[Quête] Montequine

[Galathée]

Seul l'écho de la pierre lui renvoya son appel à l'aide. L'homme derrière elle jura quand elle lui toucha la rotule, mais il répliqua d'un violent coup de pied qui la heurta dans les reins, la faisait retomber sur le sol. Il s'agenouilla ensuite directement sur ses jambes, lui tirant à nouveau le bras en arrière. Dans sa lutte pour lui échapper, la rôdeuse cogna une paroi du couloir étroit de la tête et sentit quelque chose de chaud se répandre dans ses cheveux. En face d'elle, le propriétaire des pas était arrivé et elle se sentit saisie aux épaules, puis plaquée contre la roche.
" C'est bloqué ?
—*Ils ne passeront pas de sitôt.
— Il faut écrouler le passage, complètement.
— Gabriel doit s'en occuper, il le sait bien. Mais il est à l'écurie, je pense.
— Je vais le faire prévenir."
Astrée sentit qu'on lui avait désormais tiré les bras dans le dos et l'homme pesait de tout son poids sur ses jambes, sans plus se soucier de ses tentatives de ruades.
" Je ne comprends pas comment ils ont su...
— Oh, parce qu'ils avaient une sale petite espionne à l'intérieur. Un problème qui va se régler très vite..."

[Voyageuse]

Astrée serrait les dents, rageuse, et se débattait tant qu'elle pouvait. Mais peu à peu, les paroles de l'homme se frayèrent un chemin jusqu'à son esprit, lui serrant brutalement le coeur. Les autres avaient été repérés... Merde et merde, c'était sa faute, elle leur avait dit de faire vite, sans ça ils auraient attendu la nuit. C'était sa faute... Elle dévida mentalement un chapelet de jurons, et cessa de se débattre. A quoi bon ? C'était bloqué, en face, et personne ne viendrait à son secours. En tout cas pas de sitôt. Ils n'abandonneraient pas, certainement pas, ils trouveraient un moyen.... Mais quand ? Comment ? Il n'y avait pas d'autre passage... Mais non, elle ne devait pas se laisser aller au désespoir, ils réussiraient forcément. Ils ne la laisseraient pas, elle en était sûre, il fallait qu'ils réussissent. Avant qu'il soit trop tard. Donc il fallait qu'elle gagne du temps, assez pour qu'ils trouvent un moyen.
Elle eût une pensée pour Sheldon, galopant pour sauver sa vie et celle du shaman. Lui, au moins, avait encore une chance. Il fallait qu'il réussisse à s'échapper et à sauver Neffen. S'ils étaient morts, c'était fichu pour la harde, et tout ça n'aurait servi à rien.

Elle ferma les yeux, minée par l'anxiété, et se laissa aller comme un corps inerte.
Pourvu que les secours arrivent, pourvu que Sheldon ait réussi à s'échapper, pourvu qu'on ne les ait pas tués, pourvu qu'ils soient en sécurité, pourvu qu'ils vivent, pourvu que Reynald passe, qu'il arrive, vite, vite, pourvu qu'il puisse me sauver...
Il fallait qu'elle guette le retour de Prince, trop loin pour le moment. Pour savoir, pour les centaures ; et pour l'envoyer guetter à la porte de la falaise. Et il fallait, aussi, qu'elle tienne bon. Qu'elle ne dise rien. Et surtout.... surtout, qu'elle ne se questionne pas sur le sort qu'on lui réservait. Y penser soudainement lui serra la poitrine, et elle sentit la peur lui paralyser le corps et l'esprit, tandis qu'elle réalisait brusquement qu'elle était désormais seule, sans pouvoir compter sur quiconque, aux mains de personnes qui en voulaient probablement à sa vie. Non, elle ne devait pas y penser sans quoi elle risquait de s'effondrer. Tôt ou tard, Reynald réussirait à lui venir en aide, elle devait y croire, s'accrocher à cet espoir. Tenir.
En attendant de sentir la présence de Prince dans son esprit, elle concentra toutes ses pensées sur une prière silencieuse. Que Sheldon et Neffen arrivent à fuir. Que Reynald et Tybert, et Maedron peut-être, arrivent à passer, qu'ils viennent la sauver avant qu'il soit trop tard... Mielikki, Eldath, Lathandre, Milil, oh, n'importe qui, je vous en prie... Faites qu'ils réussissent, tous...

[Galathée]

Elle fut relevée sans ménagement, ses poignets liés dans son dos et poussée vers la sortie. Elle demeurait aveugle mais l'homme qui la guidait la maintenait d'une poigne de fer, sans lui donner la possibilité de s'égarer ou de heurter un obstacle. Elle perçut qu'ils débouchaient à l'air libre sans pouvoir réellement le voir. La nuit était totale dans ses yeux, et la privation de ses mains rendait chaque pas dangereux. Les trois Montequins qui l'accompagnaient ne parlèrent pas entre eux mais ne lui adressèrent pas non plus la parole. Tandis qu'ils marchaient dans la rue, elle entendit des exclamations comme ils croisaient d'autres villageois. Elle fut brusquement frappée au visage par quelque chose de mou, devina qu'on lui avait jeté quelque chose. Quelqu'un gloussa, l'homme qui l'escortait tança des enfants, et ils reprirent leur route. Désorientée, la rôdeuse tenta de se repérer mais ils l'entraînaient vers l'est du village, des coins qu'elle connaissait moins bien. Ils finirent par s'arrêter, ouvrir une porte, la pousser à l'intérieur d'un bâtiment. Nouvelle porte, cette fois un escalier descendait. Aucune odeur de brûlé, ce n'était pas la prison. C'est pourtant en cellule qu'elle finit par atterrir. On la fit asseoir sur le sol, on lui enchaîna les poignets en hauteur, et puis on la laissa là, toujours dans le noir, avec une promesse de retour un rien grinçante.

[Voyageuse]

Durant tout le trajet, elle n'avait pas desserré les dents, se répétant en boucle une prière sans doute parfaitement inutile. Elle ne voulait surtout pas se laisser aller à penser, à réfléchir à sa situation, ne voulait pas entendre ce qui l'entourait, ne voulait pas chercher à comprendre ce qui se passait, et surtout ne pas imaginer ce qu'ils allaient lui faire. Elle restait tout de même à l'affût de paroles qui auraient pu lui en dire plus sur l'état de la faille. Pourvu que Reynald et les autres passent avant qu'ils fassent tout effondrer. Pourvu qu'ils puissent venir à son secours. Il fallait qu'elle garde confiance. Ils viendraient. Ils ne l'abandonneraient pas. C'était son seul espoir...
Elle se laissa pousser dans la cellule sans résistance, et s'adossa au mur une fois seule. Elle ferma ses yeux, réflexe bien inutile, et laissa aller sa tête en arrière contre la paroi. La position n'était pas confortable. Et elle avait mal, fichtrement mal, là où elle s'était cognée. Du mal à penser, à analyser les choses. Elle était enchaînée, Prince ne pourrait la libérer. Reynald était son seul et unique espoir. Pourvu que Sheldon ait réussi, qu'elle n'ait pas fait tout ça pour rien. Il fallait que Neffen vive, absolument.
Elle laissa ces pensées plus ou moins floues tournoyer dans son esprit, sans vraiment réussir à réfléchir à la suite des événements. Sans oser, peut-être. La peur, insidieuse, lui serra le ventre. Il fallait gagner du temps, absolument. Ne rien dire. Pas un mot. Tenir. Jusqu'à quand, elle n'en savait rien. Reynald viendrait, tôt ou tard. Elle ne pouvait rien faire, rien tenter. Juste guetter le retour de Prince, espérant qu'il soit porteur de bonnes nouvelles.

[Galathée]

Personne ne vint la trouver pendant un bon moment. Elle demeura dans le noir, meurtrie et prisonnière, découvrant sensations, bruits et odeurs de manière plutôt brutale. L'univers demeurait invisible et la douleur dans sa tête était pulsatile, le sang avait coulé sur sa joue où il s'était arrêté. Les blessures au crâne saignaient toujours abondamment sans qu'elles soient pour autant inquiétantes.
Elle ne perçut ni Prince, ni Reynald, ni personne.
De temps en temps, il lui semblait entendre des pas au dehors, mais c'était peut-être autre chose, une goutte d'eau dégringolant dans une gouttière, un animal circulant sur les planches du plafond, le vent, simplement...
Elle n'était en tout cas pas prioritaire dans l'esprit des Montequins en ce moment...

[Voyageuse]

Petit à petit, elle sentait la fatigue la gagner. La douleur dans sa tête. Les douleurs aux épaules à cause de ses bras attachés en hauteur. Mal partout. Et la peur, insidieuse, qui la gagnait. Pourquoi est-ce qu'ils ne venaient pas ? Juste pour la faire attendre, peut-être. Pour faire monter la peur, la pression. Ou peut-être qu'ils attendaient des nouvelles des chasseurs, peut-être qu'ils avaient l'espoir de rattraper Sheldon et Neffen. Oh, pourvu que ce ne soit pas ça. Si seulement Prince n'était pas aussi loin, si seulement elle pouvait savoir... S'ils les rattrapaient ils allaient les tuer, certainement. Peu de chance qu'ils prennent le risque de les ramener vivants, cette fois-ci. Et ce serait la fin de la harde. Miellikki, Lathandre, n'importe qui... il fallait qu'ils s'échappent, qu'ils s'en sortent. Qu'ils vivent...

Plus le temps passait, plus l'angoisse la minait. Et pourtant, il fallait qu'elle garde son calme, qu'elle garde l'espoir absolument. Et aussi qu'elle réfléchisse à ce qu'elle allait dire. Elle devait gagner du temps. Elle pouvait dire qu'elle avait tout inventé, l'autre jour, qu'aucun danger ne menaçait le village, peut-être que ça les dissuaderait de se préparer à une attaque, peut-être que ça pouvait sauver la harde ? Non, maintenant qu'ils savaient que des renforts étaient proches, ils craindraient qu'ils réussissent à rouvrir une autre faille, et se prépareraient de toute façon. Et puis, ils n'auraient absolument aucune raison de la garder en vie. Elle pouvait aussi confirmer ce qu'elle avait dit l'autre jour, en donnant quelques éléments supplémentaires... Mais ils ne la croiraient pas, et là aussi, une fois qu'ils estimeraient qu'elle avait tout dit, ils la tueraient. Et de toute façon, elle ne pouvait rien dire, dans un sens ou dans l'autre, tant qu'elle ne saurait pas si Neffen et Sheldon avaient réussi à regagner la harde. En fait, le meilleur moyen de gagner du temps en attendant les renforts était sans doute de garder un mutisme complet. Quoique... là aussi, ils finiraient par la tuer, non, s'ils désespéraient de la faire parler ? Punaise, si seulement elle avait eu une once du pouvoir de persuasion de Reynald, elle aurait pu les convaincre... Là, elle n'était pas sûre de pouvoir leur faire avaler quoique ce soit. Et puis, garder le silence, c'était bien beau, mais s'ils s'avisaient d'employer tous les moyens possibles pour la faire parler, combien de temps tiendrait-elle ? Non, elle ne devait absolument pas songer à ça... A nouveau, elle sentit la peur lui tordre le ventre. Peut-être qu'ils n'allaient même pas tenter de la faire parler, juste la tuer, après tout.

Elle serra les dents. Tenir, le plus longtemps possible, gagner du temps, ne rien dire. Ne pas laisser la peur gagner du terrain. Elle songea à l'herboriste et sentit une bouffée de colère, de haine presque, l'envahir. Cette bonne femme avait eu la confiance du shaman, autrefois, et elle l'avait trahie. C'était tous des putains d'esclavagistes qui ne méritaient qu'une chose, la mort. Elle n'aurait pas dû s'en mêler, tenter d'intervenir. Elle aurait mieux fait de les laisser crever sous les coups des orques.
Cette pensée lui causa un léger malaise. Ca ne lui ressemblait pas vraiment... Il fallait vraiment... qu'elle retrouve son sang-froid. La colère était un bon rempart contre la peur, pourtant.
Épuisée, elle ferma les yeux, à nouveau. Envie de dormir. Envie de revoir la lumière, aussi. Reynald, fais vite...

[Galathée]

Les heures s'égrenèrent sans qu'Astrée ne perçut le moindre changement autour d'elle. Elle demeurait seule avec ses pensées sombres, le silence et la nuit. Une éternité s'était sans doute écoulée lorsqu'elle entendit des pas dans le couloir.
" Est-ce vraiment nécessaire ? demandait une voix masculine.
— Bien sûr.
— C'est de la cruauté gratuite, dit l'homme. Le lui dire suffirait.
— C'est sa punition.
— En plus du reste ? Je ne vois pas l'intérêt.
— Gabriel, le conseil a tranché.
— Cette escalade n'apportera rien de bon à Montequine.
— Nous n'en sommes plus là, je le crains. Mais peut-être veux-tu en parler directement avec Bertille ou Abel ?
— Non, bien sûr que non.
— Alors fais ce qu'on te demande."
Astrée entendit ensuite la porte s'ouvrir.

[Voyageuse]

Lui dire quoi ? Étrangement, au milieu du flot de paroles prononcées, ce fut cette phrase qui la fit se raidir. Lui dire quoi ? Que Reynald et les autres avaient été pris ? Gabriel, c'était le nom de celui qui devait bloquer le passage... Non, par pitié... Ou lui dire que Sheldon et Neffen étaient morts ? Ou repris ? Non, Prince l'aurait avertie... Lui dire qu'ils avaient décidé de la condamner à mort ?
Ensuite parvint à sa conscience la notion de cruauté gratuite. D'escalade. De punition, "en plus du reste". Par les dieux, qu'allait-on lui faire ? La peur lui vrilla l'estomac, puis, aussitôt, la mention de Bertille lui hérissa les poils. Elle se raidit, la rage remplaçant la peur. Tenir. Elle tenterait à nouveau, tout à l'heure, de contacter Prince dès qu'on lui laisserait un instant. Elle devait s'occuper l'esprit à autre chose qu'à angoisser sur son propre sort.
Serrant les poings, les dents, essayant de résister à la trouille qui menaçait de l'envahir, elle dirigea un regard noir de colère sur la porte. Enfin, la direction approximative d'où provenaient les voix.

[Galathée]

La porte s'ouvrit et Astrée entendit quelqu'un approcher d'elle. Une seconde plus tard, elle perçut les paroles d'une incantation, un murmure incompréhensible, qui généra une légère lumière verte dans son regard aveugle, puis une odeur forte d'herbe humide. Une seconde plus tard, elle avait recouvré la vue. Elle vit un jeune homme portant l'aube brune des clercs de Chauntéa s'écarter et regagner la porte, sans lui jeter un regard.
" Voilà." déclara-t-il en franchissant l'embrasure, à l'intention d'un homme plus grand, plus âgé, bardé de cuir, le fouet à la ceinture, qui jeta un regard peu amène à la rôdeuse.
Le clerc s'éloignait déjà dans le couloir.
" Je reviens dans un instant, ma belle." dit le second Montequin.
Il s'esquiva ensuite. La porte était restée ouverte, mais les chaînes de la rôdeuse paraissait solides.

[Voyageuse]

Astrée se contenta d'un regard noir à destination de l'homme bardé de cuir. Elle ne prononça pas un mot. Elle essaya vaguement de tirer sur ses chaînes en le voyant s'éloigner, mais savait n'avoir aucune chance d'y parvenir.
Elle sentait l'angoisse monter, insidieuse. Pourquoi lui rendre la vue ? Que voulaient-ils lui montrer ? Les idées les plus noires lui traversèrent le crâne, en un éclair, allant du cadavre de Reynald à celui de son écureuil, puis à celui de Neffen. Non, le shaman serait trop lourd pour qu'ils le descendent ici. Cela dit, peut-être qu'il attendait un de ses complices pour l'emmener ailleurs. Bon sang, qu'est-ce qu'ils voulaient lui faire ? Qu'est-ce qui était inutilement cruel ?
Arrête de laisser divaguer ton imagination. Tu sauras bien assez tôt. Pense à autre chose. Paniquer ainsi ne sert à rien.
Alors, juste pour s'occuper l'esprit, pour résister à la peur, elle essaya, à nouveau, de contacter Prince. En espérant que ce qu'il lui apprendrait, si elle parvenait à le joindre, ne serait pas pire encore pour son moral. Depuis le temps, il avait dû revenir, tout de même...

[Galathée]

Mais elle n'eut aucun contact avec son animal. Il était probablement encore dans la forêt, agrippé à une croupe ou une crinière. Par contre, elle fut dérangée par l'arrivée de quatre personnes armées. Parmi elles, elle reconnut Jack, le jeune chasseur qu'elle avait rencontré avec Isaure, lors de son arrivée à Montequine, mais aussi celui qu'elle pensait avoir identifié comme étant le chef du village. Il donna des ordres et on la détacha du mur pour lui lier aussitôt les poings dans le dos. Elle fut ensuite poussée vers l'extérieur, sans ménagement. Personne ne voulait croiser son regard. Au moment où elle allait franchir la porte, elle se sentit cependant retenue par une poigne de fer et poussée contre le chambranle. Le chef du groupe la dévisagea droit dans les yeux, lui maintenant le menton avec force.
" Tu as de la chance que le conseil ait envie de mettre un terme à tout ceci. Tu aurais mérité qu'on t'apprenne une chose ou deux."
Reniflant, il la lâcha et prit la tête de l'escouade.

[Voyageuse]

Elle soutint son regard, de la colère plein le cœur. Après avoir affronté celui de Sheldon, elle pouvait soutenir n'importe quel regard. Ce sale type n'arrivait même pas à la cheville du chef des centaures. C'était juste un salaud d'esclavagiste. Il n'avait pas d'honneur. Et les autres avaient le regard aussi fuyant que celui des centaures qui avaient trahi Sheldon. Elle se fit subitement la réflexion qu'elle avait décidément passé trop de temps en compagnie de centaures ces derniers jours...
Bon sang, pourquoi ces hommes étaient-ils si mal à l'aise ? Était-ce à cause de ce qu'on lui réservait ? Et le type en cuir qui sous-entendait qu'elle échappait au pire... et qui disait, aussi que le conseil voulait mettre un terme à tout ça... et le clerc avait parlé d'escalade... mais qu'allaient-ils lui faire, par tous les dieux ? La tuer ? Pourquoi "en plus du reste" ? L'angoisse lui vrillait le ventre, au point qu'il était presque miraculeux qu'elle arrive encore à mettre un pied devant l'autre. Elle serra les dents. Ne pas craquer. Ne pas leur donner ce plaisir. Où l'emmenaient-ils, que lui voulaient-ils ? Elle s'obligea à relâcher son souffle, à expirer doucement. Détends-toi. Ne panique pas à l'avance. Son estomac resta noué.

[Galathée]

Ils l'entraînèrent dans les rues et elle put apercevoir le regard des Montequins qui la voyaient passer. Elle y lut crainte, colère, haine parfois. Mais ce qui prédominait était l'incrédulité, comme s'ils ne pouvaient croire qu'il existât un être humain pour prendre cause et partie pour l'ennemi. Elle vit des enfants, des adultes, des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux. Elle vit des centaures, aussi, qui ne lui prêtaient pour la plupart pas la moindre attention. Ceux qui l'observaient avaient les yeux vides, parfois légèrement curieux. Elle ne lut nulle commisération, nulle part, nulle pitié, nulle compréhension.
Ils ne l'emmenèrent pas loin : jusqu'à la place centrale de Montequine, qu'elle avait entraperçue plusieurs fois au cours de ses pérégrinations sans jamais s'y être réellement arrêtée. Là se trouvaient de nombreux villageois, en cercle, murmurant avec animation. Ils se turent en la voyant passer, dardant une joie mauvaise dans sa direction. Quelques hommes en armes retenaient la foule, leurs centaures harnachés encore humides de l'effort consenti, alignés comme de braves animaux serviles sur les pavés. Au milieu de cet attroupement gisait une carcasse tachetée blanc et noir, à la queue blonde, et une autre, beaucoup plus massive, rousse, dans une petite mare de sang. Il n'y avait pas de partie humaine, cependant, elle avait été sectionnée à la taille, mais Astrée n'eut pas à contempler les plaies béantes, tournées de l'autre côté de son passage. Par contre, elle fut menée jusqu'à Bertille, Antoine, Hugo et Caribert. A leurs côtés, sur une rangée de pieux, étaient fichées les têtes des deux centaures qu'elle avait espéré sauver, les yeux vides, et l'expression stupéfaite...

[Voyageuse]

Astrée sentit son coeur s'arrêter. Incrédule, elle contempla les corps. Ça n'était pas possible.... Non... Pas ça... Non... C'était un cauchemar...
Elle se sentit entraînée plus loin. Ses jambes ne la portaient plus vraiment, elle avançait mécaniquement sans trop savoir comment elle parvenait à mettre un pied devant l'autre. Sensation d'irréalité. Elle réalisa à peine qu'il y avait Hugo et Antoine, ne darda pas de regard noir vers Bertille. Son regard était comme aimanté, fixés sur les têtes fichées sur des piques. Puis sa vue se brouilla, elle sentit les larmes couler, ses jambes céder, se retrouva à genoux dans la poussière, tremblant de tous ses membres, sanglotant comme une enfant. Pleurant toutes les larmes de son corps. Neffen, son ami. Sheldon. La harde. Tout était fini. Fichu.

[Galathée]

Les personnes qui l'entouraient lui parlèrent, sans faire mine de la relever, mais Astrée n'était plus en état d'entendre ou de comprendre ce qui se disait. Elle finit par être saisie par le bras et redressée sans ménagement, puis entraînée à l'écart. Elle perçut tout juste les deux croupes, une grise, une brune, de centaures harnachés. Des hommes se penchèrent et lui attachèrent quelque chose aux chevilles. Quelqu'un protesta derrière elle mais sa voix s'éteignit rapidement. Ensuite, un homme la doubla et monta en selle de l'un des deux animaux. Elle aurait sans doute pu le reconnaître, si elle avait été maîtresse d'elle-même. On parlait à nouveau derrière elle, comme une déclaration publique, sans doute une condamnation, proclamée par l'herboriste.

[Voyageuse]

Astrée n'était plus en état de comprendre ce qui l'entourait. Elle n'entendait plus rien. Ne voyait plus rien. ne ressentait plus rien. Devant ses yeux dansaient les images des têtes décapitées. Elle n'opposa pas la moindre résistance quand on l'entraîna à l'écart, d'ailleurs elle ne réalisa pas vraiment qu'on l’emmenait. Plus rien n'existait. Le néant. Ils étaient morts... Leurs yeux vides continuaient à la fixer, sans comprendre. C'était sa faute. Elle ne se demanda même pas ce qu'on lui fixait aux chevilles ni ce que l'herboriste disait. Tout était fini, de toute façon. Elle continuait à pleurer. Elle n'aurait pas cru avoir autant de larmes.

[Galathée]

" Marche." ordonna une voix qu'elle connaissait, depuis les hauteurs de sa selle.
Un claquement de langue.
Elle sentit ensuite une traction dans ses chevilles, comme les centaures qui la précédaient se mettaient en marche, côte à côte, de leur pas pesant.

[Voyageuse]

Astrée ne comprit pas tout de suite ce qui se passait. Les yeux aveuglés par les larmes, elle ne vit pas immédiatement les centaures se mettre en marche. La traction dans les chevilles la déséquilibra, et elle tomba assise, heurtant violemment le sol. Comprit qu'elle était attachée aux centaures. Qu'ils allaient sans doute la traîner dans la poussière. Quelle importance, maintenant ? Elle ne chercha ni à se redresser, ni à se débattre, et se laissa traîner comme un corps inerte. Il lui fallut quelques instants avant de songer, vaguement, à protéger sa tête de ses bras. Et encore, ce ne fut pas vraiment une pensée consciente, juste un réflexe de survie. Mais elle ne fit qu'ébaucher le mouvement : ses mains n'obéirent pas. Elle prit conscience qu'elles étaient toujours liées dans son dos. Elle se raidit, un instant, saisie par une vague de panique, mais elle était impuissante à faire quoi que ce soit. Elle renonça. Ferma les yeux, anéantie, pour ne pas voir la suite. Ne plus rien voir. Les têtes décapitées dansaient toujours devant ses yeux...

[Galathée]

Les centaures cheminèrent au pas dans les rues, traînant leur fardeau derrière eux. Les pavés égaux des rues étaient froids, parfois râpeux, durs, si durs, et pourtant la rôdeuse percevait à peine leur contact, amortie par les émotions extrêmes qui l'habitaient. Elle fut ainsi arrachée à la place où elle avait été exposée aux visages des centaures tués, aux regards de la foule, et ses bourreaux l'entraînèrent vers les remparts. Les Montequins se firent moins nombreux comme elle était emportée dans une artère plus large, toujours lentement, comme si on voulait s'assurer qu'il ne lui arriverait pas grand mal trop vite. Les centaures marchaient, les villageois suivaient à bonne distance, le chef débourreur guidait l'équipage. Astrée heurta une pierre déchaussée de l'épaule, elle sentait ses bras s'engourdir, elle traversa une flaque glacée, une seconde, boueuse, un crottin oublié...
Ils arrivèrent près des portes, franchirent l'arche de pierre sombre, cheminèrent un moment sur le sol caillouteux puis s'immobilisèrent devant la grande étendue qui s'ouvrait jusqu'à la forêt...

[Voyageuse]

Pendant tout le trajet, son esprit resta engourdi. Il y avait la douleur, à chaque choc. Son crâne qui explosait. Pourtant elle le sentait à peine, comme si tout ça se passait en-dehors d'elle-même. Elle ressentait juste un désespoir sans fond. Neffen était mort. Son ami. Sheldon, aussi. La fin de tout espoir. Pour eux. Pour la harde. Elle aurait dû avoir peur aussi, pour son propre sort. Peur de mourir. Mais elle était au-delà de la peur. Incapable de penser, d'appréhender la suite. Incapable, même, de vouloir s'accrocher à la vie. Elle comprit qu'on l'amenait dehors. Se demanda vaguement pourquoi. Pour la chasser, simplement, du village ? Quelque part au fond d'elle, elle tenta de se dire que peut-être ils n'allaient pas la tuer. Mais même ça lui était égal...
Lorsque le débourreur s'arrêta, elle resta allongée. Sans mouvement. Sans paroles. Elle regarda l'endroit où elle se trouvait, puis ferma les yeux, épuisée, vidée. Elle avait mal partout. Mais les yeux fermés, c'était pire : elle revoyait les têtes coupées qui la regardaient. Sans comprendre. Accusatrices. Elle sentit un goût amer au fond de la gorge, vomit un peu de bile. Elle n'avait plus la force de pleurer.

[Galathée]

Ils restèrent immobiles un moment, puis le débourreur donna de la voix et les centaures repartirent. Cette fois, ils ne restèrent pas longtemps au pas : ils prirent rapidement le trot, traînant la jeune femme sur le chemin de terre et de rocaille, à une vitesse de plus en plus élevée. Astrée entendit à peine le moment où ils passèrent au galop. Son corps était à présent malmené, valdinguant et rebondissant sur la route, s'éloignant de Montequine. Pour l'avoir observée des heures durant, elle savait que cette piste présentait quelques gros cailloux dangereux, mais la violence de la cavalcade à elle seule suffirait à la tuer.
Curieusement, ce n'était pas vraiment douloureux, comme si, à l'image de son esprit, son corps avait déjà capitulé. Ce qui aurait dû être souffrance était chaleur, ce qui aurait dû être mort était... comme un néant. Les émotions n'y étaient pas abolies, elles demeuraient douloureuses, mais pourtant, il y avait un apaisement, aussi, un réconfort, dans le fait de savoir que tout était terminé... Bientôt les deux centaures s'écarteraient l'un de l'autre et elle serait brisée...

Les paroles de la berceuse sylvestre lui revenaient en tête. Des syllabes incompréhensibles, qui appelaient l'oubli, la sérénité, qui répétaient en une litanie mélodieuse l'appartenance de chacun, de chacune, au grand tout. La vie, la mort, quelle importance, somme toute, ni l'une ni l'autre ne sont définitives, ni l'une ni l'autre n'ont de sens, à l'échelle de la nature et du monde...

Maigre réconfort, sans doute.

Les centaures galopaient désormais à pleine vitesse et Astrée était sans doute morte. Elle ne ressentait nulle douleur, pourtant, et sa prise sur son environnement paraissait plus aiguisée que jamais. Sursaut de l'âme qui s'arrache à la pesante carcasse...

Ou autre chose.

Elle vit défiler les champs, vides, les prés, vides, les buissons épineux, les mares aux roseaux, la piste folle, les cailloux, encore des cailloux, du sable, de la terre, et le ciel au-dessus égrenait ses nuages immaculés, une hirondelle virevoltante, un vol d'étourneaux... Ils galopaient, galopaient encore, et soudain ils arrivèrent à proximité des bois...

Elle eut une conscience incroyablement claire de ce qui se déroula ensuite.
Le centaure gris, que chevauchait Caribert, pila net, déséquilibrant le débourreur sur son dos. Le centaure brun pivota et décocha une ruade d'une violence inouïe en direction de l'humain. Son sabot droit l'atteignit au torse, son sabot gauche lui éclata le crâne, et pendant un instant, le cavalier parut comme suspendu dans le vide. Il s'écrasa ensuite sur le sol, tué sur le coup. Le centaure gris s'agenouilla près d'Astrée pour lui détacher les chevilles, tandis que le brun se débarrassait de sa selle et de sa bride avec des gestes nerveux, les yeux sur les remparts de Montequine. Ils étaient tout juste sous les frondaisons des arbres, hors de vue...
Aussi incroyable que cela puisse paraître... la rôdeuse n'avait que quelques égratignures... rien de plus.

[Voyageuse]

La cavalcade avait été infiniment longue. Elle avait maintenant la certitude qu'elle allait mourir, et pourtant la mort ne venait pas. Elle voyait le paysage sans le voir, ne cherchait pas à comprendre pourquoi la berceuse revenait à son esprit. Sans doute parce qu'elle ne pouvait détacher ses pensées de Neffen, qu'elle n'avait pas pu sauver. Qu'elle avait, en réalité, tué. Tout lui était égal à présent. Tout en elle était anesthésié. Il restait la fatigue, la tristesse infinie. Pourquoi était-ce si long de mourir ? Une pensée indistincte pour Prince. Pour Reynald. Mais ça appartenait déjà à une autre vie.
Elle regarda, sans comprendre, les deux centaures tuer Caribert. Puis la détacher. Mais elle ne chercha pas à se relever. Elle n'était même pas sûre d'être vivante, au fond. Elle ne ressentait plus rien. Elle aurait dû être percluse de douleur, peut-être même agonisante, si elle avait été vivante, non ? Elle avait la sensation, pourtant, que son corps n'avait aucune blessure grave...
Elle se contenta de les regarder, l'un et l'autre, à tour de rôle, incapable de prononcer un mot. Elle sentit un questionnement latent, au fond de son esprit, sans parvenir à le formuler. Pourquoi ?

[Galathée]

Le centaure gris sourit à Astrée et posa une main douce sur son épaule. Il passa ensuite derrière elle pour lui libérer les poignets. Quand il revint devant elle, il avait sensiblement changé d'apparence, pris une couleur noire et blanche et son visage s'était affiné. Il plongea son regard jaune dans celui de la jeune femme.
" Elle est secouée.
— Et tu es surpris. Décidément... Je me demande sur quelle lune tu plantes ta tente, parfois."
Devant elle, le centaure brun avait retrouvé sa masse et sa rousseur. Il s’approcha du shaman et lui retira son harnachement qu’il jeta dans les buissons avec un dégoût manifeste.
« La métamorphose est levée, nous devons filer, dit Neffen, la mine inquiète, lorgnant toujours la rôdeuse.
— Je sais. » répondit le chef de la harde.
Il marcha jusqu'à surplomber la jeune femme, se pencha et, sans prévenir, la souleva dans ses bras.
" Vas-tu tenir sur mon dos ?" demanda-t-il.

[Voyageuse]

Astrée mit quelque temps à réaliser ce qui se passait. A comprendre. Elle était peut-être dans un rêve, anesthésiée, au-delà de la réalité. Puis elle sentit les larmes, à nouveau, brouiller sa vue. Des larmes de soulagement. Même si elle n'arrivait pas complètement à croire que c'était réel, ni à comprendre comment c'était possible...
Il lui fallut quelques secondes encore pour réaliser, incrédule, ce que Sheldon lui demandait. Ses yeux s'agrandirent de stupéfaction.
- Je... Oui, je... Mais je croyais que ça ne se faisait pas...
Ça ne se faisait pas, de monter un centaure. Byron l'avait dit. Encore moins le chef des centaures. Ce fut, curieusement, la première pensée cohérente qui lui vint à l'esprit. Et puis, elle n'était pas vraiment sûre de tenir sur son dos. Mais il faudrait bien, puisque Prince n'était pas là.
Elle était incapable de penser plus loin que l'instant présent, encore moins de questionner. C'était peut-être un rêve, après tout.

[Galathée]

" Nous ferons une exception." dit Sheldon avec un embryon de sourire.
Sans la lâcher, il la fit passer derrière lui.
" Accroche-toi à ma taille." lui suggéra-t-il.
Neffen trotta jusqu'à leur hauteur et sourit à la rôdeuse.
" Tu peux aussi essayer de te cramponner à son abondante crinière..." proposa le shaman, faussement sérieux.
Le chef de la harde lui jeta un regard noir.

[Voyageuse]

Astrée se sentit ébaucher un sourire. Le shaman ne changeait pas, décidément.
" Contente de te revoir, Neffen..." murmura-t-elle d'une voix un peu trop rauque.
Comment était-ce possible ?
Repoussant à plus tard tout questionnement, elle s'efforça de se caler en une assise à peu près stable, et s'accrocha timidement à la taille de Sheldon. Elle osait à peine l'effleurer, trop intimidée. Tout était encore un peu irréel, et elle peinait à réaliser l'urgence de la situation. Et pourtant... pourtant il y avait urgence, vraiment. Ils allaient s'apercevoir qu'il y avait eu substitution de personnes, réagir. Elle s'accrocha plus fermement. Ils devaient fuir au plus vite.

[Galathée]

Sheldon prit le trot dans la broussaille, testa la prise d'Astrée en poussant sur ses mains de la sienne, puis, satisfait, il s'élança au galop. Neffen le suivait de près, mais plus léger, plus petit, il n'aurait sans doute pas été capable de porter la rôdeuse à un rythme aussi élevé. Ils fusèrent dans le sous-bois sans ralentir, soulevant un tourbillon de feuilles mortes. Ils semblaient ne pas s'inquiéter de leur piste, mais bientôt, la jeune femme vit que le shaman incantait tout en galopant, et que la nature se refermait dans leur sillage, branches enchevêtrées, racines, buissons.
Ils restèrent dans la forêt un bon moment, Sheldon en tête, sa partie humaine protégeant Astrée du vent, des branches basses et des éclaboussures. Quand il franchit un premier tronc, il lui saisit les poignets pour s'assurer qu'elle ne tomberait pas, puis lui fit confiance pour le suivant. Il avait une allure étonnamment confortable. Ils débouchèrent ensuite dans une prairie fleurie.
" Tu tiens le coup ? demanda le chef de la harde à son shaman, comme ils traversaient l'étendue herbeuse.
— J'adore courir tout nu dans les fleurs, pas toi ?" rétorqua le centaure tacheté en doublant le grand roux.
Astrée eut l'impression de deviner la grimace de sa monture tandis qu'il filait le train de Neffen. Ce dernier avait écarté les bras et semblait se gorger de soleil et de parfums printaniers, après les ténèbres des derniers jours. Un chevreuil vint se joindre à leur course tandis qu'un oiseau tournoyait autour de la tête du shaman.

[Voyageuse]

Astrée se surprit à sourire plus largement. C'était réel. C'était bien Neffen. C'était merveilleux. Certes, elle ne comprenait pas trop comment le chef fier et autoritaire qu'elle avait côtoyé pouvait d'un coup se montrer aussi prévenant à son égard. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi ils avaient décidé de prendre le risque de lui venir en aide. En fait, elle ne comprenait absolument pas comment tout ça était possible. Mais c'était réel, et c'était tout ce qui comptait. Le pourquoi, le comment, pouvaient attendre.
Elle inspira profondément, se gorgeant des senteurs oubliées de la nature, souriant aux fleurs et aux oiseaux. Le galop dans la prairie la fit songer brutalement à Prince, dont elle n'avait pas perçu la présence au village, qui peut-être était resté en sécurité auprès de la harde... Ou peut-être pas. Il faudrait qu'elle cherche son contact. Mais, encore trop secouée, elle n'était pas sûre d'en être capable. Elle préféra se concentrer sur sa prise, serrant plus fermement la taille de Sheldon. Tout le reste devrait attendre.

[Galathée]

Peut-être grisés par ce printemps inespéré, les deux centaures firent un moment la course comme des enfants. Neffen était plus léger, Sheldon plus puissant, et le shaman trichait, en envoyant des oiseaux déranger son adversaire, mais celui-ci avait de l'énergie à revendre. Ils atteignirent une forêt de conifères et profitèrent du tracé d'un ruisseau bondissant pour éviter les branches acérées des arbres. Le chef de la harde avait repris la tête et le shaman fredonnait sur sa piste. Le terrain s'accidenta et Astrée put observer comment les centaures se servaient de leurs bras pour aider leur moitié équine à escalader des amas de rochers ou des dénivelés escarpés. Sheldon paraissait pratiquement capable de soulever son propre poids. Neffen bondissait davantage comme une chèvre de montagne, mais la rôdeuse n'était pas certaine qu'il ne s'aidait pas de magie.
Ils atteignirent un plateau aux allures de lande. Le soleil déclinait à l'ouest. Les deux centaures repassèrent au pas tout en cheminant dans la bruyère.
" Où est la harde ? demanda Sheldon.
— A la roseraie.
— J'ai changé d'avis.
— Je me doutais que tu changerais d'avis.
— Peux-tu rappeler Maelwys ?
— Bien sûr.
— Bivouaquons. J'ai besoin de viande et de réfléchir. Et de Byron."
Il s'immobilisa près d'un rocher et tendit la main à Astrée pour l'aider à descendre.

[Voyageuse]

Astrée prit la main tendue et se laissa glisser au sol, titubant sur ses jambes mal assurées.
- Merci, fit-elle d'un ton grave, en souriant timidement au chef des centaures. Pour tout.
Elle lui devait la vie. A lui et à Neffen. Et c'était un miracle.
Elle se sentait dans un état second, mélange d'euphorie et d'incrédulité. Elle avait encore un peu de mal à réfléchir de façon cohérente, et elle ne réalisa pas tout de suite ce que signifiait le fait de rappeler Maelwys. Byron allait les rejoindre, elle était heureuse de le revoir et la joie éclipsait tout le reste. La tête lui tournait comme sous l'effet de l'alcool. Elle était vivante, ils étaient tous vivants, le printemps était magnifique, elle n'avait pas échoué, elle n'avait pas condamné la harde par son entêtement.
Puis le reste des paroles fit sens, peu à peu. Sheldon disait qu'il avait changé d'avis. A quel sujet ? Il lui fallut quelques minutes pour se souvenir que Maelwys était le guerrier parti chercher les orques. Et comprendre tout ce que ça impliquait.