[Lieu] Temple de Moandre

[Taliesin]

Mais il n'avait l'intention ni de boire, ni de manger. D'abord parce que ç'aurait été prendre de trop grands risques, en ces lieux. Ensuite, et surtout, parce que sa gorge était si nouée qu'il se sentait incapable d'avaler quoi que ce soit.
D'un pas lent, il gagna le coin de l'âtre et s'y tint immobile, s'efforçant de conserver une mine inexpressive, au cas où on l'observerait.
C'était un exercice difficile, tant l'angoisse le rongeait. Il s'inquiétait pour le gamin, évidemment : l'avoir arraché aux griffes des Bainites pour le voir tomber entre celles d'adeptes de Moandre, c'était d'une ironie... Comme le fait qu'il ait de fortes chances de succomber alors qu'ils avaient fait le plus dur, que la liberté était désormais toute proche.
Il ne devait pas y songer, sous peine de succomber à la peur et à la colère, sous peine de perdre ses moyens.
Non, il devait au contraire tout faire pour rester calme. Pour se préparer.
Car si Baptiste mourrait, il lui faudrait continuer malgré tout, malgré l'atroce sentiment d'échec...
Car il se pouvait très bien que la porte, en s'ouvrant, révèle des ennemis. Servants de Baine ou autres. Il devrait alors combattre pour s'enfuir... ou prendre des mesures drastiques afin d'éviter la capture.
A tout hasard, il glissa la main dans la poche intérieure de son manteau où devaient se trouver les deux petites boules de poison.
Juste pour être sûr qu'elles n'avaient pas disparu, que cette issue restait envisageable, s'il n'avait d'autre choix.

[Galathée]

Tandis qu'il faisait rouler le poison sous ses doigts, il entendit des bruits de voix venant de la porte opposée à celle qu'il avait empruntée. Des voix qui s'approchaient. Il n'y avait donc pas là une pièce, mais probablement un autre couloir, peut-être parallèle au premier. Quelqu'un chantait...
« Moandre, tu schlingues ! Moandre, tu pues !
Mais c’est comme ça qu’on t’aaaaime !
Moandre, tu sens ! Moandre, tu fleures!
Mais c’est comme ça qu’on t’aaaaime !

Les champignons et le crottin,
Le vomi de chat, le vieux fromage,
La pourriture, l’urine de nain,
Et les mixtures ratées des maaaaages !

Moandre, ton haleine sent le bouc,
Tes pieds, le pressé de Fondor,
L’odeur de tes aisselles, j’adore,
Et plus que tout, celle de tes prouts… »
Il y eut un rire féminin.
« Je ne veux pas couper ton élan créateur, Tim, mais prout, ça ne rime pas avec bouc.
— Moandre s’en fout. Moandre aime les beaux hymnes que je lui compose.
— Je ne crois pas qu’il ait l’oreille musicale, non. Et puis mort comme il est…
— Rien ne rime avec bouc.
— Il y a plouc. Souk. Couque.
— Couque ?! Qu’est-ce que c’est « couque » ? Tu inventes des mots !
— Je crois qu’ils mangent ça à Solarcis.
— Ils mangent n’importe quoi, à Solarcis.
— Mais ça rime.
— Est-ce que ça sent mauvais, au moins ?
— Sûrement.
— J’ai comme un doute, tu vois. Les spécialités culinaires héloniennes, ça n’a jamais été ton fort. Je ferais mieux de trouver un truc qui rime avec prout. Comme la choucroute. La choucroute, ça pue. Reprenons…
Moaaaaandre, tu pues ! »
Leurs voix décrurent dans le couloir, puis disparurent.

[Taliesin]

Et bien, ces gens ne manquaient pas d'imagination. Et la manière dont ils louaient leur dieu défunt était aussi joyeuse qu'originale. Voire irrespectueuse, même...
Taliesin sourit malgré lui : pour un peu, il aurait cru être la victime d'un vaste canular.
Mais les clercs étaient partis, les échos de leur conversation et de leur hymne éteints, et le barde, à nouveau, se retrouva seul avec ses pensées.
Pensées qu'il s'efforça aussitôt de museler.
Rester en alerte, prêt à réagir.
Quoi qu'il se produise.
Et quelle que soit la réaction adéquate.

[Galathée]

Il ne dut pas attendre très longtemps : la porte se rouvrit bientôt sur le demi-elfe aux cheveux noirs qui s'était téléporté avec l'enfant un peu plus tôt. Il avait toujours la mine sévère, pour ne pas dire revêche, mais ne resta pas silencieux.
" Le gosse a survécu, annonça-t-il. Vous pouvez venir le voir. Il ne reprendra cependant pas connaissance avant un moment."
Il s'effaça ensuite pour laisser passer le barde devant lui. Dans le couloir se trouvait la demi-elfe blonde. Son regard n'était pas plus amène qu'auparavant. Elle le précéda cependant dans les détritus, jusqu'à une porte latérale.

[Taliesin]

Fidèle au personnage qu'il incarnait, l'elfe continua à se montrer respectueux, affable. Ce ne fut pas chose simple car, plus que jamais, il s'attendait à un mauvais coup : au pire une embuscade en bonne et due forme, au mieux, un Baptiste présentant d'effroyables séquelles de son empoisonnement... et des soins prodigués par le guérisseur. Il se faisait l'effet d'être complètement paranoïaque, mais n'était-ce pas compréhensible, lorsqu'on venait de traverser d'éprouvantes épreuves, lorsqu'on se trouvait dans le temple d'une divinité mauvaise, au cœur de Melandis la sombre ? Si, ça l'était, tandis que se ruer tête baissée en prenant pour argent comptant les paroles du demi-elfe, au contraire, aurait été pure folie.

[Galathée]

La prêtresse lui ouvrit la porte et s'effaça à nouveau pour le laisser passer. La pièce était un peu plus grande que celle qu'il venait de quitter, et comprenait un lit, une petite table, un âtre où brûlait une flamme vigoureuse. Le sol de la pièce était couvert d'une fine couche de poussière dans laquelle mille pas se dessinaient, mais la couche où reposait l'enfant était d'une propreté irréprochable. Il y avait un broc d'eau légèrement rougie sur la petite table. Baptiste respirait doucement, les couvertures remontées jusqu'au menton. Son visage était blême et couvert de meurtrissures bleues, dont certaines suintaient encore d'un liquide clair et visqueux. Les deux clercs se glissèrent derrière Taliesin mais ne dirent rien.

[Taliesin]

Il se pencha sur le garçon, vérifia qu'il respirait bien, passa une main légère sur son front, tentative sans doute de s'assurer que la fièvre avait commencé à baisser. Toujours convaincu que quelque chose ne tournait pas rond, il aurait aimé l'examiner davantage. Mais ç'aurait été montrer trop explicitement qu'il ne faisait pas confiance à ses hôtes... Alors il s'abstint, se disant que Sedanius serait sans doute en mesure de réparer les dégâts qu'ils auraient pu lui causer, par cruauté ou pour respecter les préceptes de leur culte.
-Merci, dit-il finalement en se retournant vers les clercs. Vous n'aurez pas à faire à un ingrat.
Il n'avait qu'une envie : emporter Baptiste loin d'ici. Cependant, il lui faudrait encore attendre les dieux seuls savaient combien de temps.

[Galathée]

" Il ne serait pas prudent de le déplacer pendant les quelques heures qui viennent, dit le clerc, sans quitter Taliesin du regard. Les taches que vous voyez vont s'estomper d'elles-mêmes. Passer par un stade de pelade pendant quelques jours. C'est assez impressionnant mais il ne devrait rester aucune trace ensuite. Et il ne devrait pas avoir de séquelles, nous sommes intervenus à temps."
Il croisa les bras.
" Nous apprécierions que vous profitiez du temps de son repos pour aller chercher de quoi nous dédommager. Nous pouvons vous prêter quelque chose pour que vous ne sortiez pas à moitié nu dans la rue.
— Même si vous ne détonnerez pas sur la populace du quartier."

[Taliesin]

Il ne chercha pas à cacher que cette option lui déplaisait : après tout, Finrod Felagund n'avait assurément pas envie de laisser son assistant à des inconnus qui pourraient le faire disparaître en son absence... ou essayer de lui tirer les vers du nez. Malheureusement, il n'avait d'autre posibilité que d'accepter.
-Soit, soupira-t-il. Je vais me hâter, afin de revenir avant son réveil. Et je demanderai sans doute à quelques-uns de mes gens de m'accompagner : ainsi pourrons-nous le déplacer plus aisément, plus confortablement...
...et vous massacrer si vous lui avez fait du mal, ajouta-t-il mentalement, tout en espérant que les clercs comprendraient qu'il ne valait mieux pas duper un homme disposant d'une suite nombreuse.
-Combien demandez-vous pour les soins ? ajouta-t-il.

[Galathée]

" Je pensais que vous travailliez seul ? N'est-ce pas ce que vous avez dit à notre collègue ?" intervint alors la prêtresse, la mine on ne peut plus circonspecte.
Le clerc pinça les lèvres et lui jeta un regard dur.
" Nous demandons trente pièces d'or pour les soins, et une offrande à Moandre."

[Taliesin]

-Je travaille effectivement seul, répondit-il à la prêtresse, sans se démonter. Néanmoins, quand on voyage comme moi de par le monde, quand on s'aventure fréquemment dans de périlleuses contrées où même les hameaux se font rares, il est nécessaire de disposer de personnes pour monter le camp, et d'une soldatesque conséquente pour repousser monstres et bandits.
Il se tourna vers l'autre clerc, sourit.
-La donation à Monandre va de soi, messire. Comme je l'ai dit, je n'ai rien d'un ingrat.

[Galathée]

Le clerc sourit, faussement affable.
" Je vais vous conduire à l'étage supérieur." dit-il en rouvrant la porte.
Il précéda cette fois le barde dans le couloir, l'entraînant jusqu'à un escalier monumental et poussiéreux qui débouchait dans une vaste salle aux allures de bassin. Une eau stagnante, à l'odeur désagréable, entourait le rebord de l'escalier et un chemin de pierres émergentes permettait de rejoindre une sorte de chemin de ronde qui faisait le tour de la pièce. Plusieurs trous étaient percés dans le toit, laissant passer l'eau de pluie. Des lueurs fantomatiques vert pâle, semblables à des feux follets inertes, flottaient au-dessus de l'immense marais intérieur.
" La Salle des Pourrissements, expliqua le clerc. C'est ici que viennent les fidèles... en général."
Il le guida jusqu'au pourtour de l'espace vaseux, puis lui tendit une cape vert sombre, un peu rapiécée, que quelqu'un avait abandonnée à un crochet.
" Voilà pour vous. Ce n'est pas du dernier cri, mais notre culte a ses moyens et ses spécificités. Il faudra vous introduire chez les Bainites ou les Cyriciens si vous voulez récupérer des atours plus luxueux."
Il n'y avait aucun humour dans son ton. Au bout d'un dernier couloir obscur se trouvait la porte de sortie. Le prêtre s'immobilisa avant de l'ouvrir et se tourna vers le barde.
" Le gamin a-t-il un nom ? S'il s'éveillait, il serait sans doute rassuré si notre guérisseur pouvait s'adresser à lui dans les formes."

[Taliesin]

Il faillit lâcher le véritable prénom mais se retint au dernier moment : ça n'aurait pas été une très bonne idée. Leur apparition dans le temple de Moandre ferait peut-être parler, et si les Bainites venaient à entendre dire qu'un petit Baptiste avait fait sa réapparition...
-Il se nomme Belenn, affirma-t-il, espérant que le gamin, à son réveil, aurait l'esprit assez clair pour comprendre...
Puis il s'inclina.
-Merci pour la cape, messire. Je vous dis à tout de suite.
Et, sitôt le vêtement enfilé, il franchit la porte, espérant pouvoir rallier rapidement et sans encombre le Comptoir des Transparences.

[Galathée]

Le clerc referma la porte du temple derrière lui et Taliesin se retrouva devant un édifice ancien, à la façade vieillie, poussiéreuse, lézardée. D'anciennes statues usées présentaient des silhouettes sans visages aux passants, qui ne levaient pas les yeux. Le barde reconnut le coupe-gorge de l'antre des miséreux. Un mendiant gémissait couché dans la boue, en face du temple, et une bande d'hommes à la mine revêche occupaient le coin de rue le plus proche. Heureusement, la cape fournie par les Moandrins était passablement défraîchie, aussi le barde n'attirerait-il sans doute pas trop l'attention.
A observer la lumière qui filtrait difficilement à l'intérieur de la ruelle sale, la fin de la journée devait approcher. Vu le quartier, l'ombre s'emplirait de menace, aussi Taliesin avait-il intérêt à hâter le pas, ce qu'il fit.
Il quitta rapidement les alentours du Temple, s'engagea dans une artère plus large, ce qui lui permit de se repérer. La prison se dressait sur sa gauche, aussi s'en écarta-t-il rapidement, traversant la place de l'exécution des peines sans lever les yeux sur les pendus qui s'y balançaient. Il gagna les ruelles sales, dissimulé sous son manteau.

[Taliesin]

Le barde jeta un regard derrière lui, scrutant la ruelle qu'ils venaient de remonter.
-Puisqu'ils servent un dieu mort, je pensais qu'ils n'étaient pas très nombreux... Ils disent eux-mêmes que les fidèles ne sont pas légion, murmura-t-il. Pour le reste... Vu la mission que tu effectues, Kerun, je suis de facto ton subordonné. Sans compter le rôle que tu joues dans notre organisation...
Puis, sans attendre que l'agent secret lui réponde, il alla toquer à la porte du temple.

[Galathée]

La porte s'ouvrit peu après, sur la prêtresse blonde. Elle jeta un regard mauvais au barde en le découvrant sur le pas de la porte.
" Vous avez fait vite, dit-elle. Je ne suis pas certaine que l'enfant soit réveillé."
Elle retourna à l'intérieur du temple, laissant Taliesin et Kerun se glisser sur ses pas.
" Fermez la porte derrière vous. Nous ne sommes pas friands des visiteurs nocturnes."
Une fois parvenue aux abords du marais, elle s'immobilisa.
" Grands dieux, ça pue." s'exclama Kerun.
Elle se retourna vers eux, le visage contracté de stupéfaction. Un moment, elle parut incapable de savoir quoi répondre.
" Vous... vous êtes dans le Temple de Moandre ! fit-elle avec véhémence.
— Il n'empêche que ça pue." dit l'elfe des bois avec un haussement d'épaules désinvolte.
Elle retourna son regard glacé sur Taliesin.
" Je vais chercher le grand maître." grommela-t-elle avant de s'engager sur les pierres qui traversaient la vase.

[Taliesin]

Le grand maître ? Il n'avait jamais été question de rencontrer le grand maître ! Cette nouvelle complication était-elle due à l'attitude pour le moins provocante de Kerun ? Attitude qu'il ne parvenait d'ailleurs pas à s'expliquer ?
-Je l'ai joué plutôt conciliante, jusqu'ici... lui glissa-t-il à l'oreille quand ils furent à nouveau seuls. Oh, et tu es censé être l'un de mes employés...
Le Luménien devait savoir ce qu'il faisait, mais, tout de même...

[Galathée]

" Pardon, bien sûr. Mais c'est vrai que ça pue, non ? fit le Luménien avec une grimace. Comment fais-tu pour supporter une puanteur pareille ? Les égouts luméniens sont comme un champ de fleurs, par rapport à cette horreur..."
Quelques secondes plus tard, le demi-elfe aux cheveux noirs que Taliesin avait déjà rencontré survenait, la prêtresse blonde sur les talons.
" Il ne fait pas très peur, ce grand prêtre."
Le clerc lorgna les deux hommes avec dureté.
" L'enfant ne peut pas encore être déplacé, je le crains. Son organisme est très éprouvé."

[Taliesin]

Des adeptes de Moandre se préoccupant sincèrement de la santé d'un petit esclave ? Balivernes ! Ils essayaient de se jouer de lui, comme il l'avait supposé. Mais il n'allait pas se laisser prendre, oh non...
-Je vous sais gré du souci que vous cause l'état de mon assistant, mais il est temps que je le ramène jusqu'à mon logement. Soyez cependant assuré que nous le déplacerons avec prudence. De surcroit, mon carrosse attend non loin d'ici : il y serra très confortablement installé. Sinon, comme convenu, j'ai apporté de quoi payer les soins que vous lui avez prodigué et faire une offrande à Moandre, en témoignage de ma gratitude.

[Galathée]

Le grand prêtre pinça les lèvres.
" Ce n'est pas une manière de gagner du temps, dit-il finalement. La morsure dont il a été victime... C'est l'une des plus dangereuses de cette partie de Dorrandin. Vous pouvez... attendre à son chevet, si vous le désirez, mais le déplacer avant qu'il ne soit mieux serait... vraiment... risqué.
— Ne pouvez-vous pas lui donner un petit coup de fouet ? Vous êtes clercs, non ?"
Le prêtre lui jeta un regard meurtrier, comme s'il avait été personnellement insulté.
" Ce n'est pas aussi simple que ça, intervint la prêtresse. Il faut nous faire confiance."
Elle avait l'air presque sincère.

[Taliesin]

Si le barde était bien placé pour savoir que certaines personnes étaient des comédiens incroyablement doués, il ne voyait pas comment se tirer de ce pétrin sans esclandre, sinon en se montrant coopératif... Un minimum, du moins.
-Et dans combien de temps estimeriez-vous possible de le déplacer ? s'enquit-il, à tout hasard.
Il pariait sur des jours. Voire une veille entière. Ce qu'il ne pourrait évidemment accepter. Il faudrait alors qu'il insiste, qu'il dise qu'il ferait soigner l'enfant auprès d'autres clercs. Ce qui n'était pas faux, d'ailleurs.

[Galathée]

" Deux bonnes heures, selon notre guérisseur, dit le clerc. C'est un gamin vigoureux mais les soins n'ont pu être apportés qu'après un laps de temps élevé. Si le gosse avait osé mentionner la morsure tout de suite...
— Qu'en dites-vous, maître ? l'interrompit Kerun en se tournant vers Taliesin. Cela vous parait-il acceptable ? Si vous le désirez, je peux rester auprès de l'enfant pendant que vous vaquerez à vos affaires."

[Taliesin]

Il marqua une nette hésitation. D'un côté, s'il ne rentrait pas immédiatement, les membres de la Réunion allaient s'inquiéter. De l'autre, laisser un Kerun déjà éprouvé au milieu de ces prêtres, alors qu'il était lui-même en pleine possession de ses moyens...
-Non, s'il s'agit d'attendre seulement deux ou trois heures, je vais rester. Quant aux autres... Tu as bien vu comme cette petite sortie nocturne les réjouissait. Ils commençaient à s'ennuyer, à rester constamment les bras croisés...
Au moins s'épargnerait-il une longue et insupportable angoisse quant aux destins de Kerun et du gosse.

[Galathée]

L'elfe des bois acquiesça.
" Bon. Très bien. Dans ce cas... J'imagine que nous allons descendre à son chevet."
Le clerc parut incertain, puis haussa les épaules.
" Pouvons-nous voir l'argent, d'abord ? demanda la prêtresse, soupçonneuse. Nous ne soignons pas les gens pour rien. Et vous devrez laisser vos armes ici en haut."
Son supérieur s'était immobilisé sur la première pierre qui cheminait dans la vase, l'expression indéchiffrable.

[Taliesin]

-Montre-lui l'argent, dit-il à Kerun.
Puis, se tournant vers la prêtresse :
-Et nous ne laisserons pas nos armes ici, non : j'ai arpenté vos salles et vos couloirs une épée à la ceinture, sans causer le moindre grabuge et sans qu'on me demande de m'en défaire. Par ailleurs, je ne vois pas pour quelle raison je pourrais vouloir vous nuire alors que vous m'avez rendu service.
Son ton, tout en restant courtois, s'était fait sensiblement plus dur.
-S'il ne vous est pas possible d'accepter ces conditions, si cela va à l'encontre de vos principes... Ni mon garde du corps ni moi-même n'irons plus loin en la demeure de Moandre. Mais je vous demanderai alors de nous amener l'enfant sur l'heure, puis je vous remettrai l'argent et tournerai les talons.

[Galathée]

Il y eut un échange de regards, de la prêtresse au clerc, du clerc à Taliesin, à Kerun, à nouveau à la jeune femme. Il finit par acquiescer. Elle secoua la tête de dépit et s'approcha du Luménien. Il lui tendit la bourse qu'il avait emportée, elle la soupesa, l'ouvrit, puis la lui rendit.
" Très bien." fit-elle, froidement.
Kerun fit ensuite signe à Taliesin de passer devant lui, s'inclinant poliment devant la jeune femme qui renifla de dédain et s'éloigna dans une travée voisine, sans plus les regarder.
Le clerc les entraîna dans l'escalier que le barde avait emprunté un peu plus tôt, jusqu'au couloir où s'amoncelaient des détritus.
" C'est une plaisanterie ?" souffla Kerun, juste dans l'ombre de l'elfe du soleil.
Quelques secondes plus tard, ils regagnaient la petite chambre où se trouvait toujours Baptiste, endormi.

[Taliesin]

Au moins n'avaient-ils ni escamoté, ni assassiné l'enfant. C'était déjà un immense soulagement.
Mais l'elfe n'entendait pas s'y abandonner. Pour commencer, il ne se permettrait de parler avec Kerun que lorsqu'ils seraient à nouveau seuls... et certains que personne ne les épiait derrière la porte. Ensuite, il monterait une garde vigilante. Très vigilante, même.
Car décidément, quelque chose n'allait pas, dans ce temple. Quelque chose qu'il n'arrivait pas à définir précisément mais qu'il sentait malgré tout. Entre leur capacité à incanter, leur désir de garder le gamin, leur réactions parfois étranges... Ces clercs ne lui inspiraient rien de bon. Et il les pensait capable de s'en prendre à eux.
Peut-être se trompait-il. Cependant, un excès de prudence ne pouvait pas nuire.

[Galathée]

" Ne le déplacez pas, n'essayez pas de l'emmener en catimini, dit le clerc. Notre guérisseur repassera le voir bientôt."
Il jeta un dernier coup d'oeil sur la petite pièce, puis sortit. Taliesin entendit ses pas s'éloigner dans le couloir.
Il n'y avait aucun siège dans la pièce, aussi Kerun s'assit-il sur le lit, au chevet de l'enfant.
" Acrantera nigris... Pauvre gosse. Il a eu de la chance, dit l'elfe en posant deux doigts sur sa carotide. Je pense que les mesures qu'ils préconisent sont nécessaires."
Il se tourna vers le barde.
" C'est un poison très rare et très recherché. S'ils en ont dans leurs catacombes, je ne serais pas surpris qu'ils en fassent le commerce... et qu'ils disposent donc des antidotes adaptés. Peut-être nos Moandrins sont-ils adeptes de Talona, en réalité."

[Taliesin]

-Possible : cela expliquerait le fait qu'ils disposent de pouvoirs... souffla-t-il. Ce qui m'étonne, cependant, c'est que la prêtresse que j'ai rencontrée en premier m'a proposé d'acheter le gosse un bon prix, arguant que Moandre aimait les choses abîmées......
Il haussa les épaules.
-Et un point m'inquiète, reprit-il. Baptiste m'a dit que son ancien maître, fort riche, disposait de "plantations douteuses". Sans doute s'agissait-il de drogue, mais il n'est pas impossible qu'il y ait également eu des composantes utiles pour confectionner du poison. Si tel est le cas, et si nos clercs sont bien talonites, j'espère qu'ils ne sont pas en contact avec lui... Car le petit porte encore sa marque, et ils n'auront pas manqué de la remarquer en l'examinant.

[Galathée]

" Il faudrait vraiment que Beshaba soit aussi de la partie pour que nous tombions justement sur des connaissances de son maître..." murmura Kerun.
Il posa la main sur le front du gosse, puis se tourna à nouveau vers le barde.
" J'ai l'impression qu'ils ont eu mille occasions de se débarrasser de l'enfant... et de toi. Personne n'aurait pu deviner que tu remonterais par ici... Et s'il est bien un endroit où les gens disparaissent, c'est Mélandis. Non. Mon sentiment est qu'ils ont besoin d'argent et qu'ils n'ont pas envie d'attirer l'attention sur eux. S'ils avaient voulu récupérer Baptiste, tu ne serais jamais sorti d'ici."