible, mais cela ne tarderait plus, et elle pouvait décider de l'attitude à adopter...

[Althéa]

Et elle ne le savait pas vraiment. Elle avait été soulagée de le voir, même s'il était tout seul. Puis elle avait remarqué l'épée sur ses genoux, son visage crispé. L'attendait-il ? Elle n'avait aucune envie d'arriver, l'épée brandie. Elle n'avait aucune raison de le défier. Mais où était donc Morgan ? Il était difficile de deviner les pensées de Devlin. Peut-être avait-il perçu son intrusion dans l'univers de ses pensées et voudrait-il l'en chasser. Surtout si elle voulait le délester d'un sentiment précieux.

Elle ne voulait pas le prendre en traître en surgissant derrière lui. De toute façon, il avait repéré l'endroit où il se trouvait. Elle ne voulait pas non plus l'entretenir à propos du sujet qui les préoccupait. C'était risquer qu'il se ferme d'emblée. Aussi s'avança-t-elle doucement vers lui et s'arrêta à une distance raisonnable.

"C'est une belle forêt.", finit-elle par dire.

[Galathée]

Brandon leva les yeux et la dévisagea avec surprise.
" Une forêt ?" dit-il, perplexe.
Il avait raison, ce n'était pas une forêt, c'était la salle d'une auberge. Il y avait d'autres convives qui discutaient autour d'eux avec animation, sans leur prêter la moindre attention. Un feu joyeux crépitait dans l'âtre, une odeur de mouton rôti et de bière flottait dans l'air chaud, et Devlin était assis sur un banc, adossé à une table, l'épée toujours sur les genoux. Un peu plus loin, un barde égrenait quelques notes sur la corde d'un luth. Une courtisane racolait près de la porte. Le tavernier jeta un regard vide à la paladine, puis continua à frotter ses chopes à l'aide d'un tissu usé.
" Qu'est-ce que vous voulez ?" demanda le Tymoran, froidement.

[Althéa]

"Certes ..."

Ce n'était plus une forêt. Le décor avait changé en un battement de cil. A ce rythme, il était fort possible qu'ils se retrouvent en haut d'une montagne ou au fond de la mer, juste le temps de le dire ... Le feu ronflant dans l'âtre réchauffa son corps transi. Elle se détendit presque. L'endroit était peuplé, bien loin des châteaux hantés par les zombies et les vents glacés. Mais Brandon Devlin était toujours armé de son épée et de son mécontentement. Elle s'assit en face de lui. Elle ne devait pas avoir fière allure et le fumet qu'elle devait dégager était nettement moins agréable que celui du mouton en train de cuire. Dépenaillée, totalement hirsute, c'était une chance qu'on ne l'ait pas encore poussée vers la sortie. Elle n'avait plus rien à voir avec la juriste émérite qu'il lui avait toujours semblé être. Et elle espéra qu'à défaut d'en avoir l'apparence, elle en gardait les arguments. Elle ne savait pas vraiment à qui elle s'adressait. Au tymoran lui-même ou à son reflet. Il avait semblé la reconnaître. Cela voulait dire qu'il la ressituait.

"Je voudrais que nous parlions de vous et de Morgan. La dernière fois, je ne vous ai pas laissé vous exprimer jusqu'au bout. Vous avez raison, c'est peut-être un défaut de paladine ... Je vous dois des excuses."

Elle se sentait maladroite. Mais il lui semblait que désamorcer le conflit pouvait-être une bonne entrée en matière.

[Galathée]

Sa suspicion ne fit que croître. Il fronça les sourcils, ses yeux étaient réduits à l'état de fentes. Ce n'était pas une expression qui lui allait très bien, et probablement pas une expression qui lui était naturelle. Il ne fit cependant aucun geste agressif en direction de la paladine, ne toucha pas à l'épée.
" Je ne la laisserai pas partir ! s'exclama-t-il brusquement. Jamais ! Et vos questions indiscrètes n'y changeront rien !"
Autour d'eux, personne ne semblait ni les voir, ni les entendre. L'apparence dépenaillée de la jeune femme n'attirait pas le moindre regard ou commentaire.

[Althéa]

Angèle avait regardé Brandon Devlin et sa colère qui lui allait si mal, comme un masque dont il se s'était affublé. L'opposé presque exact de l'homme qu'elle avait vu. Son sourire remplacé par une moue butée et irascible. Mais il n'avait pas touché à son épée, c'était déjà une chance.

"Je ne suis pas venue ici pour poser des questions. Simplement pour vous aider. C'est pour cette raison que vous m'avez fait venir au temple de Tymora. Vous en souvenez-vous ?"

Elle avait parlé d'une voix douce, sans esquisser le moindre geste brusque. D'abord, essayer de replacer les éléments dans leur contexte pour voir à quel Brandon Devlin elle avait affaire. Peut-être celui-ci ne se souviendrait de rien ou nierait simplement complètement. Elle avait besoin de comprendre.

Autour d'elle, personne n'avait réagi à leur altercation. Peut-être était-ce simplement un décor. Plus vrai que nature comme la forêt, mais tout simplement un décor.

"Je ne suis pas venue me battre avec vous."

[Galathée]

" Il faudra pourtant vous battre si vous voulez me la prendre ! Car je sais que vous êtes venue pour ça ! Mais je ne la lâcherai pas !" s'exclama-t-il avec véhémence.
Tout son corps reflétait une tension terrible, de son front plissé à la pointe de ses bottes. Ses épaules, sa mâchoire, ses poings, son regard, il rayonnait de contrariété et de stress. Il se mit à trembler. L'épée tomba de ses genoux et heurta le sol sans faire le moindre bruit.
" Vous êtes chez moi !"

[Althéa]

Elle le regarda, choquée par ce qu'elle venait d'entendre. Réalisant qu'elle n'aurait pas d'autre choix que de l'affronter. L'idée lui était insupportable. Elle n'avait jamais levé l'épée contre des innocents. Et l'issue était trop incertaine. Qu'arriverait-il si elle en venait à bout ? Mourrait-il ou se réveillerait-il ? Et si elle perdait, elle ? Elle n'ouvrirait probablement plus jamais les yeux. Elle pensa à Morgan, elle pensa à Soren. Elle n'avait aucune envie d'engager le combat. Aussi dit-elle en désespoir de cause.

"Ne réalisez-vous pas que la présence de Morgan vous tue ?, demanda-t-elle d'une voix douce, vous devez la laisser partir. Mais même absente, elle marchera toujours à vos cotés. Ne pas l'oublier certes ... Votre coeur ne bat plus. Sous peu, vous disparaîtrez et même vos décors n'existeront plus. Il n'y aura plus rien pour retenir qui que ce soit. Ce n'est pas vous qui êtes là. Vous n'avez pas envie de combattre. Il y a peut-être une autre possibilité ..."

[Galathée]

Il la dévisagea sans comprendre, mais Angèle devina que ses mots avaient fait mouche, peut-être à un autre niveau, inconscient ou extérieur. Il se replia sur lui-même, comme pour contenir sa nervosité à dans son ventre, mais elle était terrible et il fut pris d'un spasme avant de relever les yeux. Ceux-ci parurent beaucoup plus clairs, plus présents, il la dévisagea comme s'il la voyait pour la première fois.
" Je ne me souviens plus d'avant, dit-il alors d'une voix sans timbre. Je la porte avec moi depuis si longtemps. Qui suis-je si une partie de moi m'est ôtée ? L'amour n'est-il pas une composante fondamentale de l'identité ? Ne vais-je pas m'éveiller en dehors de moi-même ?"

[Althéa]

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Ces interrogations, elle les avait connues. Tout comme elle avait connu cette sensation étrange de mourir avec l'autre. Pour finalement comprendre qu'il fallait malgré tout continuer. Elle regarda Brandon Devlin aux prises avec une vive tension. Elle aussi commençait à sentir l'angoisse la gagner.

"Ce qui compte n'est pas le passé mais l'après ... Il vous reste encore du temps pour vivre, pour aimer de nouveau. Morgan a pris une place importante dans votre vie, mais elle n'est pas vous. Votre coeur est devenu sa maison. Mais cela ne vous a pas empêché de vivre. Même si elle n'était pas avec vous. Vous peignez, et votre déesse vous offre un quotidien chaque jour différent. Vous voyagez encore. Morgan en partant laissera peut-être un vide. Mais il ne vous tuera pas. Au contraire, il vous permettra d'avancer. Et vous le remplirez de nouveau. Ce sera peut-être difficile. Mais vous aurez encore du temps ..."

[Galathée]

Il leva les yeux sur elle, frémit.
" Vous pensez que je serai soulagé ? Comme si on m'ôtait un poids, enfin ? Ne vais-je pas me fourvoyer, me tromper, me damner ? Comment pourrais-je comprendre toutes ces choses qui m'ont été refusées si longtemps ? Et comment faire face au vide ? Comment avez-vous fait ?"
Ils étaient désormais dans un temple obscur, la lumière avait baissé, il faisait à nouveau froid. Devlin était assis sur la pierre froide, au pied d'une statue gigantesque dont la partie supérieure se perdait dans l'ombre. Chaque parole résonnait sur les murs distants des lieux abandonnés. Angèle avait un banc glacé sous les fesses. Il n'y avait plus nulle épée, nul public. Ils étaient seuls et enfouis.

[Althéa]

L'écho des paroles de Brandon Devlin résonnait sur les voûtes et dans son esprit, réveillait les blessures. Elle s'était aussi trouvée face au vide. Et quelque part, il existait encore. Quelquefois, il lui semblait marcher au bord, de dessiner perpétuellement ses contours. Inexorablement. Parfois, au milieu de la nuit, elle entendait son appel. Alors, elle se levait, allait jusqu'à sa fenêtre entrouverte. Elle restait de longues minutes à regarder la rue, ou à se perdre dans la contemplation des étoiles. Ou elle écoutait simplement Teddy respirer, se disant qu'elle n'était pas seule. Elle finissait par se rendormir épuisée. Elle regarda le tymoran, assis sur son banc de pierre. Son coeur aussi s'était arrêté, et était resté un long moment en sommeil. Pour finalement se réveiller. Mais elle ne pouvait pas mentir.

"Difficilement ... J'ai voulu le laisser m'emporter. Parce que je pensais ne plus rien être d'autre. J'ai même crû que Morgan était partie avec ce qu'il y avait de meilleur en moi ... Et qu'avancer était une insulte à sa mémoire. Mais ..."

Elle avait du mal à trouver ses mots.

"Peu à peu, on relève la tête. Et on finit par avancer. Quelque part parce qu'il le faut. Et que quelque part parce qu'on le veut. On retrouve des forces. On réapprend. Et peu à peu on se retrouve, on se surprend. Le vide est toujours présent, mais peu à peu, il se transforme. Peu à peu, on réapprend à sourire, et à aimer de nouveau. Et on se rend compte qu'on n'est pas seul."

Les larmes roulaient à présent sur ses joues.

"Vous y arriverez aussi. Vous en aurez la force."

[Galathée]

Il opina du chef et se leva, gardant les yeux baissés, aveugle au chagrin de la paladine, comme le sont souvent les gens qui souffrent, tournés vers eux-mêmes. Il fouilla dans sa poche et en extirpa une grande clé de fer, qu'il regarda un moment, avant de frissonner. Il la tendit à Angèle.
" Voulez-vous la libérer ? Je ne suis pas certain d'en être capable."

[Althéa]

Elle regarda la clé puis Brandon. Il se rendait, déposait les armes. Elle ne se sentait pas victorieuse, simplement fatiguée. Elle secoua la tête et baissa la main. C'était son combat qui commençait. Elle ne pouvait le mener à sa place. Tout ce qu'elle pouvait faire était l'accompagner.

"Je crois qu'il vaut mieux que cela vienne de vous. C'est votre décision, votre combat. Mais je resterai avec vous. Quoi qu'il arrive, vous ne serez pas seul."

[Galathée]

Devlin parut incertain mais haussa les épaules. Il contourna alors le socle de la statue, Angèle sur les talons, et s'engouffra dans un couloir d'abord obscur, qui se mit ensuite à scintiller d'une lueur argentée, puis à pulser comme une veine, rouge, vivant, avant de devenir pont suspendu au-dessus d'un gouffre, puis chemin de sable en bordure de mer, puis il fit nuit, puis il fit jour, une piste serpentait dans la plaine, et ensuite une rue dans la ville, et puis il y eut une porte.
Il s'arrêta, prit une profonde inspiration, et mit la clé dans la serrure. Il la tourna lentement puis l'ouvrit.
" Tu peux sortir. Tu peux t'en aller. Je vivrai sans toi."
Une douce lumière s'échappa de l'embrasure ouverte, cachant ce qui se trouvait dans la pièce révélée. Un parfum de rose et de verdure suivit, enchanteur. Puis Brandon fit un pas en arrière, comme pour laisser passer quelqu'un... ou quelque chose.

[Althéa]

Elle avait avancé à sa suite, à travers les changements de décor, probables peintures des pensées de Brandon Devlin. Changement, mouvement. Alternance de lieux, tantôt effrayants et tantôt agréables. Cheminement d'émotions. Mouvement presque ininterrompu. Jusqu'à la porte. Elle sentit son coeur battre et trembler ses genoux. Soudain timide, à l'idée de la revoir. Même de l'apercevoir. Elle voulait lui parler.

Silhouette de lumière derrière la porte désormais ouverte. Parfum de verdure et de rose. De souvenirs. Et que Brandon laissait s'en aller. Il était libre. Et Morgan était là, quelle que soit sa forme. Présente. Elle l'avait regardée, les yeux écarquillés.

[Galathée]

Angèle vit alors Morgan telle qu'elle se la rappelait, exactement, dans les moindres détails, peut-être sublimés par l'absence et la traîtrise d'une mémoire toujours faillible. Morgan qui souriait à sa manière inchangée, désormais inaltérable, Morgan qui ne dit cependant rien, se contentant de la regarder avec bienveillance, avec confiance aussi, et pendant une seconde, la paladine eut l'impression que l'ombre de son amante allait lever la main et lui toucher la joue, mais l'image n'en fit rien, car ce qui est mort est mort, et ce qui vit doit s'en détacher pour continuer.

Un rêve qui prend fin.

Le parfum de rose s'estompa, comme la lumière, la silhouette esquissa un geste et disparut, et puis ce fut la nuit, le vent, la neige, un tourbillon glacé mais pourtant sans danger, Angèle le savait, et dans cette chute, et dans ce vent, elle devina la pesanteur de son corps, le retour de la réalité, de l'existence...