[Lieu] Temple de Moandre

[Taliesin]

-Je me suis présenté comme étant un chasseur de mystères très expérimenté, et je n'ai manifesté de crainte à aucun moment. Peut-être ont-ils pensé que je serais capable de les vaincre tous à moi tout seul ?
Il sourit.
-Plus sérieusement, ce qui m'étonne, c'est qu'ils étaient prêts à dépenser une forte somme pour l'acquérir. Et puis, tu as vu comme ils étaient soucieux que nous ne lui fassions pas prendre de risque ? Étrange que cela. Très étrange, même. Mais il se peut qu'ils aient grand besoin de cobayes, ou de novice, ou... Ou qu'il s'agisse de gens bienveillants œuvrant sous une couverture sordide !
Évidemment, il plaisantait à nouveau.

[Galathée]

" Et qui s'imposeraient volontairement de vivre dans pareille puanteur ? Allons ! fit Kerun en riant. A mon avis, ils n'ont pratiquement pas de fidèles, logique, vu l'état de leur divinité, et donc aucune rentrée financière. Si tu les paies pour sauver l'enfant et qu'il meurt une heure plus tard, ils se doutent que tu vas venir frapper à leur porte pour leur demander des comptes... Non. Je pense que dans le paysage religieux mélandien, ils ont intérêt à faire profil bas. Tu as dû leur filer une sacrée frousse en débarquant via leurs caves. Ce n'était sans doute jamais arrivé. Ils y dissimulent peut-être quelque chose... un avorton de leur dieu en pleine croissance ou que sais-je..."

[Taliesin]

-Je pense que tu as raison, d'autant qu'ils tenaient vraiment beaucoup à savoir comment j'étais parvenu en leurs jardins. Reste juste cette question épineuse : pourquoi, s'ils manquent tant d'argent, m'en proposer beaucoup pour garder Baptiste ? Ça n'a guère de sens...
Il observa un moment l'enfant endormi.
-Mais ça n'a guère d'importance non plus, au fond, puisque nous n'allons pas le leur laisser.
Il sourit.
-Et ils auront fait le bien, à leur insu. C'est vraiment une chance qu'ils aient accepté de le soigner.

[Galathée]

" Là encore, je suppose que c'est une question de réputation, dit le Luménien, tranquille. Si le gosse était mort, les chances que tu répercutes l'événement auraient été élevées... Je te parie qu'ils te demanderont de ne pas parler de cet incident au dehors."
Il haussa les épaules.
" Je pourrais te relater nos propres déboires pendant que nous attendons, si tu t'en sens l'énergie... Mais peut-être n'est-ce pas le bon moment ?"

[Taliesin]

Taliesin hésita. Il était encore très anxieux et tenait à rester sur ses gardes. D'un autre côté, l'attente promettait d'être longue, et Kerun l'avait déjà informé du pire.
-Si tu ne crains pas que les murs aient des oreilles, je t'écouterai volontiers, finit-il par répondre.
Ainsi le temps passerait-il plus vite et, une fois de retour au Comptoir des Transparences, ne risquerait-il pas de commettre d'impair. Toutefois, il resterait attentif au moindre son pouvant provenir de l'extérieur.

[Galathée]

" Disons que le désordre et l'improvisation nous ont coûté cher, dit Kerun avec une grimace. Après vous avoir quitté, je suis allé achever le clerc de Lathandre. Il n'était pas en état d'être sauvé et il ne pouvait plus nous aider. Ensuite, j'ai libéré la licorne. Là aussi, elle n'avait aucune chance de s'en sortir, mais elle a pu se battre. J'ai ensuite... commis une erreur, ou pas, je ne le saurai sans doute jamais. J'ai relevé le niveau de risque, dirons-nous, pour tous. Leur invité spécial était un haut gradé de Cyric, qu'ils avaient attrapé dans une cité côtière, je pense... Avec la licorne, nous avons fait en sorte que son évasion apparaisse accidentelle. Mais il n'était pas content... pas content du tout... Et le carnage qu'il a provoqué a rendu tout le temple très volatil, les prêtres expérimentés sont descendus, et avec eux, leur force de frappe. J'ai filé à l'étage inférieur, Ybarra cherchait Arion qui était coincé dans sa partie de l'étage, malheureusement, à cause de ce débarquement. J'ai pu faire jonction avec Guéric plus bas, en empruntant l'escalier, nous nous sommes retrouvés dans les bibliothèques, les laboratoires, les appartements des novices... mais le Cyricien est descendu aussi, et avec lui, la tempête... L'étage était lourdement piégé, mais Guéric et moi-même étions sans doute les plus équipés pour y faire face. Ils ont acculé le Cyricien dans une des bibliothèques... avec une profusion de parchemins dont il avait l'air bien décidé à se servir. Si ça se trouve, ils y sont encore. Nous en avons profité pour descendre... Et là en bas... C'était le chaos. Des monstres partout, des golems qui piétinaient tout ce qui passait... Nous vous avons cherchés... Il y avait des traces de votre passage. Nous nous sommes séparés et puis... Il y avait un vampire en pleine frénésie meurtrière. Je n'avais jamais vu une telle chose, c'était..."
Il secoua la tête.
" Guéric te racontera sa version. C'est lui qui est tombé sur la bête le premier. Quand je suis arrivé, il gisait dans une mare de sang. J'ai attendu que le vampire se soit éloigné pour aller voir... Comme il était vivant, j'ai dû rapidement choisir. Honnêtement, vu l'état de l'étage et ce qui y traînait... J'ai préféré être certain de le sauver lui plutôt que de l'abandonner pour vous retrouver. Je n'avais pas vu vos corps, bien sûr, mais... nombreuses étaient les choses qui vous auraient intégralement dévorés. Les esclaves, les clercs de Baine, les prisonniers... Ces créatures étaient manifestement affamées. Bref, je l'ai pris sur mon épaule, et je me suis enfui par un des puits. Une fois à l'extérieur, déguerpir a été relativement aisé. Voilà mon histoire."

[Taliesin]

La mention du mort-vivant avait arraché au barde une grimace qu'il arborait encore quand Kerun termina son récit.
-Le vampire, c'est de ma faute, lâcha-t-il. Quand les Bainites se sont rendus compte que nous avions filé par l'une des fosses d'aisance, ils ont lâché trois monstres à nos trousses : un illithid, une succube et le fameux suceur de sang. C'est lui qui nous a trouvés en premier, et il m'a obligé à remonter pour aller trancher la main gauche du maître des bêtes, main gauche où était passé l'anneau le maintenant sous contrôle. Une fois libre, il est remonté à son tour, pour se venger... mais non sans nous avoir d'abord montré un moyen de quitter le Lac Purulent, comme il s'y était engagé. Une chance qu'il ait été du genre à tenir parole...
Il soupira.
-Là où j'ai été stupide, c'est de quitter l'étable où nous étions cachés depuis déjà un bon moment. Si je vous avais attendu ne serait-ce que deux ou trois heures de plus, nous nous serions retrouvés... et Guéric n'aurait pas dû endurer ça. Mais voilà : des Gardes de Baine avaient été envoyés à notre étage pour le fouiller de fond en comble. N'étant pas exactement un roublard, j'ai eu très peur qu'ils ne décèlent nos traces et ne nous mettent la main dessus...

[Galathée]

" Cette intervention était bourrée d'inconnues, Taliesin, nous aurions pu ne jamais arriver... murmura Kerun. Si je n'avais pas libéré le clerc de Cyric, Ybarra et Arion ne se seraient pas retrouvés coincés à bonne distance des escaliers, Ybarra ne se serait pas retrouvée acculée et ne se serait pas tuée. Nous aurons le temps de tirer les enseignements de cette opération mais... le plus important, c'est que rien de tout ça ne filtre auprès du gosse. Je ne veux pas qu'il se pense responsable de quoi que ce soit. Je suis persuadé qu'il a déjà assez à porter... et de toute façon..."
Il leva les yeux sur le barde.
" Toi et moi savons qu'examiner le passé ne nous permet pas souvent d'avancer."
Il soupira.
" Nous ramènerons le corps d'Ybarra sur le prochain bateau et je verrai ce qui peut être fait. En même temps, c'était une femme d'un âge respectable, déjà, et elle est morte dans l'exercice de son activité. Je ne sais pas. Tout ceci est trop frais, encore. Et la Réunion est déforcée. Nous avons besoin de quelques jours de pause."

[Taliesin]

Nouvelle grimace.
Car il restait des personnes à sauver.
Il restait Galathée, surtout.
Mais le Luménien avait raison : ils devaient reprendre leur souffle. Se lancer immédiatement dans de nouvelles opérations serait courir à la catastrophe.
[color=#FFFFF66]-Je suis d'accord avec toi[/color] murmura-t-il..Je pense effectivement qu'une pause nous fera du bien, qu'elle nous permettra de nous relancer. Et c'est vraiment heureux que nous ayons réussi à sauver le gosse. Cela mettra du baume au cœur à tout le onde. Alors que si nous n'y étions pas parvenus...
Il secoua la tête.
-Mais nous y sommes parvenus.

[Galathée]

" Oui."
Le Luménien sourit au barde.
" C'est juste... Je comprends ton impatience. Mais je sais aussi que tu comprends qu'à moins que nous ayons à nouveau une situation où l'intervention est nécessaire sous peine de mort ou de perte définitive de la cible... Nous devons compter sur les prisonniers pour tenir quelques jours de plus."
Il secoua la tête.
" En même temps, je me rends compte que je vous ai fait payer... pour mes objectifs personnels. Je n'ai pas embarqué sur la Liberté dans le but de libérer tous les esclaves que j'ai vu passer chez Kanter. Et pourtant... voilà que je m'en fais une mission, sans réellement le vouloir. Non. Désormais je me souviendrai que Polyanna et Galathée sont prioritaires. Les autres... viendront ensuite, quand elles seront toutes les deux en sécurité."

[Taliesin]

-Tu ne nous a forcés à rien : nous t'avons tous suivi volontairement, moi le premier. Et je ne le regrette pas. Çà m'a fait du bien de pouvoir sauver Léontine, Fulgence et maintenant Baptiste...
Il jeta un nouveau regard au gamin.
-Ils ont tous terriblement souffert. Lui particulièrement, du moins en ais-je l'impression. Ils ont souffert alors qu'ils n'avaient rien fait pour mériter ça... Leur destin a été effroyablement injuste, et les libérer, les ramener chez eux, leur offrir une chance de se remettre... Ça n'a pas de prix.
Il sourit.
-Je suis d'accord sur le fait que Polyanna et Galathée doivent être nos priorités. Cependant, il est peu probable que ces deux dossiers nous occupent tous en même temps et en permanence. Dès lors, je trouve logique que nous essayons également de secourir les autres, si l'occasion s'en présente.

[Galathée]

" Tous les enfants ont embarqué sur la Liberté, comme prévu. Les deux équipes qui sont allées aux bains ont rempli leurs objectifs."
Il regarda à nouveau Baptiste.
" Celui-ci va être le seul môme au Comptoir pendant un moment. Il faudra que nous soyons attentifs. En l'absence de Calliope, d'Ombeline, d'Aliosha... Je ne voudrais pas qu'il se retrouve sous la coupe de Meloenn ou d'Arion."
Il se frotta le visage.
" C'est finalement une chance que Guéric ait raté le bateau..."

[Taliesin]

Sauf s'il mourrait avant le prochain départ pour Luménis, évidemment, songea-t-il avant de repousser cette pensée avec force et de répondre par une boutade :
-Tu veux vraiment le confier à Guéric ? Mais il risque d'être accroc à la bouteille avant une veille !
Il redevint sérieux.
-Blague à part... On sera vigilants, oui. On le sera d'autant plus que Baptiste a besoin d'être soutenu. C'est un garçon plein de ressources, avec énormément de cran, même. Mais entre les Bainites, ses anciens maîtres et tout le reste, il est aussi extrêmement éprouvé.
Soupir.
-C'est dommage qu'Ombeline ne soit pas restée : elle aurait pu beaucoup l'aider. Mais c'est sûr que sa présence était indispensable sur la Liberté : les enfants qui s'y trouvent ont également besoin qu'on s'occupe d'eux.

[Galathée]

" En l'absence de Guéric, j'imagine que Constance a poussé pour avoir un maximum d'aide à bord. J'avais demandé à Sedanius d'insister pour qu'ils partent sans attendre... Je suis soulagé qu'ils l'aient fait. Calliope était encore opérationnelle, mais je ne pouvais pas renvoyer Elliot sans elle, et ça lui fera du bien de lever le pied un moment. Quant à Ombeline... Il y a cinq enfants à bord du bateau. Elle avait un certain feeling avec eux. J'espère juste qu'ils parviendront à contenir Gauthier. Guéric était un bon élément, à ce niveau. Il n'est pas naïf et il peut être dur quand c'est nécessaire. Mais tant pis. Mes agents ne sont pas nés de la dernière pluie et je pense que Deverell retrouvera rapidement son énergie et donc son autorité."
Baptiste bougea dans son sommeil, soupira, mais n'ouvrit pas les yeux.
" Et je ne comptais pas sur Guéric pour faire les nounous, non. Je parlais juste plus globalement... Nous avons un perdu deux mages, avec Aliosha qui a embarqué comme prévu, et la mort d'Ybarra. Nous sommes déforcés, c'est malheureusement une réalité."

[Taliesin]

-Je sais bien. Comme je l'ai dit, ma première réponse était une plaisanterie : j'ai besoin d'évacuer un peu la tension accumulée depuis deux jours. Mais j'en conviens, ce n'est pas le lieu idéal.
Il s'interrompit, l'oreille tendue, guettant l'éventuel retour d'un clerc.
-Pour en revenir à nos forces... Je suis bien conscient qu'elles sont sensiblement amoindries. Mais je pense que nous avons encore suffisamment de ressources pour mener à bien plusieurs opérations avant que n'arrive le prochain bateau... et donc des renforts.

[Galathée]

" Bien sûr, dit le Luménien avec le sourire. Personnellement, je me contenterais de ton aide."
Il se redressa.
" Mais Lena est un excellent élément, je ne peux pas le nier. Meloenn, Arion et Perceval, en revanche, sont plus fragiles, chacun dans leur genre. Mais nous nous débrouillerons. Il faudra sans doute laisser quelques jours, peut-être une veille, à Guéric pour qu'il se retape. Sedanius dit que la perte de sang ne peut être compensée que par le repos et une alimentation saine."
L'elfe s'immobilisa alors et Taliesin entendit, un fragment de seconde plus tard, le bruit de pas remontant le couloir. La porte s'ouvrit peu après sur une jeune femme qu'ils n'avaient pas encore rencontrée. Portant la même aube brune que ses confrères, elle les dévisagea avec un sourire contraint.
" Je suis la guérisseuse." annonça-t-elle, avant de se glisser entre eux pour atteindre le chevet de l'enfant.
Elle posa la main sur son front, lui souleva la paupière, glissa deux doigts dans son cou.
" Vous pouvez l'emmener, dit-elle finalement. Mais s'il n'a pas repris connaissance demain matin, vous feriez mieux de voir un clerc."
Son regard clair accrocha ensuite celui de Taliesin.
" Il ne doit rien manger avant d'avoir vomi. Tant qu'il n'a pas vomi, ne lui donnez rien d'autre que de l'eau sucrée. C'est très important."

[Taliesin]

Il hocha la tête.
-Merci pour vos conseils : nous les respecterons à la lettre. Merci également pour les soins que vous lui avez prodigué.
Puisqu'on leur permettait de partir séance tenante, ils n'allaient pas s'en priver. Et puisqu'il aurait été inconvenant qu'un homme de sa qualité porte un simple assistant, il fit signe à Kerun de s'en charger.
-Pouvons-nous vous donner l'argent, ou préférez-vous que nous le remettions au grand maître ?

[Galathée]

La jeune femme parut un peu déstabilisée par la question.
" Heu... Vous pouvez le remettre au grand maître. Il va vous raccompagner à la sortie."
Son regard s'attarda un moment sur l'enfant puis elle sourit à nouveau, avant de s'incliner et de partir. Kerun haussa les épaules et souleva doucement l'enfant.
" Bon, on va dire qu'au prix des soins, on peut embarquer la couverture. Ça ne va pas être très discret, mais on a vu plus étrange dans les rues de Mélandis..."
Il enrubanna précautionneusement Baptiste, puis le bascula contre son épaule.
" Ça fait son poids, un enfant humain." remarqua-t-il.

[Taliesin]

-Celui-là est particulièrement grand et particulièrement lourd pour son âge. Mais on pourra se relayer en cours de route.
Il jeta un regard en direction de la porte.
-Et si tu penses que c'est utile, j'ai des sorts d'invisibilité en réserve, ajouta-t-il en baissant le ton.
Le trajet jusqu'au Comptoir durait bien plus que dix petites minutes, mais en faire au moins une partie en toute discrétion, ce ne serait déjà pas si mal.

[Galathée]

" Je ne pense pas que ce sera nécessaire, dit cependant le Luménien. Nous irons vite, nous emprunterons les ruelles sombres où seuls nos yeux d'elfes percent la nuit."
Il attendit que le barde lui ouvre la porte. Le grand maître les attendait en bout de couloir, les pieds dans les épluchures. Il ne leur adressa pas la parole mais les précéda à nouveau dans l'escalier, puis au travers du marais intérieur, avant de gagner l'ultime couloir, et plus loin, la porte. Il reçut avec satisfaction la rétribution des mains de Finrod Felagund.
" Avant que vous ne partiez, dit-il finalement. Sachez que l'acrantera nigris donne souvent des hallucinations très vivantes, impossibles à distinguer du réel. Ne vous inquiétez donc pas des propos de l'enfant. C'est fréquent avec ce type d'empoisonnement et ça ne devrait pas se reproduire."

[Taliesin]

Il se demanda si la remarque concernait l'avenir ou le passé, si elle concernait des visions que le gosse aurait à son réveil... ou avait déjà eues. Se serait-il réveillé pendant qu'on s'occupait de lui ? Aurait-il vu des choses qu'il n'aurait pas dû voir ?
Bah, Kerun serait en mesure de confirmer ou d'infirmer cette histoire d'hallucination, et ils pourraient juger d'après ce que leur dirait Baptiste : inutile de s'en préoccuper maintenant.
-Merci pour cette mise en garde, dit-il, affable. Pour cela... et pour tout le reste.
Il sourit, s'inclina puis recula d'un pas, prêt à prendre définitivement congé.
Définitivement... sauf si ce demi-elfe et ses comparses lui avaient joué un mauvais tour dont il ne se rendrait compte qu'après coup.

[Galathée]

Mais le demi-elfe lui ouvrit la porte et la referma aussitôt sur leurs talons. Kerun prit le temps d'observer les environs avant de donner le signal du départ et ils cheminèrent rapidement. La nuit était bien avancée et le quartier était à la fois sinistre et bruyant. Chant d'ivrogne à gauche, sanglots à droite, fracas d'une rixe au fond d'une ruelle, invectives, harangues, invitations, aboiements d'un chien, hurlements d'un fou, cris, pleurs, et toute cette puanteur à peine plus supportable que celle qu'ils avaient quitté dans le Temple de Moandre.
Ils filèrent comme des ombres, évitant les rassemblements et la lumière, guettant l'ombre d'un agresseur embusqué, l'attention malvenue des prostituées, la main tendue d'un mendiant difforme.
Et ils arrivèrent, sains et saufs, sans avoir rencontré le moindre obstacle, aux abords du Comptoir, dans lequel ils se glissèrent aussitôt.

[Taliesin]

Il avait continué à suivre l'inconnue à travers les rues mal famées,, plus précautionneux que jamais.
Il n'était pas expert en l'art de la filature, mais il faisait de son mieux. Il n'avait pas le choix.
Il avait vite compris qu'il ne pouvait s'agir d'une simple cliente : tout dans son attitude le démentait. Sa destination, aussi.
Alors, était-ce Lena ? Était-ce Meloenn ? Mais pourquoi l'une ou l'autre serait-elle revenue au Comptoir ?
Peut-être que les membres de la Réunion avaient soupçonné quelque chose, que quelques-uns avaient fui avant qu'il ne soit trop tard.
Il en aurait le cœur net, bientôt...
Puis il comprit.
Pensa comprendre.
Le temple de Moandre. Ses clercs toujours dotés de pouvoirs... et qui s'étaient montrés étrangement bienveillants à l'égard de Baptiste.
Etait-ce Kerun qui avait pris l'initiative de mener les autres ici ?
Pour les protéger ?
Ce n'était pas impossible. N'avait-il pas envisagé que l'agent secret n'en ait qu'après lui ?
Quoi qu'il en soit, il ne perdit pas de temps à tergiverser.
Il s'immobilisa pour incanter, se rendant invisible.
Puis il poussa la porte.

[Galathée]

La femme qu'il avait suivie était en train de retirer son manteau trempé et de le secouer. Il la reconnut dans son aube brune : c'était la prêtresse blonde qui s'était montrée relativement désagréable durant tout son passage entre ces murs. Elle jeta un oeil courroucé à la porte qui venait de se rouvrir, revint la claquer et mit le verrou. Elle avait l'air de méchante humeur. Elle retourna vers le Temple en bougonnant et gagna la salle du marais putrescent. Avant de s'engager sur les pierres, elle s'immobilisa.
" Aaron !" lança-t-elle.
Une porte latérale s'ouvrit sur un Moandrin que Taliesin n'avait pas encore vu, grand et mince, cheveux noirs, et extrêmement séduisant pour un homme qui louait la pourriture.
" Alors ?
— Y'a plus rien.
— Merde. Tu as fermé ?
— Oui.
— Bon, j'arrive."
Il retourna à l'intérieur de la pièce tandis que la jeune femme s'engageait sur les pierres pour gagner l'étage inférieur.

[Taliesin]

L'elfe, lui, demeura là où il se trouvait.
Vu l'état de ses vêtements, il laisserait une piste humide derrière lui. Une piste que le dénommé Aaron ne manquerait pas de repérer.
Il allait donc patienter, suivre ce dernier...
C'était une opération risquée que de se faufiler ainsi, seul et sans arme, dans un endroit où il n'avait pas été invité...
Mais il était de plus en plus convaincu que ceux qui vivaient ici n'avaient rien de malveillant.
Des membres de la Réunion avaient dû trouver refuge ici.
Et la prêtresse était allée se renseigner pour eux.
Il en était certain.
Ce n'était pas pour autant, toutefois, qu'il allait faire montre d'imprudence. Il entendait tenir la promesse faite à Galathée.

[Galathée]

Aaron reparut quelques minutes plus tard et fila vers le passage. Il traversa le marais putrescent en se bouchant ostensiblement les narines, puis dévala l'escalier avec célérité. Une fois en bas, la première chose qu'il fit fut de retirer son aube brune, qu'il suspendit à côté d'une série d'autres aubes identiques. Sous sa robe de clerc, il portait des vêtements d'un rouge presque aveuglant. Il prit le temps de se renifler avec une grimace avant de remonter le couloir. Celui-ci, le même que Taliesin avait emprunté autrefois, était d'une propreté irréprochable. Il n'y avait aucune trace des poubelles renversées, puantes, qui l'encombraient auparavant. Le dénommé Aaron ouvrit une des premières portes sur sa droite. Malheureusement, il la referma aussitôt derrière lui.

[Taliesin]

Pas une once de Moandrins chez eux. Une certitude absolue, à présent.
Mais qu'étaient-ils vraiment ? Il ne le savait pas. N'avait guère le loisir de s'interroger.
Il s'avança donc, à pas de loup, scrutant les alentours au cas où quelqu'un d'autre arriverait.
Puis il colla l'oreille au battant.
Si quelque chose tournait mal, il fuirait. Il connaissait le chemin, en aurait les moyens...
Par conséquent, son action était risquée, certes, mais non suicidaire.

[Galathée]

Il n'entendit absolument rien, sinon le bruit d'une porte qui se refermait de l'autre côté. Il se souvint de la pièce où il avait été consigné en attendant des nouvelles de Baptiste, quelques jours plus tôt : elle était dotée de deux portes, comme une sorte de cabine donnant sur deux couloirs parallèles. D'après ce qu'il avait entendu, il était probable que la salle qu'avait rejointe Aaron fonctionne sur le même principe. Une autre porte s'ouvrit plus loin dans le couloir et le grand maître du Temple surgit, suivi par la prêtresse brune qui s'était présentée comme guérisseuse. Il était vêtu d'un pourpoint bleu aux broderies blanches, représentant des formes astrales, étoiles, lune, soleil, comètes et autres tourbillons. Certains étaient des symboles plus abstraits ou renvoyant aux éléments. Elle portait une robe jaune ornée d'un cercle rose sur la poitrine que Taliesin avait déjà vu bien des fois : c'était le disque de Lathandre.
" Et le téléporter directement à Luménis ?
— C'est beaucoup trop loin pour moi."
Ils ouvrirent une porte dans le mur qu'observait Taliesin et disparurent à leur tour. Le barde sentait que son invisibilité ne tiendrait plus très longtemps : il pourrait gagner la surface... ou persévérer.

[Taliesin]

Il décida de persévérer.
D'accélérer les choses, même.
Car non seulement les occupants des lieux n'avaient rien de mauvais, mais, de surcroît, ils étaient bienveillants. Et ils voulaient renvoyer l'un de ses compagnons à Luménis sans en avoir les moyens.
Aussi prit-il une profonde inspiration, leva-t-il lui-même son invisibilité et alla toquer à la porte par laquelle les deux personnes avaient disparu.
L'instant suivant, il reculait les pas, levait déjà les mains pour montrer qu'il n'était pas armé.

[Galathée]

La porte s'ouvrit presque aussitôt sur les deux personnes qui venaient de disparaître à l'intérieur mais elles avaient l'air pour le moins interloquées et très peu disposées à se laisser surprendre. L'homme en bleu était en train d'incanter, et la jeune femme avait brandi une masse, prête à pulvériser l'importun. Son expression refléta cependant son ébahissement et elle baissa son arme. Le demi-elfe aux cheveux noirs interrompit son sortilège.
" Comment diable êtes-vous entré ? lâcha la jeune femme.
— Il est entré parce qu'il franchit allègrement tous nos glyphes, voilà pourquoi, dit l'autre avec une grimace. Mais vous êtes vivant. C'est sans doute le plus surprenant."