[Lieu] Une route oubliée

[Taliesin]

Midi arriva sans que rien d'inquiétant ne se soit produit. Au contraire, ils avaient avancé à un bon rythme. On fit donc stopper la colonne et les aides d'Ignace entreprirent de distribuer aux colons de quoi se sustenter. Peut-être la halte serait-elle moins longue qu'à l'accoutumée mais elle avait lieu, ce qui était rassurant en soi.
Quelques instants seulement après que les chariots se fussent immobilisés, Robert se porta à la rencontre du paladin.
-Tout se passe bien de votre côté ? s'enquit-il. Du mien, rien à redire. Et j'ai même reçu des nouvelles positives : Frida pense avoir aperçu la fin de cette région au déprimant manque de dénivelé, tandis que le lynx de Varamyr, qui s'est fort éloigné de la colonne, n'a pas noté trace des cannibales.

[Hubert de Maleval]

" Oh, fit le paladin. J'ignorais que la physionomie du terrain allait changer."
C'était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Plus de possibilités de défense, mais davantage de cachettes pour les agresseurs. Il ne savait pas exactement quoi en penser.
" Je pense qu'il sera nécessaire de rediscuter avec Varamyr, quand nous en aurons l'occasion... Même s'il ne connait pas la tribu particulière à laquelle nous avons affaire, il a sans doute des généralités utiles à nous transmettre."
Pour autant que Varamyr soit fiable... Pour autant que son lynx n'ait vraiment rien vu... Une seconde, il pensa s'ouvrir de ses intentions à Robert, puis il se ravisa aussitôt. Il n'était pas certain que le chevalier apprécierait son intention de sonder clandestinement les colons. Or il ne voulait pas devoir enfreindre ses ordres.
En même temps, Varamyr leur avait sauvé la vie dans le tumulus... Pourquoi faire une chose pareille, s'il avait ensuite l'intention de les conduire jusqu'à la gueule de ses pairs ? Sans Robert et Hubert, le groupe aurait été déforcé, moins capable de se défendre, tout aussi comestible... Le calcul paraissait absurde. Sauf s'il avait voulu s'assurer qu'on ne le soupçonnerait jamais de traîtrise.
Tu deviens méfiant de tout.
Mais c'était nécessaire, il fallait bien que quelqu'un s'en charge.

[Taliesin]

Robert avait acquiescé.
-Effectivement. Et s'il nous en a déjà dit beaucoup avant le départ, un petit rappel ne peut pas faire de mal, sans compter que vous n'étiez pas encore parmi nous quand il a exposé ses connaissances en la matière... Bref, il est impératif que tous les éclaireurs et toutes les personnes chargées de la défense soient au fait des techniques d'approche, d'embuscade, de dissimulation et de combat de ces cannibales, De plus, il faudra que je vous parle d'une possibilité à laquelle nous pourrons recourir en cas de force majeure : continuer à faire avancer la colonne durant la nuit. Nous en avons les moyens.

[Hubert de Maleval]

Le paladin acquiesça.
" J'imagine que nous en déciderons en fin de journée, en fonction de ce que nous rapportent les éclaireurs." dit-il, pensif.
Il jeta un coup d'oeil sur le marais, revint à Robert.
" Je dois dire que ce qui m'intéresse aussi, c'est la structure hiérarchique de ces clans. Est-ce que tuer le chef ou le faire prisonnier pourrait avoir un effet positif... ou la fille du chef... ou n'importe quelle figure d'autorité ou de prestige... Et puis je pense nécessaire de savoir comment ils gèrent leur... nourriture. Est-ce qu'ils gardent leurs prisonniers vivants, notamment... Je ne veux pas envisager le pire, mais il faut l'envisager, et décider de la marche à suivre s'ils parvenaient à capturer certains des nôtres."

[Taliesin]

Le visage du chevalier s'assombrit et il se détourna.
-Selon Varamyr, si les choses devraient mal tourner, il serait plus... humain... de prendre des mesures pour que les cannibales ne puissent faire aucun prisonnier. Pour qu'il n'y ait personne à capturer. Si vous voyez ce que je veux dire.
Il soupira.
-Enfin, nous en rediscuterons avec lui. Vous l'avez remarqué, il a tendance à présenter d'emblée le pire cas de figure avant d'introduire quelques nuances. C'est une stratégie assez rude mais pas forcément inadaptée à notre situation. Cependant, sur ce sujet précis, j'espère qu'il apportera beaucoup de nuances...
Il refit face au paladin.
-Pour en revenir aux questions hiérarchiques, si leur chef meurt ou tombe entre nos mains, ses guerriers n'auront de cesse de prouver leur bravoure pour prendre sa place. Et si nous faisons des prisonniers, ils n'auront de cesse de nous anéantir pour laver cet humiliant affront.

[Hubert de Maleval]

" Hum. Et j'imagine qu'il n'y a pas une idole religieuse qu'ils voudraient récupérer ou quelque chose comme ça ?"
Le paladin ne put s'empêcher de sourire.
" Voyons les choses du bon côté. Débarrasser la région de ces barbares est une bonne action et en tant que paladin, je suis forcé de me réjouir à l'idée de les éliminer de la surface d'Hélonna. Les laisser courir à présent que je les sais dans le coin serait contraire à mes voeux. Le Mal rampe et le Mal doit être anéanti. Je n'aurais pas craché sur un peu de renforts pour effectuer cette noble tâche, mais je crois que je pourrai m'accommoder de notre nécessité."

[Taliesin]

Son supérieur lui jeta un regard aigu.
-Je comprends votre point de vue et votre enthousiasme est indéniablement réconfortant, dit-il doucement. Néanmoins, compte tenu des circonstances, je crois que nous devons tout faire pour repousser cet affrontement jusqu'à ce que nous soyons dans une position plus favorable, voire pour l'éviter tout à fait, si telle chose est possible. Nous aurons tout loisir d'éliminer ces sauvages quand la Communauté sera solidement installée dans ses murs, quand vous et moi en serons venus, pour nous occuper, à aller de tumulus en tumulus...

[Hubert de Maleval]

" Je vous rassure, Robert. Je n'ai nulle envie de chercher la confrontation. Ma mission première est de protéger les membres de la communauté, et il n'y a aucun risque que je l'oublie. Mais on essaie de se remonter le moral comme on peut."
Il grimaça.
" Cependant, il nous faut envisager le combat et sans doute devrons-nous prendre le temps de réfléchir aux civils qui devront se battre au besoin... En fonction des informations que nous récolterons sur ce groupe... Leur nombre est quand même un élément crucial dans l'organisation de notre défense."
Mais pour l'heure, il n'y avait rien à faire sinon scruter la grisaille et avancer. Hubert devinait que la pause serait de courte durée.

[Taliesin]

-Au niveau des combattants civils, nous n'aurons aucun mal à savoir où nous en somme : nous disposons des rapports des instructeurs et pouvons les consulter à nouveau, au besoin. Ce qui m'inquiète davantage, c'est la récolte de données sur les cannibales, car nous sommes face à un dilemme. Je me suis renseigné et les mages ne disposent pas de sortilèges de divination adéquats. Par conséquent, il nous faudra recourir à un animal... Mais s'il est repéré alors que les Paludiers n'ont pas encore pris conscience de notre présence, cela les mettra sur notre piste et précipitera la confrontation... Bref, je serai tenté d'attendre que nous ayons la quasi certitude qu'ils sont sur nos traces. Évidemment, ce n'est pas la solution idéale, puisque, ce faisant, nous nous privons d'informations les concernant. Néanmoins, et malgré ses inconvénients, cela me paraît l'attitude la plus prudente...

[Hubert de Maleval]

Hubert parut surpris.
" Le propre des animaux n'est-il pas de se fondre dans la nature ? Pensez-vous que les Paludiers auraient conscience qu'un aigle ou un lynx de passage est justement le familier d'un rôdeur ? Varamyr est du coin, j'aurais pensé qu'il se serait lié avec un animal... relativement commun dans la région..."
Il secoua la tête.
" Je croyais que c'était à ça qu'elles servaient, moi, ces bestioles... Hum."

[Taliesin]

-Elles nous ont déjà rendu bien des services en aidant les éclaireurs à localiser tant les bornes que les groupes de monstres errants. Et à l'heure qu'il est, l'une d'entre elle nous sert de guide. Ce n'est déjà pas si mal, non ? Pour le reste... Spontanément, je dirais que les aigles ne sont pas légion, dans ces parages. En revanche, le compagnon de Varamyr est un lynx tueur des marais : il ne détonne donc nullement dans le décor. Cependant, nos ennemis comptent des rôdeurs dans leurs rangs et il me semble qu'ils seraient donc fort bien placés pour faire la différence entre un animal ordinaire et un... moins ordinaire. Sans doute y a-t-il d'infimes différences dans le comportement... Enfin, je ne suis pas expert en la matière, il faudra que nous en discutions avec les spécialistes. Il nous diront ce qu'il en est et nous permettront de trouver sinon la meilleure solution, en tout cas la moins mauvaise.

[Hubert de Maleval]

Hubert se demandait comment Robert pouvait affirmer que les Paludiers disposaient de rôdeurs. Mais peut-être était-ce une profession ordinaire en ces lieux.
" J'imagine qu'ils vous auraient proposé davantage s'ils l'avaient pensé possible, dit le paladin en haussant les épaules. Nous ferons avec ce que nous avons, de toute façon. Les regrets ne servent à rien, sinon à empêcher l'esprit de réfléchir aux solutions."
Il jeta un oeil sur le ballet des hommes de l'intendance, derrière eux, qui terminaient de servir leur repas aux colons. Ils ne tarderaient certainement plus à repartir, désormais.
" Ne devrions-nous pas demander à nos archers d'abattre tout animal suspect s'approchant de la colonne ?"

[Taliesin]

-C'est une bonne idée, et je vais faire passer le mot aux éclaireurs : je ne doute pas qu'ils sauront faire la différence entre ce qui est suspect et ce qui ne l'est pas, là où d'autres pourraient se laisser prendre par de fausses alertes qui accroîtraient la nervosité ambiante, ce que nous devons essayer d'éviter...
Il jeta à son tour un regard aux colons qui, désormais, regagnaient leurs chariots respectifs.
-Bon et bien, je crois qu'il est temps de repartir. Bonne continuation, Hubert. Si tout va bien, nous ne nous reparlerons pas avant ce soir.
Il lui sourit brièvement avant de faire volter sa monture.

[Hubert de Maleval]

Le paladin acquiesça puis renvoya également Grand Vent à l'avant de la colonne. Il ne s'attendait pas vraiment à ce que l'alerte soit donnée dans l'après-midi, mais la présence de cannibales dans les environs ne signifiait pas que tous les autres monstres qui hantaient les marais avaient pris la tangente. Avec un peu de chance, lorsqu'ils commenceraient à grimper, les marécages céderaient la place à des landes plus sèches, de la steppe peut-être, des collines rocheuses. Il faillit rire : il n'avait même pas terminé sa lecture de l'opus sur les créatures de la fange qu'ils allaient déjà la quitter. Mais sans doute trouverait-il un livre sur les bestioles de la montagne dans la bibliothèque sur roues...

[Taliesin]

Cependant, rien dans le paysage ne se modifia au cours des heures suivantes : toujours cette morne platitude, ces interminables forêts de roseaux blanchies par la neige, ces nombreuses mares recouvertes d'une fine couche de glace... Tours pas le moindre signe d'éminence, aussi modeste soit-elle, ni de monuments funéraires quels qu'ils soient. Pour rompre la monotonie du voyage, il n'y eut guère qu'un rapport des éclaireurs signalant l'élimination d'une petite bande de zombies et, en une occasion, l'aigle de Frida fendant les cieux gris.
La lumière finit par décliner, Robert par reparaître.
-D'ici vingt minutes, nous aurons atteint le lieu du bivouac, annonça-t-il. Un passage où la route file droit entre deux plans d'eau croupie. Rien moins que bucolique, certes, mais au moins bénéficierons-nous ainsi d'une certaine protection.

[Hubert de Maleval]

" D'accord, dit le paladin. Je vais prendre la tête de la colonne et sonder les lieux en arrivant. Je sais que les éclaireurs ont sûrement fait leurs propres examens, mais nous n'avons pas les mêmes méthodes. Ensuite, j'imagine que nous devrons disposer nos sentinelles et nos hommes au mieux... Les plans d'eau peuvent être protecteurs ou nous piéger en cas d'attaque massive... Nous ne pouvons pas négliger ce risque."
Si Robert n'avait rien à ajouter, il avait l'intention de joindre le geste à la parole.

[Taliesin]

Le chevalier n'avait rien à ajouter, et il put donc sans tarder mettre son plan à exécution. Il ne nota rien d'inquiétant ni sur le trajet qu'il resta à accomplir, ni sur les lieux du campement. Ceux-ci n'avaient pas été mal choisis : de part et d'autre d'un espace suffisamment large pour accueillir deux rangs de chariots et permettre à des piétons ou à des cavaliers de circuler le long de ceux-ci, le sol descendait en une pente aussi courte que raide et, à cinq ou six pieds en contrebas de la route, s'étendaient deux vastes étangs. Relativement étendus, ils semblaient en outre assez profonds pour qu'il soit impossible d'y avoir pied : par conséquent, d'éventuels assaillants devraient nager pour s'en prendre à la communauté.

[Hubert de Maleval]

Hubert supervisa l'installation, appliquant les directives qu'ils avaient décidées la dernière fois, la mise en rangs par deux des chariots, le dételage des chevaux, le positionnement des soldats autour de la colonne. Les sentinelles devraient bientôt prendre place à leurs postes et surveiller la nuit. Tout en dirigeant les gens qui ne savaient pas quoi faire d'eux-mêmes, le paladin scrutait la campagne et guettait Robert. Sans doute faudrait-il prendre des décisions par rapport aux armes et aux armures, ce genre de choses... Leur position était plutôt acceptable, sauf si quelque chose surgissait des profondeurs pour les pousser à l'eau. Mais on ne pouvait pas tout prévoir, pas tout contrôler, il fallait se contenter de faire de leur mieux.
Il était heureusement surpris de la dignité et du calme qui régnaient dans la communauté. Bien sûr, ces gens savaient que l'entreprise était incroyablement risquée. Il se demandait cependant ce qu'il faudrait pour que cette sérénité de surface vole en éclats. Sans doute simplement le son d'un tambour proche, et la promesse de la curée.

[Taliesin]

Comme son bras droit, le chevalier avait supervisé la mise en place de la moitié de colonne placée sous sa responsabilité. Sitôt que ce fut chose faite, il entreprit de le rejoindre. Sa manœuvre fut ralentie par l'apparition de l'aigle, venu lui délivrer un nouveau message. Le paladin ne tarda pas à en connaître la teneur.
-Frida et son groupe nous rejoindront dans environs une heure. Je pense préférable de l'attendre pour organiser une réunion d'état major... ainsi qu'une autre du conseil. D'ici là, je crois que nous aurions tout intérêt à souffler un peu, surtout compte tenu de la nuit que nous avons passée... A moins, bien sûr, que vous ne souhaitiez discuter dès à présents d'un point ou d'un autre.

[Hubert de Maleval]

" Non, dit le paladin. Rien qui ne soit urgent. Je vous retrouverai à la réunion d'état-major."
Il descendit ensuite de cheval et envoya le destrier jusqu'au chariot de Ruth. Même si la gamine ne pouvait pas se déplacer dans le campement, elle pourrait toujours desseller et bouchonner l'animal. De son côté, il avait l'intention de trouver Ignace. Avec le nombre de chariots et de chevaux au mètre carré, il était sûr de parvenir à incanter sans être vu et de pouvoir enfin sonder cette satanée aura, avant de se procurer les listes et d'effectuer la tâche ô combien nécessaire qu'il s'était fixée.

[Taliesin]

Sans doute la multiplicité des véhicules et des équidés constituerait-elle un avantage pour l'exécution de son plan, à un moment où à un autre. Dans l'immédiat cependant, il dut déchanter : entre les cochers demeurés sur leurs bancs, les palefreniers à l’œuvre, les colons sortis pour se dégourdir les jambes ou satisfaire aux besoin de la nature, les gardes, la colonne grouillait d'yeux... Quant à Ignace, il n'eut pas de mal à le localiser : il se trouvait près du semblant de cuisine où, déjà, on faisait chauffer de la soupe dans de grandes marmites. Hubert pouvait tenter de sonder son aura : il fallait juste dénicher le bon endroit où se positionner et agir très vite, en espérant que personne ne le surprenne. Sinon, il devrait remettre cela à plus tard.

[Hubert de Maleval]

Le paladin commençait à trouver la situation extrêmement frustrante et il n'était pas très tolérant à ce type d'émotion. Mais il y avait une solution pour réaliser la chose en prenant un minimum de risques. Il pouvait sonder l'extérieur du campement, ce qui était plutôt logique, puis terminer son mouvement à l'intérieur de celui-ci. Après tout, ni les corps ni les véhicules ne constituaient des obstacles à l'énergie magique qui l'investissait et puisque tout le monde était bienveillant, pourquoi les gens s'en inquiéteraient-ils ? Il pouvait tergiverser encore mille fois, et puis il regretterait ses réserves au moment où le traître planterait son couteau dans la gorge d'un innocent.
Il hésita. Est-ce qu'on ne lui avait confié ces fichues listes, lors du départ ? Elles se trouvaient peut-être encore dans le fond de ses fontes, tout bien réfléchi. Au pire, il attendrait la nuit. Une heure de plus, une heure de moins, après tout, il n'en était plus là. Il abandonna l'intendant, de méchante humeur, et gagna le chariot de Ruth et l'endroit où devait se trouver son destrier.

[Taliesin]

Il trouva la fillette affairée auprès de Grand Vent : elle l'avait déjà dessellé et, à présent, le bouchonnait avec application. Quand elle entendit venir le propriétaire du destrier, elle releva les yeux, mais son large sourire fut presque aussitôt remplacé par une expression inquiète. Sans doute avait-elle noté quelque chose sortant de l'ordinaire sur la visage du paladin.
-Désolée, m'sire... commença-t-elle, embarrassée. Quand j'ai vu votre cheval ici, j'ai pensé que vous vouliez que... Et Arnaud m'a donné ce qu'il fallait pour... Enfin, si j'ai compris de travers, je vous présente mes excuses, je voulais pas mal faire.

[Hubert de Maleval]

Il adoucit son expression chagrine d'un sourire.
" Non, Ruth, c'est parfait. Je t'ai envoyé Grand Vent exactement pour ça. Je suis heureux que vous vous entendiez bien, tous les deux."
Il caressa son cheval puis poussa un bref soupir.
" Je viens juste chercher quelque chose dans mes fontes... Enfin... Sans certitude que ça s'y trouve encore."
Une partie de lui hésitait à demander son aide à la gamine. Il était persuadé qu'elle lui obéirait, même s'il lui demandait d'enfreindre l'intégralité des règles de la communauté. Mais ça aurait été lui rendre un bien mauvais service, sans parler de l'exemple qu'il lui donnerait. Certains jours, on avait envie de se faire Garde Gris, et de remiser les beaux principes au placard le temps de faire les choses nécessaires.

[Taliesin]

Hubert trouva ce qu'il cherchait : une liasse de parchemins, chacun correspondant à un chariot, avec le numéro attribué à celui-ci - et reflétant son ordre de marche ordinaire dans la colonne -, le nom de son conducteur, la liste de ses passagers... Certes, comme Robert les lui avait remis juste avant leur départ, comme huit jours s'étaient écoulés depuis, des changements mineurs avaient pu intervenir. De surcroit, les documents ne précisaient pas où s'installaient les membres de l'escorte, la nuit venue, et ce fort logiquement puisque nombre d'entre eux dormaient habituellement dans des tentes. Néanmoins, c'était un atout plus que précieux.

[Hubert de Maleval]

Le paladin se sentit déjà un peu moins tendu en retrouvant les parchemins. Il fallait maintenant qu'il déniche de quoi écrire, histoire de pouvoir suivre le progrès de ses investigations. Il se tourna vers la gamine.
" Ruth, est-ce que tu peux regarder cette liste et me dire si toutes les personnes qui y figurent ont bien dormi avec toi cette nuit ? Est-ce que certains font partie des guetteurs ? Si oui, dans quel groupe ? Et aviez-vous des invités ?"
Il ne justifia pas sa demande. La gamine se poserait peut-être des questions, mais il n'avait pas envie de l'impliquer plus que nécessaire.

[Taliesin]

Ruth le dévisagea un instant, manifestement surprise, puis s'empressa de lire la liste, son doigt suivant les lignes et ses lèvres s'agitant en silence tandis qu'elle déchiffrait péniblement les noms.
-Tout le monde a bien dormi là cette nuit, dit-elle finalement. Et on a jamais d'invités. Et pour les guetteurs...
Elle lui indiqua deux personnes qui faisaient partie des volontaires et appartenaient au premier groupe. Puis elle évoqua sa mère, volontaire également, mais qui avait tenu à être rattachée au second pour ne pas donner à sa fille l'impression qu'elle la surveillait.
-Voilà, conclut-elle.
Et de l'observer à nouveau, sans oser poser la question qui, assurément, lui brûlait les lèvres.

[Hubert de Maleval]

Il fut sensible à la moue de la gamine.
" Je suis désolé, je ne peux pas t'en dire plus. C'est une question de sécurité, lui dit-il avec un sourire. Je te serais reconnaissant de ne pas en parler, non plus. Je t'expliquerai plus tard."
Il laissa son regard courir sur les alentours, mains sur les hanches.
" Je crains que nous n'ayons pas l'espace de nous entraîner aujourd'hui... mais ce n'est que partie remise.

[Taliesin]

Ruth opina lentement du chef.
-Ce n'est pas grave, m'sire. Et puis, même s'il y avait eu la place... Je vois bien que cette... question de sécurité, comme vous avez dit, vous tracasse. Qu'elle vous tracasse beaucoup. Alors il faut que vous vous occupiez de ça. Les exercices, ça peut attendre. Et... promis, je ne dirai rien.
Elle jeta un coup d'oeil à Grand Vent.
-Quand j'aurai terminé de le bouchonner, vous voulez que je l'attache ici ou que je demande à Arnaud de l'amener ailleurs ?

[Hubert de Maleval]

" Garde-le près de toi. Je ne sais pas encore exactement où nous allons placer les chevaux et j'imagine qu'ils seront dispersés à plusieurs endroits de la colonne... Si tu le peux, emmène-le là où tu es affectée, quand tu commences ton tour de garde. Comme ça, vous pourrez veiller l'un sur l'autre."
Il lui sourit.
" Et ne t'inquiète pas de mes questions de sécurité. J'étais juste agacé et maintenant que j'ai trouvé ça..."
Il lui montra les parchemins avant de les ranger dans la poche intérieure de son manteau.
" Je me sens nettement moins tracassé, déjà."
Il avait sans doute encore le temps de courir chercher un crayon à l'Académie, avant de retrouver les officiers pour l'obligatoire débriefing de la journée.