[Ailleurs] Quête : Dix Petits Gosses

[Taliesin]

Après s'être attardé un moment à contempler le panorama - lequel lui plaisait, c'était le moins qu'on puisse dire -, il se débarbouilla rapidement, s'habilla promptemment, gratifia le chat de quelques caresses puis remit le cap sur la maison. Il avait promis à sa mère - enfin, à la mère de Gérold - qu'il se dépêcherait, et il n'avait aucune intention de se dédire. Bref, ce serait un rapide petit déjeuner et un court trajet, effectué d'un pas plus qu'alerte, en direction de cette fameuse école. Avec un peu de chance, il apercevrait d'autres enfants, ce qui lui éviterait de chercher les lieux et donc, possiblement, d'y arriver en retard.

[Galathée]

Sa mère lui tendit sa pile de livres, un sac de toile qui contenait son casse-croûte, puis le gratifia d'un baiser sur le front avant de lui souhaiter bonne journée. Taliesin put donc descendre vers le hameau d'un pas alerte, suivant une piste d'herbe écrasée qu'il n'empruntait manifestement pas pour la première fois. La chèvre et le chat le suivirent un moment avant de s'immobiliser à l'endroit où le chemin traversait un petit ruisseau. Un enfant attendait de l'autre côté du gué. Un peu plus âgé que l'enveloppe charnelle qu'occupait Taliesin, il lui fit signe.
" T'as de nouveau pas su te lever, Monsieur le Génie ?" lui demanda-t-il, comme il traversait l'onde.
Le cheveu noir et le regard sombre, il n'évoquait personne au barde.

[Taliesin]

Il sourit au garçon inconnu - qui était un étranger pour lui mais non pour son hôte, évidemment...
-Oui... répondit-il, amical. Et j'espère que je finirai par arriver à me réveiller sans qu'on m'aide, parce que c'est quand même embêtant.
Si l'expression "Monsieur le Génie" le renseignait sur la réputation de Gerold, il ne savait pas ce qu'il devait en déduire en ce qui concernait l'attitude de son interlocuteur à son égard. Sans doute était-ce une boutade sans méchanceté. Sinon, l'autre ne l'aurait pas attendu... ou l'aurait d'emblée poussé dans le ruisseau.

[Galathée]

" Si ta mère n'avait pas cuisiné le coq, tu aurais moins de mal. Mais je reconnais qu'en été, c'est pas la gloire." dit le gamin en lui emboîtant le pas.
Il était plus maigre que Gérold, les cheveux un peu plus longs, mais il était propre, ses vêtements étaient de bonne facture et ses bottes neuves.
" Bon... Il ne nous reste pas beaucoup de temps... Tu peux m'aider ? Solarcis, c'est... au nord, c'est ça ? Et Antelucas, au sud ? Mais je ne sais plus comment s'appelle la ville qui est sur la Sereine... Et... je mélange tout le temps Haradhar et Fondor... Je vais me faire buser, Gérold, ça va être la cata... Il faut qu'on mette ce code au point..."

[Taliesin]

Ainsi donc Gerold était-il vraiment doué en classe, au point d'aider ses petits camarades... C'était bon à savoir, car jouer la comédie une fois installé sur les bancs de l'école serait un peu moins ardu.
-On trouvera quelque chose, assura-t-il, souriant. Et tu ne vas pas te faire buser, parce que Solarcis c'est bien au nord, et Antelucas, bien au sud. Sur la Sereine, c'est la ville d'Erhedun. Haradhar, c'est la ville juste au-dessus. C'est facile de s'en souvenir, parce que les noms se ressemblent un peu, au niveau des consonnes et des syllabes : Ha-ra-dhar, E-rhe-dun... Et pour Fondor, c'est celle qui est plus au nord. D'ailleurs, ça rime, et ça aide aussi à s'en souvenir.

[Galathée]

Le gamin le dévisagea, incrédule.
" Bourrache ! Comment tu fais pour imaginer des trucs pareils ?! Pfff..."
Il soupira douloureusement.
" Je suis vraiment pas fait pour aller à l'école. Heureusement que c'est plus que deux ans... J'ai l'impression que je vais exploser, à devoir caser tous ces trucs dans ma stupide tête. J'aimerais mieux m'occuper des abeilles à plein temps. Mais bon... Aymeric a mis toutes ces idées dans la tête des parents, on est bien obligés... Tu as de la chance d'avoir l'esprit vif, comme ça... Je me sens comme une pierre qui devrait apprendre à flotter."

[Taliesin]

Taliesin eut de la peine en entendant le gosse avouer ainsi ses difficultés.
-Allez, c'est juste une habitude à prendre, glissa-t-il, réconfortant. Et ces choses qu'on doit mémoriser, ben, faut arriver à se dire qu'elles sont utiles. Bon, peut-être pas toutes, d'accord. Mais le nom des villes et l'endroit où elles se trouvent... Ca peut aider si on voyage, ou si on veut leur vendre... du miel, par exemple. Plus c'est loin, plus il y a des frais de transport, déjà. Et puis celles qui sont dans une région où il y a peu de ruches, elles s'en ficheront de payer plus cher, parce qu'elles auront quand même envie d'en avoir...
Il sourit à nouveau.
-Après... Tu sais, je m'en sors peut-être en classe, mais il y a des tas de domaines où je suis nul. Si tu me demandais de m'occuper des abeilles, je crois que ce serait une catastrophe et qu'au bout d'une heure, je me serais tellement fait piquer que j'aurais triplé de volume...

[Galathée]

" Arrête de dire n'importe quoi, tu veux." grommela son compagnon, peu impressionné.
Ils étaient arrivés à proximité du bourg et Taliesin se laissa guider sans mal par son camarade. Il nota que le village avait l'air relativement récent, les maisons semblaient avoir une trentaine d'années, peut-être moins, et étaient encore en excellent état. Il y avait une petite auberge, tables sorties sur la place du hameau, à l'ombre d'un beau tilleul, plus ancien. Des passants saluèrent les enfants et Taliesin apprit ainsi que son comparse se nommait Antonin. Ils filèrent entre les maisons, s'acoquinant avec un chien noir et blanc qui les poursuivit un moment, puis arrivèrent à la dernière bâtisse. C'était un édifice de terre, paille, bois et pierre, aux larges portes ouvertes, et il semblait y faire lumineux à l'intérieur.
Un homme âgé d'une quarantaine d'années attendait à l'extérieur, vêtu d'un pantalon et d'une tunique de toile verte. Il avait croisé les bras et les dévisagea avec une mine vaguement agacée.
" Voilà mes limaçons. Nous allons pouvoir commencer."

[Taliesin]

Il adopta aussitôt une attitude penaude.
-Je vous présente mes excuses pour ce retard qui est entièrement de ma faute, fit-il en baissant les yeux.
Bon, c'était parti pour l'école. Mais avec un peu de chance, cela ne durerait pas toute la journée et ils auraient l'après-midi pour profiter de cette riante campagne. En pareil endroit, par un temps si radieux, ce serait une torture de rester cloitré à l'intérieur...

[Galathée]

" Ne fais pas ton martyr, Gérold, ça ne prend pas." dit l'homme en posant une main amicale sur son épaule pour le pousser vers l'intérieur.
Ils se retrouvèrent dans une vaste salle aux larges fenêtres. On avait disposé quatre tables, chacune pourvue de quatre chaises. Il y avait un autel dans le fond de la pièce, et Taliesin comprit qu'il s'agissait d'un temple. Ce n'était pas son usage immédiat, cependant. Une dizaine d'enfants se trouvaient déjà installés sur les chaises, filles et garçons confondus, tous âgés de huit à douze ans environ. Il y avait une exception. Une petite fille paraissait beaucoup plus jeune et elle était assise toute seule à l'une des tables. Elle avait de longs cheveux blonds-roux, la silhouette gracile, et elle lorgnait ses genoux.
" Ah zut, on va devoir encore s'asseoir avec la chose..." souffla Antonin à voix basse.
C'était une elfe, et elle parut familière à Taliesin, bien qu'il ne puisse distinguer ses traits baissés.

[Taliesin]

Pouvait-il s'agir de... ?
Le vieux clerc qui vivait avec elle quand ils s'étaient rencontrés ne s'était-il pas appelé lui aussi... ?
Et ce temple bâti dans un petit village, n'était-ce pas un sanctauire de... ?
Il comprit. Cru comprendre, du moins.
Toutefois, ce n'était pas exactement le moment de rester immobile, perdu dans ses pensées, sous peine d'attirer l'attention et de se faire peut-êetre houspiller par le maître d'école.
Il calqua donc son attitude sur son camarade, ne sachant s'il fallait s'assoir tout de suite ou, d'abord, déposer l'obole dont avait parlé sa mère.

[Galathée]

Antonin s'assit le plus loin possible de l'elfe et sortit ses affaires de son sac. Il restait une place soit à côté d'elle, soit en face. Son camarade fit la grimace mais ne l'aida en rien à choisir. De son côté, l'instituteur — qui était probablement clerc également — retraversa la pièce sans leur prêter attention. Il n'y avait ni tableau, ni estrade, et il s'assit simplement sur l'autel, comme si de rien n'était.
" Dès que notre ami Gérold sera assis, nous reprendrons notre cours de géographie."
La petite elfe leva les yeux. C'était effectivement une version beaucoup plus jeune de Valaellyn. Mais Taliesin savait que son apparence était trompeuse. Elle avait probablement déjà plus de vingt ans.

[Taliesin]

Ainsi donc, il avait vu juste. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce rêve était plus déstabilisant encore que le précédent, dans la mesure où il connaissait somme toute Valaellyn beaucoup mieux que Guéric..
Il s'arracha cependant à ses pensées et, cessant de lambiner - la dernière phrase du clerc avait sonné comme un rappel à l'ordre -, il s'assit à côté d'Antonin. Ce choix n'étonnerait personne, bien au contraire. De surcroit, il pourrait adresser des signes amicaux à la petite elfe sans que personne ne le remarque. ce qu'il fit d'ailleurs, lui souriant fugacement tout en sortant ses livres et sa plume.

[Galathée]

La fillette parut stupéfaite qu'il lui adresse ce genre de signe et elle rougit avant de baisser les yeux vers son libre, se dissimulant derrière un épais rideau de cheveux lumineux. Le maître d'école débuta sa leçon, reprenant ce qu'il leur avait apparemment enseigné la veille, à savoir la géographie basique d'Hélonna. Il mentionna les plus grandes villes, interrogeant ses ouailles sur le placement de chacune, puis vérifia qu'ils avaient retenu le nom de l'une ou l'autre rivière. Il apparut à Taliesin que tout le savoir que l'homme avait de ces lieux était purement théorique et qu'il n'en avait probablement visité aucune, hormis Haradhar. On mentionna plusieurs fois le nom du village, Hautépine, qui était bien, il s'en souvenait, le nom de l'endroit où il avait rencontré Valaellyn. Les lieux avaient changé, c'était le moins qu'on puisse dire, mais ce n'était pas vraiment surprenant : il se trouvait vraisemblablement près d'un siècle dans le passé.
Après avoir parlé géographie, ils enchaînèrent sur du calcul basique, appliqué à des questions agricoles simples. Taliesin put, sans difficultés, résoudre les quelques problèmes qu'on lui présenta, tandis que son confrère Antonin suait en soupirant. Valaellyn demeurait digne, silencieuse, incroyablement gracieuse dans chacun de ses mouvements, comme si elle appartenait à un autre plan et que seule son empreinte les gratifiait de sa présence.

[Taliesin]

Il s'efforça de ne pas trop la regarder, de paraître concentré sur les paroles du maître d'école ou sur les exercices qu'il leur donnait, de se tenir prêt à répondre au cas où il l'interrogerait. Le tout ne l'empêcha pas de songer à la petite maison que Galathée et lui avaient restaurée, lorsqu'ils étaient venus s'y installer avec Victor. Existait-elle déjà ? Il aurait aimé aller jeter un coup d’œil à ces lieux où s'était déroulé l'un des épisodes les plus heureux de toute son existence. Sans doute ne serait-ce pas impossible : ce n'était pas si loin... Dans l'immédiat, toutefois, il fallait rester assis sur sa chaise et continuer à jouer la comédie. Ce qui, comme prévu, ne s'avérait guère passionnant...

[Galathée]

Ce fut finalement la pause de midi. Le maître entraîna les enfants dans le jardin du Temple. C'était un endroit magnifique, rempli d'arbres et de buissons fruitiers. L'herbe était haute et fleurie par endroits, plus courte et plus drue à d'autres. Une basse-cour diversifiée s'y égayait, et les animaux ne parurent pas particulièrement impressionnés de voir débarquer la classe. Pourtant, deux gamines attrapèrent aussitôt les lapins qu'elles baladèrent ensuite comme des bébés en papotant. Valaellyn alla s'asseoir sous un arbre, repliant ses genoux contre sa poitrine, et son regard se perdit dans le vide. Antonin avait déjà attrapé Taliesin par le bras et l'entraîna vers un groupe de trois garçons qui escaladaient le tronc tortueux d'un vieux pommier.
" Ne cueillez pas les pommes, elles ne sont pas encore mûres !"s'exclama l'instituteur.
A la grimace que firent ses compagnons, Taliesin devina qu'il devait leur seriner la même chose chaque jour.
" Hé ! Gérold ! T'as compté les étoiles, alors ?" demanda l'un d'entre eux, un échalas blond à qui il manquait les deux dents de devant, sur un ton goguenard.

[Taliesin]

Ah, ça n'avait pas tardé à commencer... Évidemment, un bon élève, un rêveur qui perdait son regard dans le ciel nocturne, cela ne pouvait qu'attirer les sarcasmes.
-Oui, j'ai compté les étoiles, répondit-il, tranquille. Tu sais, c'est un exercice utile. Grâce à lui, quand je dois compter des trucs pour mes corvées, je le fais super rapidement et, ensuite, j'ai plus de temps pour m'amuser.

[Galathée]

" Moi si y'en avait moins que vingt, je les compterais aussi, remarqua un gamin un peu rondouillard qui avait préféré rester au pied de l'arbre.
— Moins de dix, tu veux dire !
— Hé ! Je sais compter jusque vingt !
— Tellement vite que tu t'endors entre seize et dix-sept, en général.
— Oh, c'est même pas vrai, Max."
Max rit de bon coeur.
" Y'en avait combien, alors ?
— Tu as vu l'Ours et la Sirène ? Mon vieux, il dit qu'on les voit bien en cette saison. Mais il veut pas que je reste debout jusqu'à ce qu'il fasse noir."

[Taliesin]

-Oui, je les ai vus, et je me suis arrêté à... quarante étoiles, dit-il, estimant que ce chiffre conviendrait mieux que celui qu'il avait évoqué devant la mère de Gérold. Ensuite, je me suis endormi, parce que j'étais crevé. Faudrait vraiment que je me couche moins tard, histoire d'avoir moins de mal à me réveiller et d'arrêter d'arriver à la bourre à l'école. Parce que sinon, je vais finir par me faire tirer les oreilles.
Cependant, il comprenait la passion du gosse pour les astres nocturnes : lui-même aimait beaucoup à les contempler.

[Galathée]

" La nuit tombe de plus en plus tôt, remarqua le dernier gamin, pensif. Bientôt, on pourra regarder assez vite.
— Mais y'aura des nuages, dit Antonin.
— Henri, tu nous racontes l'histoire de l'Ours et la Sirène ? Moi j'adore cette histoire."
Le gosse rondouillard rougit.
" J'la raconte pas très bien...
— Allez, arrête !
— Attendez, je sors mon casse-croûte."
Tout le monde semblait impatient d'écouter Henri et ce dernier finit par hausser les épaules et commença son récit. C'était un conte féérunien classique, que Taliesin lui-même avait déjà conté plus d'une fois. Mais cette fois, ce n'était pas lui le barde, et le petit Henri se débrouillait plutôt bien, même s'il paraissait très embarrassé d'être la proie d'autant de regards conquis. Taliesin remarqua, pendant qu'il écoutait son camarade d'une demi-oreille, que leur instituteur était désormais sous l'arbre de Valaellyn, et qu'il parlait avec la petite fille. Elle ne répondait rien, gardant les yeux baissés.

[Taliesin]

Le dénommé Henri le fit penser à Baptiste, cette graine de barde qui manquait encore par trop de confiance en lui... Mais son attention glissa rapidement vers Valaellyn. L'approcher ne serait pas évident : en butte au rejet des autres, elle se tenait toujours à l'écart, et lui mnanifester trop d'intérêt, outre la faire fuir, risquait de lui valoir l'ire de ses petits camarades. Enfin, une occasion finirait bien par se présenter, c'était forcé. En attendant, il fallait donner le change, écouter l'histoire, manger son propre casse-croûte... Puis affronter les cours de l'après-midi.

[Galathée]

L'heure de midi se termina tranquillement. Personne ne semblait pressé de retourner à l'intérieur. Taliesin avait fini par pouvoir mettre un nom sur chacun des gamins qui composaient son groupe. Il y avait bien sûr Antonin, qui l'avait accompagné le long du chemin, et dont le père avait manifestement des ruches. Max, la grande gueule du groupe, vivait au coeur du bourg, dans une des plus grosses maisons. Ses parents tenaient un semblant d'auberge, mais qui servait surtout de lieu de rassemblement, au moindre événement ou en soirée, quand les gens voulaient bavarder. Lui-même, Gérold, n'avait effectivement pas de père, et pour cause : il était fils d'un barde de passage, qui avait séduit sa mère puis avait repris la route. Henri était le fils du boulanger, ce dont il profitait joyeusement. Le dernier, Thyll, était arrivé à Hautépine depuis peu. Ses parents étaient paysans et avaient défriché quelques arpents en bordure de forêt.
Le clerc finit par rassembler les enfants mais loin de les ramener vers l'intérieur, il les entraîna plus profondément dans le coin de nature qui bordait son temple et qui semblait s'étendre à l'infini dans la campagne. Sans prêcher, il leur parla de la dynamique de la nature, des cycles en jeu dans la reproduction des plantes et des animaux. Taliesin nota qu'il s'adressait particulièrement à lui, peut-être un signe que le jeune Gérold s'était montré intéressé par ces questions. Certains de ses camarades étaient particulièrement dissipés, croquant les épis de blé mûr et coursant les papillons, mais l'instituteur ne s'en formalisait pas. Valaellyn suivait, un peu comme un automate.

[Taliesin]

Une nouvelle fois, il trouva ce rêve - il ne savait pas comment l'appeler autrement - plus troublant que celui qui l'avait précédé. Il savait pertinemment que Valaellyn deviendrait elle-aussi prêtresse de Chauntéa et se demandait comment cela se produirait. Était-ce une inclination naturelle qui l'y mènerait ? Serait-ce plutôt ses relations avec Gérold ? Les deux éléments s'allieraient-ils ? Il verrait bien...
Même s'il ne se priva pas de se livrer à ses réflexions, il prit grand soin de paraître très attentif. Et il le fut, en partie : bien que ce qu'expliquait le clerc demeurait basique, cela ne manquait pas d'intérêt, et un barde qui se respecte ne perd jamais une occasion d'apprendre.

[Galathée]

L'instituteur libéra le groupe assez rapidement. Les gosses passèrent en courant à travers le temple, déposant chacun une pièce ou deux sur l'autel — la fameuse obole*— avant de détaler dans la poussière du chemin. Taliesin s'apprêtait à en faire de même quand le clerc posa une main sur son épaule pour le retenir. Les autres ne parurent pas surpris et lui donnèrent rendez-vous au ruisseau, avant de s'égailler.
" Gérold, est-ce que tu as pu parler à ta mère ?" demanda son interlocuteur, avec un sourire doux.

[Taliesin]

L'air embarrassé qu'arbora Taliesin n'avait rien de factice. En effet, même s'il pensait avoir une vague idée de ce dont il était question, cela n'était en rien une certitude et il craignait de commettre une erreur. Toutefois, habitué à improviser, il imagina rapidement une réponse à la fois en adéquation avec sa mine et, du moins en avait-il l'impression, limitant les risques d'impair.
-Je suis désolé, je n'ai pas encore pu... murmura-t-il. Il faut que je trouve... le bon moment.

[Galathée]

Le clerc sourit.
" Je comprends. Ne t'en fais pas, si tu penses que c'est prématuré, nous n'en sommes pas à quelques veilles, voire quelques mois. Il faut que tu le sentes à l'intérieur, c'est important. Et si c'est annoncer la nouvelle, qui t'est difficile... Je peux venir avec toi, je te l'ai dit."
Il se redressa.
" Bon. Je vais te laisser rejoindre tes compères au ruisseau. Préviens-moi quand tu en as parlé à ta mère. D'ici là... Ma porte est toujours ouverte, si tu as des questions..."

[Taliesin]

Au moins était-il fixé : c'était bien de son entrée dans les ordres qu'il était question. Et la réponse dont il s'était fendu avait sonné juste : le vrai Gérold devrait probablement rassembler son courage pour annoncer la nouvelle à sa mère, laquelle se retrouverait seule sitôt qu'il aurait commencé son apprentissage - elle continuerait à le voir, bien sûr, mais il ne dormirait plus sous son toit et... ce serait rude. Il songea brièvement aux discussions qu'il avait eues avec Guéric et les Moandrins, discussions qui faisaient étrangement écho à ce qu'il vivait à présent, et il éprouva un élan de compassion pour la mère du garçon.
-Merci, fit-il. Je vous dirai dès que je lui en aurai parlé.
Il sourit au Chauntéen, déposa sa propre obole sur l'autel puis récupéra ses affaire avant de sortir d'un pas tranquille. Mais, sitôt dehors, il se mit à courir : son hôte devait être quelque peu impatient de rejoindre ses camarades, non ?

[Galathée]

Le prêtre n'ajouta rien et rentra dans le Temple, sans doute pour ranger le menu désordre que les enfants avaient laissé derrière eux. Taliesin fila vers le gué où il avait rencontré Antonin le matin-même, mais ses comparses n'y étaient pas. Heureusement, il les entendit rire à proximité, et suivit le son de leurs voix, en aval du petit cours d'eau. Le ruisseau demeurait malingre : les chaleurs de l'été l'avaient probablement amaigri, mais il atteignit bientôt un bosquet d'une dizaine d'arbres, saules, bouleaux et aulnes assoiffés, au creux duquel s'étaient réfugiés les quatre autres garçons.
" Voici le très Saint Gérold !" s'exclama Max en le voyant se frayer un passage entre les troncs.
Il était assis à califourchon sur la branche d'un saule qui surplombait l'étroit ruisseau. Henri était assis dans l'herbe de la berge et composait des tableaux à l'aide de cailloux. Thyll était dans l'eau, lui, mais elle ne montait que jusqu'à mi-mollets. Antonin dormait dans l'herbe, un brin de blé à la bouche.

[Taliesin]

-Très saint, très saint, faut le dire vite ! s'exclama Taliesin.
Hum, cette remarque n'était peut-être pas très en adéquation avec le vrai Gérold. Mais le barde en lui n'avait pu s'en empêcher, comme il ne put s'empêcher de continuer sur la même lancée.
-En fait, comme vous n'aviez absolument aucune idée de comment nous allions occuper nos heures de liberté, vous m'avez attendu en espérant que je vous en donne !

[Galathée]

Max lui fit une grimace.
" Gérold, bourreau ! La liberté, c'est fait pour glan-der ! Parfaitement, messire des champs bénis !
— Moi je fais la sieste, renchérit Antonin sans ouvrir les yeux. Dans trois jours, c'est la moisson, on va trimer comme des boeufs... D'ici là... Je repose ma carcasse.
— Faudrait p't'être s'échauffer." remarqua Henri.
Dans l'eau, Thyll poussa un cri de satisfaction et se pencha, pour sortir une belle écrevisse de l'onde. Il la rangea aussitôt dans un sac de cuir qu'il portait en bandoulière, puis poursuivit sa pêche.