[Lieu] Une route oubliée

[Hubert de Maleval]

" Malheureusement, l'homme que j'ai... offensé est encore plus puissant aujourd'hui qu'il ne l'était il y a dix ans. Et ce n'est pas le genre de personne qui va considérer que les choses sont derrière nous si je ne fais pas amende honorable. Or, je ne pourrais jamais supporter..."
Il secoua la tête, prit une profonde inspiration.
" Si je retournais à Luménis... J'imagine qu'Albérich s'y rendrait avec des objectifs politiques plus ou moins ambitieux et je ne voudrais pas que son retour soit terni ou éclipsé par mes mésaventures. D'autant qu'il tiendrait probablement un discours similaire au vôtre... Non. Je crois que je peux me passer de la capitale. Je n'en suis pas originaire, mes attaches... Et bien, Morféa est passé par là, la plupart de mes anciens camarades sont morts. Presque tous, en réalité. Bien sûr, l'ambiance de la commanderie me manque... La fraternité entre compagnons d'armes, le partage constant... En même temps, j'en ai une vision idéalisée, aujourd'hui, comme si ma mémoire n'avait conservé comme les bons aspects..."
Il haussa les épaules.
" Visiter des tumulus et chasser des fantômes en votre compagnie m'ira très bien, Robert. Et si je deviens un paladin sage et respecté, qui sait, peut-être ferai-je des émules... Enfin. Si la cité admet une commanderie en son sein."

[Taliesin]

Robert l'observait avec attention. Il fut sur le point de prendre la parole une première fois, peut-être pour poser une question, mais préféra se raviser et demeura quelques instants silencieux.
-Il faudrait être fou pour refuser une commanderie, dit-il enfin. Les paladins ont depuis bien longtemps fait la preuve de leur utilité, de leur importance. De surcroit, je pense sincèrement que certains de vos pairs pourraient finir par nous rejoindre, et qu'il ne manquera pas de jeunes pousses dans nos rangs.
A nouveau, il hésita, renonça, opta pour d'autres mots que ceux qui lui étaient d'abord venus à l'esprit.
-Néanmoins, je pense que vous ne devriez pas renoncer à tout espoir de revoir Luménis, aussi puissant votre adversaire soit-il. Les décisions que l'on prend par dépit s'avèrent souvent fort douloureuses. Et puis, les événements récents nous ont prouvé, si besoin en était, que les conclusions heureuses sont moins rares qu'on ne pourrait le croire.

[Hubert de Maleval]

" Vous avez raison. En même temps, je me connais... Ces sentiments ressurgissent uniquement parce que je me suis lié avec un Luménien qui a le mal du pays. Je ne suis pas du genre à ressasser longtemps les choses qui m'échappent. Vous ne devez pas craindre que je ne me donne qu'à moitié parce qu'au fond de moi, je suis frustré ou amer ou hésitant. Je me sens bien parmi vous. Il y a bien sûr les quelques écueils des derniers jours, mais une fois que je les aurai digérés, ils m'entraîneront vers l'avant."
Il eut un sourire personnel.
" Cela va vous sembler présomptueux, mais je me fais confiance. Je suis un bon Lathandrite. Je ne resterai pas longtemps dans l'ombre."

[Taliesin]

-C'est tout le mal que je vous souhaite, Hubert, répondit le chevaler en reposant sa coupe. A dire vrai, je m'inquiète d'avantage pour Albérich. Je sais qu'il n'était pas aussi enthousiaste que vous à l'idée de nous rejoindre, et je crains que cet épisode ne l'ait échaudé... Crainte en partie égoïste, je l'admets volontiers, car je suis persuadé que la communauté gagnerait beaucoup s'il s'attardait en son sein. Une fois le voyage terminé, une fois la cité investie, le travail ne manquera pas pour un homme de sa stature. Rien d'aussi passionnant que ce qu'il pourrait trouver à Luménis, évidemment. Mais...

[Hubert de Maleval]

" Je dois dire que c'est ce que je craignais aussi mais... paradoxalement, j'ai l'impression que cela l'a légèrement rasséréné. Il est vrai que malgré le danger, nous avons triomphé. C'était notre premier véritable défi... et nous l'avons relevé... Vous avez tué une liche ! Ce n'est pas rien. Quant à son investissement... C'est un homme de coeur. Il est luménien, c'est sûr, et il est lié à sa ville... Mais il s'est attaché à Solarcis en quelques veilles à peine, et son investissement n'avait rien de mesuré, je peux vous l'assurer. Si les choses ne s'étaient pas mal terminées, je pense qu'il aurait pu y rester toute une vie, avec peut-être des regrets, de temps en temps... Mais qui peut prétendre n'en avoir aucun ? Il est échaudé, maintenant, et je peux le comprendre. Mais j'ai confiance en lui et en sa capacité à se donner à nouveau, ailleurs. Cela prendra un peu plus de temps, mais je suis convaincu qu'il ne pourra pas s'en empêcher."

[Taliesin]

-Cependant, Solarcis était une grande ville, et les tâches qu'il a eu à y accomplir devaient lui rappeler, en un peu plus modeste peut-être, son travail à Luménis. Tandis que dans le cas présent... Et bien, il y aura une vaste cité, oui, mais en partie ruinée et peuplée d'à peine cinq cent âmes. De plus, il faudra tout créer, tout mettre sur pied...
Robert sourit.
-Un sacré défi, en somme. Peut-être lui plaira-t-il ? Quoi qu'il en soit, ne vous méprenez pas sur mes propos : je ne doute pas un seul instant de la capacité d'Albérich à s'investir pleinement. J'espère qu'il le fera, car ce serait un atout formidable sur la cité. Mais j'espère surtout qu'il ne se sentira pas contraint de rester s'il n'en a pas l'envie.

[Hubert de Maleval]

" C'est sûr que créer une cité de toutes pièces et en administrer une qui tourne depuis des siècles, ce n'est pas exactement la même chose... et que c'est sans doute un peu effrayant. Surtout pour nous qui venons d'arriver, et qui découvrons les choses déjà en mouvement, sans pouvoir vraiment prendre le temps pour nous poser et réfléchir aux tenants et aux aboutissants. Enfin... je parle pour lui et je ne sais pas vraiment ce qu'il en pense. Personnellement, je sais que ce genre de choses échappe à mes compétences et je fais pleinement confiance aux spécialistes."
Il haussa les épaules.
" Mais je pense que s'il a le désir de partir, il partira. A ce niveau, je ne me fais pas d'illusions..."
Il releva les yeux.
" Je dois dire que je suis impressionné par la manière dont vous semblez avoir... déjà complètement adopté l'essence même de la communauté... J'imagine que vous en faites partie depuis un moment, déjà, mais... vous pourriez avoir les mêmes incertitudes. Rester ou partir. Continuer ou renoncer. C'est... intriguant, pour moi, je dois l'avouer. Quand j'ai quitté Maleval, j'ai mis des mois, si pas des années à me sentir bien à Luménis. Ensuite, il m'a fallu des années pour me sentir solarcien d'adoption... Mais vous... Et la cité n'existe même pas encore ! "

[Taliesin]

Le conseiller haussa les épaules.
-Je ne sais pas si j'étais particulièrement adaptable, à l'origine. Mais je le suis devenu par la force des choses. Depuis que mon maître m'a pris comme écuyer, et plus encore depuis que je suis moi-même devenu chevalier errant, je passe ma vie sur les routes, allant constamment de-ci, de-là, partout où l'on a besoin de moi. J'ai ainsi posé mon paquetage dans une multitude de villages, de hameaux, de châteaux ; j'ai participé à des expéditions de divers types, de divers tailles... Quand l'on même semblable existence, il est impératif de savoir prendre ses marques en un rien de temps, car il faut être immédiatement opérationnel...
Il eut un sourire nostalgique puis se fit plus grave.
-En l'occurrence, cependant, tout ne se résume pas à ma formation professionnelle. Quand mon chemin a croisé celui de la communauté, je n'avais plus d'objectifs, plus d'attaches, j'étais complètement perdu... Bref, en un mot comme en cent, j'étais au fond du trou. J'ai donc saisi cette opportunité de me rendre à nouveau utile, de me raccrocher à des idéaux proches de ceux auxquels j'avais cru, jadis, avant que la réalité ne me fasse cruellement déchanter... Voilà, en somme : pour moi comme pour beaucoup, ici, cela a été un nouveau départ.

[Hubert de Maleval]

" Il y a une différence entre être opérationnel et sentir dans ses tripes qu'on appartient à un lieu, un groupe ou un mouvement, dit doucement Hubert. J'aurais tendance à penser que dans la carrière de chevalier errant, il est encore plus nécessaire d'apprendre à ne pas trop s'investir, à garder ses distances, sinon chaque départ doit être un déchirement épouvantable..."
Il grimaça, espérant qu'il ne rappelait pas de trop mauvais souvenirs à Robert.
" Mais j'imagine que vous avez vu autre chose dans la communauté... ou qu'elle est arrivée à point nommé... ou alors vous parvenez à vous donner corps et âme de manière transitoire... Ce qui fait de vous un homme remarquablement solide. C'est quelque chose que je ne peux pas vraiment imaginer."

[Taliesin]

-Oh, ne vous méprenez pas, c'est la première fois que je m'investis à ce point. Comme c'est la première fois que je participe à ce genre d'opération. Les précédentes étaient beaucoup plus simples et pouvaient se résumer à éliminer le mal, au besoin après l'avoir identifié... Ici, c'est très différent : il s'agit d'affronter des dangers, également, mais surtout de bâtir... Il y a quelque chose d'utopique, de démesuré, presque, dans ce projet. Il y a de l'espoir, aussi. Beaucoup d'espoir. Et je crois que c'est ce dont j'avais besoin.
Son expression se fit mi-triste, mi-rêveuse.
-J'ai entendu parler de la communauté alors que j'errais au sud de la vallée du Nirvana. La dernière opération à laquelle j'avais pris part s'était terminée par un amer succès : nous avions défait les Morféens, certes, mais mon premier écuyer, que j'avais adoubé chevalier quelques mois plus tôt, et le garçon que je venais de prendre en apprentissage étaient morts durant la bataille. Morts héroïquement, morts dans l'honneur... Morts tout de même. Depuis ces événements, je n'étais pas parvenu à m'engager dans quoi que ce soit, je me remettais profondément en cause... Et j'errais donc, sans but, sans objectif, sans projet d'avenir, dans une grisaille permanente. Et puis il y a eu ces rumeurs qui ont piqué ma curiosité, ces rencontres qui m'ont touché, lorsque je me suis déplacé pour constater par mes propres yeux de quoi il retournait.
Il sourit.
-Une bande de rêveurs, de doux-dingues en quête d'un nouveau départ dans la région peut-être la plus périlleuse de tout Hélonna, en quête d'une cité perdue à redécouvrir, à rebâtir, à faire revivre... Une bande de fous pleins d'espoir et de détermination qui, non contents de se donner les moyens d'accomplir un projet défiant l'imagination, envisageaient d'établir tout bonnement une nouvelle société, sur des principes plus égalitaires, plus jutes. Et qui avaient besoin d'hommes de bonne volonté pour les y aider.
Son sourire s'élargit.
-J'ai passé les deux journées de réflexion réglementaires à aller de long en large dans ma chambre d'auberge. Puis j'ai signé, en me disant que dans le pire des cas, j'aurais une opportunité de mourir d'une manière aussi digne que ceux que j'avais formés... Mais il n'a pas fallu longtemps avant que j'oublie ces idées morbides.

[Hubert de Maleval]

" Et c'est au grand bénéfice de nous tous, dit Hubert avec un sourire sincère. Mais je suis désolé pour vos écuyers. Je ne connais pas le lien qui existe entre un chevalier et son élève... mais je peux comprendre que ça vous ait profondément affecté. On a beau savoir qu'on exerce une profession où la mort est chose courante, on espère toujours..."
Il soupira.
" Je suis désolé, je ne voulais pas vous rappeler ces souvenirs difficiles. J'imagine que la décision de reprendre un nouvel écuyer n'a pas dû être simple. Mais je suis heureux que vous l'ayez fait. Et vous avez eu l'oeil pour vous choisir un gamin prometteur..."

[Taliesin]

-Prometteur, il l'est assurément. A tel point, même, que c'est peut-être une erreur de ma part de l'avoir pris comme écuyer. Quand je vois son sens des responsabilités, son intransigeance envers lui-même, j'en viens à me demander s'il n'a pas davantage l'étoffe d'un paladin que d'un simple chevalier. Mais je me dis que, si c'est le cas, nous nous en rendrons compte l'un et l'autre, que nous parviendrons à la même conclusion. J'espère juste que, le cas échéant, il sera encore temps pour lui de changer de voie. Je ne sais pas jusqu'à quel âge on peut entreprendre le paladinat, et je m'en voudrais énormément si, à cause de moi, il ne pouvait mener la carrière pour laquelle il est fait.

[Hubert de Maleval]

" Je ne pense pas qu'un paladin soit forcément plus responsable ou plus intransigeant envers lui-même qu'un chevalier, dit Hubert, songeur. Cela dépend très fort de la foi qui l'habite, et Alban ne me semble pas manifester de goût particulier pour la religion. Au niveau de ses tendances, il a un côté helmite qu'en tant que paladin de l'Aster, je n'aurais pas forcément envie d'encourager. Je suis un mauvais exemple, vu mes errances, mais pour moi, outre la question religieuse, c'est dans le mode de vie que la différence est la plus fondamentale. Un paladin est avant tout un agent attaché à une commanderie, envoyé en mission selon le bon vouloir de ses supérieurs. Même les paladins errants sont généralement sur les routes parce que cela leur a été demandé."
Il sourit à Robert.
" Pour tout dire, Alban m'a déjà posé la question... et je lui ai tenu plus ou moins le même discours. Je conçois que les pouvoirs qui me sont conférés puissent être attirants mais je pense qu'il fera un excellent chevalier. Bon, s'il est subitement appelé par Lathandre, ce serait différent..."

[Taliesin]

-Je sais que ses parents étaient chauntéens, comme c'est souvent le cas des gens dont l'existence dépend des fruits de la terre. Pour le reste... Je dois avouer que je n'ai pas vraiment eu le temps d'aborder les questions spirituelles avec lui. Hum, comme je n'ai pas vraiment eu le temps de m'occuper de sa scolarité...
Il prit subitement une mine horrifiée.
-Je suis fou de dire des choses pareilles alors que vous venez de rallier l'Académie... Je suis bon pour subir, dès ce soir peut-être, un assaut en règle mené par un trio d'instituteurs furieux...

[Hubert de Maleval]

" Robert ! Je n'ai pas rallié l'Académie ! s'exclama Hubert, faussement outré. Ils ont de bons coussins, et aucun ne ronfle aussi fort que Louis... à moins que ce ne soit Gaspard. Je ne suis d'ailleurs pas certain qu'ils m'accepteront ce soir... Hier, j'avais l'air misérable et j'avais une bonne excuse, d'autant que ni Agathe, ni Rebecca n'étaient là pour me refuser le droit d'entrée. Je ne suis pas certain que je pénétrerai aisément dans leur antre cette nuit-ci. Mais même si j'obtenais ce précieux laissez-passer, soyez certain qu'il ne me viendrait jamais à l'idée de vous trahir ! Au contraire, considérez-moi comme un espion. Même si je dois avouer que je ne vois pas quelles informations utiles je pourrais en ramener..."

[Taliesin]

Robert se fit extrêmement sérieux. Trop, sans doute, pour être crédible.
-Hubert, les dieux seuls savent ce que les Académiciens échafaudent dans l'ombre pour contrecarrer l'influence des gens d'épée. Ils pourraient demander que chaque membre de l'expédition soit dans l'obligation de faire une visite hebdomadaire au musée qu'ils comptent établir. Ils pourraient exiger que nous devions tous lire un, voire deux livres par semaine. Ils pourraient forcer les plus brillants bretteurs, ceux qu'admirent le plus les enfants, à s'impliquer dans des activités littéraires ou artistiques, afin de leur donner le bon exemple...
Il secoua la tête.
-Aussi, vous ne devez pas prendre à la légère votre rôle d'espion : grâce à vous, nous serons peut-être en mesure d'éviter une catastrophe... Néanmoins, soyez prudent : il n'est pas impossible qu'il exigent de vous quelque serment, qu'ils vous fassent passer quelque épreuve initiatique...

[Hubert de Maleval]

Hubert fit la grimace.
" Je dois avouer que j'y ai songé. Je crains en effet qu'on exige une preuve que j'ai un minimum de sympathie ou de compétences pour les matières de l'Académie avant de m'admettre. C'est pour cela que je voudrais vous demander de ne pas céder trop vite ma place sous la tente des chevaliers. J'ai une écriture plutôt atroce et mon débit de lecture risque de les décevoir. Si je dois être refoulé, j'aimerais autant ne pas devoir dormir sous un chariot. Il fait froid, en cette saison."

[Taliesin]

-Le ronfleur, c'est Gaspard. Et n'ayez crainte : la place ne manque pas, dans la tente, surtout à présent qu'Alban et moi devons la déserter... Cependant, je suis certain qu'on ne vous exclura pas de l'Académie : Albérich en fait partie intégrante, désormais, il a su se faire apprécier de tous ses membres... Ils ne tiendront pas à le mécontenter !
Il se fendit d'un sourire presque espiègle.
-Et dans le cas fort improbable où cela ne suffirait pas... Il vous sera toujours possible de laisser entendre qu'Agnès a exigé que deux membres bien particuliers de l'expédition d'hier se reposent dans le plus grand confort possible. Or, quel est le chariot le plus confortable de la colonne, sinon celui où logent les Académiciens ? Face à une perspective aussi horrible que celle de devoir accueillir un enfant et un chevalier, je gage qu'ils vous demanderont, que dis-je, qu'ils vous supplieront de rester !

[Hubert de Maleval]

" Robert, vous oubliez que je ne peux pas mentir ! Agnès n'a parlé que de vous et d'Alban... Non. Je dois espérer qu'ils auront pitié de moi. D'autant que je ne peux pas être certain qu'Albérich n'est pas ravi d'être débarrassé de moi... Mes odeurs de cheval jouent en ma défaveur, en l'absence de bains quotidiens. Ah, ce qui me fait penser... Avons-nous une sorte de... magasin pour la communauté ? J'ai un petit problème vestimentaire. Je ne suis pas parti avec énormément de choses et suite à la journée d'hier... J'ai perdu un bon tiers de ma garde-robes..."

[Taliesin]

-Nous disposons d'une certaine quantité de vêtements d'avance, oui : nombre de nos compagnons n'ont pas, en la matière, des réserves bien fournies. Mais nous avons surtout beaucoup de tissu, d'étoffes et, surtout, de couturiers pour en faire quelque chose. Alors même si vous ne trouvez rien à votre taille, il vous faudra juste être un peu patient... Quoique, pas tant que ça, en réalité : je suis sûr que la mère de Ruth peut vous confectionner une superbe tenue en un rien de temps. Elle s'affaire déjà pour Alban qui est dans une situation similaire à la votre.

[Hubert de Maleval]

" J'ai déjà ruiné le surcot qu'elle m'avait cousu pour le tournoi, je ne vais pas l'exploiter davantage... D'autant que vous me dites qu'elle est bien occupée avec Alban. Je verrai ce que vous avez en réserve et j'aviserai. J'ai encore de quoi tenir quelques jours. Enfin, sauf si nous décidons de visiter un tumulus presque mortel chaque jour... Je dois d'ailleurs me renseigner auprès de Ruth pour savoir où elle m'a déniché cette cotte de mailles ce matin. J'espère que personne n'est en train de chercher la sienne. Un paladin coupable de recel, ça ferait mauvais genre, et connaissant Ruth..."
Il termina sa bière.
" A ce sujet, j'ai décidé d'essayer de prendre quand même un peu de temps avec elle... Je sais que ça peut paraître comme une récompense, mais ce n'est vraiment pas le cas. Je suis certain qu'Ingrid fait de son mieux, et des merveilles, mais je voudrais vraiment lui offrir un peu de cadre. Dans un but préventif. J'espère que vous ne trouvez pas l'initiative déplacée, compte tenu des circonstances."

[Taliesin]

-Je trouve au contraire que vous avez très bien fait. Ruth est une brave petite, et si elle a commis une grave erreur, elle en a mesuré la portée et en a été plus que suffisamment punie par l'angoisse et la culpabilité. De surcroit, il me paraît très important de l'aider à contrôler son impulsivité, à faire de son trop plein d'énergie une force plutôt qu'une faiblesse. Or, comme vous êtes assurément la personne la mieux placée pour cette tâche, comme cela lui fera le plus grand bien, vous pouvez compter sur mon entier soutien. Bon, le trajet ne vous offrira guère d'opportunités, malheureusement. Mais la situation changera beaucoup lorsque nous aurons atteint la cité;

[Hubert de Maleval]

" J'essaierai quand même de prendre le temps, à l'occasion... Si les nuits ne nous sont plus toutes dévolues, je serai moins fatigué et donc davantage capable de trouver des opportunités. Nous verrons bien. Ce seront peut-être des petites choses pour la responsabiliser un rien. Je pense que ça lui fera du bien de voir qu'on compte sur elle et qu'on l'attend au tournant. Sans forcément prendre une heure pour croiser le fer... Je suis certain que vous avez continué à enseigner votre art à Alban malgré votre séparation pendant la journée. Je trouverai bien quelque chose. Enfin... Ces jours-ci, elle voyage à vos côtés, c'est déjà formateur en soi... J'imagine qu'elle doit prendre sur elle pour ne pas se faire remarquer. Si elle y parvient... c'est déjà formidable. Ça veut dire qu'elle a en elle de se maîtriser, pour peu que l'enjeu soit important."

[Taliesin]

Il hocha la tête.
-Je ne doute pas un seul instant que Ruth ait cela en elle. Honnêtement, son comportement d'aujourd'hui a été exemplaire, comme il l'a été hier soir, de ce que l'on m'en a dit... Pour le reste, vous êtes entièrement libre de vos méthode, Hubert. J'espère que vous trouverez du temps pour elle; Et j'espère que j'en trouverai pour Alban. A parler franchement... Je n'ai rien pu lui enseigner depuis notre départ. C'est à peine si nous avons eu l'opportunité d'échanger quelques mots en privé... Mais vous avez raison, à présent que nous nous reposons davantage sur nos officiers, cela devrait changer.

[Hubert de Maleval]

Hubert repoussa son assiette vide et s'étira lentement.
" Bon... Ça m'a fait très plaisir de pouvoir parler un moment avec vous, Robert. Nous n'en avions pas encore eu beaucoup l'opportunité... sans oreilles enfantines de surcroît ! Mais je crois que je vais profiter du cadeau que nous font nos officiers pour aller présenter l'examen d'entrée de l'Académie. Avec un peu de chance, je pourrai ensuite avancer dans mon bouquin et être un rien plus préparé à affronter les créatures du marais demain... Je vais rapporter votre vaisselle."

[Taliesin]

-Non non, ne vous embêtez pas, je vais rapporter le tout, fit le chevalier en se levant. De votre côté, mieux vaut que vous ayez gagné l'Académie alors que tous ses membres ne s'y trouvent : ainsi auront-ils plus de mal à vous en déloger, si d'aventure telle était leur intention...
Il ne pensait pas que ce soit le cas, évidemment : son expression le disait assez.
-J'ai également été ravi de discuter avec vous, et j'espère que nous en aurons à nouveau l'occasion avant longtemps. Je vous souhaite une excellente nuit, Hubert, et vous dis à demain.
Robert lui tapa sur l'épaule et, avant qu'il n'ait pu protester, s'éloigna avec leur vaisselle.

[Hubert de Maleval]

Hubert salua le chevalier puis se mit en quête de la toile rouge sombre du chariot. Il espérait que Rebecca et Agathe ne lui réservaient pas une des plaisanteries douteuses dont elles paraissaient spécialistes, mais il fallait qu'il soit prêt à toute éventualité. Au pire, il battrait en retraite vers la tente des chevaliers : il n'avait après tout pas de réelle excuse pour vouloir s'incruster dans l'Académie. A part les coussins... et la bonne compagnie.
Il était heureux de la discussion qu'il avait eue avec Robert. Il n'était pas parfaitement rasséréné par rapport à ses tendances impulsives et au danger qu'elles représentaient, mais plus il en prenait conscience, et plus il était armé pour y faire face. Il fallait juste qu'il apprenne à gérer ces bouffées émotionnelles qui l'envahissaient parfois, abolissant tout contrôle et tout bon sens. Comment... il n'était pas trop certain de le savoir. Peut-être pourrait-il trouver quelqu'un pour lui enseigner des techniques d'apaisement... quelqu'un comme un clerc. Ou un ancien clerc. Il ne put s'empêcher de sourire. Toutes les opportunités étaient bonnes à saisir.
Ses inquiétudes étaient une chose, mais la relation qu'il était en train de tisser avec le chevalier en était une toute autre. Et cela l'emplissait d'une chaleur bienvenue. Le respect et la confiance que lui témoignait Robert, et qu'il ressentait à son égard, étaient les ferments de cette fraternité qui lui faisait défaut depuis des années. Il avait eu des hommes valeureux sous ses ordres, mais ils étaient restés ses subordonnés, des amis sans doute, mais pas des pairs. De la même manière, les nobles solarciens l'avaient toujours considéré avec bienveillance et respect, mais il était le maître d'armes, le capitaine de la garde, un ancien roturier au titre purement professionnel, alors qu'ils frayaient entre eux, de bonne naissance, autres, ailleurs. Robert était à sa portée. Et rien que pour ça, il avait envie de s'attarder.
Mais il poussa bientôt la toile du chariot, se fendant du sourire le plus désarmant possible.

[Taliesin]

Comme la veille, Giovanni était le seul occupant du chariot lorsque le paladin y pénétra.
-Ah, Hubert, content de vous voir ! fit-il en s'arrachant un sourire. Enfin un événement agréable en cette morne soirée ! Car, voyez-vous, on m'a demandé de m'occuper de la marmaille lors de notre prochaine halte. Il paraît qu'elle s'inquiète des récents événements, qu'elle a besoin qu'on les lui explique, que cette tâche est taillée sur mesure pour un barde et que, comme je suis un barde, comme je suis allé dans le tumulus, je suis la personne toute indiquée pour l'accomplir...
Il poussa l'un des soupirs théâtraux dont il avait le secret.
-Bref, je vais devoir affronter une épreuve terrible, une épreuve qui me demandera une énergie énorme et qui nécessite donc que je me couche tôt. Par conséquent, Hubert, si vous avez un tant peu d'amitié pour moi, je vous en prie : relevez promptement l'épreuve qui vous sera sous peu imposée, que nous puissions tous aller vite nous coucher !

[Hubert de Maleval]

" Ah misère, est-ce que vous avez la moindre idée de ce à quoi va ressembler cette épreuve ? Parce que si elle est hors de ma portée ou trop humiliante, j'aime autant aller me coucher tout de suite dans la tente des chevaliers. Je n'ai pas vraiment le loisir de perdre du temps et de l'énergie aux petites facéties de Rebecca et Agathe."
Il eut une grimace désolée.
" Cela dit, je suis navré pour votre calvaire. Mais en même temps... Ce n'est pas complètement surprenant que la chose vous revienne. Avouez que vous auriez été vexé que l'on considère un autre comme plus compétent en la matière ! Je suis certain que vous captiverez votre auditoire sans difficultés."

[Taliesin]

-Honnêtement, que l'on m'épargne cette... mission ne m'aurait nullement vexé. Cela m'aurait ravi, au contraire. C'est Gabriel, le spécialiste en marmots. Et il a participé à l'expédition. Pourquoi venir me chercher, dès lors ? Si notre clerc commence à se lasser, on aurait pu penser à vous, qui vous en tirez fort bien avec ce type de public. Ou même à Albérich qui sait lui aussi s'y prendre. Tandis que moi... Je n'ai pas pour habitude de fréquenter ces créatures maléfiques.
Il secoua la tête, arborant l'expression d'un condamné à mort.
-Enfin, mes plaintes, mon désespoir n'y changeront rien. Il me faudra subir cette effroyable épreuve.
Il eut un sourire malicieux.
-Mais je trouverai un moyen pour que cela ne se reproduise plus. Oh oui, j'agirai de sorte à ce que la marmaille supplie nos chefs de ne plus jamais, jamais me laisser approcher d'elle !
Il retrouva un semblant de sérieux.
-Quant à votre propre épreuve... Je suis désolé, Hubert, je ne puis vous en donner les détails, sous peine d'être exclu de l'Académie. Je peux uniquement vous dire que je ne la trouve en rien humiliante, et qu'elle ne vous coûtera pas une once d'énergie. Pas une once d'énergie physique, du moins.