[Quête] Dans les rues et les villas huppées du Havre

[Galathée]

" C'est une chance. Dame Tombefol est restée très discrète sur les résultats de sa progéniture... Je comprends pourquoi, désormais. Mais j'ai réussi à obtenir des informations des deux visiteuses, vu qu'elles étaient sur notre liste... Chez les Hekka de Folkungar, le fils mage a ramené un nain qu'il a repris à l'Ecole. Chez les Sourdebouche, la gamine a raté ses examens et n'a pas pu rentrer pour les vacances. Les nobles dames adorent parler de leurs rejetons, c'est une chance. Mais nous pouvons aussi les éliminer."
Ils sortirent du quartier, s'engagèrent dans des rues qui tournèrent rapidement à la fange et à la décrépitude. Les relents de la Houleuse les accueillirent et bientôt, les entrepôts se dressèrent tout autour d'eux, et ils finirent par pénétrer dans l'artère qui abritait le Comptoir. Lena les dirigea vers la boutique , dans laquelle ils pénétrèrent quelques seconde plus tard...

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard.
Chapitre 9. Sauvetages (suite)

Arrivant de l'Esplanade, Sedanius, Taliesin et leur nouveau protégé arrivèrent rapidement à proximité de la demeure des Sombregloire, située en bordure du quartier noble. C'était une maison imposante, munie de nombreux pignons, dans une débauche architecturale plus que douteuse. Il y avait une entrée principale, immense grille de fer forgé noire agrémentée de statues infernales, menant à une vaste allée de cailloux rouges, jusqu'au perron majestueux, mais aussi une entrée de service, plus discrète, qui se trouvait à l'arrière du parc et menait à la cuisine et aux zones de stockage. Cette porte était également fermée, mais une cloche permettait d'avertir les gens à l'intérieur. La maison semblait plongée dans l'obscurité, à l'exception de lumière dans les caves, que l'on percevait au travers de petits soupiraux. Les esclaves et autres serviteurs étaient sans doute déjà à pied d'oeuvre, le soleil n'en avait plus pour des heures.

[Taliesin]

C'est pour son bien.
Tu as vu ses muscles ? Il devait travailler de l'aube au crépuscule...
Et la Phalange aurait fini par venir le chercher.
Pour son bien.
C'est avec de telles pensées que le barde avait essayé de se réconforter durant le trajet, tout en s'efforçant de conserver une attitude martiale et de ne pas regarder l'enfant recouvert par le sac de toile noire.
Difficile exercice.
Mais lorsque le domaine des Sombregloire fut en vue, il reprit définitivement le dessus sur ses remords.
La mission, rien que la mission, comme toujours.
Il prit la direction de l'entrée secondaire... puis une profonde inspiration.
Enfin, il sauta de selle, actionna vigoureusement la cloche.

[Galathée]

Plus loin dans le parc, au bout d'un chemin de sable noir, la porte de la maison s'ouvrit et une petite silhouette sautillante parut, courant dans leur direction. Elle s'immobilisa cependant à quelques toises du but et repartit aussitôt en arrière, ventre à terre, cette fois, sa lanterne bondissant à chaque foulée. L'inconnu disparut à l'intérieur, et quelques secondes, plus tard, un autre homme parut, marchant vite sans pour autant courir, jusqu'à la grille. Il portait la livrée d'un majordome ou d'un valet de grade élevé, et parvint à esquisser mille courbettes tout en déverrouillant le cadenas et ouvrant grands les portes pour que les chevaux puissent passer.
" Mes Seigneurs, c'est un honneur, un immense honneur, d'accueillir la Phalange en nos murs... Seigneurs... J'ai fait prévenir le maître... Il sera là dans un instant... Je vous en prie... C'est un indicible honneur..."
Il les précéda jusqu'au porche de la maison en continuant ses contorsions, dont il devait avoir une grande habitude. Quand ils y parvinrent, Taliesin devina qu'ils étaient épiés derrière les rideaux, par cent regards curieux et terrorisés. Le majordome le précéda jusqu'à l'entrée, toujours en enchaînant les signes de déférence.
" Le maître sera là dans une seconde, dit-il. Cependant, oserais-je... m'enquérir de l'enfant que vous venez chercher ? Je crains que sa Seigneurie ne soit pas.. versée dans l'origine de chacun de ses esclaves."

[Taliesin]

Depuis que le tintement de la cloche avait retenti, jouer la comédie s'était avéré bien moins difficile : la nécessité a prfsois du bon... Taliesin avait donc gratifié le serviteur du salut habituel puis s'était avancé à sa suite, guindé dans sa rigidité martiale. Et, lorsqu'il lui répondit, ce fut d'un ton des plus militaires mais sans hostilité.
[color=#FFFFF66]-Lors de son arrivée à Melandis, il portait le nom d'Hippolyte. C'est un garçon brun qui doit avoir aujourd'hui une huitaine d'années.[/color]
Simple, direct, pragmatique, et prenant en compte le fait que certains maîtres n'utilisaient même pas de nom pour leurs esclaves, leur attribuant simplement des numéros.

[Galathée]

" Le petit palefrenier, je vois." dit le majordome avec obséquiosité.
Une silhouette imposante arrivait dans le couloir et le Seigneur de Sombregloire fit son apparition. Il était aussi ténébreux que le laissait sous-entendre son patronyme, une jeune quarantaine, et portait une robe de chambre cramoisie sur les épaules. Malgré l'heure très matinale et l'endroit dont on l'avait probablement tiré, il avait l'air parfaitement réveillé. Ses yeux noirs rencontrèrent ceux du recruteur, et Taliesin comprit que sa crainte était très superficielle, davantage une affaire de convention, probablement.
" Bienvenue en nos murs, messire, dit-il d'un timbre bien posé, affable. J'ignorais que nous avions des Luméniens dans nos esclaves. C'est donc avec honneur et plaisir que je vous remets celui que vous êtes venu chercher."
Il se tourna vers son serviteur.
" Fais venir l'enfant, Wilbur.
— Bien sûr, maître."
Le Seigneur de Sombregloire revint à son invité tandis que le majordome détalait.
" Les rumeurs de guerre enflent. Il est bon de savoir que la Phalange s'y prépare."

[Taliesin]

Face au noble mélandien, son attitude s'était très légèrement modifiée. En effet, Perceval lui avait dit que les recruteurs se montraient courtois du moment qu'ils obtenaient ce qu'ils voulaient. Or, les règles de la courtoisie différaient évidemment selon la personne à qui on faisait face. C'est pour cela qu'il s'était fendu d'un salut légèrement plus marqué, et que la manière dont il se comporta - et dont il lui répondit - se teinta d'une once de respect.
Bref, les bonnes manières telles que les envisageait un soldat, un clerc de Tempus.
-La guerre n'est jamais bien loin. La Phalange se prépare donc en permanence.
Réponse attendue, convenue.

[Galathée]

" Bien sûr." dit le noble avec un bref sourire.
Il resta silencieux un moment, un peu mal à l'aise, lorgnant le couloir par où avait disparu le majordome.
" Je ne sais pas où il est allé le chercher... Loin sans doute... Je dois dire que je me soucie peu des esclaves. J'ai du personnel pour s'en charger."
Des pas retentirent bientôt et le serviteur parut, un petit garçon trébuchant devant lui. Il était brun, un peu efflanqué, absolument terrorisé.
" Et voilà. Avec les compliments des Sombregloire. Que la gloire de Tempus profite à Mélandis."

[Taliesin]

Roide acquiescement.
-N'a-t-il pas été traité avec trop de mansuétude ?
La phrase rituelle. Mais modifiée, et prononcée sur un ton légèrement différent par rapport à la fois précédente. Comme s'il ne s'agissait pas tout à fait d'une question, comme s'il n'imaginait pas qu'un homme comme le seigneur Sombregloire puisse ménager une créature aussi indigne et insignifiante qu'un petit Luménien.
La encore, un effort de courtoisie, façon Phalange.

[Galathée]

" Ne craignez rien, messire. Les esclaves des Sombregloire savent quelle est leur place et ce qu'ils valent. Pas vrai, gamin ?"
L'enfant n'osa pas lever les yeux, demeurant tremblant devant son maître, les mains crispées dans le giron. Le noble haussa les épaules.
" J'espère qu'on ne lui a pas coupé la langue. On ne fait plus ça très souvent, mais là encore, ce n'est pas moi qui m'occupe des châtiments."
Il se tourna vers le majordome.
" Il est entier, maître... messire."
Sombregloire sourit et poussa le gosse vers le recruteur. Le petit garçon semblait n'avoir aucune idée de ce qui allait advenir de lui, mais deviner que ce ne serait pas positif...

[Taliesin]

Malheureusement, ils devraient encore attendre avant de pouvoir le réconforter. Pour l'heure, la comédie devait aller à son terme.
Le barde saisit donc le gamin par l'épaule et l'amena à Sedanius pour qu'il procède à la suite du rituel.
Puis viendrait le temps de remettre la pièce de cuivre, celui de se hisser en selle, de rebrousser chemin en prononçant l'autre phrase rituelle...
Et d'ici là, se montrer attentif, pour pallier rapidement à toute tentative d'évasion ou de rébellion.

[Galathée]

Sedanius lia les poignets de l'enfant tremblant qui jetait des regards effarouchés dans toutes les directions, sans trouver le moindre regard affable autour de lui. Il le revêtit ensuite du drap noir et il sembla que les jambes du gosse allaient se dérober sous lui, mais il tint bon. Le clerc de Tyr chargea ensuite Hippolyte sur le cheval de Taliesin, puis retourna en silence vers le sien, qu'il enfourcha.
Le barde put déposer la pièce de rigueur dans la paume tenue du Seigneur et le gratifier de la salutation rituelle, avant de grimper en selle. Il perçut immédiatement les tremblements du petit garçon, ainsi qu'une odeur d'urine fraîche, laquelle mouilla aussitôt ses propres chausses. C'était heureusement impossible à percevoir dans la grisaille de l'aube. Sombregloire leur adressa un dernier salut depuis son porche, puis rentra à l'intérieur de sa demeure avant même qu'ils ne soient partis. Le dénommé Wilbur les accompagna jusqu'à la sortie et verrouilla les grilles noires derrière eux.

[Taliesin]

Tandis qu'ils se dirigeaient vers leur point de ralliement, Taliesin conserva d'abord un comportement conforme à celui qu'on attendait d'un recruteur de la Phalange. Mais il ne cessa de guetter un endroit tranquille où tenter de rassurer le gosse sans être surpris par des regards ou des oreilles indiscrètes. Quant il pensa l'avoir trouvé, il se pencha légèrement et, à mi voix, du ton le plus réconfortant qu'il put trouver avec son timbre altéré par magie, il souffla :
-Hippolyte, je sais que tu es terrifié et que tu vas avoir du mal à me croire mais... Tu es avec des amis. Des gens qui te veulent du bien. Je ne peux pas t'en dire davantage pour l'instant, et je te demande de rester silencieux, pour ne pas alerter les passants que nous croiserons. Cependant, que Lathandre me consume sur l'heure si je t'ai menti.
Il lui serra très brièvement l'épaule puis retrouva son allure martiale.

[Galathée]

Il fut difficile au barde de juger de l'effet de ses paroles sur le gosse, car il demeura figé, la respiration rapide, juste devant lui. De temps en temps, il frémissait. Les deux cavaliers parvinrent bientôt dans l'ombre du Monastère, à l'endroit où ils avaient entamé leur périple. Lena était invisible, mais Taliesin sentit bientôt une main se poser sur sa jambe.
" Je vais incanter et nous ramener tous dans la bulle d'invisibilité, murmura-t-elle. Je dissiperai l'illusion au Comptoir, c'est plus prudent."
Le barde perçut le murmure de son sortilège, puis une brume argentée scintilla un instant autour d'eux. Quelques secondes plus tard, ils avaient tous les cinq disparu au regard des éventuels promeneurs. Il faisait encore très sombre, le quartier semblait déserté.
" Même si on nous a vus, personne ne se surprendra de voir brusquement des Phalangistes se volatiliser, dit la drow en attrapant le bras de l'elfe pour se hisser en croupe. Mais à présent, silence jusqu'au Comptoir."
Les chevaux s'ébranlèrent, sabots claquant un moment sur les pavés des beaux quartiers, avant d'être étouffés par la terre battue des rues moins riches aux alentours. Ils quittèrent les abords du Havre et finirent par regagner le Comptoir.

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard
Chapitre 9. Sauvetages (suite)

Quittant l'abri du Jardin de la Mélancolie, Kerun attendit que Taliesin l'ait rejoint pour reprendre sa route. Le mur était noir dans l'ombre et leurs costumes les y dissimulaient parfaitement. Un esclave pressé passa en courant, ses vêtements de toile détrempés, sans les voir. De temps en temps, du lierre frémissait contre leur épaule et des gouttes de pluie plus agressives leur mouillaient le visage, mais leurs vêtements les isolaient bien de l'humidité. Ils tournèrent au coin de la rue, continuant à suivre le mur, l'agent secret marchant une dizaine de mètres devant le barde, s'immobilisant parfois pour guetter les environs, avant de repartir. Un peu avant d'arriver à l'entrée monumentale du domaine des Louviers, une lourde arche de pierre flanquées de loup-garous grimaçants, Kerun traversa la route pour profiter du couvert d'une rangée d'arbres qui se trouvaient en face. Taliesin dut patienter quelques secondes car un équipage parut, chevaux écumants et carrosse rutilant, et remonta la route à pleine vitesse, sans se soucier d'éventuels promeneurs.

[Taliesin]

Tout allait bien se passer.
Pourquoi en irait-il autrement ? Le Luménien connaissait bien son affaire, il endossait le rôle d'éclaireur et, en même temps, lui montrait la marche à suivre. Bref, Taliesin lui-même n'avait qu'à calquer sa conduite sur la sienne, qu'à se couler dans son ombre. Pas de questions à se poser, pas d'initiative à prendre : juste imiter avec application tout en restant vigilant, pour déceler les dangers tels que ce carrosse...
Bien sûr, ils n'avaient pas encore atteint le domaine des Aigremont, avec ses gardes, ses glyphes... Mais là aussi, Kerun donnerait l'exemple. Il lui suffirait de l'imiter, toujours.
Oui, tout allait bien se passer, quoi qu'en disent son fichu pessimisme et son anxiété tangible qui, de concert, lui susurraient insidieusement à l'oreille des choses qu'il s'efforçait de ne pas écouter.
Traverser la route. Suivre l'agent secret.
Jusqu'à l'endroit où s'était dressée la demeure des Lentemort...

[Galathée]

Kerun retraversa la rue à bonne distance de l'entrée et tourna encore une fois à gauche. La lumière vive d'un des rares lampadaires du secteur trouait les ténèbres et il s'immobilisa pour faire signe à Taliesin qu'ils allaient traverser encore une fois. De l'autre côté de la route pavée, se trouvait une grande étendue de noirceur, l'endroit où s'était autrefois tenu le manoir de la RocheDrue, le domaine de la famille de la famille Lentemort. La grande demeure avait brûlé quelques temps auparavant, et on percevait encore, discrète, l'odeur de l'incendie, peut-être ravivée par la pluie. Une grande haie de sapins se dressait juste de l'autre côté d'un mur haut d'une bonne toise. Kerun traversa la route loin de la lumière, se coula contre le mur, l'escalada et disparut de l'autre côté.
En arrivant au même point, Taliesin constata que le mur était en piètre état, lézardé, couvert de mousse et de lierre et il put y grimper sans la moindre difficulté. Il en atteignit le sommet, le franchit et se laissa retomber à l'intérieur du domaine.

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard.
Chapitre 12. Les pots cassés

Quittant le quartier commerçant, le fiacre était presque à bon port. Les sabots du cheval résonnaient désormais sur les pavés bien alignés et ils finirent par ralentir aux abords d'une grande demeure de pierre blanche, située au bout d'une allée de graviers noirs. Les grilles du domaine étaient ouvertes, flanquées de gardes en livrée, et des flambeaux menaient au double-escalier du porche. Le fiacre s'immobilisa une seconde et une petite trappe s'ouvrit dans le toit, révélant la mine du cocher.
" Si vous avez une invitation, c'est le moment de me la donner. Sinon, faudra marcher, ils vont pas me laisser passer."

[Taliesin]

Le barde acquiesça, fouilla à nouveau dans ses poches.
-Tenez, dit-il en lui tendant l'invitation.
Ils y étaient... Respirer lentement et se concentrer pour véritablement entrer dans son personnage, pour se préparer à rester de marbre quoiqu'il advienne.
-Il va falloir être particulièrement attentifs aux réactions des autres, car elles nous informeront sur ceux que nous sommes censés être, souffla-t-il à Maude quand la trappe se fut refermée. Nous découvrirons vite si les Terran de Sourdebouche sont de joyeux convives dont on aime la compagnie, des parents dont on adore se moquer pour leurs maladresses ou juste des cousins qu'il faut bien inviter de temps à autres parce qu'ils sont de la famille...
L'idéal serait vraiment qu'ils doivent jouer des gens mal à l'aise en société, dont on n'attendrait pas qu'ils se mêlent réellement aux réjouissances ou qu'ils fassent conversation. De toute façon, hormis être en mesure de suivre Meloenn jusqu'à son antre, ils n'avaient pas la moindre information à glaner ici.

[Galathée]

Le fiacre s'ébranla à nouveau et franchit rapidement la distance qui menait au premier escalier. Il s'immobilisa ensuite et le cocher vint leur ouvrir. Il leur rendit au passage leur invitation. Puis, s'inclinant, il leur maugréa des salutations et repartit. Au pied des marches, ils furent pris en charge par un majordome en livrée, qui contrôla leur invitation — ils n'étaient manifestement pas des habitués — puis leur souhaita la bienvenue avec chaleur et les mena jusqu'aux portes ouvertes, tandis qu'un autre prenait sa place pour accueillir les suivants. Deux esclaves les délestèrent de leurs manteaux, puis ils furent accompagnés le long d'un couloir, où une dizaine d'enfants, esclaves eux aussi, attendaient en ligne parfaite. Ils portaient tous les couleurs des Sourdebouche, des lèvres blanches serrées sur fond rouge sang. Le majordome s'arrêta devant le dernier et le désigna au couple nouvellement arrivé. C'était une petite fille d'environ dix ans, cheveux châtains tressés, qui leur fit une révérence polie, gardant les yeux baissés.
" Voici votre esclave personnelle, un cadeau de bienvenue de Dame de Sourdebouche. Elle remplira vos coupes, vous servira les amuse-gueules et vous guidera dans les festivités. Si vous désirez ne pas la conserver au terme de la soirée, vous pouvez bien sûr la laisser, mais je suis certain qu'elle vous ravira, à tous les égards.
— Est-ce qu'elle a un nom ? demanda Maude, d'un ton un peu méprisant, qu'elle semblait n'avoir aucune difficulté à adopter.
— Si elle en a eu un, ça n'a pas grande importance, Dame." dit le majordome en s'inclinant.

[Taliesin]

Diantre, qu'est-ce qui avait pris à la maîtresse des lieux ? Devoir exploiter une malheureuse gamine en plus de s'infliger tout le reste, ça commençait mal...
Essayer de voir le bon côté des choses : sans doute l’emmèneraient-ils avec eux, sans doute pourraient-ils lui offrir un avenir meilleur, quel qu'il soit. Cela ferait donc un esclave de sauvé... Deux, si Gregor en recevait un également.
Et ne pas oublier que les Terran de Sourdebouche devaient être ravis des largesse de leur cousine. Un serviteur gratuit, à revendre ou à conserver pour leur maisonnée, c'était une aubaine, non ?
Il sourit donc, échangea un regard joyeux avec son "épouse" et attendit la suite.

[Galathée]

La gamine sur les talons, ils furent emmenés jusqu'au grand hall qui servait de salle de réception. Le majordome les annonça, sans que grand monde y fasse attention. Il y avait déjà une bonne cinquantaine de personnes dans la pièce, en train de deviser ou de boire un premier verre. Une femme richement parée, âgée sans doute d'au moins soixante ans, fondit alors sur eux, deux femmes plus jeunes dans son sillage. Taliesin sut, avec certitude, qu'il s'agissait de la maîtresse des lieux, Dame de Sourdebouche.
" Philoris, mon garçon, quel plaisir !" s'exclama-t-elle.
Elle lui saisit les épaules de ses mains potelées et lui flanqua deux gros baisers collants sur les joues. Elle n'en était manifestement pas à sa première coupe et elle fit signe à un esclave qui s'empressa de venir présenter un plateau aux nouveaux venus.
" Je suis heureuse que tu aies pu faire le déplacement... avec Dame Marissa, bien sûr."
Ce qui, manifestement, était nettement moins vrai.

[Taliesin]

Dame Sourdebouche aimait donc le cousin désargenté de la campagne, mais guère la femme qu'il avait épousée. Exactement le genre de détails dont il avait besoin pour entrer dans son personnage et pour le jouer convenablement toute la soirée durant. De surcroit, savoir qu'on ne l'avait pas convié uniquement pour se payer sa tête, c'était plutôt réconfortant : endurer d'inlassables moqueries aurait rendu les choses bien plus difficiles..;
Quoi qu'il en soit, il rendit ses marques d'affection à la maîtresse des lieux, lui dédia un sourire chaleureux.
-Merci pour l'invitation, dit-il, d'un ton affable auquel se mêlait un soupçon de reconnaissance. Cela me fait tellement plaisir d'être ici !

[Galathée]

Elle lui prit aussitôt le bras et l'entraîna à l'écart, se retournant vers une des femmes qui l'accompagnaient.
" Gisèle, veux-tu mener Marissa dans le petit salon ? Je suis sûre qu'elle trouvera la compagnie de ces dames autrement plus intéressante que celle d'une vieille harpie comme moi..."
Et sans laisser le temps au jeune couple de protester, ils se retrouvèrent séparés de fait, Maude n'osant pas résister à ce qui ressemblait bien à une injonction. La petite esclave suivit la jeune femme tandis que la maîtresse des lieux emmenait Taliesin vers le buffet.
" Philoris, quand vas-tu te débarrasser de cette pimbêche ? Je sais qu'elle t'a séduit avec ses oeillades de biche, mais ça fait deux ans que vous êtes mariés, et elle n'a toujours rien produit ! Tu devrais la liquider. Si tu trouves que la répudiation va entacher ta réputation — et honnêtement, mon garçon, cette réputation n'est pas brillante et Marissa ne l'arrange en rien — je peux facilement te trouver quelqu'un qui maquillera ça en maladie ou accident. Tu dois te prendre en main ! Tu n'as que vingt-six ans !"

[Taliesin]

Ah, les belles pratiques de la noblesse mélandienne ! Ceci dit, tout bien réfléchi, ça se faisait aussi ailleurs...
Mais le moment était mal choisi pour des réflexions sociologiques. Comment devait-il réagir, se comporter ? En jeune homme respectueux qui ne souhaite nullement contrarier sa riche parente, malgré son embarras.
-Le fait qu'elle n'ait rien produit est effectivement ennuyeux... répondit-il, hésitant à dessein. Mais Marissa a des atouts : elle est économe, par exemple. Cependant, soyez assurée que je tiendrai compte de vos sages conseils.
Il avait opté pour le vouvoiement, qui lui paraissait de rigueur. S'il s'était trompé, il s'en rendrait vite compte et s'adapterait aussitôt. Le fait que sa "cousine" soit déjà alcoolisée éviterait qu'elle se formalise trop d'étrangetés dans son propre comportement.

[Galathée]

" Allons, pas besoin de te montrer aussi réticent. Tu ne serais pas venu jusqu'ici si tu n'avais pas l'intention de voir bouger les choses, et ce n'est pas la première fois que nous en parlons, s'offusqua-t-elle d'un air entendu. Je sais qu'elle a de l'argent, mais tu n'es pas obligé de continuer à t'occuper des carottes et des choux-fleurs. J'ai réfléchi, avec Nelson, et nous pensons que tu pourrais encore intégrer l'armée. Tu as toujours été une fine lame et même si tu n'es pas le plus autoritaire des hommes, c'est quelque chose qui s'apprend aisément avec le bon professeur. Le baron de Blanchemartre est ici. Je voudrais te le présenter. Il y a des rumeurs de guerre, tu dois le savoir. Ce serait une bonne opportunité pour toi. Il se cherche un aide, en prévision de la campagne à venir. Avec ton sérieux et ma recommandation, les choses pourraient s'engager aisément... et je m'occuperais de Marissa pendant ton absence."

[Taliesin]

Mazette, elle n'y allait vraiment pas par quatre chemins ! Mais puisqu'ils étaient censés avoir déjà abordé le sujet, puisque Philoris n'avait aucune envie de froisser sa parente et, dans le fond, aspirait peut-être à un changement de vie...
-Je dois bien avouer que les légumes, j'en ai mon content... répondit-il. Comme je commence à être lassé de la tendance de Marissa a vouloir tout régenter, même si cela m'apprend, mine de rien, à me montrer un peu plus ferme...
Il sourit.
-Bref, un peu d'action me ferait donc du bien. Sans compter que si c'est une maladie qui l'emporte... je garderai son argent.

[Galathée]

Dame de Sourdebouche sourit, ravie, et lui tapota familièrement la poitrine.
" Ah, je te retrouve enfin ! Malgré tes dénégations, je ne m'ôterai jamais de l'esprit l'idée qu'elle t'a ferré par des moyens magiques... Bref. J'imagine que tu as l'intention d'aller t'amuser avec les jeunes, je ne te le reprocherai pas, mais je vais d'abord te présenter au baron, alors, tant que tu as l'esprit encore clair. Je n'y connais pas grand chose en matières militaires, ce ne sont pas des affaires qui conviennent à une femme, mais c'est quelqu'un d'important, notre baron... et puis il est d'excellente compagnie. Un vrai gentilhome."
Elle le remorqua vers la pièce voisine où flottait la fumée bleue d'une vingtaine de cigares et pipes. Peu de femmes, beaucoup d'hommes de tous âges, bavardant une coupe à la main. Parmi eux, Taliesin repéra rapidement le baron en question. C'était un homme en uniforme, mince et sec, âgé d'une cinquantaine d'année, le cheveu aussi blanc que son patronyme le laissait supposer. Interpelé par la maîtresse de maison, il la regarda s'approcher l'expression très légèrement perplexe.
" Baron, voici le jeune homme dont je vous ai parlé. Philoris de Terran de Sourdebouche. Je n'étais pas certaine qu'il viendrait, mais puisqu'il est présent... Qu'en pensez-vous ?"
Le militaire observa son interlocuteur avec le sourcil haussé.
" Il m'est difficile de juger d'un homme sur sa seule mise un soir de bal."

[Taliesin]

Quelle attitude adopter ?
Celle d'un individu qui veut ne pas décevoir sa bienfaitrice et servir ses propres intérêts.
Plaire, donc, mais sans trop en faire.
Il modifia donc subtilement sa posture, se tenant plus droit, essayant de paraître énergique, non relâché. Tel quelqu'un à qui la gestion d'un domaine agricole n'a pas effacé toute trace de son entraînement passé et qui, peut-être, prend encore soin, parfois, de se maintenir en forme.
Il se fendit du salut que l'étiquette prescrivait lorsqu'on était en face non seulement d'un noble, mais également d'un officier. Tel quelqu'un qui, malgré son éloignement de la capitale, n'a rien perdu des bonnes manières ni, peut-être, du semblant de formation militaire qu'il a jadis reçu.
En revanche, hormis les paroles d'usage, il n'ajouta rien. Pas de compliment malvenu, pas de demande inopportune. Se montrer trop pressant ou trop disert serait le meilleur moyen pour faire mauvaise impression.

[Galathée]

L'expression du baron demeura songeuse, peut-être un peu amusée. Il finit par sourire, comme s'il était arrivé à une conclusion le concernant.
" Dites-moi, mon jeune ami. Votre parente m'a parlé de votre situation personnelle un peu... problématique en ce moment et de vos ambitions. L'armée mélandienne est toujours à la recherche de nouveaux officiers de valeur, loyaux, courageux, déterminés. Je suis en ville pour quelques jours et, demain, je dois effectuer un recrutement à la caserne. Que diriez-vous de m'accompagner ? Je sais que vous avez l'habitude des paysans mais... la valeur d'un soldat n'est pas éloignée de celle d'un bon esclave. Je serais curieux de constater par moi-même ce que votre regard vaut.
— Enfin, baron, c'est un peu... comment dire... subit !
— Un militaire doit pouvoir saisir ses opportunités... Qu'en dites-vous, Terran ?"