[Lieu] Temple de Moandre

[Galathée]

" Vu ma capacité à salir mes vêtements en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je n'ai pas peur du rose. Il sera gris ou brun en moins d'une heure." dit le petit garçon en haussant les épaules.
Il se décala un peu sur la gauche du trône et s'accroupit.
" Tu as vu, là ? Qu'est-ce que c'est, tu crois ?"
Il désignait à l'elfe une petite forme recroquevillée sur elle-même, contre le mur du fond, comme un corps d'animal momifié : on en voyait déjà des os, mais aussi encore de la peau réduite à l'état de cuir.
Et la chose bougea, un rien. Baptiste fit un bond en arrière et manqua renverser le barde dans les escaliers. L'elfe crut alors entendre un murmure... peut-être un rire. Puis le vent souffla.

[Taliesin]

Sitôt retrouvé son équilibre, Taliesin reprit la main du petit garçon.
-Soit l'atmosphère lugubre commence à mettre nos nerfs à rude épreuve, soit quelque chose s'amuse à nous faire peur. Dans les deux cas, je pense que ce ne serait pas une mauvaise idée de plier bagage. Après tout, nous avons mené une véritable exploration et fait bien des découvertes intéressantes.
Non qu'il ne souhaite pas percer les mystères de cet endroit : c'était plutôt le contraire. Cependant, il avait vraiment à cœur que l'aventure reste un jeu pour Baptiste et les autres gamins. Pas question qu'ils en reviennent éprouvés...

[Galathée]

Ils entendirent alors un long cri. Ce n'était pas n'importe quel cri, c'était un hennissement. Baptiste et Taliesin étaient encore à mi-hauteur des marches du trône quand une silhouette massive s'encadra dans l'une des portes protégées et la franchit au grand galop. C'était un destrier fantôme, gigantesque, éthéré, encore complètement harnaché. Ecumant, il traversa la pièce sans se soucier de ses occupants, ses sabots flottant au dessus des os sans les perturber. Dans un réflexe, Tim poussa Hippolyte hors de la trajectoire de l'animal mais lui-même fut traversé par le spectre. Le cheval sortit comme il était entré, poussant un ultime hennissement. Le Milite avait mis un genou en terre mais se redressa.
" Je propose qu'on lève le camp, dit-il avec une légère grimace. Trop d'activité... spirituelle, dans cet endroit."
Taliesin entendit alors un léger mouvement derrière lui et en se retournant, il aperçut la créature qu'avait vue Baptiste. Elle avait réellement bougé. Elle était désormais assise au pied du trône. C'était un petit chat aux yeux verts lumineux, à moitié sec, le crâne apparent sous une peau luisante d'où rebiquaient quelques poils noirs. C'était un chat des cryptes, le gardien d'un tombeau. Il ne semblait pas agressif, juste curieux.

[Taliesin]

Croyant se souvenir que les blessures infligées par ces créatures s'accompagnaient d'une infection qu'il était ardu de dissiper, Taliesin, avec des gestes lents et calculés, poussa doucement Baptiste afin qu'il descende une marche supplémentaire puis se positionna entre lui et le félin mort-vivant.
-Nous allons quitter ce tombeau sans rien déranger, annonça-t-il à voix haute, s'adressant autant à ses compagnons qu'au chat.
Restait à présent à se replier tout en surveillant à la fois les mouvements de l'être d'outre-tombe et l'endroit où il mettait les pieds.

[Galathée]

La petite équipe battit en retraite sans se presser, avec circonspection. Le chat des cryptes ne bougea pas de sa place, aucune autre créature fantomatique ne surgit, Perceval et Iris prirent la tête, avec Gurvan, puis Tim fit passer Hippolyte, Taliesin et Baptiste, avant de fermer la marche. Il marcha à reculons un moment, sans presser personne.
" Judicaël va nous tuer, j'espère qu'il te reste pas mal de vies." dit le clerc à Taliesin, tandis qu'ils remontaient le couloir d'ossements.

[Taliesin]

-Vous tuer peut-être, mais moi, certainement pas ! protesta-t-il. N'ai-je point proposé à mainte reprises que nous mettions un terme à cette exploration ? Ce n'est pas ma faute si vous avez fait fi de mes sages paroles !
Il sourit. Ils étaient presque tirés d'affaire, sinon déjà complètement.
-Cependant, c'est lui qui a insisté pour que nous complétions la carte : nous avons donc scrupuleusement obéi à ses consignes. Si nos découvertes te paraissent insuffisantes, nous pouvons toujours explorer d'autres secteurs. Et si nous rentrons tout de suite... Bah, pourquoi ne pas lui dire que seuls Iris et toi êtes allés dans ce tombeau, tandis que Perceval et moi restions en arrière avec les garçons ?

[Galathée]

" Taliesin, les gosses vont nous trahir. Hippolyte a décoré ses chausses. Gurvan est pâle comme un cachet d'aspirine. Baptiste est sans doute assez grand pour mentir, mais le fera-t-il ? C'est un fils de paladin, après tout. De plus les vêtements de Perceval sont déchirés. Je viens de prendre une salve d'énergie négative dans les dents. Nous allons avoir l'air de ce que nous sommes : des aventuriers curieux et téméraires ! En même temps, j'imagine que toi et moi n'y pouvons rien. Et c'est vrai que tu as été très très sérieux. Je défendrai ton honneur."
Ils étaient à nouveau dans la partie rocailleuse du tunnel. Perceval ne tarderait pas à atteindre la pièce de départ.
" Mais quelle découverte formidable ! Bon, il y a des dizaines d'âmes à mettre au repos et des morts-vivants à foison, mais c'est notre boulot d'aller nettoyer tout ça ! J'en frémis d'excitation, déjà. Mais il faut redescendre mieux protégés. Si ça te tente, on pourrait remettre ça. Sans les gosses, bien sûr."
Baptiste, qui marchait juste devant eux, jeta un coup d'oeil au barde. Il n'avait manifestement rien perdu de la conversation.

[Taliesin]

L'elfe lui sourit, rassurant.
-Dans d'autres circonstances, je vous aurais volontiers accompagnés. Mais là... Je dois me montrer responsable et ne prendre aucun risque inconsidéré. En revanche, je veux bien m'occuper des enfants pour qu'Iris, toi et ceux qui le souhaiteront puissiez y retourner. Et pour ne pas, non plus, que soit perturbé le si crucial atelier couture. Diantre, nous serons revenus si rapidement qu'ils n'auront rien eu le temps de terminer. Une chance que la plupart d'entre nous soyons vestimentairement indemnes : nous devrions réussir à dégotter à Perceval une tenue qui ne soit pas d'un rose affligeant.

[Galathée]

" Je comprends. Et en fait, les clercs disposent d'un sort de réparation assez basique qui devrait lui permettre de conserver cette tenue... Mais vous seriez beaux, tous en rose. Au moins, on pourra vous différencier de nous..."
Ils gagnèrent la pièce aux deux dragons.
" Mes amis, ce fut une belle aventure, dit le clerc de Milil en leur souriant. Baptiste, à toi l'honneur."
Le gosse se tourna vers Taliesin.
" Maître, ai-je votre accord ?" demanda-t-il avec une déférence factice.

[Taliesin]

-Tim ? Je préfère encore me promener dans le plus simple appareil plutôt que d'endosser du rose, avait-il répondu au Milite, exagérément sérieux, avant qu'ils ne pénètrent dans la petite pièce.
Une fois dans celle-ci, il se sentit réellement soulagé. Bien sûr, le mécanisme avait pu rendre l'âme depuis leur départ. Mais il n'y croyait guère.
-Allez-y, messire mon assistant. Vous avez ma bénédiction, dit-il à l'enfant.

[Galathée]

Baptiste prit un air pénétré et appuya sur l'oeuf bleu. La salle s'ébranla dans un frémissement, les douchant de poussière, et pivota d'un demi-tour, s'arrêtant brièvement devant la tête de dragon qui suscita un cri d'épouvante chez certains, d'ébahissement ravi chez d'autres. Puis la chapelle de Tiamat s'immobilisa face à la sortie. Gurvan et Perceval furent les premiers dehors.
" Pas tout à fait l'étoffe d'un chasseur de morts-vivants, commenta Iris à mi-voix, tandis qu'Hippolyte suivait.
— Il est petit, encore. Mais sans doute Helen devrait-elle lui en toucher un mot."
Baptiste se tourna vers Taliesin.
" J'ai emporté un crâne. J'espère que je pouvais." murmura-t-il.
Il lui révéla, posé sur sa paume, le petit crâne d'un oiseau au bec crochu, sans doute un faucon.

[Taliesin]

-Tu aimes vraiment les oiseaux, dis donc... souffla l'elfe. Ça va faire plaisir à Galathée : son ancien compagnon animal était un hibou, l'actuel est une superbe chouette...
Il sourit largement à l'enfant.
-Bien sûr que tu pouvais. Je suis heureux que tu aies ramené quelque chose de notre expédition. Je veux dire, autre chose que des souvenirs dont certains risquent de ne pas être très amusants.

[Galathée]

Ils regagnèrent la grande salle puis reprirent les escaliers. L'humeur de chacun s'était déjà allégée et même Gurvan bavardait joyeusement avec Perceval, qui le portait toujours dans ses bras. Hippolyte avait apparemment subtilisé un tibia dans l'ossuaire, dont il se servait comme d'une épée, combattant des monstres imaginaires. C'était, heureusement, l'os d'une créature non-humaine, Iris avait vérifié.
" C'est dommage qu'on doit déjà remonter, dit Baptiste. C'est sûr que ça faisait peur... Surtout cet énorme cheval fantôme... et puis les murmures dans la brise... mais c'était quand même terrible... Puis c'est comique d'avoir un peu peur, de temps en temps. Enfin... Moi je trouve ça comique."
Il frissonna.
" Avec vous tous, on ne risquait rien, de toute façon."
Tim échangea un regard avec Taliesin mais ne se permit pas de le contredire.

[Taliesin]

Il ne le détrompa pas davantage.
-Vraiment content que ça t'ait plu. Et c'est sûr que ça n'a pas duré très longtemps. Mais, d'un autre côté, ça a été particulièrement intense ! Et si tu aimes avoir un peu peur, je connais quelques histoires à raconter le soir, au coin du feu...
Il se tourna vers Tim.
-Quelle est la suite du programme ? Nous n'avions pas prévu de revenir si tôt... J'imagine que l'atelier de confection, c'est à dire la chambre de Galathée, est déjà bien comble. Mais si nous ne voulons pas les déranger ou courir le risque d'être embauchés de force, il va falloir nous tenir à l'écart. Où pourrait-on mettre le bazar pendant que tout le monde a le dos tourné ?

[Galathée]

" Il y a une salle d'entraînement, en bout de complexe, pas loin de la chambre qu'occupe Kerun. Si les garçons ont envie de se défouler, c'est sans doute l'endroit le plus propice. Sinon la bibliothèque ou la salle de musique, si tu penses qu'ils sont mûrs pour des choses plus réflexives... On peut aussi diviser le groupe... Mais je dois dire que je leur aurais bien fourni de quoi dessiner ce qu'ils viennent de traverser. Je suis avide de toutes représentations, et sept mémoires valent mieux qu'une... Pour les archives, ce serait formidable qu'ils nous laissent leurs impressions...
— Taliesin va écrire une chanson, lui.
— Par exemple, pourquoi pas."

[Taliesin]

Il se gratta la tête, pensif.
-Je vais y réfléchir. Mais l'inspiration ne se commande pas et je n'ai plus rien écrit depuis... Oh, tout ça.
Il se concentra.
-Nous n'avons qu'à consulter l'ensemble des troupes. Empoussiérer la bibliothèque ou la salle de musique serait assurément un crime, ce qui laisse donc le choix entre la salle d'entrainement où un coin pour dessiner. L'une et l'autre idée me semblent bonnes, on verra par quoi les garçons veulent commencer. Et oui, effectivement, on peut faire plusieurs groupes.

[Galathée]

" Premier arrêt, la salle d'eau, au moins pour les mains et le visage, fit Iris lorsqu'ils eurent atteint le niveau supérieur. Nous avons tous l'air d'être rescapés d'un incendie, avec nos masques mortuaires."
Ce fut donc encadrés par les adultes que les enfants rejoignirent la pièce dans laquelle Taliesin avait pris un bain voluptueux quelques jours plus tôt. Nul feu n'y était allumé aussi se débarbouillèrent-ils tous à l'eau froide. Tim resta ensuite en arrière avec Hippolyte, tandis qu'Iris guidait tout l'équipage vers la salle d'entraînement. On pourrait y installer une table pour ceux qui préféraient se reposer.
La pièce en question était relativement vaste, curieusement bien aérée, et il s'y trouvait une série d'armoires fermées qui devaient, du moins Taliesin le supputa-t-il, abriter les armes. Perceval leur installa une planche sur deux tréteaux, guidé par Iris, qui s'en fut ensuite chercher du matériel de dessin. Elle leur abandonna cependant les victuailles qu'ils avaient emportées et Gurvan et Baptiste eurent tôt fait d'exhumer... de nouveaux biscuits. Perceval demeura au centre de l'espace d'entraînement, effectuant des mouvements avec son bâton, la mine pensive.

[Taliesin]

Taliesin lorgna le pommeau de son épée, songea à proposer un petit duel au guerrier. Mais il valait sans doute mieux s'abstenir, à moins que ce ne soit Perceval lui-même qui en prenne l'initiative.
Il se demanda ensuite comment diables les gosses pourraient-ils bien se défouler ici, puisqu'il n'était certainement pas question de leur donner des armes. Peut-être en les faisant courir, ou lutter, ou...
Bah, chaque chose en son temps. Pour l'heure, se sustenter, comme son estomac le réclamait à corps et à cris.

[Galathée]

Taliesin put s'improviser un petit pique-nique sans grandes difficultés car Iris avait été prodigue. Il y avait même du vin et des coupes, il put donc s'en servir une rasade. Pendant ce temps, Gurvan et Baptiste avaient décidé de prendre Perceval à revers dans une sorte de répétition d'une scène sauvage, du style "les loups contre l'élan". Quand Hippolyte arriva avec Tim et Iris, il fonça dans la mêlée. Le sol sablonneux d'une partie de la salle rendait la lutte relativement sans danger, sans compter la présence des deux clercs.
" Leurs vêtements avaient survécu... jusqu'ici, remarqua Tim.
— Je parie que c'est l'état de ceux de Perceval qui leur a fait perdre toute retenue.
— Espérons qu'il n'y aura pas de crâne fracassé."

[Taliesin]

Il remplit deux coupes supplémentaires et les leur tendit.
-Ne vous inquiétez donc pas comme ça. J'ai assisté à semblables pugilats une bonne partie de l'été dernier, et il ne s'est jamais rien produit de grave. Bon, d'accord, ces batailles n'impliquaient pas de belligérants tels que Perceval, mais je lui fais entiière confiance.
Il but une gorgée de vin tout en observant l'affrontement, prêt à intervenir en cas de besoin.
-Quant à leurs frusques... Tim, tu m'as parlé d'un sortilège utile en pareilles circonstances, non ? Et puis, si notre cohorte de tailleurs n'a pas réquisitionné tout le fil et toutes les aiguilles disponibles, je pourrais racomoder sans trop de mal.
Il jeta aux deux clercs un regard en coin.
-Que ce secret ne quitte pas cette pièce, cependant ! Raccommoder n'est pas coudre, et la dernière fois que je me suis essayé à cette seconde activité... C'était tout juste potable.

[Galathée]

" Le problème des sortilèges divins, Taliesin, c'est que nous devons les choisir avant de savoir s'ils seront utiles, contrairement aux tiens... Ce qui signifie que si... plus d'un gosse déchire ses vêtements... certains devront accepter de rester débraillés au moins jusqu'à demain.
— Non, allons, Aaron en a toujours trois ou quatre en mémoire, des sorts de réparation, dit Iris en riant.
— C'est vrai, mais il est du genre à nier... Et honnêtement, lui imposer de lancer un sort contre son gré..."
Le Milite frémit.
" Je ne le souhaiterais pas à mon pire ennemi !"
Dans l'arène, Perceval avait le dessus. Gurvan était hors d'haleine, assis par terre, Baptiste lui tournait autour comme un fauve, tandis qu'Hippolyte, ceinturé par un seul bras, semblait craindre d'être utilisé comme projectile contre son allié. Des insultes bénignes et imagées volaient en tous sens.
" Donc, Taliesin, tes talents de couturier seront bienvenus, m'est avis. La manche gauche de Baptiste est sur le point de tomber."

[Taliesin]

-Ils n'y vont pas de main morte... souffla-t-il après avoir constaté que le Milite disait vrai. Soit leurs habits étaient déjà en très mauvais état, soit ils avaient vraiment, vraiment besoin de se défouler. Ce qui serait compréhensible, vu comme notre expédition a été... marquante.
Il vida sa coupe d'une traite.
-Si l'un de vous à la gentillesse d'aller me chercher le nécessaire, je ferai mon possible pendant qu'ils dessineront. Mais, ne pouvant accomplir des miracles, si les dégâts sont trop importants, il leur faudra être débraillés jusqu'à ce que les adorables tenues roses soient prêtes ou jusqu'à demain, s'ils ont le bon goût de refuser de les enfiler.
Il lorgna ce qu'il restait de vin.
-Je profiterai de la séance de raccommodage pour réfléchir à une chanson. j'ai déjà un titre en tête : "Sage barde et les clercs téméraires" !

[Galathée]

" Je vais te chercher ça." dit Iris en se levant.
Tim reporta le regard sur le combat qui perdurait.
" C'est la catharsis, je suppose. Mais je crois qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Ces gosses ont traversé l'enfer : ils savent que l'être humain est plus dangereux qu'un squelette. Au moins, le squelette, on connait ses intentions : frapper, tuer, massacrer, claquer des dents. Tandis que l'être humain... On ne sait jamais à quoi s'attendre. Imagine, deux mois en cale, sur l'océan, avec une bouffe infâme... Non, je ne devrais pas te dire ça, bien sûr. Mais un fantôme... C'est exotique, finalement. Ils seront fiers de raconter leurs aventures. Tous les trois."

[Taliesin]

-Et ils ont de quoi être fiers : ils ont tous fait bonne figure. Même Gurvan, qui était sans doute le moins à son aise... Il aurait pu exiger que nous rebroussions chemin mais n'en a rien fait. En tout cas, je ne suis pas trop inquiet non plus. Bon, j'ai un peu peur qu'ils cauchemardent, cette nuit. Cependant, cette furieuse bataille pourrait leur suffire à extérioriser. Et puis, même si notre expédition était lugubre, ils savaient que nous étions là pour veiller sur eux. Tu as entendu comme Baptiste a entière confiance en nous ?
Il sourit.
-C'est le plus touchant, le plus réconfortant, je trouve : même l'ignoble Melandis n'a pas pu les détruire. Ils sont éprouvés, bien sûr, et comme tu le disais, ils ont vu de quoi les hommes sont capables. Néanmoins... Ils arrivent encore à se lier, à se fier aux autres. C'est une formidable leçon d'espoir.

[Galathée]

" Oui, sans doute... Mais je crois que la jeunesse et les préjugés fondent la résilience des deux plus jeunes. Comme des oisillons affamés, ils ouvrent le bec pour qui les nourrit... Tu as raison de craindre leurs cauchemars. C'est surtout au fil des années que les failles peuvent se révéler. Je crains qu'ils ne soient par essence et à jamais des êtres circonspects et anxieux. Kerun devrait les recruter tous les deux. Baptiste, c'est différent."
Il se tut un moment pour observer le plus grand des trois enfants.
" Il est plus âgé, il est davantage maître de lui-même et capable d'analyser les situations. Il a décidé de te donner une chance, juste à toi. C'est une grosse responsabilité sur tes épaules. Mais tu t'en tires bien."
Il adoucit ses propos d'un sourire alors qu'Iris reparaissait.
" Aaron a taillé quelques... ponchos, je crois qu'on dit à Maztica, dans son drap. Je crois que ce sera utile pendant que Taliesin fait ses travaux d'aiguille."
Ils entendirent alors un grand bruit de déchirure et les belligérants se tournèrent vers eux, rougissant, surtout Perceval. S'il avait jusque là dominé ses adversaires, la reddition spectaculaire de ses chausses l'obligea à battre en retraite immédiatement vers la table où, compatissante, Iris lui tendit un morceau de drap de taille respectable.

[Taliesin]

La soudaine gravité de Tim l'avait pris au dépourvu. Il s'était reproché sa déclaration candide, s'était pris à espérer que Gurvan et Hippolyte seraient moins marqués que ne le supposait le clerc. Quant à Baptiste...
Bien sûr, ce dernier avait avoué qu'il ne parvenait plus à s'attacher aux autres ; bien sûr, l'elfe avait constaté qu'il était sans doute l'exception qui confirmait la règle. Mais, malgré cela, malgré l'affection grandissante qu'il éprouvait pour l'enfant, il ne s'était pas posé de grandes questions, ne s'était pas projeté loin dans l'avenir - probablement parce que celui-ci était par trop incertain. Peut-être s'était-il surtout envisagé comme quelqu'un pouvant temporairement aider le gosse, lui offrir le soutien ponctuel dont il avait besoin pour repartir de l'avant...
Peut-être. Le plus probable, cependant, était qu'il ait inconsciemment choisi de ne pas regarder les choses en face, de ne pas mesurer l'ampleur de la situation. Or, les paroles du Milite l'avaient contraint à ouvrir les yeux.
Taliesin avait à son tour observé le garçon.
Une grande responsabilité, oui. Énorme, même.
Il en eut presque le tournis, en eut presque peur.
Il se demanda si Baptiste n'avait pas joué de malchance, en réalité. S'il n'aurait pas mieux valu que ce soit une autre personne qui l'arrache aux Bainites et lui témoigne un peu d'amitié. Une personne au passé moins tumultueux, au futur moins hasardeux. Mais peut-être que cela n'aurait pas collé, peut-être qu'il ne se serait pas liée à elle..
Le petit garçon ne l'avait-il pas comparé à sa mère ?.
Il se demanda ce qu'avait ressenti Galathée quand Victor lui avait demandé de s'occuper de lui. Était-ce le même vertige où crainte et joie s'entremêlaient étroitement ?
Bien sûr, Victor avait alors l'âge d'Hippolyte, et la rôdeuse n'était pas sous la menace d'un procès... Mais l'avenir en était-il moins incertain pour autant ? La guerre civile ne battait-elle pas son plein, et la rôdeuse n'était-elle pas une résistante que les Morféens auraient pu éliminer si les choses avaient mal tourné ?
Si.
Le barde prit une profonde inspiration, expira lentement.
Ni lui ni Baptiste n'avaient tiré de plans sur la comète. Ils avaient conscience des aléas qui les attendaient, de tous les aspects qu'ils ne maîtrisaient pas. Alors... Inutile de mettre la charrue avant les bœufs. Ils essayaient, voilà tout. Avec l'espoir que cela réussisse.
Car, oui, il avait envie que cela réussisse. Et il pensait que cela pouvait être le cas.
Il se racla la gorge, conscient que son trouble avait dû être plus que manifeste, se demandant comment il allait pouvoir relancer la conversation.
L'arrivée d'Iris et la mésaventure de Perceval lui fournirent une diversion bienvenue.
-La mode de Maztica est fort en vogue, en certains lieux, lança-t-il d'un ton encourageant. Et elle est autrement plus seyante que toutes les tenues rose vif qui se puissent imaginer... Néanmoins, Perceval, je ferai mon possible pour te restituer des vêtements plus traditionnels.
Il aurait fort à faire, pour le moins. Surtout si les habits des gamins étaient dans un état aussi dramatique. d'autant que rien n'assurait qu'ils ne demeurent pas encore un moment dans la lice et, par conséquent, qu'ils ne parachèvent la catastrophe.

[Galathée]

Mais les trois lutteurs avaient décidé de faire une pause, eux aussi, et ils se ruèrent sur l'eau et les biscuits qui restaient sur la table, tandis que Perceval contemplait avec désarroi l'état de ses chausses.
" Je pourrais les recoudre, mais... les dieux en sont témoins, on pourrait me croire pingre... Je préfère encore le rose. Ce n'est pas une mauvaise couleur.
— Pour te promener à Mélandis, ce n'est pas très indiqué, remarqua Iris.
— Mes jours mélandiens sont révolus. Autant me mettre dans l'état d'esprit luménien. Vu que tout le monde est habillé en rose, là-bas...
— Oui, et tout le monde se lève avant le chant du coq, aussi, alors profite bien de tes derniers jours mélandiens."
Baptiste, assis à côté de Taliesin, contempla avec horreur sa manche décousue.
" Ah misère." murmura-t-il.

[Taliesin]

Le barde réprima un sourire amusé devant la mine du petit garçon.
-Allons, Baptiste, ne fais pas cette tête, ça n'a rien de grave... lui dit-il. Vous aviez besoin de vous défouler ! Et c'est bien pour cela que nous nous sommes gardés de vous interrompre. Non, tout ce que nous avons fait, c'est préparer de quoi réparer les dommages collatéraux. Iris est allée chercher du fil et des aiguilles : j'ai donc de quoi recoudre cette manche et les autres dégâts vestimentaires dont souffrent les participants de cette épique bataille.

[Galathée]

La moue embarrassé, le gosse retira sa chemise et la tendit au barde. Il portait une tunique plus légère en dessous et frissonna avant d'accepter un poncho rose d'Iris.
" Moi je trouve ça pas mal pour l'ELDVC, dit Gurvan. Le rose, je veux dire.
— Tant qu'y'a pas de filles pour se moquer de nous, on est tranquilles, de toute façon." remarqua Hippolyte.
Son emprisonnement aux mains de Perceval l'avait préservé de dégâts trop importants.
" Mais moi je suis une fille.
— Mais toi t'es une vieille, tu te moques pas des enfants.
— Une vieille ! Par les jupons de Sunie ! J'ai trente-quatre ans !
— Une vieille, quoi."
Elle balança un poncho à la tête de Tim, qui s'en fit une coiffe ravissante.

[Taliesin]

-Allons ! Le seul vieux, ici, c'est moi : du haut de mes presque cent-cinquante ans, je pourrais être votre arrière-arrière-grand-père à tous !
Bon, évidemment, ça n'était pas vrai, puisque les elfes grandissaient beaucoup, beaucoup plus lentement que les humains. Mais peu importe.
-Alors, y a-t-il d'autres choses à raccommoder ? Je ne garantis pas que le résultat soit d'une finesse et d'une discrétion ébouriffantes, mais au moins, ça devrait être solide.