[Lieu] Une route oubliée

[Taliesin]

Son concitoyen ne fut pas difficile à trouver, car il se déplaçait par toute la cuisine, coordonnant les efforts et mettant la main à la pâte : tantôt il surveillait une marmite en train de chauffer, tantôt il découpait une lanière de viande d'une main experte, tantôt il répondait aux questions ou donnait des conseils... Il paraissait joyeux, parfaitement à son aise, et l'ancien clerc lui trouva même l'air moins maladif que la dernière fois où il l'avait vu.
-Oh, m'sire Albérich ! fit Gus en l'apercevant. C'est-y qu'vous auriez un p'tit creux ? Si c'est l'cas, rassurez-vous, ça tardera pas trop à être prêt ! Mais, vous connaissant, j'ai dans l'idée que vous êtes plutôt venu filer un coup d'main...

[Galathée]

Albérich ne put s'empêcher de sourire à la remarque de l'aubergiste. Il était heureux de le voir dans son élément, affairé et assuré, comme un goujon dans l'onde. Certaines choses ne se perdaient pas, quelles que soient les turpitudes de la vie.
" On ne se refait pas, Gus. Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous aider ? J'imagine que si c'est presque prêt, l'aspect cuisine doit être terminé, mais je peux servir ou préparer des assiettes... N'importe quoi me va, tant que ça ne demande pas une adresse de jongleur."

[Taliesin]

-Oh, c'est qu'le premier service, çui des gardes, qu'on est en train d'finir. Mais il y en aura au moins trois autres ! Alors c'est vraiment comme vous voulez : soit vous pouvez remplir les écuelles d'not' valeureuse escorte, soit vous pouvez éplucher des légumes. Franchement, ça m'ennuie de vous refiler des trucs pareils, mais comme vous me laisserez pas vous faire changer d'idée, pourquoi lutter ? Puis, faut l'avouer : on a jamais assez d'bonnes volontés !

[Galathée]

Le Luménien sourit.
" Souvenez-vous du temps où j'étais un simple Semeur d'Aube errant dans les rues des taudis... Vous n'aviez pas tant de déférence envers moi à l'époque. Je me rappelle d'ailleurs que nous autres, clercs, étions la cible favorite de votre humour tendancieux."
Un petit vent de nostalgie l'emplit soudain. Tout cela remontait si loin, désormais, à plusieurs années. Avant Morféa, avant le conseil luménien, avant la nuit de Shar.
" Mais je vais aller couper les légumes, en essayant de ne pas y abandonner un doigt..."

[Taliesin]

-Bah, si ça arrive, ça enrichira la soupe : personne protestera contre du rab de viande, sans compter qu'ça fera un peu plat local, vous voyez, rapport aux Paludiers dont quelques-uns ont apparemment rien contre le cannibalisme... Pis y aura bien quelqu'un pour vous en faire r'pousser un tout n euf, de doigt. Comme ça vous y perdrez pas non plus au change !
Il lui sourit largement.
-Bon, ben, la table des éplucheurs, c'est celle-là, comme vous l'aurez r'marqué. Doit déjà y avoir des couteaux en surplus, mais si c'est pas l'cas, je vous en donnerai un.

[Galathée]

" Je vais me débrouiller." dit le Luménien en rejoignant la confrérie des coupeurs de légumes.
Il y avait là une petite dizaine de personnes, hommes et femmes mélangés, des visages qu'Albérich avait déjà entrevus, d'autres qui lui étaient étrangers, la plupart reflétant l'embarras léger de gens qui savaient qui il était pour l'avoir entendu dire. Il salua la compagnie en quelques mots, dénicha un de ces fameux couteaux excédentaires et se mit au travail, découpant navets, choux, pommes de terre et carottes en imitant ses voisins. Il n'était pas assez habile pour faire conversation tout en épluchant les racines, aussi se tint-il coi, goûtant à la sensation agréable de faire quelque chose d'immédiatement utile à ses pairs.

[Taliesin]

Le Luménien n'était pas le seul à ne pas piper mot. La plupart des autres éplucheurs, quoique plus habiles que lui - la force de l'habitude, sans doute -, préféraient se concentrer sur leur travail dans un silence relatif, probablement désireux de ne pas trop faire attendre les autres membres de l'expédition dont l'estomac devait crier famine. Il y avait des exceptions, cependant : deux femmes, indéniablement les plus douées d'eux tous, qui œuvraient à une vitesse incroyable tout en devisant allègrement. Elles discutaient de leurs enfants, qui, hormis pour la paire qu'absorbaient les romans offerts par les instituteurs, trouvaient fort ennuyeuses les interminables heures de trajet et, par conséquent, les rendaient extrêmement difficiles pour leurs compagnons de route... Aussi se demandaient-elles, en plaisantant, s'il ne serait pas possible de leur faire absorber des plantes soporifiques au petit-déjeuner, afin qu'ils dorment toute la journée durant.

[Galathée]

Albérich écouta leur conversation d'une oreille distraite, davantage concentré sur ses légumes. Il continua à en couper tant qu'il en venait et ne cessa que lorsqu'on le lui demanda expressément. Il partit ensuite à la recherche de sa propre pitance, qu'on lui servit sans qu'il doive faire la file, prérogative des braves travailleurs. Il n'avait pas davantage faim que la veille, cependant, et se contenta de peu avant de repartir dans la nuit, vers les tables où demeuraient les derniers convives. Il songeait à moitié à chercher Roxane pour s'excuser de ses propos de la veille mais savait ne pas avoir le courage de la chercher si elle n'était pas immédiatement visible. Il finit par aller s'asseoir près des instituteurs, qui devisaient tranquillement autour de leur assiette. Il sourit en songeant à la lecture qu'il leur ferait ce soir-là et se laissa dériver doucement, contemplant les gens, leurs expressions, leurs gestes, la toile des tentes, l'ombre des chariots, devinant le marais derrière, dans un état de plus en plus brumeux...

[Taliesin]

L'ancien aubemestre n'aperçut pas Roxane : elle avait peut-être déjà mangé, à moins qu'elle se soit fait discrète - le comble, pour une barde ! - et que sa somnolence croissante l'ait empêché de la remarquer. Il continua donc à dériver, bercé par la conversation des instituteurs qui parlaient de leurs lectures du jour et se fendaient de spéculations quant à la manière dont Gabriel occupait la marmaille.
Ce fut Rebecca qui, étouffant un bâillement, sonna le signal du départ. Ils se réfugièrent dans le chariot, bientôt rejoints par Giovanni et par Marthe, cette dernière leur annonçant que, d'après les rôdeurs, de la neige était à prévoir dans les jours à venir. Enfin, ils se pelotonnèrent tous sous leurs couvertures et attendirent, sans qu'il ait besoin de le proposer, la séance de lecture d'Albérich.

[Galathée]

Calfeutré dans ses couvertures, Albérich chassa l’inquiétude qu’avait suscité l’annonce de la neige prochaine en récupérant le texte qu’il avait préparé plus tôt. Il était assez fier de sa trouvaille, dans les monceaux de bouquins que les instituteurs avaient empilés dans le chariot.
« Tout le monde est installé ? Parfait. »
Il s’éclaircit la gorge.
« Loin d’être apparenté à la blatte commune ou à la fourmi, et encore moins à la limace des jardins, le cloporte possède en réalité quatorze pattes. Si le juvénile revêt une carapace brun-jaune, les adultes sont généralement d’un admirable gris ardoise. Cet animal fascinant, crucial dans le cycle de la vie, peut atteindre l’âge vénérable de trois ans, bien que, dès trois mois, il démontre une activité d’accouplement frénétique. La femelle conserve ses petits bien au chaud sous son ventre, en un paquet d’œufs qui éclosent au bout d’un mois. Malgré leur petitesse et leur laideur, les cloportes vivent en famille, dans le noir, et se nourrissent de déchets exclusivement issus de plantes. On les trouve dans les endroits sombres et humides, ce qui les a souvent vus associés à des dieux maléfiques comme Shar ou Llolth alors qu’ils ne sont en fait que des enfants de Mère Nature, comme le savent bien tous les jardiniers. »

[Taliesin]

-Ah, le monde merveilleux des insectes ! Qui croirait que l'existence de si petites créatures soit à ce point palpitante ?
-Heureusement que la taille n'a rien à voir dans l'intérêt d'une vie. Sinon, les gnomes et les halfelins s'ennuieraient ferme.
-Et les géants ne sauraient plus ou donner de la tête.
-Tu trouves palpitante l'existence des cloportes ? Alors que diras-tu de celle des insectes sociaux ! Les abeilles, les fourmis, les termites... Là, c'est littéralement passionnant !.
-Passionnant peut-être, palpitant, j'en doute. Le quotidien de ces créatures est réglé comme du papier à musique et tous font exactement ce qu'on attend d'eux ! Ainsi n'y aurait-il aucune place pour un juge dans une fourmilière...
-Ben si, justement ! Mais son rôle serait de punir ceux qui se plient trop aux lois, et non l'inverse...
-Intéressante perspective.
-Nonobstant le caractère palpitant ou non de la vie des insectes sociaux, je crois que tout le monde s'accordera pour reconnaître que ce sont des maîtres en l'art de l'architecture ! Leurs cités sont proprement stupéfiantes !

[Galathée]

Albérich demeura muet de stupeur... Décidément, il avait encore mal choisi ! Il s'était attendu, à la limite, à quelques soupirs dégoutés, mais pas à un engouement pour le sujet !
" Le thème de la lecture de ce soir n'est pas les insectes sociaux mais bien les habitants du compost. Si vous voulez bien vous taire, maintenant !" s'exclama-t-il d'un ton faussement sévère.
Dès que les protestations se furent tues, il reprit :
" Le collembole, muni quant à lui de six pattes, est également un brouteur de champignons et dévoreur de légumes avariés. Gros comme une puce, avec laquelle on peut le confondre, il pullule dans les sous-sols, parfois rouge vif, parfois plus sombre, et se repait des feuilles mortes, bris d'écorce et autres épluchures. Ressemblant à une petite crevette, on évitera cependant de le cuire, car il en faudrait plus d'un million pour constituer une tourte acceptable. Il existe de nombreuses variétés de collemboles, toutes spécialisées dans la décomposition, ce qui leur valut le surnom de "Soldats de Moandre". La mort du dieu de la pourriture n'a cependant pas fait disparaître les collemboles, et c'est une chance pour nos forêts et nos jardins, qui dépendent de cette armée gourmande pour faire disparaître les déchets nombreux dont le cycle éternel de la vie et de la mort, bénie soit Chauntéa, nous gratifie continuellement."

[Taliesin]

-Ce passage me semble particulièrement important, dans la mesure où il nous rappelle que ces êtres que nous jugeons dégoutants et que nous envisageons uniquement comme des nuisances rendent en réalité bien des services.
-Effectivement. Tout le monde le sait pour les abeilles, avec la pollinisation et la fabrication du miel, mais on a trop tendance à l'oublier en ce qui concerne les autres insectes.
-Si l'on en revient à la décomposition et aux mal aimées... Doit-on considérer que les morts-vivants, eux aussi, jouent un rôle crucial ?
-Ce ne sont pas des insectes...
-Il ne s'agit pas de créatures naturelles !
-Ils font pourtant partie du Grand Tout. Le Créateur ayant présidé à leur existence, ou au moins à la potentialité de leur existence, on doit les envisager comme intrinsèquement naturels !
-Mais quel rôle crucial jouent-ils ?
-Ils permettent aux clercs et aux paladins de s'entraîner. Ils rappellent aux gens que le monde est dangereux. Ils luttent, à leur manière, contre la surpopulation.
-C'est sûr que vu sous cet angle...

[Galathée]

Décidément, leur énergie pour discourir de tout et n'importe quoi à des heures indues était inépuisable. Albérich bâilla.
" Bon, je vais vous laisser bavarder du sens profond de l'existence des morts-vivants... J'ai un avis aussi, mais je vais le garder pour moi, parce que je suis fatigué..."
Il déposa son livre.
" Je n'ai malheureusement plus le courage de vous lire la suite, édifiante, sur les vers de terre... Mais si quelqu'un s'en sent l'envie, ça commence page vingt-huit."

[Taliesin]

-Quel dommage ! Les vers de terre sont des êtres si stupéfiants !
-Je me suis toujours demandé si c'était une légende ou la réalité, le fait qu'ils survivent indépendamment si on les coupe en deux...
-Et bien, vous n'avez qu'à nous lire ce fameux passage, Agathe.
-Oh non, ça me rappellerait trop le travail ! Et puis, je doute d'être une aussi bonne lectrice qu'Albérich...
-Moi aussi.
-Pareil.
-Itou.
-Alors il nous faudra attendre demain soir pour percer ce grand mystère...
Sur ce, ils se souhaitèrent bonne nuit et le silence tomba sur l'Académie.

[Galathée]

Albérich ne put s'empêcher de rire en silence en les entendant prévoir la suite de la lecture pour le lendemain. Il n'en était absolument pas question ! Il trouverait autre chose, de pire, de rasoir, de monstrueusement soporifique ! Il connaissait quelques textes religieux qui feraient parfaitement l'affaire, mais il n'était pas certain de l'effet que les réciter (car il craignait de les connaître encore par cœur) aurait sur son moral... surtout juste avant d'aller dormir.
Mais là, il n'avait pas menti, il était très fatigué. A force d'avoir eu des lettres minuscules devant les yeux toute la journée, il avait besoin de les reposer. Une seconde, avant de glisser dans le sommeil, il se demanda où était Hubert, comment il allait, et lui souhaita une nuit paisible. Avec un peu de chance, ils se croiseraient à nouveau au petit déjeuner. Ou peut-être pas. Quoi qu'il en soit, savoir que des sentinelles capables veillaient sur leur torpeur le rassérénait... et il s'endormit.

[Taliesin]

La voix claironnante d'Edgar, réveilleur officiel de la communauté, l'arracha au sommeil alors que les primes lueurs de l'aube commençaient tout juste à poindre au-dessus d'un monde glacé que recouvrait une fine couche de givre. Autour du Luménien fusèrent les grommellements et les protestations de ses compagnons, lesquels rechignaient à s'arracher au confort de leurs couvertures et de leurs oreillers. Ils se levèrent pourtant, car traînasser n'était aucunement envisageable : en effet, plus tôt la colonne se serait ébranlée, plus elle aurait de chances d'atteindre le prochain lieu de bivouac avant que les ténèbres n'aient à nouveau englouti les marais. Aussi, moins d'un quart d'heure plus tard, les membres de l'Académie se retrouvèrent-ils au grand complet à la table du petit déjeuner, entourés de gens frigorifiés et aux yeux encore hagards.

[Galathée]

Albérich réalisait, à sa grande surprise, que peu à peu, il redevenait du matin. Il l'avait toujours été, bien sûr, mais c'était une habitude qu'il avait perdue ces derniers mois, depuis que l'aube était devenue synonyme de souffrance indicible puis de néant. Mais autrefois, adolescent, il avait été le plus matinal des novices du Temple d'Eredhun. C'était dû à son envie — ou son besoin — d'admirer l'aube depuis sa toute première lueur, ce que même les Semeurs d'Aube les plus accomplis ne faisaient pas souvent. Il s'était retrouvé plus d'une fois planté devant l'autel bien longtemps avant le début des cérémonies. Souvent, Graham ou le maître des novices débarquaient alors, le visage chiffonné, pour lui expliquer que le soleil ne se lèverait pas avant un long moment et qu'il était invité à regagner sa couche. Il avait contourné le problème en se faisant plus silencieux dans les couloirs... En hiver, il lui était ainsi arrivé de poireauter plusieurs heures avant l'aurore. C'était un temps qu'il mettait généralement à profit pour prier ou réviser ses cours, à la stupéfaction respectueuse de ses aînés... tout en lui valant également un manque de popularité certain auprès de ses condisciples. Si aujourd'hui, le lever du soleil avait perdu sa puissance divine et son sens, il n'en demeura pas moins que son corps retrouvait ses habitudes, et que son esprit pouvait désormais contempler la renaissance du jour avec tout juste un petit pincement au coeur, mais plus les affres terribles de l'hiver précédent. Il guérissait, métamorphosé. Certains jours, il s'en réjouissait. D'autres, il s'en affligeait. Ce matin-là, il avait surtout terriblement froid, et engoncé dans son manteau heureusement bien choisi, il se réchauffa avec son gruau d'avoine, tout en évitant de torturer ses compagnons mal réveillés en bavardant.

[Taliesin]

Ils étaient en passe de terminer leur repas lorsque survint une nouvelle vague de convives. Il s'agissait des soldats, des mercenaires, des éclaireurs, bref, de tout ceux qui seraient chargés d'assurer la protection de la colonne et qui, eut égard à cette lourde tâche dont ils devraient s'acquitter tout le jour durant, bénéficiaient d'un traitement de faveur en ce qui concernait l'heure du réveil. Et, bien sûr, Hubert était du nombre, entouré des chevaliers et des écuyers dont il avait partagé la tente.

[Galathée]

Comme la veille, Hubert abandonna la clique militaire pour aller rejoindre l'Académie. Il décocha un sourire tranquille à Albérich, qui se décala un rien, et le paladin s'assit à côté de lui.
" Bien le bonjour, messire de Maleval." dit le Luménien.
Hubert le dévisagea un moment.
" Tu as l'air mieux qu'hier, commenta le paladin. Mais bonjour."
Il engloba le reste de l'assemblée dans ses salutations.
" Je n'ai pas tenté de les endormir, cette fois-ci... Leur fascination pour les insectes était insatiable.
— Il n'est jamais trop tard pour gagner en sagesse."
Albérich leva les yeux au ciel.
" Mais en parlant de créatures grouillantes... Pensez-vous avoir un livre sur ce qui rampe dans les marécages, dans votre collection ?"

[Taliesin]

Les instituteurs acquiescèrent.
-Oui. Plusieurs, même : cela nous a paru assez incontournable, puisque les marais constitueront désormais notre environnement quotidien.
-Nous avons des ouvrages généralistes abordant toutes les horreurs qu'on peut y trouver, et des traités décrivant dans le détail certaines espèces particulières.
-Sans compter quelques volumes consacrés tout spécialement aux Landes. Mais il s'agit surtout de recueils de légendes...

[Galathée]

Hubert haussa les sourcils en opinant du chef, manifestement impressionné.
" J'aurais dû me douter qu'en ces matières, comment en toutes les autres, vous seriez parfaitement équipés. Si vous n'en avez pas l'usage aujourd'hui, et s'il n'est pas intransportable, j'aurais voulu vous emprunter un ouvrage généraliste... J'en prendrai grand soin et je vous le rendrai très vite. Je dois faire des... vérifications."
Le paladin avait l'air presque embarrassé, mais un sourire avait déjà fait sa réapparition sur ses traits, tranquille.

[Taliesin]

-La bibliothèque de la communauté est accessible à tous ses membres, sans condition : nous souhaitons diffuser le savoir, pas l'accumuler sous clef...
-Nous vous prêterons donc autant de livres que vous le souhaiterez.
-Par contre, ils sont dans l'un des chariots de matériel : nous n'avons gardé dans le nôtre que ceux que nous pensions lire.
-On peut aller vous en chercher un tout de suite, mais peut-être vaut-il mieux attendre que vous ayez déjeuné ? Ainsi, vous pourrez nous accompagner, et choisir celui dont le titre vous inspire le plus...

[Galathée]

" Merci beaucoup de votre aide, c'est parfait, répondit le paladin. Cela dit, je me fierai à vos conseils... et à la taille du livre. Il faut que je puisse le ranger facilement dans mes fontes."
Il accepta le gruau qu'on lui tendait et Albérich lui servit une tasse de thé encore brûlant. Comme à son habitude, Hubert la vida sans paraître le moins du monde incommodé par sa température. Ce garçon avait des boyaux formidables.
" Comment se passe votre périple ? demanda-t-il entre deux bouchées, affable. J'espère qu'Albérich n'est pas trop sérieux."
Bien sûr, songea le Luménien en croisant les bras. Allons-y gaiment.

[Taliesin]

-Pas du tout. Pour vous dire, il n'a pas travaillé le matin. Tout l'après-midi oui, mais pas le matin.
-Il s'est même interrompu pour participer au dîner du soir, alors que je croyais qu'il n'en ferait rien.
-Sans compter qu'il nous a fait la lecture cinq minutes avant que nous nous endormions, et qu'il a pris un temps équivalent pour me mettre la pâtée aux Hermines.
-Donc voilà, pas sérieux pour deux sous. Au final, c'est tout juste si nous avons dû garder le silence et lire sept heures d'affilée !

[Galathée]

" Cinq minutes, vous exagérez, Rebecca !" s'exclama Albérich.
Hubert avait croisé les bras et sourit, appréciateur.
" Je devine comme une certaine ironie... mais... on pourrait aussi estimer que c'est une tentative désespérée de loyauté entre pairs. Sept heures ! Albérich ! Tu connaissais pourtant les secrets de l'Académie !
— L'après-midi n'a pas duré sept heures ! s'offusqua le Luménien. Et je n'ai obligé personne à m'imiter !"

[Taliesin]

-Allez, peut-être six heures seulement.
-Et c'est vrai que vous ne nous avez forcés à rien. Simplement, vous vous êtes mis à travailler avec tant d'ardeur, tant d'application, tant qe concentration...
-...Que nous n'avons plus osé prononcer le moindre mot, par peur de vous déranger, ce qui aurait sans doute constitué un sacrilège. En tout cas, ça en donnait l'impression.
-Et on ne peut que saluer votre endurance. Lorsque j'ai fini par craquer et par troquer mes notes contre un roman, vous étiez encore en plein effort et avez poursuivi sur votre lancée un long, très long moment.

[Galathée]

Albérich se sentit tout penaud.
" Le bruit ne me gêne pas. J'ai grandi dans un temple, souvenez-vous... Vous pourriez faire une bataille d'oreillers que ça ne me déconcentrerait pas, si je suis bien lancé dans quelque chose...
— Ne leur donne pas de mauvaises idées, souffla Hubert. Cela terminerait de ruiner leur réputation."
Le paladin repoussa son bol vide.
" Mais donc, Rebecca, vous êtes une joueuse d'Hermines ?
— De ton niveau, Hubert, je dirais..."
L'ancien capitaine sourit avec une fausse commisération.
" Ah... Vous êtes... de mon niveau. J'en suis désolé pour vous, mais heureux pour moi. Je retiens qu'une fois établis, je dois danser avec Agathe, et jouer contre vous. Mais pour l'heure, je vais aller à la bibliothèque... si quelqu'un peut me guider."

[Taliesin]

-Je suis sûre que tout cela n'est qu'un coup fourré, que vous êtes beaucoup plus doué qu'Albérich ne le dit et que l'unique but de la manœuvre est de m'humilier... souffla Rebecca, mi-sérieuse, mi-mutine.
-Venez, Hubert, je vais vous conduire, dit Philibert en se levant.
Il le mena jusqu'à un chariot empli de caisses. Sur chacune d'entre elles, on avait cloué un parchemin indiquant quels thèmes abordaient les ouvrages rangés à l'intérieur. Grâce à ce classement soigneux, l'instituteur n'eut aucun mal à trouver ce qu'il cherchait.
-Alors, qu'avons-nous là... "Au pays des grenouilles" et "Ballade au marais : comment réussir son excursion". Mouais, à mon avis, ça ne fera pas l'affaire... Ah, ça, par contre... "Guide de survie dans les marécages, à l'usage des aventuriers précautionneux, par Alain Quatremains, explorateur de son état". C'est prometteur, non ?
Et de lui tendre un volume conséquent sans être par trop encombrant.

[Hubert de Maleval]

Hubert soupesa le volume et l'ouvrit au hasard, s'imprégnant une seconde de la plume de l'aventurier, heureusement lisible. Il n'avait jamais entendu parler de cet auteur, mais il n'y connaissait rien : la lecture était loin d'être son passe-temps principal. Misère, il y avait un nombre de pages plus qu'impressionnant... Un instant, il songea s'en plaindre, mais il était déjà embarrassé d'avoir sous-entendu, par sa requête, qu'il n'y connaissait rien à l'environnement. Or, il n'avait vraiment aucune envie d'inquiéter les membres de l'Académie quant à ses compétences de survie.
" Voilà qui devrait faire l'affaire, en effet." se contenta-t-il de dire avec un sourire.
Il allait devoir se mettre des priorités.