[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences

[Galathée]

" Nous pouvons y aller en début de soirée, ou alors à l'aube, dit Perceval. La nuit noire serait malvenue. Si ce soir, les Sombregloire sont chez les Lamegrise... Un intendant nous le refilerait sûrement, mais ce serait peu courtois, même de la part d'un recruteur de la Phalange. Par contre, au crépuscule... Il y aura moins de monde dans les rues, déjà.
— Il nous faudra sûrement apprêter le chariot...
— Non. Il nous faut des chevaux, par contre, et dans le genre costauds. Pour bien faire, il faudrait les transformer...
— Je peux le faire, ce n'est pas un souci.
— Bon, ensuite, il y a une contrepartie, mais elle est symbolique. Tout citoyen mélandien ne peut qu'apporter son concours à la défense de la cité. Si des rumeurs de guerre courent, de surcroît... Cela paraîtra plus logique. La contrepartie s'élève à une pièce de cuivre. Davantage que la valeur d'une âme luménienne, selon l'adage. Et les recruteurs se montrent courtois... pour autant qu'on exécute le moindre de leurs desiderata."

[Taliesin]

-Bon, si j'ai bien compris, une fois chez les Sombregloire et chez le charpentier, les choses seront très simples si on paraît porter les uniformes adéquats : on toque à la porte, on réclame le gosse, on patiente, on donne la pièce de cuivre symbolique puis on tourne les talons. En fait, c'est durant les trajets qu'il y aura le plus de risques... Kerun ne va sans doute pas être content qu'on envisage si tôt une opération d'une telle envergure. Mais si la situation se tend dans la cité suite à la disparition de Deverell et aux événements dans le Temple de Baine, si les autorités renforcent la garde, cela deviendra presque infaisable. Je pense donc qu'il donnera son accord.

[Galathée]

" Je pense que la couverture est appropriée pour cette intervention, dit Lena. Elle sera ensuite inutilisable pendant un moment... et nous devrons redoubler de prudence. Ce sont effectivement les trajets qui seront les plus problématiques... Nous pouvons difficilement retourner jusqu'à la caserne avec notre chargement... sous peine d'attirer l'attention de ceux que nous imitons.
— Je pense qu'il faut compter avec le fait que notre subterfuge sera découvert, malheureusement.
— Non. Je crois qu'il faut simplement que nous nous retrouvions sur le trajet, dans un coin bien sombre. Je lèverai le sortilège, et vous continuerez une promenade tous les deux, tandis que j'escamoterai les enfants avec Kerun ou Arion."
Elle croisa les bras.
" Le plus difficile va être de convaincre Kerun que tu es capable de mener cette mission... Or je pense que c'est indispensable. Avec Taliesin dans ton ombre... Si Taliesin, tu t'en sens... Tout devrait bien se passer."
Le jeune guerrier avait l'air très incertain et il acquiesça à contrecoeur.

[Taliesin]

Les réticences manifestes du jeune homme ne manquèrent pas de l'interpeller : aurait-il eu des ennuis avec la Phalange ? En aurait-il fait partie, même si résister au lavage de cerveau et s'enfuir de la caserne semblaient choses impossibles ?
-J'en serai, dit-il. Incarner une crapule pour en tromper d'autres et pour sauver des prisonniers, c'est dans mes cordes. Par ailleurs, ce sera plus simple qu'avec Baelish, avec lequel il est parfois nécessaire de pousser la comédie plus loin que je ne le souhaiterais. Ici, rien de comparable. Enfin, sauf si quelque chose m'a échappé.
Il se tourna vers Perceval.
-Si tu le souhaites... Si c'est susceptible de t'aider... On pourrait répéter la scène, pour s'y préparer, pour déterminer comment se comporter en fonction de la réaction des propriétaires.

[Galathée]

" Je pense que ça ira, dit Perceval avec un sourire contraint. Mais il faut que j'en parle avec Sedanius d'abord. Mais il dira oui, j'en suis sûr. Le jeu en vaut la chandelle."
Son expression s'était détendue.
" Est-ce que nous visons encore une intervention ce soir ? Ou demain ? Les Tempusiens prient au crépuscule... Il serait sans doute étrange qu'ils débarquent alors qu'ils sont censés vénérer leur dieu... Même si en réalité, les recruteurs sont moins fervents que leurs esclaves.
— Peut-être devrions-nous viser demain matin, proposa Lena. Avec la grosse fête qui a lieu ce soir, nombre de nobles mélandiens dormiront tard et nous serons peu remarqués. La position de la demeure des Sombregloire est assez avantageuse, de surcroît. Il nous faudrait par contre repérer la boutique du charpentier...
— Si nous arrivons tôt, ils ne seront pas encore en route."

[Taliesin]

Le barde aurait préféré agir le soir même. Mais moins d'une journée d'attente, ça n'était pas énorme. Il fallait juste espérer que la Phalange ne les précède pas durant ce court délai...
-Ça laisse l'après-midi pour localiser précisément la boutique, pour définir notre itinéraire ainsi que l'endroit où nous vous remettrons les enfants et où tu lèveras l'illusion, Lena. Bref, nous serons bien préparés... C'est juste dommage que la fête où se rend Meloenn tombe pile aujourd'hui. Enfin, si elle récolte de précieuses informations, si demain matin les gosses sont dans nos murs... Nous serons heureux du déroulement des opérations.

[Galathée]

" Nous ne devons pas nous précipiter, dit Lena, apaisante. Si la Phalange ne les a pas recrutés tous ces derniers mois, il faudrait que Beshaba nous ait pris en grippe pour qu'ils débarquent justement ce soir !
— Or, c'est un Temple dans lequel nous n'avons pas encore mis de désordre... remarqua Perceval, souriant.
— Donc autant tenter la chance un maximum avant de revêtir ces costumes d'Infortunés."
Le guerrier se leva.
" Je vais aller parler avec Sedanius. Je reviens. A mon avis, Abel doit connaître le charpentier qui exploite Gurvan. Il est introduit chez pas mal d'artisans."
Il se dirigea ensuite vers la cave ouverte.

[Taliesin]

Taliesin se tourna vers la magicienne.
-Récapitulons. Si on réussit ce coup là, on aura, en l'espace de quelques jours seulement, escamoté le plus célèbre combattant des arènes, semé le chaos chez les Bainites en leur faisant porter le chapeau de sa disparition, privé la Phalange de nouvelles recrues, le tout sans compter plusieurs autres sauvetages. C'est un bilan plutôt positif.
Il sourit.
-Ne restera plus qu'à sauver Galathée, Polyanna, les gosses qu'il reste sur la liste, ceux qui ne sont pas encore localisés... Et on pourra souffler jusqu'à l'arrivée du prochain bateau.

[Galathée]

Lena rit joyeusement.
" Je crains cependant qu'à un moment, nous soyons obligés de faire profil bas... et longtemps. Les autorités mélandiennes n'ont aucune raison de relier ces événements entre eux, mais les différents protagonistes vont tenter de remonter notre piste. Les protections magiques dont nous disposons sont faibles au regard de la puissance de certains mages de l'Ecole... Nous nous en sortons en partie parce que les Mélandiens aiment la zizanie et n'aident pas volontiers leur prochain, surtout si cela peut leur profiter..."
Elle soupira, souriante.
" Mais tu as raison. C'est formidable."
Ils perçurent des éclats de voix provenant de la cave, mais sans que les choses ne paraissent dégénérer. Lena lorgnait à nouveau la carte.
" Je pense que le mieux sera de vous faire disparaître aux abords du Havre Bourgeois en lui-même... Peut-être dans l'ombre du Monastère... ou bien du Palais..."

[Taliesin]

-Si près des hauts lieux du pouvoir ? s'étonna-t-il. N'est-ce pas un peu trop tenter la chance, pour le coup ?
Il se tut, détailla lui aussi la carte.
-Je dis ça, mais je vous fais entière confiance, ajouta-t-il finalement. Je ne suis pas, loin s'en faut, un expert de ce type d'opérations. Je m'en remettrai donc à votre décision et me contenterai de jouer les officiers... Je ne cache pas que pouvoir mettre en rogne des membres de la haute société mélandienne, ça n'est pas pour me déplaire.
Bien sûr, ces sauvetages n'apporteraient rien à la malheureuse Mona. Mais...
Mais c'était ainsi. Il devait l'admettre. Oublier ce qui était hors de sa portée. Se contenter de ce qu'il pouvait faire.

[Galathée]

" Le palais est exposé, tu as raison, mais le monastère... il y a un mur aveugle de ce côté-ci, et une sortie du Quartier par là... Je crois que c'est jouable."
Elle pinça les lèvres comme Perceval et Sedanius remontaient. Le clerc de Tyr paraissait contrarié mais le jeune guerrier leur sourit.
" Perceval m'a dit qu'il avait l'intention de jouer les recruteurs phalangistes. Je voudrais qu'il soit confronté à un recruteur avant de tenter l'aventure, annonça le clerc. Est-il possible d'imaginer une simulation encore ce soir ?
— Oui. Ça me permettra de m'entraîner et de rectifier les erreurs de costume.
— Bien. Rien n'empêche que j'accompagne Taliesin plutôt que lui au besoin. Nous verrons comment tu t'en tires, alors, Perceval.
— D'accord."
Le clerc de Tyr les salua d'un geste de la tête et retourna dans sa cave.
" Je vais aller chercher Abel pour le dessin et le menuisier." proposa Perceval en filant vers la boutique.
Au même moment, Baptiste reparaissait. Il traversa la salle commune avec un sourire embarrassé.
" Il me faut un dictionnaire. Il est chouette, ce d'Aprecoeur, mais il utilise des mots vachement compliqués." se justifia-t-il en gagnant les escaliers.

[Taliesin]

Tout en se disant qu'il essaierait de lui trouver de la poésie plus accessible - ce qui n'était pas chose évidente -, Taliesin reporta son attention sur le plan. Non qu'il ait grand chose à y repérer : il voulait simplement continuer à s'occuper l'esprit. Il entendait donc rester à table, écouter Abel parler du charpentier, puis des uniformes des recruteurs de la phalange... Il ne pourrait être d'aucune utilité en ces domaines. Cependant, il n'y avait pour l'heure rien à faire au comptoir, pas la moindre tâche domestique. Et comme il ne se sentait pas de lire... Bref, écouter, ce serait bien. Et, qui sait, ça lui servirait peut-être.

[Galathée]

Abel reparut avec Perceval quelques minutes plus tard. Le jeune homme trouva du parchemin pour le nain, ainsi qu'un plan plus général de Mélandis. Abel put leur indiquer l'endroit où se trouvait le charpentier : il occupait une maison cossue dans le quartier marchand de l'esplanade impériale. Il y avait moyen de l'atteindre par l'arrière, sans passer par les allées les plus fréquentées. Cela dit, à l'aube, il n'y aurait guère que quelques livreurs et les boulangers pour mettre le nez dehors, et ils risquaient de détourner les yeux dès qu'ils verraient approcher des chevaux de la Phalange.
Le chemin entre la demeure du charpentier et le domaine des Sombregloire était relativement facile, ils pouvaient opter de le faire dans un sens ou l'autre. Commencer par le charpentier semblait cependant plus prudent, s'ils voulaient minimiser le nombre de témoins. Plus tard, le quartier des boutiques s'encombrerait tandis que celui des nobles resterait vide plus longtemps.
Abel se mit ensuite au dessin. Il esquissa rapidement une silhouette humaine, puis commença à l'habiller en fonction des directives de Perceval. Elle gagna une cotte de mailles, des bottes, une ceinture, un manteau, un casque caché sous un capuchon. Ils progressaient vers les détails, longueur de la cape, motifs de la proche, matière de la tunique, couleur des cuirs, armes... Perceval fermait souvent les yeux pour se représenter le personnage avant de rectifier l'un ou l'autre trait qu'avait dessiné le nain. Ils abordèrent ensuite la question des chevaux et de leur caparaçon.
" Il va falloir des grands draps de toile noire, dit soudain le jeune guerrier. Les recrutés sont mis en selle, devant le recruteur, et intégralement recouverts d'une sorte de cape... comme un sac. On n'en voit plus rien, sinon la vague forme. Ils disparaissent dans les ténèbres. Cela fait partie du rituel... Certains gosses pissent sur la selle, tellement ils ont la trouille.
— Un peu de couture au programme... dit Lena en se tournant vers Taliesin. Les bardes ont du doigté, non ?"

[Taliesin]

-Pour jouer de la musique, et seulement pour ça ! fit-il mine de protester. Mais vous avez de la chance, parce que j'ai dû apprendre la couture par la force des choses : lorsqu'on est toujours par monts et par vaux, savoir repriser ses vêtements s'avère souvent indispensable... Alors voilà, je ne garantis pas que mon travail sera parfait, mais je ferai de mon mieux.
Il redevint plus sérieux.
-Ça va être une expérience éprouvante, pour les gosses... Cependant, puisqu'ils seront entièrement recouverts, puisque personne ne verra leur physionomie, nous pourrons peut-être leur glisser quelques mots à l'oreille pour les réconforter, pour leur dire de ne pas se fier aux apparences et qu'ils sont en réalité avec des amis...
Ils ne les croiraient sans doute pas. Ils ne perdaient rien à essayer, toutefois.

[Galathée]

" Ce sera difficile, mais je doute qu'ils aient entendu parler de la Phalange. Ce n'est pas quelque chose que l'on mentionne dans les conversations, dit Abel. Ils auront peur mais... mais ce sera davantage de l'inconnu que d'autre chose.
— Ce qui n'est pas rien quand on est un gosse qui a leur passif... d'autant qu'ils sont l'un et l'autre plutôt bien traités. La frayeur qu'ils liront sur le visage de leurs maîtres suffira à les bouleverser."
Lena pinça les lèvres.
" Un mal pour un bien. Quoi qu'il advienne, ce sera de courte durée. Allons voir si nous trouvons des draps noirs au grenier, veux-tu ?"
Sans attendre le barde, la drow gagna les escaliers.

[Taliesin]

-J'arrive !
L'elfe se leva mais, avant de lui emboîter le pas, il adressa un sourire réconfortant au jeune guerrier. Même quand c'était pour la bonne cause, revivre des souvenirs pénibles n'avait rien d'agréable. Il était bien placé pour le savoir.
-On fera en sorte que ce soit le moins éprouvant possible pour eux, Perceval. La comédie que nous allons jouer n'implique en rien de les brutaliser et, sitôt qu'il n'y aura plus de témoins pour nous voir, nous leur parlerons. Ils auront peur, oui... mais je pense qu'ils auront aussi envie d'y croire. Et ce ne sera en fin de compte qu'un mauvais moment à passer. Un bref moment.

[Galathée]

" Je sais. Je sais bien." dit Perceval d'un ton reconnaissant, en opinant du chef.
Taliesin put ensuite rejoindre Lena qui avait déjà atteint le palier du dessus. Le barde la suivit sur l'échelle, toujours en place, et lorsqu'elle passa la tête dans le grenier, elle se retourna pour lui faire signe de se taire, un doigt sur les lèvres.
Lorsqu'il l'eut rejointe, l'elfe découvrit la cause de son manège. Baptiste s'était allongé dos sur une grosse pelisse d'ours ou de loup, sous l'une des fenêtres, et lisait à mi-voix, imitant le ton des protagonistes de son ouvrage, avec moult grimaces expressives. Il avait manifestement déniché une pièce de théâtre, à moins qu'il ne se fut agi d'un roman bourré de dialogues. Le dictionnaire qu'il était monté chercher se trouvait non loin, abandonné dans la poussière, ouvert.

[Taliesin]

Taliesin sourit, à la fois amusé et touché par le spétacle.
Décidément, Baptiste était un garçon surprenant. Déjà, son amour des livres et sa curiosité sortaient de l'ordinaire. Mais sa façon de jouer les dialogues d'un livre... Tous les gosses ne faisaient pas cela, assurément. Du moins, pas à sa connaissance.
L'elfe resta à observer quelques instants puis, sans faire de bruit, il redescendit l'échelle et recula dans le couloir.
Il n'aimait pas l'idée d'interrompre ce moment de détente. Mais si Lena le jugeait nécessaire, autant s'approcher moins discrètement que précédemment, afin que l'enfant ne soit pas pris au dépourvu.

[Galathée]

Lena était restée en haut et elle agit de manière sensiblement différente du barde. Pendant un moment, ce dernier n'entendit plus rien, puis il y eut un petit cri de surprise, celui du gosse.
" Je suis désolée, je ne voulais pas te déranger, mais j'ai besoin de... draps...
— C'est moi qui suis désolé, je faisais heu... je voulais juste...
— Il n'y a pas de mal... Le grenier est à toi.
— Merci... Je vais redescendre... C'est juste que j'ai trouvé ce livre-ci et j'avais toujours eu envie de lire Les Fougueuses Traversées de Théobald. C'est une pièce de théâtre comique sur un capitaine marchand qui est un peu pirate.
— Et bien, prends-le...
— Mais j'en ai déjà pris cinq ! Plus le dictionnaire, ça va faire six ! Non, faut que je me maîtrise.
— Comme tu voudras. J'ai ce qu'il me faut. Bonne fin d'après-midi...
— Merci, heu...
— Lena. Tu peux me tutoyer, aussi.
— Merci Lena... Est-ce que...
— Oui ?
— Vous... tu... es une elfe noire ?
— On dirait, hein ? Je suis moitié elfe noire. Mon père était elfe, lui.
— Ah...
— Faut que je file, à tout à l'heure."
Une pile de draps noirs tomba au bas de l'échelle et, une seconde plus tard, Lena s'engageait derrière eux.

[Taliesin]

Si Taliesin vint récupérer les draps, il attendit qu'ils se soient un peu éloignés de l'échelle pour prendre la parole.
-Lena, désolé de te le dire, mais tu as encore de gros progrès à faire en matière de discrète infiltration ! la taquina-t-il.
Et de lui adresser un clin d’œil.
-Baptiste est un chouette gosse. C'est vraiment réconfortant d'avoir pu l'arracher aux Bainites. Et je pense que ça lui fera du bien, à partir de demain, de côtoyer d'autres enfants...

[Galathée]

" J'espère... ce n'est pas toujours garanti qu'ils vont s'entendre, cela dit... Je ne suis pas certaine que la lecture soit très populaire auprès de tous les gamins de cet âge... Mais je connais mal les petits Luméniens."
Ils redescendirent au rez de chaussée et s'installèrent sur un coin de table. Abel avait abandonné son croquis et Lena le regarda attentivement, avant de se lever pour dénicher un matériel de couture. Les voix de Perceval et Sedanius venaient de la cave ouverte.
" Bon... Attaquons... Il ne doit pas être si compliqué de créer de grandes capes couvrantes à partir de ce monceau... Et ne t'inquiète pas de la beauté de tes broderies : seule Meloenn est douée pour ce genre de choses, et je pense qu'elle dort en prévision de la soirée..."

[Taliesin]

-Ah, les bardes ne sont plus ce qu'ils étaient ! De mon temps, nous passions l'après-midi à répéter, la soirée à nous produire, la nuit à nous enivrer... et une partie de la matinée à dormir, avant de recommencer le programme depuis le début !
Une fois fil et aguille en main, il se mit à l’œuvre. Le travail n'était guère difficile, il pensait pouvoir s'en tirer.
-Tu crois que ce serait un moyen de faire la paix avec Meloenn, si je lui demandais de me coudre de nouveaux vêtements ? Ma garde robe n'est plus très fournie, et elle a proposé à Baptiste de lui en créer une toute nouvelle...
C'était du badinage. Il n'avait pas réellement l'intention de présenter cette requête à sa consœur.

[Galathée]

" Si tu acceptes de pénétrer dans sa chambre, de te mettre nu, et de la laisser prendre tes mensurations... à sa manière très personnelle... Je pense que tu obtiendras de nouveaux vêtements et ses bonnes grâces. Maintenant, si tu espères que lui filer une de tes chemises suffira pour qu'elle la reproduise, tu risques de te la prendre sur la tête aussi sec." dit Lena avec un sourire ironique.
Elle souleva l'une des capes pour aviser de la longueur.
" Je me demande s'il faut les fermer comme des sacs ou si ça suffit d'en entourer le gamin... Il faudra demander..."
Elle se rassit et reprit sa couture.
" Mais je connais deux ou trois tailleurs qui renfloueront ta garde-robe pour des sommes modestes. Si nous avons un peu de temps, dans les jours qui viennent, y passer ne posera nul problème. De toute façon, nos réserves sont taxées chaque fois que nous sauvons un esclave. Il ne nous reste quasi rien pour les enfants."

[Taliesin]

-Effectivement, il va être urgent d'y remédier : je doute fort que les petits nouveaux nous rejoignent avec un balluchon bien garni... Mais me concernant, c'était une plaisanterie : il me reste deux-trois trucs et de toute façon, lorsque je sors, je bénéficie de ton sortilège.
Il se tut un moment, concentré sur son ouvrage.
-Avec trois gosses sous notre toit, il va falloir désigner quelqu'un pour les occuper... Tu as des idées ? Personnellement, je pensais à Kerun : il a bien mérité de se reposer un peu...

[Galathée]

Lena rit avec bonheur.
" Kerun ? Tu veux que les gosses fuguent avant qu'on les mette sur le bateau ?"
Elle secoua la tête.
" Kerun a beaucoup de qualités, mais il n'a certainement ni la patience, ni la manière. Il y a pire, cela dit. Mais je pense que Sedanius et Perceval seront en première ligne."
Elle se pencha.
" Il y a sûrement d'autres manières de se venger de Kerun, cela dit... et je pense que le déguisement qu'il a revêtu aujourd'hui aura déjà rafraîchi ses ardeurs. J'espère juste qu'aucun ruffian n'aura essayé de le tâter de trop près..."

[Taliesin]

Il rit à son tour.
-Si une telle chose s'est produite, il y a un rufian étalé sur les pavés, au milieu d'une mare de sang... Rien de très inhabituel à Melandis, somme toute. Et ça se sera passé si vite que personne n'aura rien remarqué !
Son sourire disparut.
-Au fait, concernant Perceval... Il a eu affaire à la Phalange, n'est-ce pas ? Bien sûr, tu n'es pas obligée de répondre, je ne veux surtout pas me montrer indiscret... Mais j'aimerais autant éviter de le blesser involontairement...

[Galathée]

" Il en a fait partie, jusqu'à ses treize ans, dit Lena. Je ne connais pas les détails de l'histoire, mais je sais que Sedanius et un autre Luménien, Sire Rodrigo, l'ont recueilli alors qu'il avait été mortellement blessé au cours d'un entraînement et que son corps avait été jeté aux ordures. Il est encore fragile : ils ont mis des années à récupérer l'humain sous la bête. Je comprends que Sedanius soit un peu inquiet, mais je pense que Perceval doit pouvoir se prouver qu'il a dépassé tout ça."
Elle grimaça.
" Hum... Je suis trop sentimentale, je m'en rends compte. Kerun n'acceptera sans doute jamais qu'il fasse partie des intervenants, s'il accepte seulement le principe de ce que nous avons prévu... J'espère qu'il ne prendra pas mal que nous soyons allés si loin dans les préparatifs sans lui en référer..."

[Taliesin]

L'elfe avait légèrement blêmi en entendant la réponse de la magicienne : il n'osait imaginer à quel point ce qu'avait vécu Perceval avait été effroyable, à quel point remonter la pente s'était avéré difficile... Il en avait une vague idée, cependant, car il existait des similitudes, certes très vagues, entre le passé du guerrier et le sien...
[color=#FFFFF66]-Nous ne sommes pas allés si loin que ça,[/color] dit-il, soulagé de pouvoir penser à autre chose. Nous avons imaginé un plan et lancé de menus préparatifs pour être en mesure de l'exécuter si et seulement s'il nous donne son aval. Pour le reste, je n'ai aucune certitude quant à sa décision. Tout ce que je sais, c'est qu'il tient énormément à sauver ces enfants et qu'il pense la situation actuelle propice à des interventions. Alors peut-être modifiera-t-il notre projet. Peut-être même nous demandera-t-il de l'abandonner. Mais, dans ce cas, ce sera pour en proposer un autre.
Il sourit.
-Enfin... C'est sûr que notre agent secret ne fait pas dans le sentiment, qu'il se montre pragmatique. C'est nécessaire, d'ailleurs. Néanmoins, nous sommes là pour arrondir les angles... Concernant Perceval, s'il était finalement écarté de l'opération, nous lui trouverions des moyens de se rendre utile. Il peut l'être, je n'ai pas le moindre doute en la matière.

[Galathée]

" Je sais bien, et Perceval le sait aussi. Il a toujours envie de se rendre utile, c'est une bonne nature, dit-elle avec un sourire. Même si Kerun lui confie l'entretien des latrines, il s'en acquittera consciencieusement. Il est aussi capable de comprendre les raisons qui font qu'on l'écarte, même s'il le regrette."
Ils entendirent des pas dans l'escalier, et Perceval émergea, portant des caisses qu'il déposa sur le sol.
" Vous parlez de moi, mes oreilles sifflent, dit-il sans colère.
— Oui, nous voulions ton opinion sur nos travaux !"

[Taliesin]

-On se demandait aussi si on pouvait se contenter d'envelopper les enfants dedans, ou s'il était nécessaire d'en faire de véritables sacs... dit-il, sérieux.
Son regard se porta sur ce qu'avait transporté Perceval.
-Ce sont des caisses de vin ? Si c'est le cas, je me propose de les alléger en vidant quelques bouteilles...