[Lieu-dit] Les rues commerçantes

[Taliesin]

Ne surtout pas penser au destin de la plupart de ces mômes.
Ne songer qu'à Baptiste, Gurvan et Hippolyte, même si les chances étaient minces que ce dernier se trouve ici, vu comme il était fluet.
Tenter de les repérer.
Et jouer la comédie, évidemment.
-Heu, non. Pour des travaux agricoles.
Il se fendit d'un sourire embarrassé : le contremaître provincial réalisait qu'il n'avait sans doute pas frappé à la bonne porte.
-Mais cela nécessite aussu du muscle. Beaucoup, même, se défendit-il. Et de la combativité également. Ceux qui n'en ont pas ne tiennent pas le coup bien longtemps...

[Galathée]

" Bon, dans ce cas, je vous conseille de jeter un oeil de ce côté-là. Ils sont basés mais moins agressifs. On les recrute généralement pour faire des gardes du corps, mais j'imagine que dans le tas, il doit y en avoir qui feront d'autres trucs..."
Il désigna la gauche de la pièce où étaient enchaînés une dizaine d'enfants, côte à côté, sur un tapis de paille.
" On a un nouveau qui est arrivé hier matin, costaud mais pour l'instant, complètement sonné... P't'être que le grand air le révélerait. Il a l'air d'avoir du potentiel, si vous cherchez un gosse pas agressif."
Il désigna le dernier de la rangée, recroquevillé sur lui-même contre le mur.
" J'sais que ça donne pas trop envie, comme ça."
Le marchand alla jusqu'au petit garçon et le poussa du manche de son fouet.
" Debout, gamin. Y'a des clients."
Ce dernier leva la tête et Taliesin vit qu'il s'agissait de Gurvan dont le visage sale et tiré était strié de larmes.

[Taliesin]

Il eut un coup au cœur, violent.
Puis se sentit traversé par un élan de gratitude. Envers Tymora ? Envers Lathandre ? Il n'aurait su dire.
Ils en avaient trouvé un. Ils allaient en sauver un.
Mais surtout ne rien montrer de ses émotions. Rester dans son rôle.
Et, par conséquent, se montrer dubitatif.
-Hum, à vu de nez, il a l'air solide, c'est sûr. Mais s'il n'a même pas la force de se mettre debout,, lâcha-t-il.

[Galathée]

" Bien sûr que si. Ils sont souvent comme ça, quand ils viennent d'arriver. Il leur faut un temps d'adaptation."
L'homme saisit le gosse par l'épaule et le mit debout. Gurvan portait une tunique déjà sale. La manière dont la captivité, même de courte durée, l'avait métamorphosé était difficile à croire : il avait l'air plus chétif et plus jeune que l'avant-veille, l'expression hantée. Il tint cependant sur ses jambes, les yeux baissés.
" Dans quelques jours, il sera résigné et obéissant. Mais s'il s'adapte ici, le transfert dans un autre lieu reproduira le processus. En le prenant quand il est encore sous le choc, vous pourrez aisément l'acclimater à vos conditions. On gagne une étape. Moins de bouleversements, c'est toujours mieux, avec les gosses. Sinon, faut apprendre, désapprendre, apprendre encore. Sont malléables, c'est pas ça. Mais c'est une perte de temps."
Il se tourna vers le voisin de chaîne de Gurvan, un enfant un peu plus âgé, le cheveu noir trop long, la mine revêche.
" Celui-ci, par exemple, je l'ai depuis une veille, il est déjà habitué aux routines de l'endroit. Il connait les consignes, les heures de nourrissage, mais... il a aussi déjà une idée assez fixe de ce qu'il veut. Et c'est pas bosser dans une ferme."

[Taliesin]

Il avait écouté en affichant une mine attentive... et en essayant d'ignorer le détachement avec lequel cet homme parlait du destin de ses victimes.
-C'est sûr que plus vite il est opérationnel, mieux c'est...
Il se tourna vers Gurvan.
-Reste à voir s'il est vraiment costaud. Parce que non seulement on a besoin qu'il se mette vite à la tâche, mais en plus qu'il soit rapidement efficace. Et pour ça, faut de bons bras. Donc si vous le permettez, je vais l'examiner.
Il n'avait aucune envie d'infliger ça au garçon, aucune envie de prolonger la comédie. Toutefois, il était impératif qu'il préserve les apparences.

[Galathée]

" Bien sûr. Vous êtes là pour ça."
Gurvan se prêta à l'inspection du barde sans broncher, comme s'il était complètement tourné à l'intérieur de lui-même. Taliesin le sentit néanmoins frissonner sous ses doigts, tandis qu'il lui touchait le bras, puis l'épaule.
" Il a de bons muscles. Son maître nous a dit qu'il bossait dans le bois. Ça me surprend pas. Il l'a vendu parce que son entreprise a fait faillite.
— C'est un mensonge !" explosa la voix du gosse.
L'homme fit un pas en avant et Gurvan se recroquevilla instantanément.
" Faudra sans doute le battre encore un peu, mais il rentrera vite dans le rang. Sinon, on vend le nécessaire pour qu'il cause pas trop. Mais j'imagine que vous avez tout le matériel qu'il faut à la ferme."

[Taliesin]

-Oui oui, on a ce qu'il faut.
Il examina les mains de Gurvan puis se redressa, sourit.
-Musclé, habitué au travail, comme le prouvent ses cals, et pas si abattu qu'il en a l'air, vu comme il s'est permis de vous répondre...
Il échangea un regard avec Iris, refit face au vendeur.
-Mais ça reste un pari, malgré tout : s'il ne reprenait pas vite du poil de la bête... Enfin, nous verrons. Combien en demandez-vous ?

[Galathée]

" Je vous le vends quinze pièces d'or. Il a beaucoup de potentiel. Je vous le reprends douze dans les deux jours s'il ne vous satisfait pas. Et on demande deux pièces d'or supplémentaires pour les papiers. Pour deux de plus, je vous le tatoue. Dix-neuf pour le tout. Ça me semble un bon prix pour un esclave qui va vous durer quarante ans si vous le traitez convenablement. Ça fait une pièce d'or les deux ans. C'est pas cher, en terme de rentabilité."
Il avait saisi le gosse par la nuque.
" On vend aussi toutes les entraves que vous voulez. La corde est offerte. Avec ce genre-ci, je vous conseille a minima de lui attacher les mains, mais bon, une fois que vous avez payé, c'est vous qui gérez. Je rembourse pas s'il se tire en courant."

[Taliesin]

Quinze pièces d'or... Le même prix que pour Fulgence. Et il s'était sciemment laissé arnaquer, alors. Pouvait-il se permettre, ici, de paraître aussi nigaud ? Après tout, des gosses comme Gurvan n'étaient pas si difficiles à trouver.
-La corde suffira : j'ai l'habitude. Quant au tatouage, nous nous en occuperons. Pour le reste... Je vous accorde qu'il a du potentiel. Mais, comme je l'ai dit, ça reste un pari. Alors...
Nouveau regard à Iris.
-Alors je vous en donne quinze pièces d'or, mais papiers inclus.
Le contremaître se faisait encore avoir. Cependant, il était provincial, peu à l'aise pour négocier...

[Galathée]

L'homme hésita un moment et Taliesin devina qu'effectivement, son allure de campagnard jouait en sa défaveur.
" Très bien. Quinze avec les papiers, mais je le reprends dix seulement, alors. Je vais vous faire ça et chercher la clé de sa chaîne."
Il lâcha le gosse et lui passa une main dans les cheveux.
" Vous venez ? Y m'faut un nom, tout ça...
— Je vais venir avec vous pour les formalités et le paiement." intervint alors Iris.
Elle pressa le bras du barde, puis suivit le marchand vers la première pièce de la boutique, le laissant un moment seul devant sa nouvelle acquisition.

[Taliesin]

Taliesin aurait aimé réconforter le gamin, lui dire qu'il n'avait plus rien à craindre, qu'il était à nouveau libre.
Il ne le pouvait pas, cependant. Pas ici, pas maintenant. Ç’aurait été prendre trop de risques.
Courage, Gurvan, tout ça ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir.
Outre ne pas parler, il fallait qu'il ne change rien à son attitude. Il resta donc à le contempler, bras croisés, comme s'il se demandait s'il avait fait une bonne affaire.
Et, intérieurement, il songeait à la suite. Aux précautions qu'il faudrait prendre pour qu'il n'essaie pas de s'enfuir. A la possibilité de l'amener dans un coin tranquille, loin des regards indiscrets, pour lui dire la vérité, pour obtenir de lui des informations...

[Galathée]

Le gosse reniflait, la tête basse, mais il demeurait campé sur ses jambes. Peut-être était-il finalement soulagé d'être acheté par un exploitant agricole alors que les trois-quarts de ses camarades de détention étaient promis à des vies de violence et sans doute un trépas prématuré. Le marchand revint quelques minutes plus tard, Iris dans son sillage. Il prit les mains du gamin et les lui lia dans le dos, sans que Gurvan ne se défende, puis se pencha pour lui détacher la cheville.
" Voilà, tout est en ordre. N'oubliez pas que vous avez deux jours pour changer d'avis. Je vous conseille de le marquer avant de quitter la ville parce qu'ils sont parfois chiants aux portes, depuis le scandale... Vous avez les papiers, mais quand vous pourrez ajouter une marque certifiée, ce sera mieux encore. Il y a des gens qui font ça pas cher dans une perpendiculaire un peu plus haut, avec les sceaux nécessaires... Enfin, vous pouvez graisser la patte des sentinelles, ça marche aussi, mais ça casque plus."
Il poussa le gosse jusqu'à ce que Taliesin mette la main sur son épaule. Ils partirent ensuite vers la rue.
" Méfiez-vous, messire. Dans la ville, un gosse qui court se perd beaucoup plus facilement que dans la campagne. Vous êtes pas bien gros... Il est manifestement costaud et agile. Enroulez la corde autour de votre poignet et gardez une main dans le creux d'l'aisselle, c'est mon conseil. Il a l'air tranquille, mais ils se mâtent jamais aussi vite, de mon expérience. Je vais vous donner un autre morceau de corde, des fois que vous décidiez que vous voulez réduire son allonge de marche, aussi."

[Taliesin]

Il remercia, appliqua les conseils à la lettre, remercia encore quand on lui remit le second rouleau de corde.
Puis , non sans soulagement, il quitta la boutique et tous les malheureux qui y étaient parqués.
Ce fut pour en retrouver d'autres, plus nombreux encore, dans l'Allée des Sueurs. Spectacle toujours aussi éprouvant. Mais ils en avaient sauvé un. Et peut-êtres les choses ns s'arrêteraient-elles pas en si bon chemin.
Sans relâcher sa prise sur Gurvan, le barde se pencha vers Iris pour lui souffler à l'oreille.
-Y a-t-il un coin tranquille, dans les parages ? Il faudrait le rassurer... et l'interroger. Enfin, sauf si tu penses que son changement d'attitude risque de trop attirer l'attention...

[Galathée]

" Sortons-le d'ici, répondit la jeune femme. Tymora nous a souri une fois, mais nous devons savoir ce qu'il se trame."
Elle l'entraîna vers une ruelle voisine, qu'ils remontèrent sans ralentir. Plusieurs rebouteux et herboristes y vendaient leurs services et préparations, on leur proposa même des substances plus illicites, dont on leur vanta l'effet sur la docilité. Gurvan demeurait calme et silencieux, stoïque en dépit de la situation. Taliesin entendit cependant qu'il murmurait à voix basse, rien que pour lui.
" Nous ne trouverons pas d'endroit vraiment désert... Il nous faudrait une excuse pour nous arrêter. Mais avec cette tenue, il ne passera jamais pour notre fils."

[Taliesin]

Taliesin n'aimait pas l'idée de s'éloigner, de perdre du temps alors que les deux autres enfants étaient peut-être tout proches, à la merci d'acheteurs éventuels...
-Connais-tu une boutique, dans le secteur, vendant des vêtements peu onéreux ? Après tout, vu le temps, nous pourrions vouloir le couvrir afin qu'il ne tombe pas malade... Sinon, tant pis, je lui parlerai en marchant. Que nous lui expliquions ce qui l'attend ne paraîtrait pas curieux au badauds. Et même s'il réagit de manière spectaculaire... Le vendeur l'a dit, les changements de situations les bouleversent.
La seule autre solution serait de se séparer. Mais ce serait probablement très risqué...

[Galathée]

" Il y a tout ce qu'on veut, dans ce coin, dit Iris. Mais je pense que c'est risqué de lui annoncer la vérité... Il risquerait de mal réagir... et nous ne voulons pas attirer les regards."
Chemin faisant, ils étaient arrivés dans un coin de l'esplanade que Taliesin reconnut brusquement. Un peu plus loin dans la rue, à seulement une dizaine de maisons, se trouvait la menuiserie où la Phalange des Ténèbres avait recruté l'enfant quelques jours plus tôt. Le barde sentit le gosse se tendre entre ses mains, comme il reconnaissait aussi les lieux, et subitement, il se mit à se débattre. Le marchand n'avait pas menti, Gurvan ne manquait pas de force et l'elfe le ressentit cruellement dans le poignet. L'enfant se mit également à hurler, attirant, par là, l'attention de toutes les personnes proches.

[Taliesin]

Il ne lui laissait pas le choix.
-Pas de ça avec moi, gamin, gronda-t-il.
Rassemblant toutes ses forces, il le poussa contre le mur le plus proche, et se positionna de sorte à ce qu'aucun des témoins ne puisse voir l'enfant. Puis, rapprochant son visage du sien, essayant de donner l'impression qu'il le menaçait d'une sévère correction s'il ne cessait pas immédiatement son cirque, il se mit à parler à voix basse.
-Gurvan, je t'en prie, calme toi. Gurvan, c'est Taliesin. On va essayer de sauver aussi Baptiste et Hippolythe. Mais s'il te plait, calme toi. Sinon, on va tous se faire attraper.
Et de chercher son regard, de croiser les doigts pour qu'il reconnaisse sa voix...

[Galathée]

Le visage de Gurvan se figea et il dévisagea l'humain sans comprendre. Puis brusquement, il éclata en sanglots, se recroquevillant sous la poigne de l'elfe. Iris leur servait un peu de bouclier humain, décochant des sourires embarrassés à la cantonade. Mais c'était une scène ordinaire dans Mélandis, et ils étaient encore loin de la menuiserie. Personne ne leur prêtait réellement attention.
" Je n'en peux plus." souffla le gosse entre deux reniflements.

[Taliesin]

Il ne changea rien à son attitude, malgré l'émotion qui s'était emparée de lui, et il poursuivit sur le même ton.
-Je me doute, Gurvan. Et je te jure que tu pourras bientôt te reposer, en lieu sûr. Mais... et je suis désolé de te demander ça... Mais il faut que tu fasses encore un petit effort. Est-ce que tu sais où sont Baptiste et Hippolite ? Sont-ils dans des d'autres boutiques ? Si tu n'en a pas la moindre idée, ça n'est pas grave : nous les chercherons. Mais si tu ne serait-ce que des indices... Ca nous aiderait énormément. Ça les aiderait énormément, aussi.

[Galathée]

" Baptiste... Baptiste, il a réussi à s'enfuir. Moi aussi, j'allais m'enfuir, mais... mais je savais pas nager, alors j'allais me noyer et... alors ils m'ont rattrapé..." geignit-il.
Iris s'était déportée près de Taliesin.
" Libère-lui les mains, souffla-t-elle. Il restera sage désormais, il se comportera mieux."
Gurvan lui jeta un coup d'oeil, inquiet, puis revint à Taliesin.
" Hippolyte... il s'est défendu comme un fou... alors l'elfe, il a dit qu'il allait le garder pour le lui faire payer. Hippolyte l'avait fait saigner au visage... Je crois qu'il avait pris un couteau, je ne sais pas, parce que Baptiste et moi, on était dehors quand c'est arrivé, alors on a rien vu... Mais il saignait quand il m'a sorti de l'eau. Je ne sais pas, après... Ils ne nous ont pas laissé parler, ni ensemble. Ils m'ont vendu presque tout de suite."

[Taliesin]

-Merci beaucoup, Gurvan, dit-il d'une voix très douce.
Il entreprit aussitôt de lui délier les mains, tout en réfléchissant à ce qu'il venait de dire.
-Iris, si tu es d'accord, on va le ramener en lieu sûr. Ensuite... L'une de tes collègue a parlé du sortilège de main spectrale. Si elle est d'accord pour m'accompagner... au port, par exemple, puis de le lancer... Il n'est pas impossible que Baptiste vienne jusqu'à nous.
C'était leur seul moyen de le retrouver.
Quant à Hippolyte... Malheureusement, il faudrait attendre le réveil de Kerun. Et prier pour qu'il ne soit pas trop tard.

[Galathée]

" Très bien. Dépêchons-nous."
Elle se pencha sur le gosse.
" Je sais que ce n'est pas drôle, mais il faut que tu continues à te comporter en esclave un moment. D'accord ? Ensuite on te donnera des vêtements, à manger, et tu seras tranquille."
Il acquiesça mais Taliesin vit dans ses yeux qu'il était encore moins convaincu que la première fois qu'il avait été sauvé. On lui avait déjà promis le sanctuaire parfait et il s'était révélé moins sûr que prévu...
Il suivit néanmoins docilement ses prétendus maitres, les mains serrées contre son ventre, les épaules basses et les yeux au sol, comme un gosse résigné. Autour d'eux, personne ne leur prêtait la moindre attention, et ils purent regagner les quartiers pauvres et, plus loin, le Temple de Moandre.

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard
Chapitre 12. Les pots cassés

Quittant les bas quartiers, Judicaël, Maude et Taliesin gagnèrent les artères mieux fréquentées du quartier commerçant. En ce début de soirée, elles étaient cependant dépeuplées, et ne restaient que des esclaves, affairés à nettoyer les devantures et ranger les étals. Ils n'avaient pas le temps de prêter attention au trio empressé et de toute façon, ces derniers ne dénotaient pas réellement dans le paysage mélandien nocturne.
Judicaël entraîna ses compagnons dans une ruelle étroite, entre un vendeur de bougies et un négociant en métaux. Il sortit ensuite les fioles de sa besace et les leur tendit.

[Taliesin]

Le barde prit soin de saisir celle sur laquelle figurait la silhouette masculine. Il allait devoir rester courtois toute une nuit durant alors qu'il serait en face de Meloenn et d'une assemblée d'êtres détestables du même acabit au milieu desquels se trouveraient peut-être quelques convives du fameux pique-nique au cours duquel il avait servi de cible pour du tir à l'arbalète. Dans de telles conditions, inutile de compliquer davantage les choses en se trompant de fiole, n'est-ce pas ?
-Santé, dit-il avec une légèreté forcée.
Puis il but.

[Galathée]

L'effet de la métamorphose — car l'elfe avait vu juste — fut globalement désagréable. La potion avait un goût âcre et elle lui piqua la gorge, avant d'embraser son oesophage et d'exploser dans son ventre. Il sentit aussitôt des frissons lui ébranler l'échine et un vertige le saisit, l'obligeant à prendre appui sur le mur voisin. Un haut le coeur lui tordit les entrailles, puis une douleur aiguë lui enserra les genoux. Il vit noir, puis rouge, puis trouble, avant d'être plongé dans des ténèbres étranges. Une vision humaine au coeur de la nuit. Toujours surprenant. En face de lui, Maude n'avait toujours pas bu sa potion, et elle l'observait, une expression légèrement horrifiée sur les traits. Judicaël posa une main sur son épaule et elle s'exécuta.
Taliesin ressentit une brusque envie d'uriner, puis de tousser, et enfin, sa carcasse parut accepter la transformation. Il avait grandi et forci, ses mains lui paraissaient avoir doublé de volume et, en passant les doigts sur son visage, il y trouva une barbe fine, taillée en bouc. Un nez légèrement busqué. Des cheveux courts.
Maude se rattrapa à son collègue pour survivre à la transformation. Elle gagna en poids, ses cheveux foncèrent, et toute trace d'elfitude s'estompa. Taliesin put constater que les vêtements étaient altérés pour convenir à l'occasion.
" Prodigieux." dit Judicaël avec une admiration non feinte.

[Taliesin]

Heureusement qu'il avait déjà expérimenté le phénomène. Sinon, il aurait cru s'être trompé sur l'effet des potions... et aurait été complètement décontenancé par la diminution drastique de ses capacités visuelles.
-Je crains qu'on ne puisse compter sur moi pour mener une filature, m'infiltrer quelque part ou croiser le fer cette nuit, soupira-t-il.-Sans invrasision, je suis trop perdu... Enfin, on s'habitue, au bout d'un moment. Et je suis certain que ce sera brillamment éclairé, chez les Sourdebouche.
Cela voulait dire cependant que s'il y avait assaut contre la base de Meloenn et d'Arion, il ne serait pas de la partie...

[Galathée]

" Comment les humains font-ils pour manoeuvrer dans ces conditions, murmura Maude, d'une voix changée. Je distingue à peine mes mains..."
Judicaël croisa les bras et rit doucement.
" Taliesin a raison, vous allez vous y faire. C'est comme quand on éteint brusquement la lumière. La grande majorité de la racaille qui erre dans les rues à la nuit est humaine, et cela ne l'empêche pas de trancher des gorges et de dérober des bourses.
— Facile à dire quand on y voit toujours clair.
— Tout est question de contraste, Marissa.
— Marissa. Il faut que je m'y fasse."
Elle s'approcha de Taliesin et lui prit le bras.
" Allons héler notre fiacre, très cher."

[Taliesin]

-Fort bien, ma mie. Mais prenons garde aux pavés déchaussés, aux bouches d'égout et autres obstacles dissimulés par l'obscurité. Il serait fort dommage que nous abimions nos tenues de soirée avant même d'arrivée sur le lieu des festivités...
Dire qu'il allait falloir paraître de bonne humeur, se montrer sympathique avec tous ces gens...
Bah, Tymora les avait plutôt à la bonne, ces derniers temps. Alors peut-être que Meloenn partirait tôt.
Peut-être, mais il n'y croyait qu'à moitié.
Et il ne pourrait même pas boire pour oublier...
Du nerf. Kerun, Perceval, Hippolyte : pense à eux, qui doivent souffrir bien plus que tu ne souffriras.
Il n'empêche : faire des courbettes à Meloenn, à tous ces Mélandiens... Rien que d'y penser, il en avait la nausée.

[Galathée]

Ils débouchèrent de la ruelle tandis que dans l'ombre, Judicaël incantait. Ils devinèrent ensuite qu'ils étaient suivis, sans pouvoir détecter Judicaël.
" Bon, l'Hostellerie est juste sur votre droite. Les fiacres se trouvent un peu plus haut. Il n'est pas dit que le premier vous prendra, ils ont parfois leurs humeurs..."
Le clerc ne mentait pas. Taliesin et Maude découvrirent bientôt une rangée d'une demi-douzaine de fiacres, en file sous une rangée d'arbres, à proximité de nombreuses devantures d'auberges de standing moyen. Le premier cocher, un homme de grande taille aux épaules carrées, auquel il manquait un oeil, les regarda approcher avec une grimace, mais ne leur adressa pas la parole. Son véhicule était vieux mais paraissait en bon état, tout comme son cheval, un animal gris au poil brillant.

[Taliesin]

Bon, entrer dans son personnage. Pas évident quand on disposait de si peu d'éléments mais il fallait qu'il y arrive malgré tout.
Il était un noble provincial.
Un noble provincial et désargenté. Pas misérable, toutefois.
Un noble provincial et désargenté qui devait se rendre à une soirée et qui n'avait pas particulièrement envie d'être en retard.
Un fiacre correct, un cocher qui n'avait pas l'air emballé à l'idée de les prendre à son bord... Mouais, ça se tente.
-Bonsoir, le héla-t-il. Nous souhaitons nous rendre au domaine des Sourdebouche.
Ce préparer à une rebuffade et à aller trouver le suivant.