[Quête] Le Domaine des Crocus

[Galathée]

" Les temples et les commanderies acceptent généralement les vieux novices, mais tu ne rendrais pas service à ta progéniture en l'empêchant de se spécialiser plus tôt...
— Il s'y fera, tu sais. Déjà, il va devoir survivre au même phénomène pour Victor et Baptiste, et les humains grandissent, comme les halfelins, sensiblement plus vite. Quand ce sera le tour des jumeaux, il se sera fait à l'idée... C'est l'avantage d'être les cadets.
— Oui... Ou le temps écoulé sera tel qu'il aura oublié... et qu'ils devront repartir de la case départ.
— C'est un peu sinistre, cette conversation, tout bien réfléchi."

[Taliesin]

-Sinistre ? Oui, je crois que le mot est bien choisi.
Il baissa les yeux sur son fils.
-Évidemment, les jumeaux, comme leurs aînés, feront bien ce qu'ils voudront : je ne suis pas du genre à brider, à interdire, à imposer. Mais j'avoue espérer qu'ils ne choisiront pas une voie qui les arrachera trop vite à nous. Ce qui est le cas de la prêtrise ou du paladinat. Enfin, s'ils ressentent de tels appels, il faudra bien que j'en prenne mon parti, n'est-ce pas ?
Soupir.
-Mais bon, il y a quelques années paisibles avant ça. Même pour les plus grands qui, à mon avis, auront envie d'un peu de stabilité. Un temps, du moins.

[Galathée]

" Ça dépend sans doute des possibilités qu'offre la ferme, dit Guéric avec le sourire. Se trouve-t-elle près d'un bourg ? Et surtout... Y a-t-il des jolies filles dans le coin ? Parce que ne nous leurrons pas, Taliesin. Ce qui va faire filer tes garçons, tôt ou tard, c'est l'appel de la chair. Alors si tes voisins ont une demi-douzaine de jolies filles ou si le village le plus proche n'en manque pas... Tu pourrais les voir s'installer durablement... Mais s'il n'y a nulle beauté aux alentours... Tu devras te résigner à aller habiter en ville."
Kerun leva les yeux au ciel.
" Tous les êtres de sexe masculin ne sont pas conçus de la sorte, dit-il.
— Je m'en voudrais d'en revenir aux différences fondamentales entre les purs esprits aux oreilles pointues et la racaille humaine, mais..."

[Taliesin]

-Ne mets pas toutes les oreilles pointues dans le même panier : je ne suis pas un pur esprit, tu le vois bien ! Mais je dois avoir un petit côté sunite... Hum, ce qui me fait penser que nous avions envisagé un voyage à Antelucas... Nous allons vite oublier cette idée, parce que les garçons seraient susceptibles de vouloir s'y installer, vu que les belles damoiselles ne doivent pas y manquer. Pour le reste, la ferme est à seulement quelques heures de marche de Luménis : ils pourront s'y rendre, s'ils sont motivés... Et une fois qu'ils auront quarante ans révolus, bien entendu.

[Galathée]

" Aïe aïe aïe, Taliesin, toutes ces désillusions à venir !" dit Guéric en riant à gorge déployée.
Kerun se retourna pour accueillir Polyanna d'un sourire. La jeune femme était très mince et avait de longs cheveux blonds-roux. Elle ressemblait à ses frères cadets, le regard clair et le sourire timide.
" Je ne voulais pas vous déranger, murmura-t-elle.
— Viens donc, ma belle, lui répondit Guéric, tandis que Kerun se poussait pour l'accueillir.
— Il parait que nous partons bientôt ? demanda-t-elle.
— Dans quelques jours, oui." répondit Kerun.
Elle acquiesça et son regard se fit distant.

[Taliesin]

Si le barde affichait un sourire accueillant, il n'en menait pas large.
Pour Polyanna, le retour sur Helonna serait douloureuses : un seul de ses cadets avait survécu, et dans quel état ? Perdre un frère était déjà terriblement douloureux, alors perdre un jumeau, un vrai jumeau, il n'osait imaginer à quel point c'était destructeur... Bref, pas de joyeuses retrouvailles pour ces deux-là. Juste des plaies à panser ensemble. Quant au défunt... il préférait ne pas y songer.
A bien y réfléchir, d'entre tous les passagers qui avaient embarqué sur la Réunion, il était le seul pour qui tout avait bien tourné. Le seul qui pouvait rentrer le cœur léger. Et il en éprouvait quelque chose qui ressemblait à de la culpabilité. Non qu'il ne soit pas heureux pour lui. Mais le destin ds autres...

[Galathée]

La conversation tourna un moment sur les modalités du départ et de la petite fête qui devait le précéder. Vu le nombre qu'ils étaient, Judicaël les déplacerait en quatre groupes, mais certains devraient attendre au port tandis que d'autres patienteraient en arrière. La manière dont les groupes seraient constitués était encore soumise à débat, mais Kerun estimait plus prudent que Galathée et les bébés partent les derniers, tandis qu'il irait dans le premier groupe. Pour le reste, il faudrait panacher les adultes et les enfants, et trouver un point de chute acceptable. L'idée que le clerc de Mystra joue les transporteurs n'était plus remise en cause, même si l'elfe paraissait n'en tirer aucun soulagement. Tout juste ajoutait-il un "si tout se passe bien" de temps à autre, au détour d'une phrase.
Quand on parle du loup, il montre le bout de sa queue, et Judicaël refit son apparition avec Galathée. Ils paraissaient l'un et l'autre tout à fait satisfaits de leur petite séance, et le clerc put confirmer que la marque était désormais effacée. Il avait cependant bataillé un certain temps et la rôdeuse, malgré son bonheur, était manifestement fatiguée. De fil en aiguille, ils en vinrent à parler du sortilège de protection des Moandriens, qui devait être appliqué à tout le monde. Judicaël n'était plus sûr de qui il avait déjà ensorcelé, aussi entama-t-il une liste. En parallèle, Kerun en commença une sur ce qu'ils ne devaient pas oublier d'emporter à bord du bateau, au moment de leur départ...

[Taliesin]

-Une pipe et du tabac pour ton serviteur, de l'alcool pour Guéric et ton serviteur, des livres pour les enfants... énuméra-t-il sur le ton de la plaisanterie.
Puis, ne souhaitant pas déranger davantage l'agent secret, il rejoignit sa compagne.
-Pas trop crevée ? lui demanda-t-il. Content que tu sois débarrassée de cette marque, en tout cas : c'est une bonne chose de faite. Tu ne coures désormais plus aucun danger... et les DouceChute non plus;

[Galathée]

" Je l'espère, murmura-t-elle. Judicaël craint un peu que la seule dissipation de la marque n'ait envoyé un signal là-bas... un signal qu'ils ne pourront pas identifier, ni localiser, mais un signal tout de même. Il ne sait pas, en fait. Il dit que parfois, avec ce type de marquage, le magicien qui a lancé le sort est affecté au moment de sa dissolution. Mais en même temps, il pense aussi que dans ce cas, le mage en question aurait dû savoir que j'étais toujours vivante. Bref, l'un dans l'autre, ce qui est fait est fait. Je ne doute pas de la capacité des DouceChute à inventer une histoire s'ils étaient embêtés par l'Ecole. Et je suis libre, comme nos enfants, comme toi, et nous allons enfin rentrer chez nous."
Elle le serra contre elle.
" Je me languis de n'être plus une invitée. La vie à l'auberge, ce n'est pas pour moi... J'aime mon indépendance."

[Taliesin]

il l'embrassa.
-Je te comprends... Et j'éprouve la même chose. Je n'avais plus eu de chez moi depuis des décennies avant que nous vivions ensemble. Mais maintenant que j'y ai à nouveau goûté, ça me manque beaucoup. Ah, et quel plaisir ce sera, de pouvoir porter des vêtements bien à moi, de ne plus devoir sans cesse en emprunter aux bonnes âmes !
C'était une boutade, mais en partie seulement : depuis combien de temps n'avait-il pas endossé des effets qui lui appartenaient ?
-Et nous allons retrouver les Merlus, Val... Et notre Victor.

[Galathée]

Elle hocha la tête.
" Et notre Victor. Il va avoir grandi... Je ne dois pas trop me projeter, ça me fait peur. Nous partons dans quelques jours à peine... Certains disent deux... d'autres disent trois... Il y a cette grande fête à organiser... Blanche me dit d'essayer de penser à ce que j'aurais le plus envie de manger, imagine ! Qu'après, à bord, ce sera rationnement et poisson pendant deux ou trois veilles. Diable, ce n'est pas évident. Faire un semblant de valises... Des vêtements, des couches par milliers, ce berceau en pièces détachées... J'imagine à peine."

[Taliesin]

-Oh, les bagages seront vite faits : c'est l'avantage de ne presque rien posséder. Le berceau se démonte aisément, nos rares frusques et les langes ne prennent pas beaucoup de place... Quant au trajet, la téléportation le facilitera grandement. Puis ce sera une brève croisière, le débarquement... Et la lumière.
Il sourit.
-Mais tu as raison, ne nous projetons pas. Profitons du présent. C'est plus facile, quant on sait que le futur sera merveilleux.

[Galathée]

" Je crois que je vais quand même emporter plusieurs des tenues dont on m'a gracieusement fait bon. Au moins une deuxième paire de bottes... J'imagine qu'ils auront le minimum vital à bord, bien sûr... Mais certaines herbes me seront utiles, ainsi qu'à nos enfants..."
Elle lui prit délicatement Tristan des mains et il se mit à glousser tout en cherchant immédiatement le sein.
" Pfff... Je reste et demeure la source de nourriture... Je vais finir par me vexer."

[Taliesin]

-Courage. Plus ils grandiront, plus leurs repas s'espaceront, et plus vos interactions se diversifieront. Et puis, dans quelques mois, tu pourras les sevrer...
Il jeta un regard aux autres.
-Je crois que nous devrions prendre exemple sur Kerun et Judicaël, en faisant une liste, nous aussi. Il va y avoir de l'animation dans les jours à venir, et ce serait bête d'oublier d'inclure quelque chose dans nos bagages... Je prendrai quelques tenues de rechange, moi aussi. Même si...
Il sourit.
-Avant notre départ de Mersant, comme j'avais pour la énième fois perdu toutes mes affaires, il m'a fallu endosser un uniforme de la marine luménienne. J'avais une sacrée allure... Peut-être en auront-ils un à ma taille, sur la frégate ?

[Galathée]

" Je dois dire que je ne t'imagine pas vraiment en uniforme, fit la rôdeuse. Mais je suis certaine que tu as fière allure... dans n'importe quelle tenue. Tu as fière allure par essence..."
Elle se trouva un coin de banc, ouvrit son corsage et Tristan se mit aussitôt à téter. Kerun s'approcha d'eux. Il sourit à la jeune femme, toujours affable, puis se tourna vers Taliesin.
" Je me demandais comment diviser le groupe pour les téléportations. Nous sommes sept adultes et sept enfants, ce qui va nécessiter quatre jours de transport. J'entends que le banquet pourrait être organisé dès demain... On peut éventuellement demander à certains clercs... Helen ou peut-être Tim d'accompagner un groupe pour surveiller les enfants et de repartir en arrière avec Judicaël ensuite, quand nous serons tous réunis mais... Avez-vous une préférence pour le voyage ? Je pense que l'idéal serait que les bébés voyagent les derniers, mais je me demandais... Si vous consentiriez à être séparés pendant une nuit."

[Taliesin]

-Tu veux dire... Galathée et moi, n'est-ce pas ?
Il se tourna vers sa compagne. S'il fallait qu'il parte l'avant-dernier soir pour escorter une partie des enfants, cela ne lui posait guère de problème, même s'il aurait préféré l'éviter. Cependant, il estimait que la décision revenait à la rôdeuse : si une séparation lui pesait trop, il se rangerait à son avis. Elle était déjà assez inquiète comme cela pour ne pas en rajouter.

[Galathée]

Galathée pinça les lèvres.
" Nous pouvons nous débrouiller autrement, dit Kerun, immédiatement. Vous nous rejoindrez tous les quatre en dernier, dans ce cas. Je passerai le premier avec Flynn et Polyanna, sans doute Guéric. J'irai les mettre sur le bateau pendant que Judicaël amène Perceval, Lena et deux des enfants. Les quatre autres peuvent venir le jour suivant, et puis vous quatre pour terminer. Ce sera très bien comme ça. C'était juste une question, mais en réalité, nous serons assez nombreux pour les quelques jours de battement."
La rôdeuse se détendit aussitôt.
" Pensez-vous organiser quelque chose de particulier pour la fête ? Un discours, une cérémonie ? Si c'est demain soir, cela ne laisse pas longtemps aux gens pour se préparer."

[Taliesin]

-Pour être franc, nous n'en avons pas discuté... Mais à titre personnel, j'aimerais que ce soit... simple, bon enfant. Après, j'imagine que nos amis clercs auraient aimé organiser une sorte de cérémonie religieuse pour les jumeaux. Je ne suis guère attaché à ce genre de chose, mais si cela leur tient à cœur... Ce serait aussi, peut-être, une manière de les remercier pour tout ce qu'ils ont fait pour nous.
Il hésita, coula un nouveau regard en direction de Galathée, revint au Luménien.
-Juste une question à propos des groupes... Est-ce réaliste que le troisième ne soit composé que de gosses, hormis Judicaël ? Comment vous débrouilleriez-vous ? Les réceptionneriez-vous sur le lieu de la téléportation ?

[Galathée]

" Oui, nous les attendrons au lieu de téléportation, bien sûr. Et celle-ci est immédiate. Les risques sont donc très limités. Nous avons essayé de choisir un endroit très spécifique, avec une topographie unique. Judicaël a une excellente mémoire visuelle et il a pris le temps de repérer l'endroit bien à son aise. Les chances qu'il se rematérialise ailleurs sont très faibles."
Il grimaça légèrement.
" Pour le reste, personne ne m'a parlé de cérémonie religieuse. Je ne pense pas que les clercs prendraient ce genre de libertés, honnêtement. Le prosélytisme est la toute dernière de leurs attributions, en ces lieux. Il est même interdit à Mélandis."

[Taliesin]

Il songea à ce qui se produirait si l'incroyable survenait, si Judicaël commettait une erreur. Seul pour gérer quatre mômes... Ce ne serait pas simple, pour le moins. Cependant, lui-même ne pouvait rien pour aider, à ce niveau : la réponse silencieuse de la rôdeuse avait été on ne peut plus explicite. Et de toute façon, son devoir allait d'abord à elle et aux jumeaux, évidemment. A Baptiste aussi, mais...
Bah, pourquoi s'en faire ? Tout irait bien.
-Helen a mentionné cette possibilité, une fois... C'était une simple proposition, bien sûr. Enfin, je vais discuter de tout cela avec Galathée.

[Galathée]

" Très bien. Tant que tu ne t'attendes pas à ce que je fasse un discours ou quelque chose du genre, tout va bien."
Sur un sourire, il les laissa à nouveau. Galathée tendit Tristan à Taliesin pour qu'il prenne le relais du repas.
" Si tu crains quelque chose, je peux franchement survivre à une nuit seule ici... Blanche, Helen, Zora, Ismène seront là... Je m'inquiéterai pour toi, mais ce ne sera pas la première fois... et je dois réapprendre à te laisser suivre ton petit bonhomme de chemin... Je me suis faite à cette présence presque constante... Mais je sais qu'elle est réactionnelle. Je me demande... que deviendrions-nous si tu disparaissais ?"
Elle haussa les épaules, embarrassée.
" Fais ce que tu penses juste. Si tu crains qu'ils ne s'en sortent pas avec toute cette bande... Accompagne-les."

[Taliesin]

-Je n'ai pas envie de vous quitter, même pour une seule nuit, et je ne souhaite en aucun cas te causer d'inquiétude, dit-il, sincère. Mais cette organisation... Si peu d'adultes pour gérer tant de gosses, surtout lors du dernier voyage... Cela ne me paraît pas l'idéal. Kerun aussi trouve que ce n'est pas l'idéal, sinon, il n'aurait pas posé la question.
Il soupira.
-Si je pars dans l'avant dernier groupe, je vais m'inquiéter pour vous. Si je pars avec vous, je vais m'inquiéter pour les autres. Pour Baptiste, notamment. Même si je sais qu'il n'y a aucun risque dans les deux cas.

[Galathée]

" En tout cas, il n'y a aucun risque pour nous, dit Galathée avec le sourire. C'est pour toi... Enfin bref. Peut-être est-ce mieux que tu y ailles avec Baptiste. Comme ça, la famille est divisée... Il appréciera le geste. Si Judicaël vous y emmène en fin de journée, j'imagine qu'il pourra nous transférer le matin du jour suivant..."
Elle eut un sourire brave.
" C'est la bonne chose à faire. Ces gens nous donnent beaucoup... Nous ne pouvons pas être égoïstes. Ce serait mal."

[Taliesin]

Il acquiesça.
-En plus, le plan de base était d'y aller à pied... Si Judicaël s'implique à ce point, si Kerun a autorisé ce précédent, c'est avant tout pour nous... Alors oui, je crois que je dos faire mon possible pour les aider. Ce serait un juste retour des choses. Et cela montrerait aussi à Baptiste qu'il est bien des nôtres...
Nouveau soupir.
-Mais ça reste une décision difficile... Veux-tu que j'aille le dire tout de suite à Kerun, pour mettre un terme aux hésitations, ou préfères-tu que nous nous accordions quelques heures de réflexion ?

[Galathée]

" Non. Ce n'est pas une décision si dramatique... et c'est un gage de confiance envers eux. Tu peux aller le leur dire. Peut-être... non, attends plutôt un moment plus... naturel. N'en faisons pas tout un foin."
Guéric leur faisait des grands signes, juste derrière eux.
" C'est le tour d'Héloïse. N'hésite pas à refiler Tristan s'il t'ennuie..."
Au fil des conversations autour d'eux, Taliesin comprit que l'idée d'organiser leur grande fête le lendemain soir se cristallisait dans les esprits. Blanche et Alexandre avaient commencé à réfléchir à ce qui pourrait être préparé pour l'occasion, Judicaël s'apprêtait à rentrer à Mélandis pour y passer la soirée et y quérir leur contingent. Il avait eu une discussion relativement animée avec Kerun, mais ils semblaient s'être mis d'accord et se quitter bons amis. La journée touchait doucement à sa fin et il serait bientôt temps de songer au souper... avant une autre nuit épique.

[Taliesin]

En songeant à celle-ci, l'elfe se dit que, pour lui, leur petite séparation aurait des allures de vacances. Sauf qu'il culpabiliserait de laisser Galathée seule, de lui causer de l'inquiétude. Sauf qu'il s'inquiéterait, lui aussi. D'un autre côté, il pensait que leur décision était la bonne : il n'avait participé à aucune des dernières libérations, n'avait pas prêté la main au quotidien de la communauté... Alors oui, il était plus juste qu'il aide durant le voyage, moment où son concours serait réellement nécessaire. Restait à en parler à Kerun le plus vite possible : il avait besoin de mettre un terme aux tergiversations qui, malgré tout, continuaient à l'agiter.

[Galathée]

Il trouva l'opportunité à la faveur de la préparation de la table pour le souper. Comme Perceval s'était proposé de porter le berceau des bébés à l'intérieur, comme Helen berçait Tristan, il s'était retrouvé réquisitionné aux assiettes tandis que Kerun plaçait les couverts. A la faveur d'une rencontre fortuite en bout de table, il avait pu annoncer la couleur. L'elfe des bois l'avait remercié sans effusion, mais Taliesin comprit que son geste était apprécié à sa juste valeur.
Durant le souper, les garçons voulurent savoir ce que Taliesin prévoyait pour la fête du lendemain : quelles chansons, ballades, s'il ferait de la magie, s'il jonglerait, s'il savait marcher sur les mains, s'il conjurerait ce fameux ours savant et si les bébés diraient enfin quelque chose de plus intelligent que "areuh" ou "gagaga".

[Taliesin]

Il écouta toutes les questions avec attention, comme pour les graver dans sa mémoire puis, adoptant une mine désolée, il secoua la tête.
-Je suis vraiment navré mais, étant trop épuisé, je ne pourrai rien faire d'autre que manger silencieusement. Je crains par ailleurs que ce soit le cas d'absolument tous les autres adultes... En revanche, comme vous êtes en pleine forme, vous, il a été décidé que l'animation de la soirée vous reviendrait. Vous devrez écrire et déclamer des poèmes, composer et interpréter chants et morceaux de musique, inventer et jouer une pièce de théâtre en dix actes, narrer au moins cinq histoires chacun, et réaliser des tours de passe-passe, des danses, des numéros d'acrobates...

[Galathée]

Les enfants restèrent muets de stupeur un instant.
" SUPER ! s'exclama Hippolyte. OUAIS ! Ce sera dément !
— Je peux faire une sorcière ? demanda Marine. Je voudrais faire une sorcière.
— Je vais jongler avec des FLAMMES ! déclara Prudence. Des FLAMMES GEANTES !
— Bon, on devrait peut-être répéter notre danse, alors, Inès, t'en penses quoi ?
— Ben, j'sais pas.
— Si on s'entraîne encore ce soir...
— J'sais pas.
— Moi j'ai au moins dix histoires de dragons, déjà.
— Tu m'en prêtes une ?
— Tu paies combien ?
— Une pièce de cuivre.
— Ça marche."
De l'autre côté de la table, les adultes regardèrent Taliesin avec consternation.
" Ne vous en faites pas, dit Blanche, pragmatique. Je vais trouver du coton pour toutes les oreilles."

[Taliesin]

Il adressa à ses congénères un sourire embarrassé.
-Je pensais qu'ils m'enverraient balader, non qu'ils seraient si enthousiastes... fit-il.
Pour les avoir à peine croisés au cours du dernier mois, il avait oublié qu'il était dangereux de lancer une telle boutade à une bande d'enfants... Mais puisque cela les enthousiasmait, où était le problème ? Et puis, malgré leurs expressions, les adultes aussi s'amuseraient... Ah, les réjouissances promettaient d'être épiques... et mythiques !