[Lieu] Une route oubliée

[Galathée]

" J'espère que mon opinion de vous ne sera jamais un jugement, Roxane, mais je vois ce que vous voulez dire, et je vous remercie de me laisser cette seconde chance. Je vais vous laisser travailler, à présent, et essayer de me dénicher quelque chose à manger. Voulez-vous que je vous rapporte quelque chose ? Je sais que lorsqu'on est pris par une activité passionnante, on a tendance à oublier de veiller aux besoins les plus primordiaux."

[Taliesin]

-Ne me remerciez pas : à ce prix-là, vous me laissez aussi une seconde chance. Nous verrons ce que cela donne...
Elle s'autorisa un demi sourire.
-Qui sait si nous ne deviendrons pas bientôt les meilleurs amis du monde ? Ne dit-on pas, en effet, que les plus belles histoires commencent par une dispute ? N'avons-nous pas vu, au tournoi, se rouer de coups deux enfants qui vont désormais partout main dans la main ?
Elle jeta un regard à son parchemin.
-Et pour en revenir au présent.... Effectivement, s'il vous était possible de m'apporter quelque chose, je vous en saurais gré : j'ai presque terminé mais je dois encore noter certains détails importants...

[Galathée]

" Je reviens."
Le Luménien partit donc en quête de pitance, un peu rasséréné par l'échange. Il n'avait pas l'intention de se forcer dans les bonnes grâces de la jeune femme en saisissant toutes les opportunités possibles et imaginables pour lui apparaître sous un bon jour, mais au moins n'étaient-ils plus ennemis. Leurs prochaines interactions seraient immanquablement plus sereines... et donc plus riches.
Il alla se glisser dans la file des affamés, obtint deux assiettes d'une potée orange et retourna voir la barde. La table avait été prise d'assaut entretemps, aussi se contenta-t-il de déposer son assiette près d'elle avant de lui souhaiter une bonne soirée et de s'éclipser. Il mangea finalement un peu plus loin, entre Philibert et Agathe. La conversation porta bientôt sur le vote par écrit auquel ils allaient incessamment se plier. Le Luménien demeurait curieux de la méthode...

[Taliesin]

A la nuit tombée, Hubert vit apparaître la troupe des sentinelles. Comprenant Ruth et Alban dans ses rangs, elle était conduite par Louis, qui l'informa que ses trois collègues et lui-même se relaieraient jusqu'à ce que les officiers de Robert ne prennent la relève. Le paladin put alors regagner le camp. Il trouva le chevalier adossé au tronc du grand arbre noueux et torturé qui, s'il avait fait jour et s'il avait eu des feuilles, aurait ombragé la place.
-Ce lieu vous convient-il pour notre discussion ? s'enquit le conseiller. Préférez-vous que nous nous installions à table, ou que nous gagnions l'intimité d'un chariot, peut-être ?

[Hubert de Maleval]

" N'importe quel lieu me convient." dit le paladin en esquissant un sourire un peu las.
La tentation était grande d'entrer dans le vif du sujet, mais cela n'aurait sans doute pas été très convenable, aussi repoussa-t-il sa première impulsion.
" J'espère que la journée n'a pas été trop pénible pour vous, commença-t-il. Je suis heureux que vous ayez pu être auprès d'Alban, aujourd'hui. J'espère qu'il se remettra au mieux..."

[Taliesin]

-Je sens que j'ai besoin d'une bonne nuit de sommeil. Pour le reste, la journée n'a pas du tout été désagréable : je craignais cette immobilité forcée, sur ce banc, je pensais que ne pas pouvoir chevaucher comme à l'ordinaire deviendrait vite insupportable mais, au final, la rafraichissante compagnie dont j'ai pu profiter a rendu les choses beaucoup moins difficiles. Quant à Alban...
Il grimaça.
-"Je me sens parfaitement en forme, messire". "Tout va bien, messire, ne vous inquiétez pas". Voilà le genre de réponses qu'il m'a invariablement données. Alors certes, il était content, il bavardait comme si de rien n'était avec son amie, mais... Vous avez vu sa mine ? Enfin, pas étonnant qu'il dorme mal, après ce qu'il a vécu. J'espère que les choses s'apaiseront et, surtout, qu'il acceptera de l'aide en cas de besoin. Ce qui n'est pas gagné, le connaissant.
Il soupira, releva les yeux sur Hubert.
-Et vous, comment vous portez-vous ? Ce n'est pas exactement une partie de plaisir que nous avons vécu hier, et je sais que vous n'en êtes pas sorti totalement indemne.

[Hubert de Maleval]

Hubert soupira.
" Physiquement, je suis remis. Mentalement, c'est autre chose."
Il songea à la discussion qu'il avait eue avec Albérich la veille avant de choisir ses mots.
" Robert, écoutez... A la lumière des événements... Je ne suis pas certain que je sois la personne appropriée pour vous seconder. Vous et moi... Nous sommes sanguins et... et téméraires peut-être. Ou chevaleresques. Je ne sais pas quel est le bon mot. Mais j'ai l'impression que vous gagneriez à vous associer à quelqu'un doté d'un tempérament tout à fait opposé. Quelqu'un de... de plus sage, probablement."
Il embrassa le paysage d'un geste.
" Non seulement je n'ai pas cette sagesse, mais en plus... Je ne me sens pas armé face à cette... Lande. Je n'ai pas appris à me défier, à craindre pour ma vie, à mesurer les conséquences de mes élans... Je me sens dangereux pour le groupe. Je voudrais que vous soyez mieux aidé."

[Taliesin]

-Hubert, vous avez jusqu'ici été irréprochable dans le cadre de vos fonctions. Que ce soit durant les trajets, les haltes ou l'assaut contre notre convoi, vous vous êtes révélé efficace, vous avez apporté des idées qui se sont avérées excellentes, vous n'avez pas commis la moindre erreur... Et, je vous en prie, ne me parlez pas de l'enlèvement d'Alban : il est dû à un évènement que nul n'aurait pu prévoir, il est intervenu alors même que nous avions pris toutes les précautions possibles et inimaginables. C'est un incident malheureux comme il en arrive souvent, et tous ceux qui s'en sentent coupables doivent l'accepter comme tel. Nous ne sommes que des hommes, non des dieux omniscients capables de lire l'avenir, de déceler l'indécelable, d'envisager l'imprévisible..
Il soupira.
-Tout cela montre bien que votre caractère... chevaleresque, disons, n'a nullement nui à l'accomplissement de votre mission. Tout cela est aussi déjà largement suffisant pour que je refuse de me séparer de vous. Mais il y a plus. D'abord... Oui, peut-être y a-t-il des personnes plus sages dans nos rangs. Mais aucune n'a votre expérience. De nous tous, je le rappelle, vous êtes le seul a avoir commandé une garde nombreuse. C'était une garde urbaine, me direz vous. Mais qu'est notre colonne, sinon une petite ville en mouvement ? Ensuite, les hommes et les officiers ont accepté votre autorité plus vite encore que je ne l'aurais cru. Ils vous apprécient, vous sont acquis : comment prendraient-ils le fait que vous soyez remplacé ? Enfin, ce dont a besoin notre communauté alors qu'elle traverse de si périlleux parages, c'est de certitudes, de stabilité. Or, changer brusquement de commandant en second, ça n'a rien d'un ajustement anodin : c'est un bouleversement majeur. Je ne suis pas sûr... Non, je suis certain qu'il vaut mieux nous l'épargner.
Il le regarda droit dans les yeux.
-Bref, vous êtes à la fois irréprochable et irremplaçable, Hubert. Et l'officier qui accepterait de se séparer d'un adjoint tel que vous serait un crétin.

[Hubert de Maleval]

Hubert s'empourpra d'embarras. Il n'avait pas eu l'intention de forcer Robert à lui faire des compliments, même si la chose était... relativement agréable. Mais il s'en sentait indigne.
" Je suis touché par... la confiance que vous avez en mes compétences, murmura-t-il, confus. Et je suis sensible à votre argument du bouleversement... Il est vrai que je ne voudrais pas déstabiliser la communauté, jamais, et que je conçois que ma démission pourrait... amener les gens à se poser des questions, mais..."
Il se détourna un moment.
" Je dois vous dire le fond de ma pensée. Je suis troublé par la manière dont nous sommes partis seuls vers le tumulus. C'était déraisonnable. Nous avions des combattants aguerris à notre disposition, qui étaient prêts à nous suivre, nous savions avoir affaire à forte partie..."
Comment formuler les choses pour ne pas blesser le chevalier... C'était la dernière chose que voulait Hubert, car malgré l'épisode, il avait un grand respect, intact, pour Robert.
" Je ne veux ni me montrer impertinent, ni indiscret, Robert. Vous êtes déjà très tolérant avec ma tendance à l'insubordination... Mais... Nous avons failli nous faire tuer parce que nous étions sous le coup de l'émotion... Vous avez des excuses, le contexte... votre passé... Je sais que vous êtes très attaché à Alban. Mais moi... J'aurais dû garder la tête froide, être ce contrepoint pour vous. Et les dieux savent combien je voudrais l'être. Je suis paladin. Je sais que ma vocation m'amènera toujours à risquer... mais ici, il n'y avait nulle raison de le faire. Et je n'ai pas su vous tempérer."
Il secoua la tête, toujours sans regarder le chevalier.
" Je vous avais promis de vous tenir tête quand il serait nécessaire de le faire. Et je vous ai failli. C'est Etienne... Frida... les autres... qui nous ont servi de garde-fou... Et je leur en suis évidemment mille fois reconnaissant. Mais cela n'aurait pas dû se produire. J'aurais dû être à la hauteur de la situation."

[Taliesin]

-Hubert... Vous auriez aussi pu continuer à poursuivre, seul, la créature jusqu'au tumulus, jusqu'à l'intérieur de celui-ci. Mais vous ne l'avez pas fait, vous êtes revenu en arrière, preuve que vous savez contrôler vos ardeurs. D'autre part, vous avez essayé de me retenir et si vous n'avez pas réussi, il ne faut pas prendre cela comme un échec personnel : pour parvenir à vos fins, il aurait fallu que vous vous battiez avec moi. Et vu la violence des émotions qui m'habitaient, il n'est pas certain que vous auriez eu le dessus.
Il se tut, resta un moment silencieux, reprit enfin, très calme :
-Sans doute ai-je été stupide en voulant partir immédiatement au secours d'Alban. Sans doute l'avez-vous été également en choisissant de m'accompagner. Néanmoins, nous avons agi ainsi moi parce qu'il s'agissait de mon écuyer, vous parce que vous êtes paladin, mais avant tout parce que nous sommes tous deux humains. Croyez-vous que les autres membres de la communauté se seraient comportés différemment si le monstre ailé avait pris pour cible leur enfant, leur conjoint, leur ami ? Non, ils se seraient rués de l'avant, tout comme nous, et pour les en empêcher, il aurait été nécessaire de les restreindre, de les assommer...
Nouveau silence, plus bref que le précédent.
-Quant au choix d'envoyer à notre suite une expédition plus conséquente... Il vous paraît sage parce qu'il est le fruit d'une plus longue réflexion, d'une meilleure organisation. Mais ça n'en reste pas moins une erreur terrible. Plus terrible encore que la nôtre. En effet, que serait-il arrivé, en cas d'échec ? Car l'échec était possible : il aurait suffi que la liche les voie venir, qu'elle se replie avec ses troupes dans la salle du trône où la force combinée de ses gardes du corps et de ses sortilèges aurait balayé tout le groupe. Ce qui serait arrivé, alors, c'est que la communauté aurait au total perdu son unique paladin, son unique guide paludier, quatre de ses cinq chevaliers, deux de ses trois clercs, dont le plus puissant, un de ses trois bardes et un quart de ses soldats. En un mot : un désastre.

[Hubert de Maleval]

Hubert acquiesça, songeur. Robert avait des arguments, même s'il trouvait peu réjouissant de relativiser sa bêtise en lui opposant une décision encore plus mal avisée.
" Sans doute était-ce stupide de nous envoyer des renforts, je n'en sais rien... En même temps, vu notre initiative, ils n'avaient pas d'autre choix... Nous les y avons contraints. Et heureusement, nous avons fait diversion... Heureusement... Je ne veux pas imaginer le désastre que vous décrivez..."
Il soupira, passa les mains sur son visage...
" Je sais que nous sommes humains, mais... avec la responsabilité qui est la nôtre... Nous ne pouvons pas nous permettre de nous comporter comme n'importe qui. Le message que nous avons envoyé... C'est désormais un précédent. Nous devrons nous montrer à la hauteur pour la suite."
Il eut un sourire léger.
" Tout cette affaire me dépasse... Je crois..."
Il se sentit subitement ému, tenta de conserver un ton égal.
" Je n'avais jamais frôlé la mort d'aussi près. Je sais, c'est à peine croyable, pour un paladin de mon âge... Pourtant c'est la vérité. Je dois grandir de cet épisode, je le sais bien..."
Il pinça les lèvres.
" Désolé, je m'égare. Je suis sensible à vos paroles. Je sais que ce qui s'est produit m'a déstabilisé et continuera à me hanter dans les jours qui viennent. Mais je m'efforcerai... de rester à la hauteur de la confiance que vous avez en moi. Et de faire mieux. Je voudrais surtout faire mieux."

[Taliesin]

-Ne vous mettez pas de pression inutile. Prenez plutôt le temps de vous reposer, de laisser tout cela décanter...
Robert grimaça.
-C'est vraiment ridicule de ma part de vous donner de beaux conseils, alors que si je m'écoutais, je démissionnerais et renoncerais à conserver Alban comme écuyer. Après tout, un chevalier qui échoue à protéger son apprenti, un commandant qui fonce tête baissée dans l'antre d'une liche, même en ayant pris soin de déléguer ses fonctions... Cela n'a vraiment, vraiment rien de reluisant.
Il soupira, s'arracha un sourire.
-Mais s'il y a bien une chose que les hommes comme nous doivent apprendre, c'est à se défier des décisions hâtives. Nous allons donc prendre une ou plusieurs bonnes nuits de sommeil, nous reposer sur nos officiers si c'est nécessaire - nous pouvons leur faire confiance - et surtout, continuer à donner le meilleur de nous-mêmes pour cette communauté qui refuse d'abandonner les siens, quels que soient les risques encourus.

[Hubert de Maleval]

" Oui. Je pense que de ça, au moins, nous pouvons être fiers. Comme vous pouvez être fier du courage de votre écuyer."
Il jeta un oeil en direction des tables où le repas se déroulait depuis un moment déjà.
" Je vous remercie de m'avoir écouté, Robert. Je sais que pour vous, cet événement n'est pas anodin non plus. Mais il est pour moi primordial de voir que nous nous comprenons et que je peux vous parler, à coeur ouvert, des choses qui me chagrinent. Je vous suis extrêmement reconnaissant pour cette liberté. Elle est rare chez les hommes... de votre statut."

[Taliesin]

-Allons, Hubert, c'est la moindre des choses. Et je ne suis qu'un petit chevalier de rien du tout auquel les gens de cette communauté ont eu la folie de confier des responsabilités bien trop grandes pour lui. Mais puisque nous en sommes aux remerciements...
Il tendit la main, lui pressa l'épaule.
-Hier, avant de m'effondrer pour la deuxième fois, j'ai vu ce que vous avez fait pour Alban. J'ai une dette immense envers vous, je ne l'oublierai pas. Et je tiens à vous témoigner toute ma gratitude pour votre courage, votre dévouement... et votre humanité.

[Hubert de Maleval]

" Ne me remerciez pas. Je n'aurais pas pu agir autrement." murmura le paladin en prenant la main de Robert.
Il l'étreignit ensuite une seconde, touché par sa marque de confiance, puis s'en détacha et sourit doucement.
" Nous avons affronté le pire et nous l'avons vaincu. A présent, la cité nous attend, quelque part par là... Mais d'abord, le souper. Ensuite... Je vais obéir à vos ordres et aller me reposer. D'autant que j'ai encore un énorme bouquin sur les créatures des marais à potasser..."

[Taliesin]

-Vous avez pris lequel ? s'enquit le chevalier. Personnellement, j'ai lu l'Alain Quatremain. Pas désagréable, mais épais !
Il s'immobilisa avant qu'ils n'aient atteint les tables.
-Hubert... J'aurais une dernière question à vous poser, avant que nous ne refermions le chapitre du tumulus...
Il se racla la gorge, embarrassé.
-Est-ce qu'Alban... Est-ce qu'il vous a dit quelque chose à propos de ce qu'il a enduré ? Il ne m'en a pas touché le moindre mot et a fait jurer le silence à Ruth. Quant à Barthélemy, il est tenu par le secret professionnel. Alors je me sens quelque peu démuni pour le soutenir... Enfin, si la déontologie vous interdit de m'en parler, je comprendrai.

[Hubert de Maleval]

Hubert pinça les lèvres. Alban ne lui avait pas demandé de garder le silence et Robert était son maître... mais il se souvenait des paroles d'Albérich, relayées par Ruth. Tout ça était bien compliqué... Il haussa les épaules.
" J'aimerais mieux qu'il vous en parle lui-même, évidemment, mais... Je n'ai rien promis et je pense utile que vous soyez au courant d'un minimum... Apparemment, la liche l'a surtout tor... touché avec des sortilèges infligeant de la souffrance sans réels dégâts physiques. Et l'a mordu avec sa main. Mais j'imagine que l'impuissance à elle seule... Je ne sais pas ce qu'il a vécu, on m'a dit que son père avait été... brûlé dans son moulin, mais... c'est immanquablement traumatisant pour un gosse de cet âge. Cela le serait pour un adulte."

[Taliesin]

-Son père, sa mère, tout le reste de sa famille... Et il avait réussi à dépasser ce drame...
Robert serra le poing. Le rouvrit.
-Et je pense qu'il est traumatisé, oui. Apparemment, ses cauchemars ont été extrêmement violents... Mais ça n'a rien d'étonnant : s'il passe ses journées à donner le change, il faut bien que ça ressorte à un moment ou à un autre.
Il inspira profondément, expira lentement.
-Mais il est en vie. Il finira par s'en remettre : c'est un garçon plus solide qu'il n''y paraît. Et si je n'arrive pas à le soutenir, je demanderai de l'aide.
Il adressa un triste sourire au paladin.
-Merci beaucoup pour votre réponse, Hubert. Allez, à présent, avalons quelque chose de chaud. Le gemps est glacial, ce soir...

[Hubert de Maleval]

Hubert accompagna le chevalier vers les tables.
" Je peux dormir près de lui, si vous le désirez. Peut-être que mon aura l'apaisera... Je ne dis pas qu'elle l'empêchera de faire des cauchemars mais... elle a apparemment un effet sur certaines personnes. Ou alors c'est juste l'idée que je suis paladin, je n'en sais rien. La nuit passée, vous étiez inconscient, et il avait l'air tellement bien avec Ruth, que j'ai préféré les laisser ensemble... J'étais moi-même fatigué, je dois l'admettre, et je ne sais pas si j'aurais été très efficace à veiller sur autrui, mais... Je peux sans souci m'en occuper ce soir."
Il eut un sourire tranquille.
" Cela dit, tout bien réfléchi, je pense que votre présence à elle seule fera déjà des miracles."

[Taliesin]

-Je l'espère, mais je n'en suis pas certain. Maintenant qu'il m'a vu terrassé par deux fois, maintenant qu'il m'a vu inconscient, il s'inquiète pour moi et va encore moins s'ouvrir que précédemment, par peur de me causer du tracas.
Il sourit avant de rire franchement.
-En gros, il joue la comédie pour me ménager, et je fais la même chose. Vous parlez d'une histoire !
Il redevint sérieux.
-Nous allons nous installer dans un chariot du train de bagages, je vous indiquerai lequel. La raison officielle, c'est qu'Agnès a insisté pour que je me repose dans les conditions les plus confortables possibles. Ce qui n'a rien d'un mensonge. Les raisons officieuses, c'est d'une part que nous ne pouvons pas nous permettre que tous nos chevaliers soient épuisés à cause de mauvaises nuits, d'autre part que je ne veux pas qu'Alban soit plus gêné ou qu'il culpabilise davantage. Il le fait déjà bien assez comme ça, inutile d'en rajouter.

[Hubert de Maleval]

" Je comprends... Mais si la nuit est très difficile, nous devrons trouver un tour de passe-passe pour que vous ne soyez pas toujours celui qui doit veiller sur lui... Vous avez réellement besoin de repos. Je sais que vous voulez ménager l'amour-propre d'Alban... mais..."
Il s'interrompit et sourit.
" Nous trouverons une solution. Nous n'en sommes pas là. Alban veille, de toute façon, à cette heure-ci. Vous pourrez déjà commencer votre nuit. Cela dit, si son sommeil est trop bouleversé, sans doute faudra-t-il l'écarter des gardes de nuit... Nous aurions dû le faire d'emblée, peut-être. Nous verrons."

[Taliesin]

-Oh, mais j'ai essayé de le persuader de ne pas rejoindre les sentinelles cette nuit au moins. Droit dans ses bottes, il m'a alors expliqué que le meilleur moyen pour qu'il se remette complètement et rapidement, c'était qu'il ne change rien à ses habitudes, qu'il fasse comme si de rien n'était, qu'il se rende utile... Que répondre à cela ? Néanmoins, ce gosse a un tel sens des responsabilités que s'il constate ne pas être en mesure de remplir sa mission, il sera le premier à le signaler. De même, s'il m'empêche de dormir, il voudra trouver une solution... Alors, pour cela au moins, nous ne devons pas nous inquiéter.
Les deux hommes rejoignirent les tables et, sitôt qu'ils eurent déniché deux places de libre, Robert s'en fut quérir leur repas.

[Hubert de Maleval]

Hubert laissa partir Robert et demeura un moment perdu dans ses pensées. L’épisode de la veille l’avait secoué, et continuait de le troubler, et c’est seulement au fil des conversations qu’il avait avec les uns et les autres qu’il prenait la mesure de ce qu’il ressentait réellement. Bien sûr, il avait su qu’il vivait dans un univers facile, à Solarcis. Il y avait eu des défis, mille défis, mais globalement, en dix ans, rien ne lui avait jamais semblé hors de sa sphère de compétence. Il y avait eu les mages rouges de Thay, l’affaire du basilic, la secte cyricienne du quai des épices, la gestion constante des contrebandiers, des cambrioleurs, des faussaires, des trafics en tous genres… Tout cela apparaissait comme des broutilles, désormais. Il avait été rapide à oublier la Forêt Maudite et ses tombeaux ensevelis sous la mousse, ses premières années de paladin, quand il arpentait des sentiers obscurs entre les arbres tordus, à l’affût d’une âme-en-peine ou d’une troupe de zombies. Il n’y avait jamais eu de liche, mais il y avait eu un vampire, des nécrophages dans un petit cimetière oublié, un golem d’os coincé dans un crypte trop petite pour lui. Mais chaque fois, ils étaient préparés, vigilants, organisés en petites escouades de quatre ou cinq paladins, parfois un clerc. Malgré les risques et des combats acharnés, Hubert ne se souvenait pas de s’être jamais réellement senti en danger. C’étaient les temps bénis de la commanderie, ils étaient nombreux, bien entraînés, déterminés, et la lumière de leur foi rayonnait sur la campagne luménienne et au-delà. A bien y réfléchir, il n’avait jamais vu tomber un de ses frères et sœurs d’armes au combat. Certains avaient été blessés, mais c’était ordinaire. Aucun n’était mort.
Mais peut-être était-ce de la reconstruction. Peut-être, simplement, ne se souvenait-il pas clairement de cette période de sa vie, qu'il avait dû abandonner à contrecoeur. Dix ans déjà. Toute une vie.
Il repoussa ces pensées assassines. Les regrets étaient vains. Il avait désormais une nouvelle chance de servir son dieu, et il fallait qu’il se montre à la hauteur. Si cela voulait dire frôler la mort, et bien… il s’en accommoderait. Cela valait mieux que de s’endormir à nouveau.

[Taliesin]

Robert revint, chargé de leur dîner.
-Demain, sixième jour de voyage, dit-il en s'asseyant. A son terme, nous aurons fait la moitié du trajet jusqu'à la cité, où peu s'en faut. Et, de prime abord, la journée promet d'être tranquille. D'abord, si Frida pense qu'il y aura de la neige, cela devrait rester léger, dans un premier temps. Ensuite, nous n'aurons probablement pas à craindre grand chose des monstres : le Seigneur des Tombes a littéralement vidé la région. Comme quoi, ces événements auront malgré tout eu du bon...

[Hubert de Maleval]

Hubert sourit en humant la potée du jour.
" C'est sûr que si nous avons fait place nette en une fois, nous aurions tort de nous en plaindre !"
Il releva les yeux sur le chevalier.
" Mais nous allons bientôt arriver dans les zones que les éclaireurs n'ont pas couvertes, n'est-ce pas ? J'imagine que notre progression va être ralentie, lorsqu'il faudrait repérer les bornes et les dangers potentiels au fur et à mesure du voyage. Ou bien les éclaireurs nous quitteront-ils pour préparer la route ?"

[Taliesin]

-Nous avons opté pour une solution intermédiaire, car les garder avec nous aurait trop ralenti la colonne, tandis que leur faire prendre beaucoup d'avance aurait été trop dangereux pour eux. Ils partiront donc chaque jour avant l'aube et nous précéderons de quelques heures, ce qui leur permettra de repérer les bornes, les cercles de pierres et autres monuments du même type tout en restant assez proche pour que nous puissions leur envoyer une expédition de secours en cas de besoin. Cela va réclamer une bonne coordination, mais je ne doute pas que nous nous en sortions. D'autant que l'aigle de Frida et le lynx de Varamyr pourront révéler tout leur potentiel...

[Hubert de Maleval]

" Je dois avouer que la journée d'hier m'a amplement démontré le potentiel du lynx, et je ne doute pas de celui de l'aigle... Je sais que les rôdeurs ont un lien avec leur compagnon qui dépasse celui que j'ai avec mon cheval... Et je ne suis pas mécontent de ce que je peux en tirer ! Evidemment, il est moins utile dans les tumulus ou pour porter des messages."
Il subtilisa le pichet de bière de leurs voisins de table et se servit, avant d'en proposer à son interlocuteur. Robert aimait mieux le vin, mais il n'en voyait nulle part.
" Avez-vous déjà réfléchi à ce que vous ferez une fois dans la cité ? En imaginant qu'elle soit relativement rapidement sécurisée ?"

[Taliesin]

-D'abord, j'attendrai avec impatience les prochaines élections, guettant le moment où je pourrai enfin transmettre mes responsabilités à mon successeur, en espérant qu'il s'en présente un et que nos compagnons n'aient pas la mauvaise idée de me réélire malgré le fait que je ne me sois pas porté candidat à ma propre succession. Ensuite... Conformément à mes engagements, je resterai jusqu'à ce que la ville et ses abords soient parfaitement sûrs, jusqu'à ce que ses liens avec la civilisation soient durablement établis et sécurisés. Enfin... Et bien, je ne sais pas. D'un côté, la vocation d'un chevalier errant est de voyager constamment. De l'autre, les Landes regorgent de dangers à éliminer... Dur de trancher, donc. Sans compter que je prendrai l'avis du petit.
Il releva les yeux de sa potée.
-Et vous ? Songez-vous à vous attarder, une fois la cité atteinte ?

[Hubert de Maleval]

" Vous m'auriez posé la question il y a deux jours, la réponse aurait sans doute été différente, dit le paladin avec un sourire. Mais j'ai un point de vue plutôt proche du vôtre. Je ne pense pas pouvoir partir avant d'être certain que la cité est bien établie et bien protégée, avec des hommes capables en charge de sa défense. Ensuite, et vous allez dire que c'est un comble compte tenu de nos aventures d'hier, la mission première des paladins de l'Aster, hormis la protection des clercs du culte, est de combattre les morts-vivants. Des dizaines de lieux similaires au tumulus du Seigneur des Tombes attendent d'être assainis dans les environs... Je me verrais bien m'intégrer à un groupe de quatre ou cinq combattants qui s'en feraient une spécialité."
Son regard s'abîma à la surface de sa coupe.
" Bon, je suis conscient que je suis le seul paladin de l'expédition, et que nous n'avons que trois clercs, qui auront bien d'autres soucis et bien d'autres prérogatives... Mais pourquoi ne pas recruter, une fois la route sécurisée ? Aucune commanderie hélonienne, à ma connaissance, ne s'est donné pour mission de nettoyer les Landes, mais cela ne veut pas dire que des preux ne seraient pas tentés par l'aventure... Je sais que le temple de Lathandre de Lunaros progresse dans son petit coin, cela fait un bon exercice à ses prêtres, mais..."
Il rit pour lui-même.
" Bon, je délire sans doute un rien. C'est le contrecoup des émotions d'hier. J'ai promis à Albérich que je veillerais sur lui et il va certainement vouloir retourner à Luménis tôt ou tard... Mais il a l'air de commencer à prendre goût à l'aventure... Ce sera peut-être tard. Et comme je suis de toute façon banni à vie de la capitale... Je ne pourrai pas aller jusqu'au bout avec lui."
Le verbaliser n'était pas très agréable, tout bien réfléchi, mais c'était irréductible...

[Taliesin]

Le chevalier parut décontenancé.
-Comment peut-on prononcer un bannissement à vie dans une cité vouée à Lathandre, le dieu de l'espoir, des secondes chances ? Cela me paraît contre-nature.
Il avala une gorgée de bière.
-Mais les temps ont changé, Hubert. Les hommes aussi. La chute de Nwalk a inauguré une nouvelle ère et je suis sûr que vous serez le bienvenu à Luménis, d'autant que la commanderie manque cruellement d'hommes, si j'ai bien compris... Et dans l'hypothèse où la sentence démesurée qu'on vous a infligée serait toujours de mise, vous ne manquerez pas d'avocats pour plaider votre cause. Albérich doit avoir de puissants amis, et je suis certain que tous les membres de la communauté seront prêts à signer une pétition en votre faveur, témoignant de vos prouesses, de votre fidélité aux vertus du paladinat. Et ce, malgré la tristesse que leur causera votre départ. J'apposerai moi-même mon paraphe, même si j'aurais de grands regrets si, au préalable, nous n'avons pu purifier ensemble quelques tumulus... En ayant évidemment mieux préparé nos opérations.