[Lieu-dit] Les rues commerçantes

[Galathée]

Meloenn ne dit rien, tandis que Taliesin faisait volte-face. Mais le barde avait-il à peine fait quelques pas qu'il entendit un choc sourd. Quand il se retourna, il vit Meloenn affalée face contre terre, les cheveux maculés de sang. Maude se tenait juste derrière elle, une masse à la main, l'expression furibarde. Tim lui avait saisi le poignet avec une grimace, tandis qu'Helen s'agenouillait près de la barde. Iris avait plaqué les deux mains sur la bouche, mais le barde devinait qu'elle retenait davantage un rire qu'un cri. Judicaël, le front barré d'un pli, commença à incanter.
" Tu es folle, souffla Tim. Complètement folle.
— C'était un suppôt de Shar ! C'est ma mission divine !" s'exclama la jeune femme, hors d'elle.
Helen secoua la tête au moment où Judicaël relâchait la puissance de son sortilège, posant une main sur l'épaule de la Lathandrite et une autre sur celle de Maude. Ils disparurent avec le corps, laissant Tim et Iris en arrière.
" Changement d'équipe ! s'exclama la Tymoranne, ravie.
— Et quelle équipe de choc ! Tu es verni !" ajouta Tim en rejoignant Taliesin.

[Taliesin]

Ce dernier, qui avait observé la scène, pantois, resta quelques instants immobile et silencieux. Puis il poussa un profond soupir de soulagement.
-Fichtre, j'ai cru que ça n'en finirait jamais...
Il secoua la tête, et un large sourire illumina ses traits.
-Mais nous avons encore du pain sur la planche ! Un second traître à capturer, deux prisonniers à libérer, un antre probablement empli de trésors à explorer et, qui sait, à coloniser... Tout un programme !
S'abandonnant un instant à son élan joyeux, il se mit en marche d'un pas léger. Nul doute qu'il aurait retrouvé son calme - et la prudence nécessaire - lorsqu'ils auraient atteint l'allée des Noirs Esprits.

[Galathée]

" J'adore les bardes, dit Tim, en lui emboîtant le pas. Les bons bardes, bien sûr.
— Tu as eu de la chance d'en rencontrer un, alors. Peut-être qu'il pourra t'aider à trouver ta rime pour le bouc de Moandre.
— Nous avons déjà prévu de jouer ensemble, Iris. Et nous avons choisi choucroute, souviens-toi."
La jeune femme haussa les épaules.
" Mais qu'allons-nous faire, une fois sur place ? Parce que c'est bien beau tout ça, mais...
— Nous allons prendre des risques ! Tenter notre chance ! Improviser ! Les bardes adorent improviser !
— Oui, enfin, improviser en musique, tu vois...
— Mais la vie est une longue mélodie, Tim, non ? Un truc comme ça ?
— Fais pas la Milite, Iris, tu n'es pas douée.
— Boh. T'es pas sympa, toi."
Ils quittèrent la ruelle et se dirigèrent, tranquilles, vers le Noyau Occulte.

[Taliesin]

Du bruit. Beaucoup de bruit.
Du mouvement. Beaucoup de mouvement.
Pour s'était donné mal à la tête à force de parcourir les innombrables volumes qu'abritait la Bibliothèque Magique, il y avait de quoi, en quelques secondes seulement, souffrir d'une migraine carabinée.
Et tous ces commerçants qui hélaient les passants !
Hum, d'ailleurs, l'un d'eux semblait beaucoup s'intéresser à Asmodeus.
-Et, m'sire, une p'tite faim ?
Un homme s'approchait de lui. Un marchant ambulant avec son étal portatif attaché à une lanière passée sur ses épaules.
-Un p'tit pain à la saucisse, ça vous dirait ? Cinq pièces de cuivre l'un, huit la paire ! Vous m'en direz des nouvelles ! Et à c'prix-là, croyez-moi, j'me tranche la gorge !

[Asmodeus]

Asmodeus était dans une disposition d'esprit où il aurait accepté de manger à peu près n'importe quoi et n'importe où - à condition de trouver à s'asseoir - tant il était exténué et tant il avait repoussé le moment d'alimenter son corps malade. C'est certainement ce qui avait attiré le vendeur ambulant vers cette cible parfaite. Cependant, l'élu divin avait survécu malgré ses tares génétiques car il avait toujours eu un grand instinct de préservation. C'est pourquoi il ne chercha pas à contrarier le vendeur en répondant :

- Et qu'y - il avait failli penser "qui" - a-t-il dans ces saucisses ?

Quelle que soit la réponse du marchand, il avait bien l'intention de tester la nourriture avant d'en avaler ne serait-ce qu'une bouchée. Mais bon, l'expérience et la possibilité de n'avoir pas à chercher plus loin valaient bien un petit sacrifice monétaire largement à sa portée.

[Taliesin]

-Et bien, il y a... de la viande ! répondit le camelot, le sourire jusqu'aux oreilles. De la viande à saucisses ! Vous pouvez m'en croire, nulle part ailleurs vous ne pourrez en goûter de plus succulente, car je me la procure chez le meilleur fabriquant de viande à saucisses dans des petits pains de tout Melandis. Que dis-je, de tout Melandis... De tout l'empire, plutôt ! De tout Dorrandin, même ! Elle est garantie sans colorants ni conservateurs, et même si des milliers de cuisiniers ont tenté de l'égaler, ils en on été pour leurs frais ! Personne ne peut seulement approcher la perfection de cette recette secrète ! M'sire, soyez en bien conscient, c'est une authentique merveille que je vous propose de déguster aujourd'hui !

[Asmodeus]

Asmodeus en avait entendu de tels discours. Les bonimenteurs n’étaient pas rares dans l’empire… Le hic, c’est que lui-même n’était pas le dernier à savoir asséner de tels arguments avec une attitude convaincante et un aplomb à toute épreuve. Il répondit au sourire du vendeur mais son rictus n’avait pas vraiment atteint ses yeux.

- Je vais vous en prendre une, déclara-t-il simplement en tendant la somme demandée. Et, aussitôt qu’il l’eut en main et sans même se donner la peine de s’éloigner, il incanta en direction de la chose qu’il tenait en main.

Asmodeus -> détection du poison -> petit pain à la saucisse douteux

[Taliesin]

Le sortilège ne révéla rien. La saucisse dans son petit pain n'était donc pas empoisonnée. Du moins, au sens strict du terme : Asmodeus savait que cela ne voulait pas dire pour autant qu'elle soit totalement sans danger...
-Hé, mais qu'est-ce que vous faites ? Vous allez mettre un doute injustifié dans la tête de mes clients potentiels ! s'exclama le marchand ambulant.
Il avait l'air furieux. Toutefois, l'instant suivant, il retrouvait son sourire avenant.
-Bon, maintenant que vous savez que cette délicieuse spécialité est merveilleusement saine, vous allez bien m'en acheter une deuxième, pas vrai ? Histoire de donner envie de faire pareil aux gens dont votre magie a attiré le regard...

[Asmodeus]

Asmodeus regarda ostensiblement autour d’eux pour faire comprendre au vendeur qu’il n’y avait pas tant que cela d’acheteurs potentiels dans la tête desquels semer le doute mais la remarque de son interlocuteur lui dessina un sourire carnassier. Il répondit flegmatiquement mais non sans faire preuve d’un certain cynisme :

- Vous avez raison et je suis tout prêt à vous rendre ce service mais si vous me consentez une remise…

Il approcha la saucisse de son visage pour en humer l’odeur mais sans pour autant y gouter. S’il y croquait après avoir lancé son sort, il perdrait une grande partie de l’ascendant dont il disposait grâce au doute sur la qualité de la marchandise qu’il entretenait.

[Taliesin]

Le marchand leva les yeux au ciel.
-Ah là là, vous êtes dur en affaires, vous ! soupira-t-il, avant de retrouver tout son allant. Mais allez, comme vous m'êtes sympathique, je vais vous faire une offre purement exceptionnelle ! Je vous propose d'acquérir une autre succulente saucisse dans un petit pain pour non pas cinq, non pas quatre, mais bel et bien trois pièces de cuivre ! Cependant, je vous saurais gré de ne pas ébruiter le fait que vous avez été l'heureux bénéficiaire d'une si ébouriffante ristourne. Car à ce prix là, je ne me tranche pas la gorge, je me coupe la tête !

[Asmodeus]

Asmodeus n’était pas né de la dernière pluie et ne se laissait donc pas impressionner par les effets d’emphase de son adversaire de négociation. Il répliqua avec un demi-sourire et son ton le plus flegmatique et factuel :

- Si je fais un rapide calcul, nous en revenons exactement à votre première offre, non ? Celle que vous me proposiez si je vous achetais deux saucisses en une seule fois. Mais je ne vous en veux pas : c’était bien normal de tenter le coup ! Cela aurait fonctionné sur quelqu’un de moins sage ou de moins intelligent… Donc voilà ce que je vous propose pour que nous y gagnons tous les deux : je vous achète deux saucisses supplémentaire pour cinq pièces de cuivre ce qui nous fera une pièce d’argent en tout pour les trois ! Et notez bien que je prends un gros risque puisque je ne sais pas encore si elles vont me plaire, vos saucisses dans un petit pain.

[Taliesin]

L'homme afficha une expression peinée.
-D'abord, m'sire, permettez-moi de vous détromper : je n'ai en rien essayé de vous entourlouper ! D'accord, le prix que je vous ai proposé correspondait à celui que je pratique pour deux saucisses achetées en même temps. Mais ce n'était pas ce que vous vouliez faire ! Vous aviez acheté une première spécialité et comptiez en acquérir une seconde... Or, je n'offre pas de remise dans de tels cas... Quant à la somme totale d'une pièce d'argent, et bien, il m'arrive, pour mes clients préférés, de la proposer pour l'achat simultané de trois saucisses... Mais là encore, vous ne souhaitez en obtenir que deux, après en avoir au préalable pris une...
Il parut se plonger dans d'intenses réflexions.
-Bon, écoutez... Puisque, décidément, vous m'êtes très, très sympathique... Très bien, va pour cinq pièces de cuivre les deux autres. Évidemment, à un tel prix, je m'écartèle, je m'éviscère... et je me ruine, mais qu'importe ! Le client est toujours roi ! Et puis, je suis certain qu'une personne de votre intelligence, de votre sagesse, de votre goût, surtout, appréciera à leur juste valeur mes préparations...

[Asmodeus]

Flatté dans sa fierté pour avoir remporté ce duel de volonté, Asmodeus s’empressa de payer sans plus flairer l’entourloupe. Il était maintenant à la tête d’un petit capital de trois « saucisses dans leurs petit pain » à l’aspect plutôt étrange et la faim le tiraillait encore plus que lorsqu’il avait quitté la bibliothèque. C’est ce qui expliqua ce qui suivit : l’élu divin mordit donc à pleines dents dans son premier exemplaire de l’aliment autochtone – et probablement conçu à partir de la faune locale urbaine – et tenta d’en apprécier les saveurs…

[Taliesin]

Ce que l'on pouvait dire desdites saveurs, c'est qu'elles étaient indéfinissables. Elles constituaient une sorte de bouquet de sensations contradictoires dont aucune ne parvenait à l'emporter sur les autres et dont toutes étaient noyées sous un fort, très fort assaisonnement... Bref, c'était... spécial, et le terme "spécialité" employé par le camelot prenait désormais tout son sens.
-Oh, messire !
Une voix de femme reflétant à la fois respect et surexcitation.
-Ils avaient raison Je vous ai trouvé !
Asmodeus vit se ruer vers lui une dame d'un certain âge, vêtue de châles et de robes arborant moult symboles cabalistiques.
-Cette nuit, j'ai consulté les astres et ils m'ont parlé de vous ! Ils m'ont dit que je vous trouverai ici, à présent ! Ils m'ont dit que vous étiez Lui ! Ou plutôt, la réincarnation de l'un de ses avatars ! Mais Lui tout de même !

Événement aléatoire tiré au sort
85. Une femme vous aborde en vous expliquant que d’après les signes cosmiques, vous êtes la réincarnation du sixième avatar d’un obscur dieu qu’on pensait mort (au choix) et que vos fidèles devraient se réjouir.

[Asmodeus]

Asmodeus avait mâché avec application en prenant sur lui pour brider son imagination quant à ce que dissimulait vraiment l’assaisonnement fort épicé. Mais qu’à cela ne tienne, il ne s’était pas attendu à de la haute gastronomie étant donné le prix qu’il avait payé au camelot. L’essentiel était qu’il ne tombe pas malade…

Ou qu’il ait des hallucinations… Il mit quelques instants à comprendre que la vieille folle s’adressait à lui. Et plus encore à saisir le sens de son propos. Quand ce fut le cas, il regarda à nouveau ce qui lui restait de saucisse d’un œil critique et adressa même un regard accusateur au vendeur… qui avait disparu. Il ne se rendit compte qu’il pensait à voix haute que lorsqu’il entendit sa propre voix :

- Il devait y avoir des sortes de champignon là-dedans…

Puis, avisant que la femme attendait probablement une réponse, il s’adressa cette fois directement à elle :

- Euh… Vous disiez ? Vous parlez aux astres ? Et qui est ce « Lui » ?

[Taliesin]

-Oh, parler est un bien grand mot ! répondit l'inconnue aux allures mystiques. Disons que je les étudie, que j'observe la position des planètes et des constellations, leurs mouvements, leurs conjonctions... Il y a là bien des choses à apprendre, pour qui sait lire les signes. Or, je sais les lire, et j'ai appris que vous étiez Lui ! Que vous êtes Myrkull ! Oh, messire, il faut impérativement que vos fidèles apprennent votre retour ! Eux qui vous attendent fidèlement depuis des années, leur joie va être immense !

[Asmodeus]

Voilà qui ne manquait pas de flatter l’ego surdimensionné d’Asmodeus. N’avait-il pas toujours pensé qu’il était bien plus qu’un mortel ? Que son corps dysfonctionnel n’était qu’une enveloppe imparfaite abritant un esprit et une volonté hors du commun ? Myrkull, le dieu de la mort. Oui, il avait toujours été attiré par ces domaines. Voilà qui jetait un éclairage nouveau sur ses choix, sur ses goûts, sur ses aspirations… Comme il aurait été aisé de croire cette liseuse de bonne aventure, cette illuminée à la tête dans les étoiles. Comme ça aurait été satisfaisant. Mais non : il était un « Elu ». Il tirait ses pouvoirs d’une relation privilégiée avec son dieu. Penser autrement aurait été un blasphème. Et Velsharoon n’était pas connu pour sa clémence et sa propension à pardonner, même aux ambitieux. Mais après tout, peut-être pourrait-il se servir de cette opportunité... Asmodeus répondit donc d’un ton quelque peu cynique :

- Asmodeus vous ordonne de réunir ses fidèles. Nous verrons ce qu’il en ressortira. Et tenez, pour vous récompenser de votre diligence, il vous offre une de ces succulentes spécialités épicées. Asmodeus n’en a plus l’usage.

[Taliesin]

La femme le dévisagea, décontenancée, une légère grimace aux lèvres - connaissait-elle déjà les "spécialités" en question ? Mais elle se ressaisit vite, esquissa un sourire respectueux ainsi qu'une révérence.
-Je vous suis... heu... extrêmement reconnaissante pour votre générosité, messire, répondit-elle. Malheureusement, je dois admettre ne pas savoir où se trouvent les adeptes de... vos adeptes. La rumeur veut qu'il y en ait aux abords du cimetière, sinon dans les cryptes elles-mêmes. Toutefois, je ne puis garantir leur véracité. Tout ce que je sais, c'est que... vous avez encore des fidèles.

[Asmodeus]

Asmodeus dévisagea la devineresse en pinçant légèrement les lèvres. Il avait prévu de retourner au cimetière et quelques « fidèles » qui pourraient le protéger voire exécuter des tâches dangereuses sans réclamer de paiement en retour seraient une aubaine. A condition de les trouver et de savoir les convaincre. Ce qui passait par cette femme :

- Asmodeus est certain qu’une astrologue de votre talent pourrait l’aider à retrouver ses ouailles. Peut-il placer sa confiance en vous pour cette tâche ?

Ne pas ordonner. Suggérer. L’esprit humain était ainsi fait qu’il agissait avec plus de zèle quand il pensait que c’était sa volonté qui était à l’œuvre et pas celle d’un esprit supérieur comme le sien.

[Taliesin]

La devineresse - à moins qu'il ne s'agisse d'une vulgaire bonimenteuse - fronça les sourcils d'un air pensif et consacra de longues secondes à réfléchir. Sans doute pesait-elle le pour et le contre...
-Je crois pouvoir l'accomplir pour vous,finit-elle par affirmer. Bien sûr, il faut parfois du temps pour obtenir des réponses, et celles-ci peuvent s'avérer nébuleuses. Mais... Oui, je devrais être en mesure de vous fournir cette information. Il suffirait que vous me disiez où vous retrouver et que, le cas échéant, vous... ayez la bonté de faire preuve de patience.

[Asmodeus]

Asmodeus se disait qu’il n’avait vraiment rien à perdre à maintenir la devineresse en action. Tant qu’ils ne discutaient pas de rémunération cela allait de soi… Il était toutefois tenté de lancer un trait d’esprit en soulignant qu’une devineresse devrait bien savoir le retrouver sans indication mais il préféra garder pour lui son ironie.

- J’ai tout le temps nécessaire. Même la mort n’est pas une limite pour moi. Et je loge au Luménien Noyé. Vous n’aurez qu’à m’y laisser un message quand vous aurez des nouvelles pour moi.

Un message valait toujours mieux qu'une promesse de rendez-vous d'autant qu'il ne comptait absolument pas passer toutes ses journées dans une auberge, aussi confortable puisse-t-elle être.

[Taliesin]

-Le Luménien noyé ?
La femme émit une grimace.
-Hum, je dois admettre que je ne me rends jamais dans ce secteur de la ville... Mais je trouverai bien un coursier pour vous porter le message quand les astres m'auront éclairé sur les sujets qui vous intéresse...
Elle sourit à nouveau.
-Et bien, messire, c'est entendu. Je vous recontacterai dès que possible. Et pour que vous n'ayez point trop à attendre, mieux vaut que je retourne immédiatement en ma demeure...
Elle se fendit d'une révérence et s'éloigna.

[Asmodeus]

Asmodeus était plutôt satisfait du résultat de cette rencontre inattendue. Certes, il n'en attendait pas grand chose mais l'interlude s'était avéré distrayant. Sans compter qu'il avait pu en apprendre une information d'importance : des fidèles du dieu de la mort pouvaient être recrutés. Et sans doute convertis à son maître, pour peu qu'il s'y attache. Satisfait, l'élu divin croqua machinalement dans sa deuxième saucisse dans un petit pain et grimaça, l'air absent. Au moins était-ce comestible : il allait pouvoir reprendre le travail. En cherchant des informations sur les cultes de Myrkull, par exemple.

[Taliesin]

-Oh, un amateur de saucisses dans des petits pains !
Un homme d'allure miteuse l'observait, un sourire goguenard aux lèvres.
-Hum, quoiqu'à voir votre tête, c'est peut-être la première fois que vous en mangez... C'est vrai que qui n'a jamais goûté à cette spécialité ne connaît pas vraiment Melandis. Mais j'espère quand même pour vous que vous avez l'habitude de ce genre de mets exotiques. Ou alors que vous avez l'estomac solide.
Il croisa les bras.
-Sinon, si vous voulez vraiment être sûr que votre dégustation ne sera suivie d'aucun désagrément, je peux vous donner de bons conseils. Moyennant rétribution, bien sûr.

[Asmodeus]

L'homme n'avait vraiment pas fière allure et il dégageait une impression malsaine. Rien que la façon dont il osait aborder Asmodeus lui déplaisait. Qu'avait-il dit sur les saucisses ? Est-ce qu'il risquait une indigestion ou un désagrément de ce genre ? Asmodeus n'avait pas vraiment envie de songer à cette éventualité mais il était plutôt confiant dans la capacité de son estomac à absorber ces ingrédients plutôt douteux. On ne prenait pas régulièrement un assortiment de poisons sans que son estomac en tire quelques bénéfices... En tous cas, il répondit d'un ton plutôt catégorique :

- Asmodeus n'a pas pour habitude de payer pour des conseils dont il ignore tout de l'utilité et de la pertinence.

[Taliesin]

L'homme sourit, dévoilant ses dents gâtées.
-En revanche, Asmodeus sembla avoir l'habitude de payer pour des aliments dont il ne connaît rien ni de la composition, ni de la provenance...
Il haussa les épaules.
-Enfoi moi, je dis ça, je dis rien. Et je ne peux m'en prendre qu'à moi de devoir essuyer pareille amabilité : c'est vrai, quoi, quelle idée de rendre service ?

[Asmodeus]

Asmodeus douta un instant en prenant note du positionnement de son interlocuteur : il ne cherchait pas à insister quitte à essuyer un refus plus cinglant. Au lieu de cela, il abattait un argument d'une logique irréprochable et employer un trait d'esprit qui ne déplaisait pas à l'élu divin. Celui-ci offrit donc une ouverture au vendeur :

- Auriez-vous été témoin des faits dont vous accusez ce brave vendeur de saucisses ? Avez-vous vu des personnes malades après avoir consommé ses aliments ?

[Taliesin]

-Pour sûr ! répondit-il. Pas des Mélandiens, non, ou alors rarement : je sais pas, on doit être habitués à certains des ingrédients entrant dans la composition de ces spécialités... Par contre, des nouveaux venus ou des touristes... Oh oui, j'en ai vu des tas ne pas être dans leur assiette après avoir mangé ces saucisses. S'ils ont de la chance, ils sont simplement malades quelques jours. S'ils en ont pas... Des fois, ils sont victimes de trucs bizarres, comme des tentacules qui poussent... D'autres fois, ils sont... envoûtés, je dirais : ils poursuivent notre ami vendeur partout et lui achètent tous ses stocks à des prix exorbitants ! Jusqu'à ce qu'ils n'aient plus le moindre liard en poche !

[Asmodeus]

Une lueur à la fois ambitieuse et malsaine s'alluma dans l'œil d'Asmodeus. S'il était plus que probable que les paroles exubérantes de cet homme soient exagérées voire un tissu de mensonges, peut-être recelaient-elles tout de même une part de vérité. Il devait essayer d'en savoir davantage et - qui sait - découvrir quel ingrédient miraculeux pouvait provoquer de tels effets. Il connaissait un vendeur de potions, bien qu'il n'ait pas l'énergumène en très haute estime. Il n'était lui-même pas manchot dans le domaine. Etait-ce là une opportunité de devenir riche ? Ou puissant ? Et pourquoi se contenter de l'un ou de l'autre quand on pouvait être les deux...

- Si ce que vous dites est exact, vous n'êtes certainement pas le seul à l'avoir remarqué, non ? Comment se fait-il alors que personne n'ait inquiété cet inoffensif vendeur de saucisses ?

[Taliesin]

L'homme haussa les épaules.
-Honnêtement, je pense que les autorités ont bien d'autres choses à faire que de se préoccuper du sort d'étrangers téméraires. Peut-être même, pour peu qu'elles soient au courant, estiment-elles que cette mésaventure les incitera à davantage de prudence, ce qui est une leçon fort utile, surtout à Melandis... Autre hypothèse : il n'est pas impossible que nos dirigeants considèrent cela comme une forme de sélection naturelle, ceux survivant à ces saucisses dans des petits pains étant dignes de devenir mélandiens... Personnellement, je trouve que c'est tout de même un peu rude, d'où le sacerdoce que je me suis donné, celui d'aider les consommateurs de ces spécialités...