[Lieu] Temple de Moandre

[Galathée]

Elle posa la main sur son bras, l'attira contre elle, nichant son front contre son épaule.
" Je ne peux pas te dicter ta conduite. Je voudrais... que tu ne sois plus hanté. Mais je ne voudrais pas te perdre..."
Elle leva les yeux sur lui, lui tourna le menton pour que leurs regards se croisent.
" Ne peut-on pas... tenter d'avoir des garanties ? Ne peux-tu pas... en parler avec Kerun ? Je sais qu'il est loyal à sa cité, je l'ai bien compris, mais... je sais aussi qu'il est terriblement mal à l'aise. Ce n'est pas très difficile de le voir. Les clercs qui sont ici peuvent apparemment communiquer assez aisément avec les Luméniens... Pourquoi ne pas tenter de savoir ce qui se dessine... Je ne sais pas."
Un sourire se dessina sur ses lèvres.
" Mais si tu es pour Féérune, je suis pour Féérune. Je te suivrai où tu iras. Nous récupérerons Victor et nous filerons. Avec Baptiste, si tu veux."
Une grimace revint sur ses traits.
" Mais il faudra trouver un moyen que cela ne cause pas de problèmes graves aux Merlus. Enfin... les Luméniens sont des Luméniens... Cela ne devrait pas se produire."

[Taliesin]

-Nous allons faire comme ça. Essayer d'obtenir des garanties de la part des autorités luméniennes... et fuir si nous échouons. J'aimerais... être jugé pour mes crimes. Je le dois à mes victimes. J'en ai besoin, aussi, pour... tourner la page. Mais je ne suis pas un paladin, et c'est à toi et à nos enfants que va ma loyauté.
Il resta serrée contre la rôdeuse un moment, essayant de puiser en elle courage et espoir.
-Je vais aller chercher Helen, finit-il par murmurer. Pendant qu'elle t'examine, je parlerai à Baptiste : j'aurais déjà dû le faire, ç'aurait été plus honnête, mais... Enfin bref. Ensuite, je reviendrai.

[Galathée]

" J'ai confiance, Taliesin, murmura-t-elle. Je sais... que c'est angoissant... et je pense que mon état ne m'aide pas à réfléchir sainement à la situation. J'ai peur, en fait. Mais je ne sais pas de quoi... De mon accouchement, d'être mère, d'être à Mélandis, marquée, dans un endroit que je ne connais pas, de ce procès... Je n'en sais rien. Trop de choses dans mon esprit, j'ai toujours été une fille simple... Je ne voulais que de l'amour et de l'eau fraiche... En même temps, je t'ai choisi toi et je ne le regrette pas. Je n'ai jamais pensé que ce qui m'arrivait était de ta faute. Jamais. Et ce que je ressens pour toi n'a jamais flanché..."
Elle secoua la tête.
" Essaie de penser à ce qui arrivera demain. Nous serons parents. Les Luméniens ne priveront jamais deux merveilleux enfants de leur merveilleux père."

[Taliesin]

Un père qui avait été un monstre.
Oui. Un monstre qui avait perpétré des crimes innommables. Mais la souffrance et le désespoir l'avaient rendu fou, alors.
-Luménis est une cité meurtrie... mais elle n'a pas perdu ses valeurs. Je crois... Non, je suis sûr que je serai jugé de manière équitable. Et puis, j'ai des amis, j'ai rendu quelques services...
Il s'arracha un sourire.
-Au regard de tout ce que nous avons traversé, de toutes les horreurs qui auraient pu se produire et qui ne se sont pas produites, de la manière dont les choses, au contraire, ont merveilleusement bien tourné... Je crois que nous pouvons avoir foi en l'avenir. Ce ne sera pas simple, il y aura des épreuves... Mais tout finira par s'arranger.
Il l'embrassa, se releva à contrecœur.
-Il faut que j'y aille tant que j'en ai le courage. Je dois parler à Baptiste. C'est encore plus crucial après les échanges que nous avons eu ce soir. Et s'il choisit de ne pas se détourner...
Il haussa les épaules.
-Je doute que cela arrive. Mais si ça arrive malgré tout, j'imagine que... hum... Cela voudra dire quelque chose.

[Galathée]

" Vas-y. Mais lui laisse-lui le temps d'absorber, dit-elle. Ne te fie pas à sa première réaction, d'accord. C'est un gosse éprouvé, tu l'as dit toi-même... Mais je sais que tu feras ce qu'il faut."
Elle le gratifia d'un baiser plein d'amour et de chaleur, puis le laissa aller. Il regagna le couloir, puis la salle à manger proche. La table avait été débarrassée de tout sauf des biscuits et de théières qui dégageaient de bonnes odeurs. Certains clercs avaient déjà disparu : c'était le cas de Maude, de Judicaël, d'Ismène et d'Aaron, bien qu'il soit probable qu'une partie d'entre eux se trouve en cuisine. Kerun s'était également retiré. Contre toute attendre, Guéric et Iris étaient toujours en grande conversation. Tim jouait de la harpe tout en racontant une histoire à Gurvan, Hippolyte et Perceval, installés à ses pieds. Nominoé, un peu plus loin, écoutait également, l'air à moitié endormi. Baptiste lorgnait le feu, le regard vide. Helen avait manifestement guetté le barde et elle lui décocha un petit hochement de tête complice avant de gagner le couloir et probablement la chambre de Galathée.

[Taliesin]

Essayant de se composer une mine détendue - il eut bien du mal -, Taliesin s'approcha du petit garçon.
-Baptiste ? s'enquit-il d'un ton plus incertain qu'il ne l'aurait souhaité. Est-ce que... Est-ce que tu serais d'accord pour venir avec moi ? Je dois te parler de certaines choses et... Je pense que ce serait mieux si je pouvais le faire dans un endroit... plus discret.
Il n'avait pas le courage d'évoquer le sujet en présence des autres, même s'ils n'en auraient rien entendu. Et il préférait que le gosse puisse réagir... loin des regards de leurs compagnons. Il lui devait bien ça.

[Galathée]

Baptiste le regarda avec une mine soupçonneuse, comme s'il anticipait — devinait — déjà que la conversation serait désagréable. Mais un sourire remplaça la grimace, il opina du chef et sauta sur ses pieds.
" On peut aller dans la chambre, si tu veux... Je crois pas que Gurvan et Hippolyte vont venir vite se coucher... Ou alors ailleurs... mais je ne sais pas bien où on a le droit d'aller et où on ne peut pas... puis y'a sûrement pas de lumière partout..."
Sans attendre la réponse du barde, il se glissa dans le couloir, le précédant, puis lui jeta un coup d'oeil pour vérifier qu'il le suivait.
" C'est un peu en désordre, je te préviens..."
La chambre des enfants n'était pas très loin, elle non plus, bien qu'elle soit située après le coin, dans la direction opposée à la pièce qu'occupaient désormais le barde et son aimée. Baptiste ouvrit la porte, révélant un monceau de matelas et de couvertures, arrangées selon un plan... très particulier. On avait manifestement tenté de monter une cabane, là-dedans. Taliesin nota qu'il y avait des livres empilés dans un coin, ainsi que quelques jouets de bois, ça et là, dans le foutoir. Il n'y avait pas de chaises, ni de fauteuils, juste un âtre encore rouge, et deux armoires.
" C'est notre nid. Je crois qu'avant, c'était une pièce de rangement... Je ne sais pas très bien. Mais on est super bien installés... malgré le désordre."

[Taliesin]

-Ne t'inquiète pas pour ça. Si tu voyais la chambre de Victor et de ses amis, à la ferme...
Sa gorge se noua.
Ne pas penser à ça. Ne penser à rien, en fait, hormis à ce qu'il devait dire...
-Baptiste... je te demande pardon d'avance, parce que je vais être assez... direct. Mais c'est difficile pour moi et... Je pense qu'il vaut mieux que je ne tourne pas trop autour du pot.
Il fixa son regard sur un jouet abandonné.
-Ce soir, je t'ai fait... des propositions. Elles étaient et restent sincères, elles ne sont nullement remises en cause. Cependant, pour que tu puisses décider si tu les acceptes ou non, en toute connaissance de cause... Je dois être honnête et te révéler des choses importantes sur mon passé et sur ma situation future.
Il déglutit péniblement.
-Durant la guerre civile, j'ai commis un crime horrible. Pas pour Nwalk : contre lui et ses alliés. Mais ça n'en reste pas moins un crime affreux. Les proches de mes victimes ont voulu se faire justice eux-mêmes : je te passe les détails, mais... C'est eux qui ont vendu Galathée aux esclavagistes, pour la punir de m'avoir aimé. Au moment de quitter Helonna, pour qu'ils ne puissent pas s'en prendre à Victor et à ceux qui veillent sur lui, j'ai demandé aux autorités luméniennes de les protéger. Et j'ai donc dû leur expliquer la situation, me dénoncer. Aujourd'hui, elles me recherchent pour me juger. Pour que je réponde de mon forfait... et de mon rôle dans l'arrivée de Nwalk à Luménis, aussi.
Il se racla la gorge, à nouveau, se garda bien de poser les yeux sur le petit garçon.
-Je veux être jugé. C'est nécessaire pour le repos de ceux que j'ai tués... pour moi, aussi. Toutefois, avant de rentrer, je vais essayer d'obtenir... des garanties. La certitude que je ne serai pas exécuté. Je ne peux pas infliger ça à Galathée, aux jumeaux, à Victor. J'imagine que j'obtiendrai cette certitude. J'ai bon espoir, aussi... que les choses s'arrangent. Parce que les Luméniens sont bienveillants, parce que j'ai jadis agi... sous le coup de la folie. Parce que je fais tout pour me racheter, depuis. Néanmoins... Mon avenir demeure très incertain.

[Galathée]

Baptiste, assis en tailleur sur l'un des matelas, acquiesça lentement. Son visage avait pâli et son expression était figée, il inspira puis expira lentement.
" Ça ne doit pas être facile... murmura-t-il, pour toi et pour Galathée... de ne pas savoir..."
Il demeura ensuite silencieux un moment, puis un sourire amer colonisa ses lèvres tandis qu'il baissait les yeux.
" Tu es comme ma maman, en fait. J'ai dû le sentir et c'est pour ça que je me suis senti en confiance."
Il soupira.
" Merci de me l'avoir dit."

[Taliesin]

Il l'observa un bref instant, se détourna à nouveau.
Il songea à partir sans rien ajouter. Ç’aurait sans doute été préférable. Mais il ne put s'y résoudre.
-C'est dur, oui. Mais... Nous ne nous sommes encore interdit aucune... possibilité.
Il recula d'un pas.
-Je comprendrais que sachant ce que tu sais maintenant, tu préfères m'éviter. Je le comprendrais très bien et... Je le respecterais. Mais dans le cas contraire... Enfin... Voilà. Sens-toi libre.
Il tourna les talons, gagna la porte.
-Désolé d'avoir assombri la soirée, murmura-t-il en l'ouvrant.
Il aurait été assurément plus courtois d'aller souhaiter la bonne nuit à ses compagnons. Néanmoins, il n'en avait pas le courage. Non, il retournerait plutôt auprès de Galathée, quitte à attendre quelques minutes qu'Helen ait fini de l'examiner.

[Galathée]

L'enfant ne dit rien, ne tenta pas de le retenir, et une fois la porte close, Taliesin n'entendit rien à l'intérieur. Il put donc remonter le couloir et gagner sa chambre, où Helen se trouvait toujours, mais dans laquelle elle l'invita à rester. Galathée lui décocha un sourire apaisant, sans doute consciente de son trouble, et lui fit signe de s'asseoir près d'elle. La Lathandrite se redressa.
" Vous allez avoir deux beaux bébés qui semblent en pleine forme. Ils ne sont pas trop mal positionnés, pour un duo, et ils ne devraient plus bouger. Il ne reste pas assez de place, là-dedans. Sans rentrer dans les détails techniques, Galathée, ton corps est prêt pour l'accouchement. Plus longtemps ils restent à l'intérieur, cependant, et meilleures seront leurs chances de passer du ventre à la vie sans heurts. Je vais donc être contrainte de te suggérer très fortement de rester alitée pendant les jours qui viennent... Si nous pouvons gagner une veille sur la naissance, ce serait formidable. Au-delà... Ce serait probablement trop demander.
— Alitée ? grimaça la rôdeuse. Les dieux sont durs...
— Ce ne sont pas les dieux, c'est la nature, dit la prêtresse avec une moue désolée. Mais si ça se trouve, ils naîtront cette nuit. Impossible de le savoir. Et quoi qu'il advienne, tout ira bien. Ma chambre est la deuxième porte à droite, en partant de la vôtre. Il ne faut pas hésiter à me faire chercher. Et si j'étais absente, mais ça n'arrivera pas, Ismène est juste à côté."

[Taliesin]

-C'est bien noté, dit-il en adressant à la prêtresse un sourire un peu forcé mais néanmoins emprunt de gratitude.
Il s'assit à côté de Galathée, prit sa main dans les siennes.
-Courage. Je sais que rester couchée te déprime d'avance, mais... Tu auras de la compagnie. Je resterai le plus possible et je ne doute pas de pouvoir amener de quoi m'occuper. Comme des travaux d'aiguille par exemple.
Oui, en fait, ne plus bouger de cette chambre un certain temps, ça lui disait assez. Au moins n'aurait-il pas besoin de faire semblant...

[Galathée]

Helen les salua puis sortit, refermant doucement la porte derrière elle. Galathée se tourna vers le barde et pinça les lèvres.
" Le futur t'arrache toute joie... Oh, Taliesin, je regrette d'avoir abordé ce sujet difficile... Je nous espère heureux et impatients, et je te vois tendu et désoeuvré... Mon amour... Cela s'est-il si mal passé ? C'était en tout cas rapide... donc inquiétant, je suppose. Mais tu n'aurais pas abandonné Baptiste s'il avait été dans son trente-sixième dessous..."

[Taliesin]

L'elfe fit non de la tête.
-Il n'y a pas eu d'éclats, ce qui n'est guère étonnant : Baptiste essaie de tout garder pour lui, toujours... Enfin, sauf ces derniers temps où il se confiait de plus en plus à moi...
Il eut un léger rictus.
-Ce soir, je l'avais encouragé à venir me trouver sans hésitation, et à me parler s'il en éprouvait le besoin. Par conséquent, je lui ai expliqué que pour qu'il puisse, en toute connaissance de cause, choisir de le faire ou non, , je devais lui révéler certaines choses me concernant et... je l'ai fait. J'ai conclu en disant que je comprendrais s'il préférait prendre ses distances, mais que s'il le souhaitait... Rien n'était changé. De son côté, il m'a remercié d'avoir été honnête. Et... hum... il a dit que j'étais comme sa mère. Sachant tout ce que lui a coûté le sens de l'honneur de celle-ci, je crois que l'affaire est entendue.
Il se souvint du sourire plein d'amertume de l'enfant et soupira.
-Je ne me fais pas de souci pour lui, en réalité. C'est un gosse très attachant et bourré de qualités : il finira par trouver une famille qui l'aimera autant qu'il le mérite. Et dans l'immédiat, il est entouré de clerc : peut-on espérer mieux pour être apaisé, soutenu ?
Il observa sa compagne et, bientôt, il reprit, d'un ton encourageant :
-Pour le reste, ne te fais pas de mouron. La journée a été riche en émotions et même si ça a été douloureux, il était impératif que je sois honnête avec Baptiste. A présent, nous allons passer une nuit paisible. Et demain, tout nous semblera plus lumineux, plus facile. Nous sommes réunis pour de bons, la naissance des jumeaux s'annonce sous de bons auspices, les Luméniens sont des gens profondément bienveillants... Oui, il y a de quoi être optimiste.

[Galathée]

Elle se nicha tout contre lui.
" Je t'ai demandé de ne pas estimer que la première réaction de ce garçon serait la bonne... murmura la rôdeuse. Laisse-lui le temps de voir ce qu'il veut... Je sais que c'est douloureux pour toi, mais tu n'es pas seul... Il te compare à sa mère, tu devrais être touché... Elle est morte pour l'honneur, oui, mais je suis sûre que malgré ça, il la regrette intensément. Sois généreux de ton amour... Demain est un autre jour... et je vais me coucher, en ce qui me concerne."
Elle attendit qu'il se déshabille à son tour puis lui souffla la bougie pour les plonger dans une pénombre éclairée seulement par leur feu mourant.
" Héloïse... Galaad... Jeanne... Gilles... Joseph... " murmura-t-elle.

[Taliesin]

Elle lui offrait une excellente opportunité de dévier le cours de ses pensées, et il ne la laissa pas passer. D'autant que le sujet était important, crucial, même.
-J'aurais dû demander une plume et un morceau de papier et les poser à portée de main... souffla-t-il. Faire des listes, c'est une bonne idée.
Il se concentra un moment, malgré la fatigue qui, il le sentait bien, n'allait pas tarder à le rattraper. Il avait l'impression d'avoir passé la journée à courir en tous sens...
-Tristan, Ellan, Judith, Yseult...

[Galathée]

" Le prénom qui nous marquera, nous n'aurons nul besoin de l'avoir noté, murmura la jeune femme. Si nous devons le noter, c'est que ce n'est pas le bon."
Elle se blottit encore plus près de lui.
" Tu as entendu ce qu'a dit Helen ? Ils pourraient naître cette nuit. J'espère qu'il y aura une fille. J'aimerais avoir une fille, au milieu de tous ces garçons... Val, Mathilde et moi avons bien besoin d'un peu de renfort au milieu de vous autres, mâles. Mmm... Rose... Guillaume... Florian... Sarah..."

[Taliesin]

-Comme j'ai une sœur, je suis à peu près sûr qu'il y aura une fille : les schémas familiaux se reproduisent souvent... Si ça se trouve, il y en aura même deux. Mais là, je te préviens, nous ne quitterons jamais la ferme. Parce que dans notre maison de Luménis, Victor et moi serions en minorité... Ah, j'ai peur rien que d'y penser !
Il sourit.
-Étienne, Élise, Gabriel, Marie...

[Galathée]

" Allons, elles seront adorables, j'en suis certaine... murmura la rôdeuse d'une voix ensommeillée. Ah... Helen m'a donné un truc qui endort... je peux te dire que ça endort pour de vrai... Je me sens... dériver... petit à petit... Hum... Je vais... te laisser réfléchir... et juste me mettre là... Ah, c'est lourd, cette bedaine... Si nous avons d'autres enfants... C'est toi qui les porteras, tu seras gentil."
Elle soupira, bougea légèrement contre lui, et Taliesin sentit un minuscule pied lui bourrer dans le ventre.
" Si seulement ils pouvaient décider de dormir en même temps que moi... Mais mon pas les berce... et mon immobilité les réveille... "
Ce qui était certain, c'est qu'elle ne tiendrait plus très longtemps.

[Taliesin]

-Tu veux que je leur chante une berceuse ? souffla-t-il.
En réalité, ce ne serait guère nécessaire : la rôdeuse aurait sombré avant longtemps, et lui-même ne serait guère dérangé par les mouvements des jumeaux. Mais il les guetterait, assurément, tout en se laissant dériver. car il n'entendait plus réfléchir. Seulement profiter de la présence de sa compagne à ses côté. De celle, aussi, des enfants à naître.
Et oublier les peines, les soucis, l'avenir incertain.
Juste le moment présent.
Juste la lumière.

[Galathée]

Il s'endormit à son tour, quelques minutes plus tard seulement, d'un sommeil humain, cette fois, la main sur le ventre de sa compagne, soulevée de temps en temps par un pied ou une main curieuse.
Puis il s'éveilla. Les braises étaient rouges, il faisait nuit noire, aucune lumière sous la porte. Le silence partout. Galathée dormait paisiblement à côté de lui, son souffle profond, régulier, hypnotique, presque, le rappelant vers le sommeil. Puis il perçut un second souffle. Juste à côté de lui. Un souffle beaucoup plus léger, plus chaotique, un souffle incertain. Son regard d'elfe, même troublé par la fatigue, reconnut aisément la petite forme qui s'était glissée près de lui. C'était Baptiste, emmitouflé dans ses couvertures. Il n'avait pas osé se glisser sous les mêmes draps que l'elfe et Galathée, mais il s'était mis en petite boule près de lui, comme un chat sur un couvre-lit. Son corps était inerte, mais le mouvement de ses yeux sous ses paupières et le rythme de sa respiration indiquaient qu'il rêvait intensément.

[Taliesin]

Le barde crut d'abord rêver, tant la présence de l'enfant était inattendue.
Mais non, il ne rêvait pas. Il était bien le seul...
Il resta immobile, par peur de réveiller l'un ou l'autre, se souvenant de cette nuit où le gosse avait quitté la chambre qu'il partageait avec Gurvan et Hippolyte pour revenir dans la sienne.
Il se demanda si Baptiste était somnambule. S'il avait oublié de prendre des plantes apaisantes...
Bah, quelle importance ? L'événement parlait de lui-même.
Il sourit, ému. Se dit que s'ils devaient fuir, ils seraient sans doute six à le faire. Et que s'ils s'installaient dans leur maison de la rue de l'Orme Creux, la gente masculine n'y serait point en minorité même si les jumeaux étaient deux filles.
Pour un temps, au moins.
Il ferma les yeux, prêt à s'endormir.
Il veilla encore un peu, cependant. Juste pour s'assurer que le petit garçon n'allait pas être victime d'un cauchemar.

[Galathée]

Baptiste demeura agité pendant un moment, Taliesin l'entendit gémir à voix basse, son expression se tendit, reflétant peur et tristesse, puis s'apaisa. Doucement, son visage se détendit, un sourire passa sur ses lèvres, il lâcha un petit soupir, et sa respiration reprit un rythme plus régulier. Il paraissait tranquille et le barde put ensuite se rendormir. Son sommeil fut peuplé d'images rondes et tranquilles, sans réel fil conducteur ni sens évident. Il y faisait bon.

L'elfe s'éveilla le premier au petit matin, Galathée nichée contre sa poitrine, Baptiste appuyé contre son dos. En bougeant, il le bouscula et le petit garçon se redressa d'un bond.
" Oh dieux... souffla le gosse à voix basse. Je suis désolé..."
Il était déjà en train de s'enrouler dans sa couverture pour fuir.

[Taliesin]

Soit le gamin était somnambule, soit il avait eu l'intention de se réveiller avant eux.
Dans tous les cas, s'il le laissait filer sans avoir pu lui adresser ne serait-ce qu'un mot... Il risquait de ne pas le revoir de la journée.
Il tendit donc la main, lui prit doucement le bras.
-Baptise... Attends, s'il te plait.
Il acheva de se retourner le plus précautionneusement possible pour ne pas déranger Galathée.
-Laisse-moi au au moins te dire que tu ne dois pas être désolé, reprit-il. Je me suis réveillé, cette nuit, alors que tu étais déjà là. Du coup, si ça m'avait dérangé, je te l'aurais déjà dit.

[Galathée]

Il grimaça mais n'essaya pas de lui échapper.
" Je suis désolé... Je ne voulais pas... Je sais bien que vous avez le droit... d'être tranquilles... Et que ça ne se fait pas..."
Il secoua la tête, la cacha dans ses paumes.
" Mais même avec les plantes d'Ismène, je ne savais pas dormir, ce que tu avais dit..."
Il se tourna vers lui.
" Mais je sais que ça n'excuse pas que je m'introduise dans votre chambre, comme ça... Je suis désolé. Je ne voulais pas avoir l'air... perturbé. Enfin... Je sais que je le suis un peu. Mais pas... pas dangereux."

[Taliesin]

Il faillit le serrer contre lui pour essayer de le réconforter, renonça par peur de l'embarrasser davantage.
-Bien sûr que tu n'es pas dangereux. Personne ne croit une chose pareille. Quelle idée...
Sauf qu'avec ce qu'il lui avait dit la veille, le pauvre gosse allait s'inquiéter, désormais...
-C'est normal d'être éprouvé quand on a vécu des épreuves comme celles que tu as traversées. Tu ne dois pas t'en vouloir pour ça. Et, tu sais... Victor aussi est éprouvé. Alors même si ça ne prend pas forcément la même forme, il y a des similitudes, Galathée et moi sommes habitués. Nous n'allons donc pas avoir peur, ou mal te juger...
Il hésita un instant.
-Pour être totalement franc, suite à notre discussion d'hier, j'ai cru que tu prendrais tes distances. Je le comprenais mais... ça m'attristait. Alors quand je t'ai vu là... Çà m'a fait plaisir.

[Galathée]

" Je ne sais pas ce que je dois faire, murmura-t-il. Je ne voulais pas... tu sais... Maintenant, tu vas avoir l'impression que... que tu dois me ménager... ou que tu me dois quelque chose... Mais je sais bien que tu as ta vie, et ta famille, et tes soucis, et je ne veux pas... que ça te fasse peur... Je ne vais pas m'incruster jusqu'à ce que tu ne saches plus me décoller... C'est vrai que..."
Ses yeux débordèrent mais son ton demeura égal.
" C'est vrai que votre famille... ça me fait envie... Mais je sais que ça ne veut pas dire que c'est la seule qui existe... et puis je sais aussi que j'ai eu ma maman jusqu'à mes neuf ans, déjà... C'est beaucoup plus que plein d'autres enfants... et peut-être que je n'aurai plus de famille... avant celle que je fonderai peut-être un jour... et de toute façon... Jamais je ne voudrais effacer mon enfance à la commanderie... et ma maman sera toujours ma maman..."
Il essuya ses larmes d'un revers de main.
" C'est juste que tu as été la première personne à me témoigner un peu d'amitié depuis des mois... depuis plus d'un an... alors fatalement... Je suis... C'est difficile pour moi... Maintenant, ici, tout le monde est gentil... mais ce n'est pas la même chose... J'étais dans le noir depuis si longtemps... et puis tu es venu. Je sais que je sonne presque mystique, c'est pas ce que je veux dire, et je veux pas... te faire peur, non... Je pense que je suis lucide... rationnel sur ces choses... mais je ne sais pas les combattre. Mais je ne veux pas que tu t'inquiètes. Laisse-moi juste le temps."

[Taliesin]

Il l'avait écouté avec une grande attention, essayant de ne pas trop montrer les émotions qui l'agitaient. Et quand l'enfant en eut terminé, il resta silencieux de longues secondes, cherchant soigneusement ses mots.
-Baptiste... Je ne m'inquiète pas. Je n'ai pas peur. Et si je te suis effectivement reconnaissant de revenir vers moi alors que tu connais toutes ces choses, le fond du fond... C'est que je t'aime bien. Et j'aimerais... Que tu ne t'inquiètes pas tant, que tu saches qu'au moins avec moi... Tu peux baisser ta garde, parler et agir sans te poser de questions.
Il jeta un regard en coin à la rôdeuse endormie.
-Si j'ai évoqué ma situation, hier... Si j'ai tenu à être honnête... C'est parce que je souhaitais te proposer quelque chose. Maintenant que tu es au courant... je peux le faire. Et tu seras en mesure de décider en toute connaissance de cause. Sachant bien sûr que tu n'es pas obligé de décider tout de suite, que je t'encourage à prendre le temps d'y réfléchir.
Il lui sourit.
-Je voulais te proposer de rester quelques temps avec nous après notre retour. Je dis quelques temps parce que... Je ne peux pas tirer de plans sur la comète : l'avenir est incertain, beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte et, si ça se trouve, tu en te plairas pas, avec nous. Mais... Ça te ferait quand même de la stabilité, au moins un moment. Et Galathée est d'accord, bien sûr.

[Galathée]

L'enfant le dévisagea sans comprendre, l'expression interdite.
" Rester avec vous... Tu veux dire... à votre... maison ?" finit-il par demander, à mots mesurés, comme s'il craignait de dire une énormité.
Il rougit de confusion et regarda à son tour vers la rôdeuse.
" Mais vous allez avoir tellement de choses à faire et à penser... Tu ne crois pas que... je vais vous encombrer ?"
Il y avait quelque chose dans son ton, cependant, qui semblait le supplier de le détromper.

[Taliesin]

Taliesin chercha son regard.
-Nous risquons d'être très occupés, et par conséquent, nous ne pourrons peut-être pas te consacrer autant de temps qu'il le faudrait. Mais une chose est sûre : tu ne nous encombreras certainement pas.
Il songea ajouter que s'il l'avait sous les yeux, il ne passerait pas son temps à s'inquiéter pour lui. A dire qu'il pourrait leur rendre des services. Mais... Il avait beau être barde, il savait que, parfois, peu de mots suffisent.