[Ailleurs] Au-delà : troisième pilier - Mornagest

[Taliesin]

Malheureusement, pour en apprendre davantage sur ce lien, il faudrait repasser...

-Oh, mais il n'est nul besoin de me prier pour cela ! répondit-elle, plus souriante que jamais. Je respecterai votre décision quelle qu'elle soit : vous n'avez aucun compte à me rendre, après tout ! Si vous avez pris ma remarque pour une tentative de faire pression sur vous, j'en suis désolée, car ce n'était nullement mon objectif. Ce que je voulais dire, c'est juste que...

Elle le frôla à nouveau, profitant comme de coutume d'une opportunité offerte par les mouvements de la danse.

-..que savoir que vous repartirez peut-être d'ici peu de temps me donne envie de profiter au maximum de votre présence tant que je le peux... conclut-elle d'un ton mutin.

Décidément, il était difficile de résister aux attraits de cette jeune femme. Et le corps qu'occupait Mornagest semblait n'avoir aucune envie d'essayer...

[Mornagest]

Son corps, non, mais son esprit, si. Il vécut une curieuse sensation, familière mais dérangeante, surtout alors que dame Christelle le frôlait à chaque fois qu'elle le pouvait. Elle était dotée d'un visage réellement beau, cela ne lui avait pas échappé, et ses manières faussement ingénues rajoutaient à son charme naturel. Et elle le savait pertinemment. Il songea que le barde qu'il incarnait devait probablement apprécier d'être admiré par de si jolies dames, ce qui était somme toute évident, mais espéra une nouvelle fois se méprendre quant à ses propos à double sens. Ou plutôt, trop clairs pour être mis en doute... la sensation dérangeante se mua en inquiétude. Il ne pourrait concevoir de satisfaire jusqu'à ce point les attentes de la dame, toute jolie fût-elle. Mais comment éviter le pire sans paraître offensant ? Taliesin était barde, et les bardes avaient la réputation - usurpée ou non - d'être volages. Elle prendrait un refus comme une insulte, et n'importe quel mensonge de la même façon, à n'en point douter. Toutefois, il bénéficiait encore d'un sursis. Et il se trompait peut-être sur les intentions de dame Christelle. Il l'espérait vraiment.

"Ah, je le conçois sans peine, ma dame. Voyez, vous m'infligez un terrible dilemme, tiraillé que je suis entre l'envie de prolonger mon séjour parmi vous et celui de reprendre la route pour poursuivre mon existence d'aventure et de découverte !" Il sourit en disant ces mots, et il savait qu'elle les prendrait sur le ton de la plaisanterie. Mais il sentait aussi qu'il perdait la bataille, ce faisant. Il jouait son jeu, au lieu de battre en retraite et déclarer forfait. Pourtant, il ne parvenait pas à résister, en dépit de ses efforts. Son esprit était-il influencé par le véritable Taliesin, dont il occupait le corps ? Quelle diablerie...

[Taliesin]

-Me voilà confuse : je pensais que mes paroles rendraient ce choix moins pressant ... fit mine de s'étonner la jeune femme. Après tout, la qualité d'un moment n'a pas toujours de rapport avec sa durée. Si vous décidez finalement de nous quitter, et si le temps que vous avez passé d'ici là en notre compagnie, aussi bref soit-il, s'est avéré agréable... Ne partirez-vous pas le cœur plus léger, avec l'impression d'avoir profité au mieux de cette halte ?

A sa grande surprise, Mornagest constata que sa propre main s'était légèrement déplacée sur le corps de sa cavalière. Le geste, discret, pouvait passer pour le simple fruit du hasard. Mais vu le contexte, on pouvait l'interpréter d'une toute autre manière.

-Je vais prendre cela pour un oui... souffla d'ailleurs Christèle, tout sourire.

[Mornagest]

Il s'étonna lui-même. Il parvint cependant à mettre en relation cette abominable situation avec le fait qu'ils étaient, pas si longtemps plus tôt, dans cette maudite clairière qui les avaient encore amenés dans un endroit affreux. Une épreuve... et une belle ! Il était soumis à la tentation, et, suprême horreur, il ne parvenait pas à s'y soustraire ! Était-ce car il habitait le corps de Taliesin ? Sa volonté n'était plus tout à fait la sienne, et, au lieu de hurler et s'enfuir en courant, il sentit ses lèvres afficher un large sourire qu'il devina béat et empli de mystère interprétable de diverses façons. Dont une seule retiendrait l'attention de dame Christelle, à n'en point douter : l'approbation et l'acceptation de son invitation on ne pouvait plus courtoise mais qui recelait sans doute un affreux guet-apens nocturne.

"Je ne voudrais pas vous brusquer..." fit-il, baissant subrepticement les yeux vers sa main pour préciser de quoi il parlait exactement. Mais de mouvoir cette dernière, impossible. Elle était attirée comme par un aimant invisible.

[Taliesin]

-Il n'y a vraiment pas le moindre risque, répondit-elle en riant.

Ils virevoltèrent de concert encore quelques instants, puis le morceau toucha à sa fin et ils s'immobilisèrent.

-Merci beaucoup pour cette danse, fit la jeune femme. Je vous demanderai bien de m'en accorder une deuxième, mais quel genre d'hôtesse serais-je, si je privais mes invitées d'un cavalier aussi doué que vous ? Nous nous retrouverons plus tard, cependant...

Elle lui dédia un sourire mutin puis s'en fut. Mornagest se retrouva ainsi seul au milieu de la piste... et de maints regards féminins tournés vers sa personne.

A moins de vouloir causer nombre de déceptions et, qui sait, de s'attirer des inimitiés, il n'était pas prêt de pouvoir retourner s'assoir...

[Mornagest]

Il soupira mentalement de soulagement. Répit de très brève durée, il le savait, et en eut la confirmation lorsqu'il vit plusieurs des dames présentes le regarder plus ou moins discrètement du coin de l'œil en attendant avidement la prochaine danse. Mais au moins, il ne prendrait plus le risque de faire la cour sans le vouloir à la fille - ou l'épouse ! - du maître de la maison...

Reprenant son souffle bien plus facilement qu'il ne l'aurait pu, il se sentait même d'attaque pour réaliser encore plusieurs gigues, sarabandes et autres pavanes. Toutes seraient comblées d'aise en étreignant le barde, qui leur murmurerait tantôt des compliments, tantôt des mots plus coquins...

Il se serait volontiers donné une énorme paire de claques.

[Taliesin]

Le reste de la soirée fut moins éprouvant qu'il n'aurait pu le croire : l'enveloppe charnelle qu'il occupait non seulement savait bien danser mais, de surcroit, en avait l'habitude, si bien qu'il ne se fatigua guère. Mieux encore, alors que sa relation avec Christèle avait été pleine de sous-entendus, d'équivoques, ses échanges suivants furent dépourvus de toute ambiguïté : que ses partenaires soient douées ou malhabiles, belles ou laides, jeunes ou vieilles, ils se contentèrent de virevolter, n'échangèrent que des propos badins, n'eurent pas le moindre geste sujet à interprétation.

Les heures passèrent ainsi, ponctuées parfois de courtes pauses au cours desquelles il pouvait boire un verre, grignoter un morceau avant de s'élancer à nouveau sur la piste où, de temps à autre, il apercevait la jeune femme et le maître des lieux danser également avec diverses personnes. Enfin, alors qu'il faisait depuis longtemps nuit noire, les musiciens optèrent pour des morceaux plus doux, pour, en somme, une musique d'ambiance destinée à accompagner les ultimes instants de la fête qui, désormais, touchait à son terme.

[Mornagest]

La soirée fut plus calme en termes d'émotions, et Mornagest se détendait presque lorsque les musiciens changèrent leur style de musique : d'enjouée, elle devint plus lente, mélodieuse, romantique. Le moment venu pour ponctuer une soirée de danse riches en rencontres, sans doute. Si l'aristocratie locale était identique à celle de Melandis, le guerrier ne doutait pas que cela continuerait à fricoter en coulisses, une fois leurs pénates regagnées. Nombre de nobles trompaient leurs conjoints, et, bien que cela se sût, c'était toléré voire encouragé : des alliances étaient parfois forgées sur de telles bases libertines...

Évidemment, du point de vue des convives, il était un artiste, et non un instrument du pouvoir. Quoique...

[Taliesin]

La suite sembla cependant prouver que les mœurs en vigueur au sein des hautes sphères mélandiennes n'étaient pas de mise partout sur Toril.

En effet, un à un, les invités prirent congé, saluant leurs hôtes mais également l'artiste qui avait, à tous niveaux, égayé la soirée. Lorsqu'ils eurent tous regagné leurs carrosses, alignés dans une cour située de l'autre côté du manoir, le maître des lieux comme Christèle lui souhaitairent la bonne nuit et se retirèrent, tandis qu'un serviteur le conduisait jusqu'à ses propres quartiers.

Avant longtemps, il se retrouva ainsi seul dans une vaste et luxueuse chambre du premier étage : outre un lit à baldaquin, on y voyait de quoi satisfaire même les goûts les plus exigeants en matière de confort. De surcroit, une large fenêtre entrouverte aérait les lieux, y faisait entrer les douces fragrances du parc.

Près de la porte des appartements avait été déposé un paquetage. Le sien, assurément. Enfin, celui de Taliesin, plutôt.

[Mornagest]

Incroyable mais vrai, il avait réussi - sans y être pour grand-chose, il devait bien se l'avouer - à rester intègre sur cette fin de soirée. Non qu'il eût repoussé une offre concrète s'il s'en fût présenté une : son esprit lui hurlait de n'en rien faire, mais son corps aurait réagi autrement, il l'avait bien senti durant cette danse avec dame Christèle... il se sentait mal à l'aise en y repensant, songeant combien il était dépendant du bon vouloir du déroulement de ce... rêve, sans pouvoir suffisamment l'influencer, sinon pour empirer la situation.

Ce fut donc avec soulagement qu'il goûta au silence assourdissant de sa chambre, fermant les yeux et humant l'air frais et léger en mouvement dans la pièce. Quiétude et calme, l'idéal pour passer une bonne nuit après toutes ces turpitudes. Si le destin n'en décidait pas autrement, bien entendu.

Il ouvrit les paupières et vit le paquetage, fronça les sourcils et s'avança prudemment. Que pouvait-il bien contenir ? Des affaires dont il n'avait pas connaissance, à coup sûr. Ou un piège mortel destiné à terrasser l'artiste dont il endossait maladroitement le rôle ? Il déglutit, encore plus mal à l'aise à cette pensée, bien qu'elle parût farfelue. Il se décida à saisir le paquet et l'entrouvrit doucement, songeant qu'il devait être bien ridicule : il ne devait y avoir que des vêtements de voyage et l'une ou l'autre babiole, là-dedans.

[Taliesin]

De fait, pas le moindre piège, pas le moindre traquenard à l'intérieur du sac de voyage : juste des vêtements soigneusement pliés, ainsi que des livres.

Mornagest n'eut cependant pas l'occasion de pousser plus avant son examen : près de lui, la porte s'entrouvrit et Christèle fit son apparition. Elle portait une chemise de nuit élégante, légère... et suggestive.

-Enfin seuls ! souffla-t-elle en refermant le battant. Plus personne pour nous observer, nous déranger, nous empêcher de conclure dignement cette formidable soirée.

[Mornagest]

Pas de traquenard ?! Voilà qu'il était prisonnier de dame Christèle, qui faisait rempart de son corps entre lui et toute possibilité de fuite. Et nul doute qu'elle apprécierait qu'il tentât de prendre ses jambes à son cou... les choses s'emballaient vraiment, cette fois, et le doute n'était plus permis. Cette danse effrénée et toute en toucher léger n'était pas du tout innocente.

La part taliesinesque de lui-même, cependant, réagissait tout à fait favorablement à cette alléchante invitation. Avec tact et délicatesse, il se surprit à regarder un peu trop en détails les formes voluptueuses de la dame, qui, il fallait bien l'admettre, était encore plus ravissante dans cet accoutrement qu'elle ne l'était durant la soirée.

Il était déchiré entre ces deux sentiments contradictoires, ne trouvant les mots pour les exprimer. D'autant que la dame eût été interloquée s'il s'était mis à monologuer devant elle, argumentant et contre-argumentant sur pourquoi il devait - ou non - accepter sa proposition...

Il savait qu'il n'avait pas le choix. Et le corps qu'il occupait se réjouissait à l'avance de la suite des événements lorsqu'il fit un pas dans la direction de dame Christèle, un sourire engageant aux lèvres, murmurant :

"Ma dame, je constate avec joie que la tentation s'est emparée de vous aussi sûrement qu'un galant prend le cœur d'une jouvencelle."

Mais c'est qu'il était à donner des claques, ce grand imbécile ! Au moins, il se tairait peut-être dans les minutes qui suivraient...

[Taliesin]

-Pourtant, je suis fort difficile, d'aucuns pourraient en témoigner... musa la jeune femme.

Elle fit quelques pas dans la chambre, observa le lit, revint au barde.

-On dit souvent que l'attente est le début du plaisir. Cependant, j'ai attendu toute la soirée...

L'instant suivant, d'un geste élégant, elle se défaisait de sa chemise de nuit, se révélant dans toute la splendeur de sa plastique parfaite.

Face à pareil encouragement, le corps qu'occupait Mornagest s'embrasa tout entier : combien de temps encore résisterait-il à la tentation ?

[Mornagest]

Le corps avait craqué depuis longtemps, et, n'eussent été ses vêtements amples, son état aurait été trahi depuis belle lurette. L'esprit luttait, luttait... mais le combat était inégal, tant sur le plan physique que psychique. S'il voulait refuser, comment le ferait-il ? Comment pourrait-il, maintenant, repousser la proposition de dame Christèle, alors que les choses étaient allées si loin ?

Malmené par une série de pensées et sentiments contradictoires, Mornagest ne pouvait plus reculer. Il sentait son cœur bondir dans sa poitrine, de peur ou d'excitation ? Il ne savait pas, et s'en fichait : il voulait se sortir de là le plus vite possible. Et cela passait par l'accomplissement du désir de la dame, il le savait pertinemment.

Il détestait ce corps qui le poussait à regarder avec avidité celui, splendide, de la dame, nue devant lui, à portée de main. Fallait-il dire quelque chose ? Sa voix trahirait son malaise, et il doutait que cela apporterait quoi que ce fût. Non, l'heure était à l'action...

Une dernière fois, il songea à fuir, mais ses bras agirent avant ses jambes, et il s'empara de la taille de la belle dame, la serra contre lui et l'embrassa fougueusement. Le corps de Taliesin menait une nouvelle fois la danse, et c'était aussi bien. Il semblait à l'aise avec l'exercice. L'esprit de Mornagest pleurait presque de rage et de désespoir.

[Taliesin]

L'étreinte se poursuivi, se déplaça. Bientôt, c'est sur le lit qu'ils s'enlacèrent. Bientôt, l'entreprenante dame, le couvrant de caresses et de baisers, entreprit de le délester de ses vêtements sans qu'il puisse rien faire pour l'en empêcher.

L'étreinte se poursuivit, s'intensifia. Son corps était au paradis, son esprit en enfer.

Et puis...

La porte s'ouvrit violemment, claquant contre le mur, et le maître des lieux fit irruption dans la pièce.

Ils étaient dans de beaux draps...

[Mornagest]

Il allait enfin savoir si dame Christèle était bien la fille dudit maître. Hum. Peut-être n'était-ce pas la première chose dont il devrait s'enquérir, s'il en jugeait par le visage déformé par la colère de l'homme qui lui faisait maintenant presque face.

Mornagest ne chercha pas de belles phrases pour tenter d'expliquer quoi que ce fût. Qu'est-ce que cela aurait apporté ? L'évidence crevait les yeux, et leur nudité arrangeait pas les choses... Il posa pudiquement un morceau de tissu au niveau de son entrejambe afin de masquer son embarras.

"C'est curieux, j'aurais juré que la porte était bien fermée", glissa Mornagest sans réfléchir aux conséquences de sa remarque détachée.

[Taliesin]

-Oups, j'aurais dû penser à la verrouiller... dit Christèle, d'un ton presque aussi léger que le sien. Mais voilà, j'étais tellement impatiente...
-Il suffit, avec vos messes basses ! tonna le maître des lieux. Christèle, vous avez refusé tous les partis que je vous ai présentés pour jeter votre dévolu sur celui-ci ? Soit, il va vous falloir assumer ! Et vous aussi, messire barde. Je comptais vous demander de vous produire lors des noces de ma fille, que j'espérais prochaines... Vous vous y produirez donc ! Mais d'une autre façon, en lui passant la bague au doigt !
-Oh là là, je n'avais pas songé à pareilles conséquences... fit la damoiselle en arborant un air des plus innocents. Mais ne vous en faites pas, cher Taliesin : nous allons former un beau couple...

Le père de Christèle reprit la parole, mais il ne saisit pas le sens de ses mots : ceux-ci s'étaient faits vagues, distants. Autour de lui, le décor était également en train de se brouiller, de se dissiper. Et puis...