[Lieu] Une route oubliée

[Hubert de Maleval]

Devant la mine livide du chevalier, Hubert resta une seconde paralysé. Il ne se sentait pas plus légitime que Robert pour diriger la suite des opérations. Il finit par faire un geste incertain vers les hauteurs, en cherchant le regard d'Edgar.
" Je pense qu'ils sont en haut..." murmura-t-il, d'une voix sourde.
Ils devaient tous le savoir, ils l'avaient entendu hurler, de toute façon.

[Taliesin]

Edgar lui rendit son regard.
-Mais on fait quoi ? On monte tous ? On demande à certains de rester en arrière pour éviter que la grille ne se referme ?
-On prend le moins de risques possible, intervint Robert d'une voix mal assurée. Tout cela a déjà failli trop mal tourner.
Les autres demeurèrent silencieux, les observant toujours.
-Bon, les plus touchés restent et nous on grimpe ? reprit le sergent, oubliant apparemment qu'il saignait du bras droit.
-Il pourra nous ouvrir la voie, dit Varamyr en désignant son lynx.

[Hubert de Maleval]

Hubert se contenta d'acquiescer. Il n'était pas certain de son propre statut, mais tant qu'il était capable de marcher, il les suivrait. Il lui restait un peu d'énergie divine, sans doute rien de susceptible d'affecter réellement un mort-vivant puissant, mais il avait l'intention d'aller au bout de lui-même. Il réajusta lentement les brides de son bouclier sur son avant-bras, frotta le sang désormais coagulé qu'il avait sur le front, puis se dirigea vers l'escalier. Les images de ce qu'ils allaient découvrir commençaient à s'esquisser dans son esprit, il peinait à les repousser et pourtant, il fallait qu'il puisse tenir encore un peu... Il y aurait la remontée, ensuite, et il était passablement épuisé.

[Taliesin]

A la lueur de torches fraichement allumées, armes au point et sens aux aguets, ils gravirent le grand escalier à la suite du lynx. Parvenus au sommet, ils découvrirent, adossé au mur qui leur faisait face, un trône monumental, couvert de symboles dont sans doute plus personne ne comprenait le sens depuis des siècles, voire des millénaires. De part et d'autre s'ouvraient de nouvelles arches, et c'est vers celle de droite que se dirigea l'animal. Mais personne ne lui emboîta immédiatement le pas. Car, entre le siège ouvragé et la dernière marche de l'escalier, se dressait un autel de pierre muni de chaînes et constellé de tâches sombres.
-Les dieux m'en soient témoins, cette créature va payer... souffla Robert.

[Hubert de Maleval]

Hubert détourna le regard, sentant ses yeux s'humidifier, et la rage poindre à nouveau dans son ventre. Il ne servait à rien de s'appesantir, pourtant, et à rien de laisser la fureur prendre le pas sur la sagesse. Elle les avait déjà menés à deux doigts du gouffre. Il ne pouvait s'empêcher de songer que s'ils avaient tout de suite été plus nombreux, ils auraient pu se séparer dans les couloirs du tumulus, repérer les lieux, prendre la créature à revers, intervenir avant qu'Alban ne soit gravement blessé. Tous ces regrets inutiles, ces regrets qui le narguaient déjà, qui le hanteraient pendant des années. Et il n'y avait pas de corps : il faudrait aller l'arracher entre les griffes de la bête, pour le ramener à la vie ou lui offrir une digne sépulture.
Quoi qu'il en soit, ils devaient avancer, et les émotions violentes que leur évoquait le spectacle étaient leurs ennemies.
" Venez. Le plus vite nous lui auront réglé son compte, le mieux." dit le paladin en suivant le lynx.

[Taliesin]

Les deux arches et les couloirs qui leur faisaient suite menaient au même endroit, comme ils purent bientôt le constater : ils débouchaient dans une vaste salle carrée qui devait faire office de vestibule, car ses murs couverts de riches tentures aux couleurs passées mais étonnamment bien conservées étaient percés de maintes ouvertures. Entre celles-ci trônaient d'antiques armures, de grandes urnes d'or terni. des statues de pierre ou de bronze artistement ouvragées. Après le dépouillement absolu des lieux qu'ils avaient précédemment traversés, l'endroit donnait l'impression d'une richesse inouïe. Mais ce qui dominait, c'était une sensation de froid, de malaise, de malveillance latente...
Le lynx n'hésita pas un instant entre les différentes issues : il fila tout droit, jusqu'à la porte s'ouvrent au centre du mur du fond.

[Hubert de Maleval]

Hubert regarda à peine le décor autour d'eux, malgré son contraste avec le reste du tumulus. Il était désormais tout entier focalisé sur leur objectif, sans plus d'espace mental pour le reste. Sans doute Giovanni était-il subjugué par les lieux, peut-être d'autres songeaient-ils à la possibilité de dénicher un butin. Tout cela lui était complètement étranger. Il suivit donc le lynx, l'épée nue, guettant le moindre son, le moindre signe, que leur adversaire s'apprêtait à fondre sur eux.

[Taliesin]

Ce fut un nouveau couloir. Puis une autre pièce aux allures d'antichambre, plus petite mais plus luxueuse encore que la précédente : on y trouvait même des meubles de bois ouvragés que, pour une raison ou une autre, le temps avait épargné. Suivit un autre couloir...
Ils franchirent enfin le seuil d'une salle aussi vaste, aussi haute que celle des sarcophages et, comme elle, illuminée par une myriade de torches. Son plafond était supporté par des colonnes de marbre au chapiteaux sculptés, l'on voyait une foule de statues, d'armures, de vases précieux... Mais, surtout, au bout d'un long tapis cramoisi, sur un second trône, magnifique et imposant, était assise une créature d'os, le front ceint d'une couronne d'or blanc, le corps revêtu d'une robe noire brodée de fils du même métal, lesquels dessinaient d'étranges runes. Et, a ses pieds, gisait une petite silhouette, pâle et recroquevillée sur elle-même. Morte ou vive, impossible à dire, à cette distance : trente bons mètres les en séparaient.
-Bienvenue... lança le Seigneur des Tombes, narquois, en posant son regard de braise sur ses visiteurs.

[Hubert de Maleval]

Sans doute ce genre de créatures ne pouvait-elle plus ressentir la peur... et peut-être n'avait-elle en réalité aucune raison de les craindre, ramassis de combattants épuisés, quelques chevaliers, un barde, un jeune clerc, un paladin exsangue, un archer des marais et son lynx géant... Il fallait cependant qu'ils se déploient, car ils constituaient une cible bien trop facile en demeurant en un seul endroit. Hubert se déporta sur la gauche. Le fatras qui régnait dans la pièce pouvait constituer un avantage en offrant de nombreuses cachettes et protections, pour autant qu'il n'abrite pas une nouvelle armée de squelettes prêts à en découdre. Il leur aurait fallu un prêtre puissant ou un mage pour défaire ce monstre... et ils ne pourraient pourtant compter que sur leur nombre.
Le paladin ne dit rien, bien sûr. Si un dialogue devait s'engager avec le Seigneur, Robert était probablement celui qui devait le mener... pour autant qu'il parvienne à contrôler ses émotions. Giovanni ou Gabriel étaient sans doute de beaux parleurs, ils pourraient constituer une autre possibilité... Hubert regretta l'absence d'Albérich, une seconde, avant de s'en féliciter. Au moins quelqu'un qui survivrait à la journée indemne... C'était une source de sérénité appréciable au moment où ses yeux revenaient sans cesse à la forme blafarde et recroquevillée que toisait le monstre... Pauvre gosse. Le destin était décidément sans pitié.

[Taliesin]

-Non non non, fit la créature, sur un ton où perçait toute la malveillance du monde. Vous allez tous bien gentiment revenir à l'endroit où vous vous trouviez il y a quelques instants. Si vous n'obtempérez pas d'ici... d'ici dix secondes, disons, je demande à l'enfant de se trancher quelqe chose et de continuer à se mutiler tant que vous n'aurez pas obéi. Et croyez moi, il le fera. Oh oui, il le fera...
Autour d'Hubert, ses compagnons hésitèrent.

[Hubert de Maleval]

Hubert faillit jurer à voix haute. Même à dix, ils n'étaient pas fichus d'avoir un peu réfléchi à leur stratégie et se retrouvaient comme des imbéciles, à la merci d'un monstre détenant un otage. Qu'allaient-ils faire s'il exigeait d'eux tout et n'importe quoi, en menaçant le gosse ? S'exécuter ? Pour l'heure, cela ne coûtait sans doute rien, mais ensuite ? Ils ne pouvaient pas se contenter d'attendre et d'obtempérer. Il leur manquait un allié invisible, ou discret, qui se serait glissé jusqu'au mort-vivant tandis qu'il bavardait fièrement depuis son trône. Trente mètres, c'était beaucoup à franchir, évidemment, même pour une flèche. Comment le distraire pour laisser l'opportunité au lynx de se faufiler jusqu'à lui ? Qu'espérer d'une lame contre cette créature ?
Le paladin attendait que quelqu'un parle, le Seigneur avait l'air bavard, mais jusqu'ici... ce n'était pas brillant. Il regagna cependant l'entrée de la pièce, circonspect.

[Taliesin]

Les autres l'imitèrent. L'avaient-ils tous fait ? Vu le groupe compact qu'ils formaient, vu la pénombre qui régnait à l'entrée de la salle, c'était difficile à dire. Mais leur hôte, lui, parut satisfait.
-Bien. A présent, j'aimerais que s'avance ce "messire Robert" qui va, je cite, me "botter le cul jusqu'à ce que mort s'ensuive". Je tiens à lui faire part de toute ma désapprobation : je trouve scandaleux d'apprendre tant de grossièretés à un enfant qu'il soit capable de déverser, sans discontinuer et des minutes durant, de copieux chapelets d'injures... Cependant, peut-être est-ce la preuve que ce garçon a des tripes. Des tripes dont, d'ailleurs, je n'aurais rien contre voir la couleur...
-Espèce d'ordure, je vais... commença Robert, s'avançant d'un pas.
-Vous allez quoi ? Me tuer ? Essayez un peu, pour voir. Mais souvenez vous qu'au prochain écart, qu'il soit de langage ou de conduite, c'est votre minable écuyer qui en subira les conséquences...

[Hubert de Maleval]

Robert avait réagi dans l'instant et pendant une seconde, Hubert s'en voulut de ne pas s'être fait passer pour lui... A quoi cela rimait-il, exactement ? Le chevalier allait-il s'offrir comme cible ? En espérant y gagner quoi ? La survie du gosse ? C'était absurde. Il allait se faire tuer et Alban allait se faire tuer, et ils allaient tous se faire tuer, s'ils n'osaient pas agir en dépit des risques. Il allait falloir profiter de l'intérêt que le Seigneur semblait porter à Robert pour intervenir... Il lorgna les différentes personnes autour de lui. Quelqu'un manquait-il à l'appel ? Ou bien avaient-ils tous obéi sagement ? Où était le lynx ?

[Taliesin]

Ses compagnons semblaient aussi hésitants que lui. Mais du lynx, nulle trace. Pas davantage de signes de son propriétaire, d'ailleurs. Pour autant qu'Hubert s'en souvienne, la dernière fois qu'il l'avait vu, le Paludier examinait les traces sombres sur l'autel...
-Laissez-le partir et prenez-moi à sa place, disait le chevalier.
-Je ne sais pas si je gagnerais au change. Cet enfant est si distrayant ! Il hurle plus fort qu'un porc qu'on égorge et pleure plus que dix fillettes réunies. C'est... délicieux.
Robert bouillonnait littéralement de rage. Et sans doute était-ce l'effet recherché. Sans doute le Seigneur des Tombes n'attendait-il qu'une chose : que le conseiller charge.

[Hubert de Maleval]

L'absence de Varamyr rasséréna le paladin. Le petit homme était plein de ruse, il fallait lui faire confiance pour créer la diversion dont ils auraient besoin pour agir. Et Hubert devait aussi faire confiance à Robert pour parvenir à se maîtriser, ce qui était plus difficile. Le chevalier avait été témoin, comme lui, des mauvais conseils de l'émotion. Avec son expérience, il devait savoir que le Seigneur le provoquait, tirant sur sa corde sensible en tentant de la rompre. Il fallait qu'il puisse contrôler ce qui brûlait en lui pour prendre le contrepied de son adversaire. A quoi cela servirait, ce n'était pas clair, mais charger un seigneur mort-vivant dans son antre ne serait jamais la bonne solution...
Malheureusement, Hubert était impuissant à le soutenir, il ne pouvait que prier Lathandre et espérer.

[Taliesin]

-Vous avez raison ! fit tout à coup Giovanni. Ne prenez pas Robert : on ne peut faire plus ennuyeux que lui. Prenez-moi, plutôt !
-Ah tiens ! Et pourquoi pensez-vous que je vous trouverai plus... intéressant ?
-Parce que je suis barde ! Vous pouvez donc imaginer à quel point mes capacités vocales sont plus développées que celles de ce gamin : je sais crier comme personne. Quant aux pleurs... Ma foi, sans être le meilleur comédien qui soit, je me débrouille.
-Désolé, mais je préfère l'authentique.
-Qu'à cela ne tienne, j'ai d'autres compétences. Je pourrais, par exemple, redécorer entièrement votre palais.
-Oseriez-vous insinuer qu'il y ait quoi que ce soit à reprocher à son ornementation ?
-Non non, bien sûr : les tentures, les vases, les sculptures, tout ça est magnifique. Et pourtant, si je puis me permettre, cela fait quelque peu... daté. Vous savez, la mode a beaucoup évolué au cours des derniers millénaires. Aujourd'hui, l'heure est aux fresques ! Je pourrai en couvrir vos murs. Et même vous y représenter. Du moins, si vous acceptez de poser nu...
-Plait-il ?!
Un sifflement.
Une flèche venait de jaillir des ombres, sur la droite de la créature. Celle-ci gronda, leva la main et, aussitôt, le projectile fut réduit en cendres. Mais au même moment, le lynx parut de l'autre côté, et un bond prodigieux l'amena à deux pas du trône.
Alors, sans échanger un regard, tous les compagnons d'Hubert chargèrent.
-NON ! IL VA TOUS VOUS TUER ! JE MÉRITE PAS QU'ON SE FASSE TUER POUR MOI ! hurla Alban, qui avait relevé la tête.
Personne ne l'écouta.

[Hubert de Maleval]

La tirade de Giovanni avait fait sourire le paladin malgré lui. Les bardes ne décevaient jamais.
Le gosse, lui, était vivant et il avait encore de la voix, Hubert ne pouvait que s'en réjouir. Dans la charge chaotique qui suivit l'apparition du lynx, il ne tenta pas de dépasser les premiers combattants : Robert serait le premier au contact et avait des comptes à régler. Parmi les autres, nombre étaient moins fatigués, et donc plus rapides, que lui. Même s'il était puissant, le mort-vivant était seul, il valait donc mieux rester en retrait et servir de soutien au cas où il fallait remplacer quelqu'un. Le paladin pouvait probablement tenter d'utiliser, une ultime fois, le pouvoir de Lathandre, même s'il ne se faisait pas d'illusion : sans doute ne ferait-il que mettre leur adversaire en rage. Mais si la colère était mauvaise conseillère chez les vivants, peut-être l'était-elle aussi chez les morts, après tout...

[Taliesin]

Le lynx décocha a leur ennemi un violent coup de patte qui le fit vaciller mais non tomber, comme cela aurait dû. L'instant suivant, l'animal poussait un feulement de douleur et battait en retraite.
Profitant de ce répit, le Seigneur des Tombes se mit à incanter.
Un éclair de lumière noire jaillit de ses doigts, traversa la foule encore distante de ses assaillants : plusieurs hurlèrent, d'autres tombèrent à genoux.
Un nouveau sortilège fusa, vague invisible : frappant les premiers rangs, il y sema le désordre, le paladin, toujours épargné, voyant distinctement un soldat lâcher ses armes et, tournant les talons, fuir sans demander son reste.
Toujours, le monstre incantait.
Louis s'abattit, le visages et les mains couverts de cloques, les yeux emplis de sang.
Gabriel fut stoppé dans son élan par une épée de ténèbres qui lui barra la route, l'obligeant à un duel féroce pour défendre sa vie.
Gaspard gravit le premier les marches du trône. Malheureusement, il avait à peine brandi sa lame qu'une onde d'énergie le repoussait, l'envoyant baller au sol.
Robert prit sa suite : il n'était pas indemne, il suffisait de l'observer pour s'en convaincre, mais la rage qui l'habitait était telle qu'elle le maintenait debout. Alors s'affrontèrent l'acier et la magie, en un combat dont bien malin aurait été celui qui aurait pu en déterminer l'issue.
Lorsqu'Hubert fut parvenu assez près et tenta d'user de sa magie divine, cela n'aboutit à aucun résultat : la créature n'eut pas même un frémissement.
Non loin de là, Alban s'était mis à ramper péniblement sur le sol, en direction de l'arme que le sieur d'Estremont, au mieux sonné, avait laissé choir.

[Hubert de Maleval]

Hubert s'était vidé de sa magie curative pour se remettre sur pied, aussi ne pouvait-il rien pour venir en aide aux blessés. Il fallait qu'il trouve un moyen de soutenir Robert et il se dirigea vers un des nombreux vases qui encombraient la salle dans l'idée de le lancer sur le Seigneur des Tombes pour le distraire et offrir une ouverture au chevalier. Ce n'était pas la technique la plus honorable du monde, mais enlever un gosse n'était pas très honorable non plus, et il n'était plus temps de s'interroger sur les moyens. Tout en cherchant un objet adapté à son plan, le paladin aperçut les reptations d'Alban et en devina les intentions. Ce gosse avait du cran mais il s'était exposé bien trop longtemps. La témérité lui avait coûté, à lui aussi. Hubert décida de lancer son vase puis de tenter d'aller le chercher. Il serait sûrement furieux de ne pas pouvoir planter une lame dans les côtes de son ravisseur mais lui non plus n'était pas le personnage d'une épopée romantique. Il était temps qu'il retrouve un semblant de sécurité.

[Taliesin]

Suite à une nouvelle incantation, le Seigneur des Tombes s'était retrouvé enveloppé d'un étrange cocon d'os et de lumière noire mêlés, un cocon qui lui donnait des allures de dragon. Cette enveloppe lui permettait non seulement de mieux encaisser les assauts de son adversaire mais aussi de riposter et, de ses pattes aux griffes tranchantes, effilées, aussi redoutables que des épées, il harcelait Robert, lui rendait coup pour coup.
Hubert n'était pas le seul à vouloir aider le chevalier titubant. Varamyr, indemne, et Giovanni, blessé, tiraient dès qu'ils le pouvaient l'un ses flèches, l'autre ses carreaux. Malheureusement, les projectiles semblaient d'un effet relatif contre le maître des lieux... Il en alla différemment du vase. Il était lourd et le paladin épuisé, mais celui-ci parvint à le projeter avec suffisamment de force et d'adresse pour qu'il frôle l'ignoble créature. Pour qu'il la touche, peut-être... Surprise par ce contact, craignant sans doute que le lynx soit reparti à l'attaque, elle tourna un bref instant la tête, ce qui permit à Robert de se fendre d'un nouvel assaut rageur... et de la percer de part en part.
Le cocon disparut.
Le mort-vivant tomba à genoux.
-Vous ne le savez pas encore, mais je vous ai vaincu... croassa-t-il à l'intention de son ennemi. Que vous me tuiez n'y changera rien. Vous avez fauté, et il vous faudra en payer le prix...
Il gloussa.
-Je tiens toujours mes promesses... ajouta-t-il, dans un souffle rauque.
Le Seigneur des Tombes fut secoué d'un violent éclat de rire. Un rire dément, peut-être. Mais un rire triomphant, exultant.
Le chevalier jeta un regard par-dessus son épaule, et sur son visage éprouvé se peignirent aussitôt une horreur, une détresse infinies.
A quelques mètres de là, Alban avait atteint son objectif. Il s'était assis et, ses mains tremblantes enserrant la lame de l'épée, il avait entrepris, lentement, maladroitement, de retourner l'arme contre lui.

[Hubert de Maleval]

Une fois son vase lancé, Hubert s'était détourné de l'affrontement pour filer en direction de l'écuyer, comme il l'avait prévu. Il était toujours persuadé que l'enfant entendait se fendre d'un geste héroïque pour soutenir son maître, aussi ralentit-il sa progression lorsqu'il réalisa que Robert avait eu l'opportunité de porter son coup fatal. Mais les paroles du Seigneur des Tombes le glacèrent et lorsqu'il réalisa qu'Alban avait retourné l'arme contre lui, il n'était pas aussi près de lui qu'il aurait pu se trouver s'il avait continué sur sa lancée.
Il se mit cependant à courir, dans l'idée d'arracher l'épée au gosse à tout prix, avant qu'il ne soit trop tard.

[Taliesin]

Lorsqu'Hubert parvint près de l'écuyer, il n'était pas encore trop tard. Ce n'était qu'une question de secondes, cependant. Ou de fractions de secondes, plutôt, car la pointe d'acier effleurait déjà son ventre.
Le garçon tenait la lame de ses mains nues, indifférent à la douleur, indifférent au sang qui perlait, cramoisi sus sa peau blême, sur le métal gris.
Pour le paladin, intervenir sans occasionner de plaies plus graves, voire la perte de doigts, ne serait pas chose évidente...
Mais avait-il le choix ?

[Hubert de Maleval]

Hubert glissa à genoux devant lui et lui agrippa les mains, tentant avant tout de bloquer le mouvement vers le ventre. Il fallait qu'il réussisse à glisser ses doigts sous les siens pour le faire lâcher, mais l'écuyer était manifestement investi d'une puissance qui le dépassait, l'amenant à se défier de la douleur. Il survivrait à la perte d'un doigt, pas à celle de ses tripes, cependant. Il fallait malheureusement se fixer des priorités.
" Tiens bon, Alban, aide-moi." lui souffla-t-il en essayant de lui desserrer doucement les phalanges des pouces.
Le mort-vivant lui conférait une force peu commune, mais Hubert n'était pas en reste dans le domaine. Il fallait qu'il rassemble ce qui lui restait d'énergie pour cet ultime effort.

[Taliesin]

Alban ne réagit pas à ses paroles. Son regard était vide, son visage inexpressif.
En revanche, il réagit à sa manœuvre sitôt qu'il la comprit : sa prise se raffermit sur la lame et il tenta de s'occire d'un violent à-coup.
Le sang perla entre ses doigts mutilés, sur son ventre entaillé.
Mais non ouvert.
Même si ce qui avait pris possession de l'écuyer lui conférait une déconcertante énergie, l'enfant restait un enfant, l'homme un homme, et celui-ci parvint à bloquer le geste mortel.
Et, peu à peu, à détacher les mains de l'acier empourpré.
Lorsque l'arme lui fut arrachée, le gamin, avec une soudaineté inouïe, tenta de peser sur les bras de son adversaire pour infléchir son mouvement, pour que l'épée soit dirigée contre le paladin et le blesse. Il échoua, bien sûr. Cependant, ne s'avouant pas vaincu, il se jeta contre lui et se mit à le marteler de coups, animé par une rage diabolique.

[Hubert de Maleval]

L'écuyer eut le temps de marquer son visage et son surcot déjà malmené de petites empreintes sanglantes, avant qu'Hubert ne parvienne à lui saisir les poignets pour le maîtriser. Comme une anguille furibarde, l'enfant s'agita alors de plus belle, usant de ses pieds nus, tentant de renverser le paladin agenouillé. Celui-ci l'étreignit contre lui, repliant les bras autour de son corps pour contenir complètement sa fureur. Il espérait qu'elle viendrait à s'apaiser, ou que quelqu'un, Gabriel ou Giovanni, pourrait user d'un sortilège pour le forcer au calme. D'ici là, il ne pouvait qu'arrondir le dos et demeurer stoïque. Le gosse prisonnier de cette carcasse éprouvée devait être épuisé, désormais, et Hubert se sentit envahi d'une bouffée de compassion qui lui serra le coeur.

[Taliesin]

Alban continua un moment à se débattre, à lutter, tentant même de mordre celui qui le maintenait prisonnier.
Puis il s'immobilisa, et son corps fut secoué de spasmes au moins aussi violents que ses précédents assauts.
Au pied du trône, le Seigneur des Tombes émit un râle. S'affaissa tout à fait.
Partout dans la salle, les flambeaux vacillèrent, s'éteignirent.
Silence. Ténèbres.

[Hubert de Maleval]

Secoué, le paladin garda le gosse contre lui, tentant de contenir ses tremblements, de lui offrir un cocon protecteur après toute cette angoisse. Il n’entendait plus que leurs deux respirations rauques, entremêlées, et le tambourinement de leurs cœurs. Il n’était pas certain de savoir lequel lui appartenait. Il serait temps d’examiner les blessures d'Alban une fois qu’il serait un peu apaisé, il ne paraissait pas mourant, c’était le principal. Hubert espérait que la victoire dont avait parlé le Seigneur des Tombes s’arrêtait là, mais il ne parvenait pas encore à s’en persuader.
« C’est terminé. » murmura-t-il néanmoins à l’oreille du petit garçon, en posant une main consolatrice sur sa tête.
Sans cesser de l’étreindre, il se risqua à jeter un regard circulaire autour d’eux, histoire de mesurer l’étendue des dégâts, de leurs pertes, de chercher Robert, aussi. Il faisait noir mais ce n’était pas un réel problème pour lui. D’autant que la lumière reviendrait, assurément…

[Taliesin]

A côté d'eux, Gaspard s'agitait mollement.
Sur les marches menant au trône, Robert s'était écroulé, terrassé par la fatigue, l'angoisse... ou les blessures que lui avait infligées son terrible adversaire.
D'autres silhouettes, ailleurs. Certaines couchées, certaines assises. Une poignée debout.
-Si quelqu'un pouvait rallumer la lumière, ce serait sympa... fit Giovanni.
Une première torche s'illumina. Puis une seconde. Et l'on se mit en devoir de ranimer les plus proches flambeaux.
-Je vous demande pardon... murmura Alban, d'un filet de voix à peine audible. Pour le mal que je vous ai fait. Et que j'ai fait aux autres. Et... Et pour avoir désobéi aux... aux...
Il n'alla pas plus loin, sa frêle carcasse secouée de sanglots déchirants.

[Hubert de Maleval]

" D'entre tous, tu es celui qui ne dois s'excuser de rien, Alban. De rien du tout." murmura Hubert, apaisant, sans cesser de lui caresser les cheveux.
Il lui semblait prématuré de se lever, mais l'état de Robert le préoccupait, aussi souleva-t-il l'enfant dans son étreinte et se remit-il vaille que vaille debout. Si le chevalier était épuisé, la proximité de son écuyer, pour lequel il avait été prêt à tout donner, serait peut-être le coup de fouet salvateur.
Lathandre, fais que personne ne meure, songea-t-il en apercevant les quelques silhouettes allongées.
Ce serait un poids trop terrible à porter pour les enfants, car malgré la responsabilité criante de Ruth, Alban s'en voudrait tout autant, et Robert et lui-même ne pourraient qu'assumer le prix de leur orgueil, qui les avait envoyés mal préparés dans l'antre du monstre.
Mais Giovanni et Gabriel avaient peut-être encore des ressources et, avec un peu de chance, Agnès ou Barthélémy les attendaient à la surface. Il fallait garder espoir.

[Taliesin]

Sitôt la lumière revenue et quoi qu'il fut lui-même blessé, Gabriel avait entrepris d'aller de corps en corps. C'est celui de Robert qu'il examinait lorsque le paladin le rejoignit.
-Il est mort... gémit Alban après avoir jeté un coup d’œil à son maître.
C'est ce qu'il semblait, malheureusement : saignant en plusieurs endroit, son teint avait la pâleur d'un cadavre et il semblait ne plus respirer.
-Non, il n'est pas mort, le rassura le clerc. Cette saloperie l'a juste beaucoup affaibli, saturé d'énergie négative...
Il sourit à l'enfant, heureux de constater qu'il était toujours vivant..
-Bon, aucune victime, donc. Seulement quelques cas... préoccupants, disons. Essayons d'y remédier au plus vite.
Puis, se tournant vers leurs compagnons :
-Un volontaire pour aller quérir du renfort ?
-J'y vais, répondit Varamyr qui s'exécuta aussitôt, suivi par un lynx boitillant.